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Sortir du nucléaire n°102



Été 2024
Crédit photo : ev - Unsplash

Dossier : À la croisée des luttes

Les militant·es écologistes et antinucléaires, toujours plus réprimé·es

Surveillance renforcée, interdiction de manifester, arrestations musclées, lourdes condamnations... Qu’elle soit législative, policière ou judiciaire, la répression à l’encontre des militant·es climatiques semble de plus en plus marquée, en France comme en Europe. Un phénomène qui n’épargne pas les militant·es antinucléaires.

Luttes et actions Nucléaire et démocratie Bure - CIGEO

Une “menace majeure pour la démocratie et les droits humains”. Voilà comment Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, définit la répression des militant·es écologistes. Dans un rapport publié en février 2024, l’ancien directeur d’Amnesty International France s’inquiète de la “nette augmentation de la répression et de la criminalisation” des mouvements écologistes dans de plus en plus de pays européens. Comme le résume Le Monde, ce phénomène se retrouve :

  • dans les discours politiques et médiatiques, où les militant·es climatiques sont stigmatisé·es, dépeint·es comme “une menace pour la démocratie” ou des “éco-terroristes” ;
  • à travers le durcissement des législations : au Danemark les “extrémistes climatiques” figurent désormais sur la liste des “menaces terroristes”, en Espagne le rapport du ministère public inclut le mouvement Extinction Rebellion dans la rubrique “Terrorisme international” ;
  • dans l’usage démesuré et brutal de la force par la police : serre-câbles en plastique en Allemagne, gaz poivré en Autriche et en Finlande, canons à eau aux Pays-Bas… ;
  • dans l’usage de mesures d’enquêtes et de surveillance habituellement réservées à la criminalité organisée : mises sur écoute, filatures, perquisitions, arrestations, détentions provisoires… ;
  • à travers des peines de plus en plus lourdes devant les tribunaux.

Une “réponse disproportionnée” de la part des États pour Michel Forst, qui considère qu’ils “créent un climat de peur et d’intimidation” à l’“effet dissuasif sur la capacité de la société à faire face à la crise environnementale avec l’urgence requise”. [1] Et à ce petit jeu, la France se veut gagnante !

La répression à la française

Le rapporteur de l’ONU note  : “La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie. Leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les Français répondent aux manifestations, ne comprennent pas qu’on puisse user d’une telle violence.” [2]

Le douloureux souvenir de Sainte-Soline, où des dizaines de milliers de manifestant·es venu·es protéger l’accès à la ressource en eau et s’opposer à son accaparement ont été accueilli·es par un dispositif policier hors-norme. Au lendemain des événements, la Ligue des Droits de l’Homme faisait une synthèse édifiante : “Tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène, armes relevant des matériels de guerre, grenades assourdissantes, grenades explosives de type GM2L et GENL, tirs de LBD dont depuis les quads en mouvement, deux canons à eau, fusils (FAMAS)...”. Un “usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain”.
Selon les organisateur·ices, entre 200 et 300 manifestant·es ont été blessé·es, dont 40 grièvement, et deux en état d’urgence absolue. [3]

La répression de la lutte antinucléaire

Ce dispositif démesuré n’est pas sans évoquer celui déployé en 1977 contre les militant·es antinucléaires opposé·es à la centrale nucléaire Superphénix. Le 31 juillet de cette année, alors que près de 60 000 personnes défilaient en direction de la centrale en chantier à Malville, en Isère, les forces de l’ordre ont utilisé au moins 4 000 grenades, dont plusieurs centaines offensives, faisant une centaine de blessé·es, dont deux personnes mutilées, et un mort : Vital Michalon.

“La répression étatique contre les militant·es antinucléaires français·es a toujours été disproportionnée“ rappelaient en 2021 plusieurs avocat·es et juristes dans une tribune publiée sur Mediapart. [4] Ils et elles s’inquiètent d’une “judiciarisation outrancière des mouvements sociaux”, particulièrement dans le secteur du nucléaire. Et pour cause : Superphénix n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’autres.
Quelques années après les événements de Malville, c’est à Plogoff, dans le Finistère, que les forces de l’ordre ont fait preuve d’une violence disproportionnée. Ici, des étudiant·es, des marins, des grands-mères, des familles entières ont lutté contre l’implantation d’une centrale nucléaire. En 1980, l’État envoie plus de 500 gendarmes mobiles et parachutistes et laisse s’exercer pendant six semaines une répression violente avec pressions psychologiques, matraquages, utilisation de grenades et de canons à eau, coups et blessures en garde à vue… [5]

Aux violences subies par le mouvement antinucléaire, s’ajoutent des pressions judiciaires et financières. En 2017, des militant·es de Greenpeace France se sont introduit·es pacifiquement sur le site de la centrale nucléaire de Cruas. En réponse, EDF montre ce qu’il en coûte de s’attaquer à l’industrie nucléaire et fait condamner les militant·es et l’association en première instance à payer 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et plus de 670 000 euros au titre de son préjudice économique. Du jamais vu pour les avocat·es et juristes cosignataires de la tribune, qui notent “qu’en France, la montée en puissance de la répression contre les militant·es se caractérise par les choix systématiques du Parquet de poursuivre, placer en garde à vue, faire payer des amendes, relever des empreintes et ouvrir des enquêtes ou informations judiciaires.”

