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Sortir du nucléaire n°53



Printemps 2012

Tchernobyl et Fukushima

Information et radioprotection au Japon les citoyens agissent

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°53 - Printemps 2012



Nous publions ici quelques extraits du rapport "Initiatives citoyennes au Japon suite à la catastrophe de Fukushima" élaboré par l’ACRO (Association de Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest) à la demande de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Le rapport complet (30 pages), d’une lecture aisée et instructive, est librement téléchargeable sur le site www.acro.eu.org



Une information médiatique verrouillée

Pour le quotidien national Asahi, couvrir l’accident de Fukushima est comme couvrir une guerre : les seules informations viennent de TEPCo. La majorité des intervenants sur le site de la centrale accidentée refusent de parler. Le quotidien a réussi à recueillir les confessions de certains d’entre eux, la nuit, sur les parkings, quand les autres dormaient. Ils se plaignaient des conditions de travail terribles, de la crainte de la contamination et de contrôles insuffisants de la radioactivité.

Il n’a pas été possible d’interroger directement le directeur de la centrale. Les images sont aussi entièrement contrôlées par TEPCo qui ne diffuse que ce qu’elle veut. Il n’y a eu qu’un seul voyage de presse sur le site de la centrale avec une sélection très rigoureuse des journalistes.

De même pour la zone évacuée de 20 km. L’Asahi n’a pas pu y pénétrer avant le 25 avril. Des journalistes indépendants y sont allés avant que cette zone ne soit bouclée. Le deuxième voyage dans la "zone" a eu lieu le 10 mai quand les résidents ont eu le droit de retourner chez eux pour une courte période.

Tatsuru Uchida, Professeur émérite de philosophie à Kobe College : "Je suis abonné aux quatre principaux quotidiens du pays, mais je ne peux pas distinguer les journaux quand je lis un article relatif à l’accident nucléaire. Non seulement, il n’y pas d’effort d’apporter un éclairage différent, il y a comme une crainte de rapporter quelque chose de différent des autres journaux et un sentiment de sécurité d’avoir les mêmes articles. Cela a conduit à de la colère des lecteurs qui voient une répétition de ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale."

Pour les médias étrangers, c’est encore plus difficile. Certaines conférences de presse ou voyages de presse ne leur sont pas accessibles.

Pour beaucoup de Japonais, l’absence de critique des médias envers l’énergie nucléaire pendant des années les a complètement décrédibilisés lors de la catastrophe. Le fait que la compagnie et les autorités aient affirmé pendant longtemps qu’il n’y avait pas eu de fusion, mais seulement un endommagement des combustibles, pour finalement reconnaître qu’il y avait eu fusion dans les réacteurs 1, 2 et 3, a créé un choc pour les médias et le public. [...]

La quête d’informations indépendantes

[…] Les populations sont perdues et ne savent plus quel expert écouter. Même à l’intérieur des familles, les dissensions sont fortes à ce sujet, provoquant parfois des divorces.

Internet et les réseaux sociaux ont joué un rôle très important dans l’information des gens. Nous en voulons pour preuve la fréquentation du site internet de l’ACRO qui a explosé : c’est la page de résultats [de mesure de radioactivité sur différents types d’échantillons] en japonais qui a été la plus consultée en 2011.

La télévision en ligne Our Planet a aussi joué un rôle important de diffusion d’informations alternatives en invitant de nombreux militants associatifs qui avaient déjà des connaissances sur le sujet, comme par exemple des représentants de l’association Kakehashi qui vient en aide aux victimes de Tchernobyl. Son audience a été multipliée par 10, avec des pics à 100 fois plus de téléspectateurs qu’habituellement.

Des universitaires tweettent aussi et ont gagné une large audience. Certains blogs prennent la peine de traduire les informations japonaises en anglais pour leur donner une résonance internationale. [...]

