Alternatives
Les éoliennes dans les radars de l’armée
La France possède le deuxième gisement éolien d’Europe. Mais les contraintes militaires menacent les futurs projets et risquent de mettre en échec les objectifs de la loi de transition énergétique.
"La filière éolienne terrestre est mort-née." C’est Jean-Yves Grandidier, patron du groupe Valorem, pionnier du secteur en France, qui le dit. Pour le cofondateur du syndicat professionnel France énergie éolienne (FEE), l’objectif de la loi de transition énergétique (parvenir, à l’horizon 2030, à couvrir 32 % de nos besoins par les énergies renouvelables, contre 16 % aujourd’hui) est intenable. Pourquoi ? Parce que l’éolien, qui représente aujourd’hui envi- ron 4 % (12 000 mégawatts, MW) de la production d’électricité, ne parviendra pas aux 20 % à 30 % nécessaires pour tenir cet objectif.
La faute à une multitude de contraintes (habitations, monuments, centrales nucléaires, zones Natura 2000, aéroports, radars météorologiques...) qui risquent de limiter comme peau de chagrin l’espace autorisé pour le développement des éoliennes alors même que le pays possède le deuxième gisement européen après le Royaume-Uni. Et entre ceux qui leur reprochent d’être trop bruyantes, de dénaturer le paysage, de tuer oiseaux ou chauves-souris, les opposants sont légion. Aujourd’hui, 53 % des projets éoliens font l’objet d’un recours en justice.
Mais ce qui inquiète le plus les professionnels du secteur, ce sont les contraintes militaires. Secteur d’entraînement à très basse altitude de la défense, réseau très basse altitude de défense, zones de vols tactiques pour hélicoptères de combat, zones interdites, zones dangereuses... FEE estime qu’environ 6 500 MW de projets sont gelés par l’armée. Mais le pire est peut-être à venir, si l’on en croit M. Grandidier.
Projet de décret
Dans un ouvrage paru en octobre 2017, Le vent nous portera [1], écrit avec le journaliste Gilles Luneau, il montre, cartes à l’appui, que les contraintes militaires et des centrales nucléaires ont explosé. Elles interdisaient 12,3 % du territoire métropolitain au développement des éoliennes en 2013, 50,25 % en 2016 et ce pourcentage pourrait monter à 86 % dans un proche avenir, réduisant en "confettis" les territoires autorisés à en accueillir en cumulant l’ensemble des obstacles.
En cause, un projet d’extension de la zone tampon autour des radars militaires d’un rayon de 30 km (norme actuelle) à 70 km. Les éoliennes sont dans le collimateur de l’armée car elles renvoient un signal qui, pour résumer, peut faire prendre à un radar des éoliennes pour des avions ou lui empêcher de détecter un avion qui passerait derrière un champ d’éoliennes.
Un projet de décret précise les règles d’implantation des éoliennes vis-à-vis des installations de la défense et des équipements de surveillance météorologique et de navigation aérienne.
Les radars de l’armée perturbés
Au départ appelé de leurs vœux par les professionnels de l’éolien pour simplifier les procédures, ce texte est en train de se retourner contre eux. Ainsi, pour les éoliennes de plus de 180 mètres de hauteur en bout de pale (taille que le secteur estime nécessaire pour produire de l’électricité pas trop chère et en quantité suffisante et que l’Allemagne a adoptée), l’armée plaide pour une "distance d’intervisibilité". Or, selon l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, une éolienne n’est plus visible par un radar qu’à une distance moyenne de 70 km.
Afin de mieux évaluer les effets des éoliennes, la direction générale des armées a chargé l’Office national d’études et de recherches aérospatiales de développer un logiciel de simulation dénommé Dempere – pour démonstrateur de perturbations des éoliennes sur les radars électromagnétiques.
La première version, en cours d’élaboration, a pris du retard et la deuxième phase d’expérimentation ne devrait pas débuter avant le premier semestre 2018. Dans l’attente du logiciel, l’armée, qui se prévaut d’avoir autorisé environ 90 % des permis de construire de parcs éoliens qu’on lui a soumis ces cinq dernières années, a prévenu qu’elle émettrait désormais des avis défavorables aux nouveaux projets.
