Faire un don

Sortir du nucléaire n°49



Printemps 2011

Écoblanchiment

L’histoire de l’énergie selon Areva : Un anthropologue décrypte la propagande pronucléaire

Lobby nucléaire

Ce film publicitaire présente l’énergie comme un fait naturel, d’abord avec le vent sur le Nil, puis l’eau quelque part, dans un passé non identifié, avec une noria et des roues hydrauliques, et brusquement on passe à la modernité, le charbon, le pétrole, avant d’arriver au nucléaire sur fond de Copacabana. Le propos est particulièrement pervers parce qu’il néglige le fait fondamental : la rupture au XIXe siècle dans le type d’énergie convoquée pour la machine. Avec le passage de l’usage des énergies renouvelables à celui des énergies fossiles nous avons choisi une toute nouvelle voie pour l’humanité. Malgré ce qu’en dit le film, cette civilisation fondée sur la puissance du feu est incommensurable avec les autres. Et en réalité, cette puissance ne l’a emporté sur celle des trois autres énergies naturelles qu’en 1903 en France. Les deux tiers du film nous parlent donc d’une période, celle du règne de la chaleur dans nos machines, qui n’est qu’un instant de l’histoire des hommes. Un instant que veut faire durer le nucléaire pour que nous n’ayons pas l’idée de changer de modèle de consommation (l’insondable stupidité de la voiture électrique en donne une illustration bien significative).

La pub nous montre ainsi que le charbon et le pétrole marquent un moment particulièrement "noir" de l’histoire de l’énergie, un moment bien salissant pour la nature avant d’arriver au paradis de l’énergie propre. Ce tour de passe-passe révèle en réalité une fois de plus l’astuce si efficace sur laquelle repose la fascination pour l’électricité : le camouflage parfait des nuisances, habileté
dans l’art de la dissimulation portée à son extrême par le nucléaire.

Le modèle du camouflage originel s’est ainsi institué comme loi du développement pour l’énergie électrique : lorsque Edison, en 1881, popularise son système électrique (c’est l’idée de système et non pas la seule lampe à filament de platine qui constitue l’innovation essentielle) il propose aux riches bourgeois de Pearl Street, à Manhattan, d’éclairer leurs intérieurs et il installe 1200 lampes. L’avantage, pour les utilisateurs, est alors évident par rapport aux becs de gaz qui noircissaient les papiers peints des intérieurs à la mode. Or cette électricité est le produit de deux générateurs installés à distance de Pearl Street, qui brûlent 5,5 tonnes de charbon par jour, les fumées étant emportées par le vent et les scories absorbées par l’eau de l’Hudson River où elles sont jetées.

Il en va toujours ainsi : la pollution électrique se fait essentiellement à distance, elle est relativement invisible et c’est ainsi qu’elle est acceptée pour sa supposée innocuité écologique. Alors que c’est tout le contraire : elle est un des premiers responsables, avec les transports, de la pollution au CO2, et le nucléaire pousse le maquillage à un point ultime : le feu nucléaire est enfermé dans des masses de béton gigantesques, mais dispersées à la campagne. Astuce suprême, la nocivité des déchets ne se "voit" (au sens strict) plus du tout. Au lieu de fumées et poussières de charbon se découvrent des éléments étranges dont on ne peut mesurer la nocivité qu’avec des appareils compliqués. Et le maquillage devient même métaphysique : un raisonnement, entendu dans un entretien avec Charpak, affirme que le risque, s’il existe, concerne les humains dans un temps si long que l’on ne peut en tenir compte.

La fée électricité porte ainsi depuis toujours un masque qui cache la sorcière : elle a construit un énorme système technique, un macro-système technique, hors de portée du citoyen. Ce dernier n’a aucun moyen de demander des comptes ni d’avoir la moindre chance de maîtriser la puissance de ce feu nucléaire. La pub d’Areva nous montre des jeunes qui dansent et chantent au bord de la mer, on ne leur dit pas que sous leurs pieds un monstre s’agite qui rendra anecdotiques les pollutions au charbon si jamais la machine explosait ou si ses déchets remontaient des profondeurs souterraines.