De nombreuses associations locales, souvent intitulées "sauvons nos enfants", ont été créées dans tout le pays. Il y en a plus de 275 de Hokkaidô à Okinawa, organisées en réseau. C’est dans les métropoles (Tôkyô et la région de Kyôto-Ôsaka) et dans les zones contaminées, qu’il y a le plus de groupes. Ces associations ont d’abord permis d’échanger sur les problèmes liés à la radioactivité, les conflits qui en résultaient dans la famille, les mesures à prendre pour protéger les enfants et faire pression sur les élus locaux pour décontaminer les écoles, refuser les débris du tsunami, contrôler les repas servis à la cantine, et, à Fukushima, demander un élargissement de l’évacuation, au moins pour les enfants et les femmes enceintes. Pour beaucoup de ces mères, c’est la première fois qu’elles militent. Certaines n’avaient même jamais voté.

Parmi leurs succès, la décontamination de nombreuses écoles ou l’engagement du gouvernement de financer des appareils de mesure pour contrôler le repas servi dans les cantines scolaires de 17 provinces. La plupart de ces groupes restent à distance du mouvement anti-nucléaire pour permettre à toutes les opinions d’adhérer. Leur but est d’abord de sauver les enfants, pas de faire de la politique.

Une de leurs difficultés sera de tenir dans la durée, comme le reconnaît Emiko Ito, une des initiatrices du réseau : "Les groupes de parents ont poussé dans tout le pays, et pendant environ 6 mois, ils ont continué sur leur lancée. Mais l’implication à long terme est difficile. Il va falloir transformer cet élan en un mouvement qui n’oublie pas, qui n’abandonne pas, qui ne s’arrête pas."

Des associations anti-nucléaire, comme Fukurô no kai, Greenaction ou Friends of the Earth Japan, pour ne citer qu’elles, ont été en première ligne pour venir en soutien aux victimes de la catastrophe. En effet, les militants anti-nucléaire connaissaient déjà très bien les notions nécessaires pour appréhender la radioactivité et ses risques et sont bien organisés. Leur aide a été précieuse pour de nombreux groupes de protection des enfants. […]

Quelle énergie pour aujourd’hui et pour demain ?

Note du Réseau : fin avril, les deux derniers réacteurs japonais encore en fonction seront arrêtés. Le pays sera alors de facto sorti du nucléaire, qui couvrait environ 28 % de son approvisionnement électrique.

"Économiser l’électricité m’a demandé moins d’effort que ce que j’avais pensé. Cela m’a fait comprendre combien je gaspillais avant." (Yumiko Masuda, Tôkyô, un citoyen cité par le journal Yomiuri Shimbun, 13 septembre 2011)

L’avenir de l’énergie nucléaire est devenu un enjeu de société. Le 19 septembre 2011, Tôkyô a connu une des plus grandes manifestations de ces dernières décennies. Du jamais vu pour de nombreux Japonais : 60 000 personnes selon les organisateurs.

C’est aussi devenu un enjeu électoral, comme par exemple, à Kyôto. Le nouveau maire d’Ôsaka, Toru Hashimoto, et son parti, ont fait de la réduction de la part du nucléaire un argument de campagne. Comme la ville, avec 8,9 % des parts, est le premier actionnaire de KEPCo, il a les moyens de faire changer les choses. Il a le soutien de la province de Shiga avec le lac Biwa, le plus grand du Japon, qui fournit en eau potable Kyôto. Il est aussi directement sous les vents dominants des 14 réacteurs de la province de Fukui, sur la côte de la Mer du Japon.

Le gouverneur de la province de Niigata est aussi opposé au redémarrage de la plus grosse centrale du monde, avec 7 réacteurs, située à Kashiwazaki-Kariwa tant que l’on n’aura pas tiré toutes les leçons de ce qui s’est passé à Fukushima.

Les citoyens d’Ôsaka et Tôkyô ont rassemblé suffisamment de signatures pour demander un référendum d’initiative populaire sur l’avenir du nucléaire. La ville de Tôkyô est aussi un actionnaire important de TEPCo. Ces initiatives ont reçu le soutien du quotidien Asahi. Ils ont, pour cela, recueilli la signature de plus d’un votant sur 50. Ce sera la première fois qu’un référendum sur le nucléaire est organisé au Japon en dehors d’une commune qui héberge une centrale.

Lire l’intégralité du rapport sur www.acro.eu.org

ACRO

Depuis le début de la catastrophe, l’ACRO, dotée d’un laboratoire de mesures accrédité, s’est fortement investie pour venir en aide aux populations japonaises. Cela s’est traduit par l’aide à la création de laboratoires sur place et par l’analyse de plus de 300 échantillons en provenance du Japon.