L’exemple le plus actuel de cet acharnement étatique à l’encontre des militant·es antinucléaires demeure celui des opposant·es au projet Cigéo, le centre d’enfouissement des déchets radioactifs dans le sol meusien. En août 2017, une manifestation non déclarée à Bure se solde par un affrontement entre militant·es et forces de l’ordre. Une trentaine de personnes sont blessées, un militant anti-Cigéo a le pied déchiqueté par une grenade lancée par les forces de l’ordre. D’un côté, le Parquet de Metz requiert un non-lieu pour les chefs de violences avec arme ayant entraîné une infirmité permanente, de l’autre, sept manifestant·es sont jugé·es au chef d’association de malfaiteurs.

En Meuse, une véritable machine de renseignements sur le mouvement antinucléaire est mise en place : des dizaines de personnes placées sur écoute, plus de 85 000 conversations et messages interceptés, plus de 16 ans de temps cumulé de surveillance téléphonique, une cellule de gendarmerie spécialement affectée à Bure… [6] Le tout pour un coût supérieur au million d’euros. Un zèle de l’État qui n’aura pas porté ses fruits : les sept opposant·es ont finalement été relaxé·es du principal chef d’accusation. [7]

Dernière brique en date dans l’édifice répressif censé bâillonner les militant·es antinucléaires : la mise en œuvre du fichier ODIINuc visant notamment à “faciliter la collecte et l’analyse des informations relatives aux personnes impliquées dans des évènements révélant un risque d’atteinte à la sécurité nucléaire”. Le flou des termes utilisés pour définir les personnes concernées par ce fichier, surtout à une époque où les militant·es écologistes sont comparé·es à des “éco-terroristes”, pousse à se demander qui va réellement être visé par ce fichier…


Notes

[1La répression des militants écologistes, une “menace majeure pour la démocratie”, dénonce l’ONU, Le Monde, 28 février 2024 - https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/28/la-repression-des-militants-ecologistes-une-menace-majeure-pour-la-democratie-denonce-l-onu_6218920_3244.html

[2Répression policière des militants écolos : « La France est le pire pays d’Europe », Reporterre, 30 mai 2024 - https://reporterre.net/Repression-policiere-des-militants-ecolos-La-France-est-le-pire-pays-d-Europe

[3À Sainte-Soline, l’Etat déclare la guerre aux écolos, Blast, 28 mars 2023 - https://www.blast-info.fr/articles/2023/a-sainte-soline-letat-declare-la-guerre-aux-ecolos-6X2hO0R0SlOTmhNqv9dUDw

[4Stop à la dérive répressive des politiques pénales contre les militant·e·s anti-nucléaires, Mediapart, 23 juin 2021 - https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/230621/stop-la-de-rive-re-pressive-des-politiques-pe-nales-contre-les-militant-es-anti-nucle

[5Il y a 40 ans, la révolte de Plogoff : les photos de la lutte antinucléaire, Ouest France, 07 août 2020 - https://www.ouest-france.fr/bretagne/plogoff-29770/en-images-il-y-a-40-ans-la-revolte-de-plogoff-les-photos-de-la-lutte-antinucleaire-6930932

[6La justice a massivement surveillé les militants antinucléaires de Bure, Reporterre, 27 avril 2020 - https://reporterre.net/La-justice-a-massivement-surveille-les-militants-antinucleaires-de-Bure

[7« Une victoire politique » : les sept militants antinucléaire de Bure relaxés en appel, Libération, 26 janvier 2023

Une “menace majeure pour la démocratie et les droits humains”. Voilà comment Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, définit la répression des militant·es écologistes. Dans un rapport publié en février 2024, l’ancien directeur d’Amnesty International France s’inquiète de la “nette augmentation de la répression et de la criminalisation” des mouvements écologistes dans de plus en plus de pays européens. Comme le résume Le Monde, ce phénomène se retrouve :

  • dans les discours politiques et médiatiques, où les militant·es climatiques sont stigmatisé·es, dépeint·es comme “une menace pour la démocratie” ou des “éco-terroristes” ;
  • à travers le durcissement des législations : au Danemark les “extrémistes climatiques” figurent désormais sur la liste des “menaces terroristes”, en Espagne le rapport du ministère public inclut le mouvement Extinction Rebellion dans la rubrique “Terrorisme international” ;
  • dans l’usage démesuré et brutal de la force par la police : serre-câbles en plastique en Allemagne, gaz poivré en Autriche et en Finlande, canons à eau aux Pays-Bas… ;
  • dans l’usage de mesures d’enquêtes et de surveillance habituellement réservées à la criminalité organisée : mises sur écoute, filatures, perquisitions, arrestations, détentions provisoires… ;
  • à travers des peines de plus en plus lourdes devant les tribunaux.