Interrogé en 2016 par le sénateur (Les Républicains, Moselle) d’alors, Philippe Leroy, le ministère de la Défense n’en avait d’ailleurs pas fait mystère : "Les aménagements des espaces d’entraînement et de détection radar que [le ministère a consentis] ont atteint un niveau de saturation des espaces qui rendra sensiblement plus difficile aux nouveaux projets d’être approuvés." Ce qui fait dire à Pierre Muller, président de la commission chantiers techniques à France énergie éolienne, que "la défense a aujourd’hui droit de vie ou de mort sur les projets éoliens".
Des solutions technologiques sont pourtant en cours d’expérimentation pour rendre les pâles d’éoliennes furtives, voire "transparentes", ou améliorer le traitement des signaux des radars. Mais elles sont souvent chères et "l’armée ne veut pas en entendre parler avant que Dempere soit opérationnel", relève Pierre Muller. "Nous sommes face à un mur", dit-il.
Une analyse que ne partage pas le général Pierre Reutter, directeur de la circulation aérienne militaire (Dircam), qui rend les avis sur les projets éoliens au nom du ministère de la Défense. "Nous n’avons pas de réponses dogmatiques, nous essayons d’accompagner le développement de l’éolien dans un contexte de protection du territoire", explique-t-il. "Or les éoliennes peuvent constituer un obstacle à la réalisation de nos missions en réduisant notre capacité de détection des menaces voire en les annihilant, poursuit le patron de la Dircam. Est-ce bien raisonnable aujourd’hui ?"
Un groupe de travail pour simplifier les règles
Pour Pierre Muller, de FEE, qui côtoie le général Reutter trois à quatre fois par an lors de réunions techniques, "il y a incompatibilité entre les impératifs de la défense et la politique énergétique du gouvernement."
Aussi, à l’instar de l’ensemble des professionnels du secteur, il réclame "un arbitrage et une commission interministérielle". Un message qui semble être passé auprès du secrétaire d’État à la transition écologique et solidaire, Sébastien Lecornu. Ce dernier a dû installer un groupe de travail national pour simplifier et clarifier les règles dans l’éolien, dont fait partie le ministère de la Défense.
Stéphane Mandard
Article initialement publié sur lemonde.fr, raccourci par nos soins.
Soutenez le projet citoyen éolien d’Enercoop Rhône-Alpes et d’Énergie des Boutières !
Depuis 2010, Enercoop Rhône-Alpes porte, avec le soutien d’une association de citoyens "Énergie des Boutières", un projet participatif visant à l’implantation d’éoliennes sur des parcelles d’agriculteurs de la commune de Saint-Julien-Labrousse (07). Ce projet est aujourd’hui à l’arrêt pour cause d’un blocage abusif de l’Armée de l’air.
Ce projet atypique porte sur l’implantation de deux éoliennes de moyenne ampleur : 500 kW de puissance chacune, une hauteur de mât de 42 et 65 mètres seulement en haut de pale. Il a été porté avec une forte dimension participative et en veillant à bien étudier tous les impacts environnementaux afin de les minimiser.
Ainsi pendant quatre ans, des études de vent et de milieu — paysager et acoustique — ont été menées par des bureaux d’études et des associations comme la FRAPNA Ardèche (Fédération de Protection de la Nature).
Le projet a par ailleurs été soutenu par la Région Rhône-Alpes pour son caractère innovant et citoyen et a reçu l’avis positif du Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche.
Le blocage abusif de l’armée de l’air
Ce projet a été développé dans une zone favorable du Schéma Régional Éolien (SRE). Zone définie à sa création avec le concours de l’armée de l’air, mais qui pourtant a émis un avis négatif, suite à une extension de secteurs d’entraînement très basse altitude (SETBA).
Cet avis nous a valu un refus de permis de construire de la part de la Préfecture de l’Ardèche au printemps 2016. Considérant la position de l’Armée de l’air abusive techniquement (nos éoliennes de moyenne dimension n’impactent pas les vols basse altitude) et le refus de permis non justifié légalement, nous avons déposé un recours juridique au Tribunal administratif de Lyon en juillet 2016.
Si vous souhaitez aider à défendre ce projet, signez la pétition en ligne :