Pour des raisons de place, nous avons supprimé les nombreuses notes incluses dans le rapport en référence des informations apportées.

Une information médiatique verrouillée

Pour le quotidien national Asahi, couvrir l’accident de Fukushima est comme couvrir une guerre : les seules informations viennent de TEPCo. La majorité des intervenants sur le site de la centrale accidentée refusent de parler. Le quotidien a réussi à recueillir les confessions de certains d’entre eux, la nuit, sur les parkings, quand les autres dormaient. Ils se plaignaient des conditions de travail terribles, de la crainte de la contamination et de contrôles insuffisants de la radioactivité.

Il n’a pas été possible d’interroger directement le directeur de la centrale. Les images sont aussi entièrement contrôlées par TEPCo qui ne diffuse que ce qu’elle veut. Il n’y a eu qu’un seul voyage de presse sur le site de la centrale avec une sélection très rigoureuse des journalistes.

De même pour la zone évacuée de 20 km. L’Asahi n’a pas pu y pénétrer avant le 25 avril. Des journalistes indépendants y sont allés avant que cette zone ne soit bouclée. Le deuxième voyage dans la "zone" a eu lieu le 10 mai quand les résidents ont eu le droit de retourner chez eux pour une courte période.

Tatsuru Uchida, Professeur émérite de philosophie à Kobe College : "Je suis abonné aux quatre principaux quotidiens du pays, mais je ne peux pas distinguer les journaux quand je lis un article relatif à l’accident nucléaire. Non seulement, il n’y pas d’effort d’apporter un éclairage différent, il y a comme une crainte de rapporter quelque chose de différent des autres journaux et un sentiment de sécurité d’avoir les mêmes articles. Cela a conduit à de la colère des lecteurs qui voient une répétition de ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale."

Pour les médias étrangers, c’est encore plus difficile. Certaines conférences de presse ou voyages de presse ne leur sont pas accessibles.

Pour beaucoup de Japonais, l’absence de critique des médias envers l’énergie nucléaire pendant des années les a complètement décrédibilisés lors de la catastrophe. Le fait que la compagnie et les autorités aient affirmé pendant longtemps qu’il n’y avait pas eu de fusion, mais seulement un endommagement des combustibles, pour finalement reconnaître qu’il y avait eu fusion dans les réacteurs 1, 2 et 3, a créé un choc pour les médias et le public. [...]

La quête d’informations indépendantes

[…] Les populations sont perdues et ne savent plus quel expert écouter. Même à l’intérieur des familles, les dissensions sont fortes à ce sujet, provoquant parfois des divorces.

Internet et les réseaux sociaux ont joué un rôle très important dans l’information des gens. Nous en voulons pour preuve la fréquentation du site internet de l’ACRO qui a explosé : c’est la page de résultats [de mesure de radioactivité sur différents types d’échantillons] en japonais qui a été la plus consultée en 2011.

La télévision en ligne Our Planet a aussi joué un rôle important de diffusion d’informations alternatives en invitant de nombreux militants associatifs qui avaient déjà des connaissances sur le sujet, comme par exemple des représentants de l’association Kakehashi qui vient en aide aux victimes de Tchernobyl. Son audience a été multipliée par 10, avec des pics à 100 fois plus de téléspectateurs qu’habituellement.

Des universitaires tweettent aussi et ont gagné une large audience. Certains blogs prennent la peine de traduire les informations japonaises en anglais pour leur donner une résonance internationale. [...]

De nombreuses associations locales, souvent intitulées "sauvons nos enfants", ont été créées dans tout le pays. Il y en a plus de 275 de Hokkaidô à Okinawa, organisées en réseau. C’est dans les métropoles (Tôkyô et la région de Kyôto-Ôsaka) et dans les zones contaminées, qu’il y a le plus de groupes. Ces associations ont d’abord permis d’échanger sur les problèmes liés à la radioactivité, les conflits qui en résultaient dans la famille, les mesures à prendre pour protéger les enfants et faire pression sur les élus locaux pour décontaminer les écoles, refuser les débris du tsunami, contrôler les repas servis à la cantine, et, à Fukushima, demander un élargissement de l’évacuation, au moins pour les enfants et les femmes enceintes. Pour beaucoup de ces mères, c’est la première fois qu’elles militent. Certaines n’avaient même jamais voté.