Alain Gras
Socio-anthropologue des techniques. Auteur de Le Choix du feu : aux origines de la crise climatique, Fayard, 2007

Ce film publicitaire présente l’énergie comme un fait naturel, d’abord avec le vent sur le Nil, puis l’eau quelque part, dans un passé non identifié, avec une noria et des roues hydrauliques, et brusquement on passe à la modernité, le charbon, le pétrole, avant d’arriver au nucléaire sur fond de Copacabana. Le propos est particulièrement pervers parce qu’il néglige le fait fondamental : la rupture au XIXe siècle dans le type d’énergie convoquée pour la machine. Avec le passage de l’usage des énergies renouvelables à celui des énergies fossiles nous avons choisi une toute nouvelle voie pour l’humanité. Malgré ce qu’en dit le film, cette civilisation fondée sur la puissance du feu est incommensurable avec les autres. Et en réalité, cette puissance ne l’a emporté sur celle des trois autres énergies naturelles qu’en 1903 en France. Les deux tiers du film nous parlent donc d’une période, celle du règne de la chaleur dans nos machines, qui n’est qu’un instant de l’histoire des hommes. Un instant que veut faire durer le nucléaire pour que nous n’ayons pas l’idée de changer de modèle de consommation (l’insondable stupidité de la voiture électrique en donne une illustration bien significative).

La pub nous montre ainsi que le charbon et le pétrole marquent un moment particulièrement "noir" de l’histoire de l’énergie, un moment bien salissant pour la nature avant d’arriver au paradis de l’énergie propre. Ce tour de passe-passe révèle en réalité une fois de plus l’astuce si efficace sur laquelle repose la fascination pour l’électricité : le camouflage parfait des nuisances, habileté
dans l’art de la dissimulation portée à son extrême par le nucléaire.

Le modèle du camouflage originel s’est ainsi institué comme loi du développement pour l’énergie électrique : lorsque Edison, en 1881, popularise son système électrique (c’est l’idée de système et non pas la seule lampe à filament de platine qui constitue l’innovation essentielle) il propose aux riches bourgeois de Pearl Street, à Manhattan, d’éclairer leurs intérieurs et il installe 1200 lampes. L’avantage, pour les utilisateurs, est alors évident par rapport aux becs de gaz qui noircissaient les papiers peints des intérieurs à la mode. Or cette électricité est le produit de deux générateurs installés à distance de Pearl Street, qui brûlent 5,5 tonnes de charbon par jour, les fumées étant emportées par le vent et les scories absorbées par l’eau de l’Hudson River où elles sont jetées.

Il en va toujours ainsi : la pollution électrique se fait essentiellement à distance, elle est relativement invisible et c’est ainsi qu’elle est acceptée pour sa supposée innocuité écologique. Alors que c’est tout le contraire : elle est un des premiers responsables, avec les transports, de la pollution au CO2, et le nucléaire pousse le maquillage à un point ultime : le feu nucléaire est enfermé dans des masses de béton gigantesques, mais dispersées à la campagne. Astuce suprême, la nocivité des déchets ne se "voit" (au sens strict) plus du tout. Au lieu de fumées et poussières de charbon se découvrent des éléments étranges dont on ne peut mesurer la nocivité qu’avec des appareils compliqués. Et le maquillage devient même métaphysique : un raisonnement, entendu dans un entretien avec Charpak, affirme que le risque, s’il existe, concerne les humains dans un temps si long que l’on ne peut en tenir compte.

La fée électricité porte ainsi depuis toujours un masque qui cache la sorcière : elle a construit un énorme système technique, un macro-système technique, hors de portée du citoyen. Ce dernier n’a aucun moyen de demander des comptes ni d’avoir la moindre chance de maîtriser la puissance de ce feu nucléaire. La pub d’Areva nous montre des jeunes qui dansent et chantent au bord de la mer, on ne leur dit pas que sous leurs pieds un monstre s’agite qui rendra anecdotiques les pollutions au charbon si jamais la machine explosait ou si ses déchets remontaient des profondeurs souterraines.

Alain Gras
Socio-anthropologue des techniques. Auteur de Le Choix du feu : aux origines de la crise climatique, Fayard, 2007



Soyez au coeur de l'information !

Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.

Je m'abonne à la revue du Réseau