Une “réponse disproportionnée” de la part des États pour Michel Forst, qui considère qu’ils “créent un climat de peur et d’intimidation” à l’“effet dissuasif sur la capacité de la société à faire face à la crise environnementale avec l’urgence requise”. [1] Et à ce petit jeu, la France se veut gagnante !

La répression à la française

Le rapporteur de l’ONU note  : “La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie. Leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les Français répondent aux manifestations, ne comprennent pas qu’on puisse user d’une telle violence.” [2]

Le douloureux souvenir de Sainte-Soline, où des dizaines de milliers de manifestant·es venu·es protéger l’accès à la ressource en eau et s’opposer à son accaparement ont été accueilli·es par un dispositif policier hors-norme. Au lendemain des événements, la Ligue des Droits de l’Homme faisait une synthèse édifiante : “Tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène, armes relevant des matériels de guerre, grenades assourdissantes, grenades explosives de type GM2L et GENL, tirs de LBD dont depuis les quads en mouvement, deux canons à eau, fusils (FAMAS)...”. Un “usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain”.
Selon les organisateur·ices, entre 200 et 300 manifestant·es ont été blessé·es, dont 40 grièvement, et deux en état d’urgence absolue. [3]

La répression de la lutte antinucléaire

Ce dispositif démesuré n’est pas sans évoquer celui déployé en 1977 contre les militant·es antinucléaires opposé·es à la centrale nucléaire Superphénix. Le 31 juillet de cette année, alors que près de 60 000 personnes défilaient en direction de la centrale en chantier à Malville, en Isère, les forces de l’ordre ont utilisé au moins 4 000 grenades, dont plusieurs centaines offensives, faisant une centaine de blessé·es, dont deux personnes mutilées, et un mort : Vital Michalon.

“La répression étatique contre les militant·es antinucléaires français·es a toujours été disproportionnée“ rappelaient en 2021 plusieurs avocat·es et juristes dans une tribune publiée sur Mediapart. [4] Ils et elles s’inquiètent d’une “judiciarisation outrancière des mouvements sociaux”, particulièrement dans le secteur du nucléaire. Et pour cause : Superphénix n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’autres.
Quelques années après les événements de Malville, c’est à Plogoff, dans le Finistère, que les forces de l’ordre ont fait preuve d’une violence disproportionnée. Ici, des étudiant·es, des marins, des grands-mères, des familles entières ont lutté contre l’implantation d’une centrale nucléaire. En 1980, l’État envoie plus de 500 gendarmes mobiles et parachutistes et laisse s’exercer pendant six semaines une répression violente avec pressions psychologiques, matraquages, utilisation de grenades et de canons à eau, coups et blessures en garde à vue… [5]

Aux violences subies par le mouvement antinucléaire, s’ajoutent des pressions judiciaires et financières. En 2017, des militant·es de Greenpeace France se sont introduit·es pacifiquement sur le site de la centrale nucléaire de Cruas. En réponse, EDF montre ce qu’il en coûte de s’attaquer à l’industrie nucléaire et fait condamner les militant·es et l’association en première instance à payer 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et plus de 670 000 euros au titre de son préjudice économique. Du jamais vu pour les avocat·es et juristes cosignataires de la tribune, qui notent “qu’en France, la montée en puissance de la répression contre les militant·es se caractérise par les choix systématiques du Parquet de poursuivre, placer en garde à vue, faire payer des amendes, relever des empreintes et ouvrir des enquêtes ou informations judiciaires.”

L’exemple le plus actuel de cet acharnement étatique à l’encontre des militant·es antinucléaires demeure celui des opposant·es au projet Cigéo, le centre d’enfouissement des déchets radioactifs dans le sol meusien. En août 2017, une manifestation non déclarée à Bure se solde par un affrontement entre militant·es et forces de l’ordre. Une trentaine de personnes sont blessées, un militant anti-Cigéo a le pied déchiqueté par une grenade lancée par les forces de l’ordre. D’un côté, le Parquet de Metz requiert un non-lieu pour les chefs de violences avec arme ayant entraîné une infirmité permanente, de l’autre, sept manifestant·es sont jugé·es au chef d’association de malfaiteurs.

En Meuse, une véritable machine de renseignements sur le mouvement antinucléaire est mise en place : des dizaines de personnes placées sur écoute, plus de 85 000 conversations et messages interceptés, plus de 16 ans de temps cumulé de surveillance téléphonique, une cellule de gendarmerie spécialement affectée à Bure… [6] Le tout pour un coût supérieur au million d’euros. Un zèle de l’État qui n’aura pas porté ses fruits : les sept opposant·es ont finalement été relaxé·es du principal chef d’accusation. [7]

Dernière brique en date dans l’édifice répressif censé bâillonner les militant·es antinucléaires : la mise en œuvre du fichier ODIINuc visant notamment à “faciliter la collecte et l’analyse des informations relatives aux personnes impliquées dans des évènements révélant un risque d’atteinte à la sécurité nucléaire”. Le flou des termes utilisés pour définir les personnes concernées par ce fichier, surtout à une époque où les militant·es écologistes sont comparé·es à des “éco-terroristes”, pousse à se demander qui va réellement être visé par ce fichier…



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