Parmi leurs succès, la décontamination de nombreuses écoles ou l’engagement du gouvernement de financer des appareils de mesure pour contrôler le repas servi dans les cantines scolaires de 17 provinces. La plupart de ces groupes restent à distance du mouvement anti-nucléaire pour permettre à toutes les opinions d’adhérer. Leur but est d’abord de sauver les enfants, pas de faire de la politique.

Une de leurs difficultés sera de tenir dans la durée, comme le reconnaît Emiko Ito, une des initiatrices du réseau : "Les groupes de parents ont poussé dans tout le pays, et pendant environ 6 mois, ils ont continué sur leur lancée. Mais l’implication à long terme est difficile. Il va falloir transformer cet élan en un mouvement qui n’oublie pas, qui n’abandonne pas, qui ne s’arrête pas."

Des associations anti-nucléaire, comme Fukurô no kai, Greenaction ou Friends of the Earth Japan, pour ne citer qu’elles, ont été en première ligne pour venir en soutien aux victimes de la catastrophe. En effet, les militants anti-nucléaire connaissaient déjà très bien les notions nécessaires pour appréhender la radioactivité et ses risques et sont bien organisés. Leur aide a été précieuse pour de nombreux groupes de protection des enfants. […]

Quelle énergie pour aujourd’hui et pour demain ?

Note du Réseau : fin avril, les deux derniers réacteurs japonais encore en fonction seront arrêtés. Le pays sera alors de facto sorti du nucléaire, qui couvrait environ 28 % de son approvisionnement électrique.

"Économiser l’électricité m’a demandé moins d’effort que ce que j’avais pensé. Cela m’a fait comprendre combien je gaspillais avant." (Yumiko Masuda, Tôkyô, un citoyen cité par le journal Yomiuri Shimbun, 13 septembre 2011)

L’avenir de l’énergie nucléaire est devenu un enjeu de société. Le 19 septembre 2011, Tôkyô a connu une des plus grandes manifestations de ces dernières décennies. Du jamais vu pour de nombreux Japonais : 60 000 personnes selon les organisateurs.

C’est aussi devenu un enjeu électoral, comme par exemple, à Kyôto. Le nouveau maire d’Ôsaka, Toru Hashimoto, et son parti, ont fait de la réduction de la part du nucléaire un argument de campagne. Comme la ville, avec 8,9 % des parts, est le premier actionnaire de KEPCo, il a les moyens de faire changer les choses. Il a le soutien de la province de Shiga avec le lac Biwa, le plus grand du Japon, qui fournit en eau potable Kyôto. Il est aussi directement sous les vents dominants des 14 réacteurs de la province de Fukui, sur la côte de la Mer du Japon.

Le gouverneur de la province de Niigata est aussi opposé au redémarrage de la plus grosse centrale du monde, avec 7 réacteurs, située à Kashiwazaki-Kariwa tant que l’on n’aura pas tiré toutes les leçons de ce qui s’est passé à Fukushima.

Les citoyens d’Ôsaka et Tôkyô ont rassemblé suffisamment de signatures pour demander un référendum d’initiative populaire sur l’avenir du nucléaire. La ville de Tôkyô est aussi un actionnaire important de TEPCo. Ces initiatives ont reçu le soutien du quotidien Asahi. Ils ont, pour cela, recueilli la signature de plus d’un votant sur 50. Ce sera la première fois qu’un référendum sur le nucléaire est organisé au Japon en dehors d’une commune qui héberge une centrale.

Lire l’intégralité du rapport sur www.acro.eu.org

ACRO

Depuis le début de la catastrophe, l’ACRO, dotée d’un laboratoire de mesures accrédité, s’est fortement investie pour venir en aide aux populations japonaises. Cela s’est traduit par l’aide à la création de laboratoires sur place et par l’analyse de plus de 300 échantillons en provenance du Japon.

Pour des raisons de place, nous avons supprimé les nombreuses notes incluses dans le rapport en référence des informations apportées.



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