Analyse
La voiture électrique… l’atomobile !
A chaque Mondial de l’automobile, la voiture électrique bénéficie d’une médiatisation excessive au regard de son véritable intérêt écologique. Doté d’un bilan carbone plus que médiocre, ce véhicule sert surtout à verdir l’image de certains constructeurs tout en entretenant l’illusion d’une mobilité durable. Et tend à cautionner, à l’instar du chauffage électrique, un programme électronucléaire surdimensionné.
En octobre 2007, le Grenelle de l’environnement a décidé de "développer des véhicules très économes, hybrides, rechargeables et électriques". Pourtant, le choix fait par l’Etat français et Renault de développer une automobile "100 % électrique" est un pari risqué. Aux dires de certains constructeurs, la voiture électrique est à l’automobile du futur ce que le Minitel est au très haut débit. Sa faible autonomie et son manque de polyvalence rendent sa commercialisation hasardeuse et son succès bien hypothétique.
Selon Carlos Gohn, PDG de Renault, le véhicule électrique pourrait représenter 10 % du parc automobile français d’ici à 2020. Moins optimiste, la Commission européenne table sur 1 à 2 % des ventes de véhicules neufs en 2020…
Dans les faits, la voiture électrique est soutenue par l’Etat français qui a décidé d’octroyer une prime à l’achat de 5000 euros pour l’acquisition d’un véhicule électrique.
Il a également passé commande de 50000 exemplaires de ces véhicules et a généreusement oublié d’appliquer une TIPP électrique, engendrant ainsi un manque à gagner théorique de plus de 2,5 milliards d’euros par an ! 400 millions d’euros ont également été versés dans le cadre du plan de relance du secteur automobile au titre de la recherche et du développement…
Cette décision, coûteuse pour le budget de l’Etat, est prise sous couvert d’une pseudo-justification climatique, sans connaître le véritable bilan carbone de cette option technologique ! Elle permet de donner bonne conscience à bon compte au monde politique bercé par le doux ronron d’un Grenelle du blanchiment écologique. Mieux, cette automobile permettrait de justifier, comme en son temps le chauffage électrique ou la climatisation, de nouvelles centrales nucléaires !
Pourtant la voiture électrique ne peut sérieusement prétendre être une solution crédible. Et ce pour de nombreuses raisons.
Préalablement, la question de la mobilité n’est pas technique mais essentiellement politique. Lorsque l’Etat français rend public, le 13 juillet 2010, un avant-projet de schéma national des infrastructures de transports dans lequel il prévoit de construire 900 km de nouvelles voies autoroutières (soit une augmentation de plus de 8 % du réseau autoroutier existant), il contribue durablement à augmenter nos émissions de CO2 en incitant les automobilistes à opter pour une transhumance estivale motorisée. D’option réellement écologique comme la marche à pied, le vélo ou les transports en commun… nulle trace dans l’esprit pollué de nos grenello-décideurs ! Appréhender la vaste question de la mobilité par le petit bout de la lorgnette électrique n’est qu’un pis-aller bien illusoire qui n’est pas à la hauteur des enjeux !
D’autre part, cette fameuse voiture dite abusivement "Zéro émission" ne l’est pas tant que ça. L’organisme anglais de contrôle de la publicité a récemment interdit aux constructeurs d’utiliser cette notion mensongère. En France où le contrôle de la publicité est assuré par… les publicitaires, rien de tel !
La faible autonomie de ce type de motorisation (moins de 150 km) fait de la voiture électrique une automobile exclusivement urbaine ou périurbaine. Même un ardent défenseur du lobby nucléaire tel que Jean Syrota (auteur d’un rapport intitulé "Véhicule 2030" (1)) estime que "les tests normalisés ne prennent pas en compte la consommation des accessoires (phares, essuie-glaces, dégivrage arrière) et surtout le chauffage ou le refroidissement de l’habitacle. […] On peut donc conclure qu’en usage réel urbain, l’autonomie d’un véhicule électrique pourrait être réduite de moitié".
Or, on constate depuis de nombreuses années que les automobilistes optent pour un véhicule polyvalent. Quitte à se doter d’un 4x4 juste pour circuler dans la jungle… urbaine ! La voiture électrique ne viendra donc pas en substitution d’un véhicule thermique mais en sus, une sorte de seconde voiture dont le prix avoisine quand même les 25 000 euros !
Or, les émissions de CO2 liées à la construction du véhicule représentent entre 14 et 20% des rejets de gaz à effet de serre dudit véhicule. Des émissions qui viennent donc en ajout et non en substitution ! Avant d’avoir même parcouru son premier kilomètre, la voiture électrique est donc responsable d’une augmentation de 20% des émissions de gaz à effet de serre !
En outre, selon le groupe de travail sur la pointe électrique, la voiture électrique, comme le chauffage électrique, engendre une demande électrique aux heures où notre pays connaît de fortes fluctuations de sa consommation, notamment entre 19h et 22h. Les batteries des véhicules électriques seraient vraisemblablement rechargées aux heures dites de pointe. Selon ce groupe de travail, "pour deux millions de véhicules, l’appel de puissance peut dépasser 10% de la puissance de pointe nationale, tandis que la consommation d’électricité sera de l’ordre de 1% du total." Selon un document interne émanant de RTE et de l’Ademe, le bilan carbone du kWh de pointe peut allègrement dépasser les 400 à 600 g/CO2.
En juillet 2009, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie se fendait d’une note dans laquelle elle estimait que "le bilan du véhicule électrique en émissions de CO2/km est proche des voitures de classe B actuellement (126 g CO2/km du "puits à la roue", contre 161 g/km pour la moyenne des ventes en 2008)" (2). L’avantage climatique de la voiture électrique peut dès lors être légitimement remis en question !
Cette voiture électrique est donc une illusion comme les affectionnent les technoscientifiques ! Elle repose sur un postulat erroné qui permet de légitimer une ou plusieurs options technologiques sans issue. Elle est plébiscitée avec d’autant plus de délectation qu’elle permet, collatéralement, de justifier une relance du nucléaire, qui, du point de vue purement électrique, est un non-sens absolu.
Alors que la France dispose de capacités de production électronucléaire surdimensionnées par rapport à la réalité de sa consommation, la voiture électrique n’est finalement qu’un outil de communication au service du lobby nucléaire. Une pompe à fric avant d’être "zéro émission " ! Une "atomobile" qui engendrera une accentuation des pointes de la consommation très carbonée tout en justifiant le programme nucléaire et ses déchets.
Le capital "sympathie" dont dispose cette voiture électrique repose principalement sur la méconnaissance des individus et sur l’absence de données objectives. Ce choix de la voiture électrique illustre à merveille les dérives d’un scientisme qui présuppose que toute nouveauté est un progrès. La voiture électrique, même si elle ne date pas d’hier, incarne, aux yeux de certains, cette quête de nouveauté. Face aux contraintes écologiques, au déterminisme environnemental, l’idéologie grenellienne à la sauce "croissance verte" ne nous sera d’aucun secours. Pire, elle nous fait perdre un temps précieux en nous entraînant dans des voies sans issue.
Stéphen Kerckhove
Délégué général d’Agir pour l’Environnement
Auteur de Grenelle de l’environnement : l’histoire d’un échec, octobre 2010, édition Yves Michel.
1 : www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/VEHICULE_2030-raport_final_SYROTA_280908pdf_internet.pdf
2 : www2.ademe.fr/servlet/getBin ?name=31AAD5B85646E545182A56FB00F480061248947993001.pdf