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Des accidents nucléaires partout

France : Tricastin : Pollution radioactive de l’eau sous la centrale




22 janvier 2020


C’est deux mois et demi après la déclaration officielle aux autorités que le public est informé : une importante pollution de la nappe d’eau située sous la centrale du Tricastin (Drôme) est en cours. Cette pollution est la conséquence d’une rupture de canalisation véhiculant des effluents radioactifs.


Aucune explication de l’exploitant n’est fournie quant à la survenue de cette fuite. Que la tuyauterie d’un réservoir d’effluents radioactifs se perce ou se rompe soulève clairement la question de l’état des équipements de l’installation nucléaire, de son entretien et de sa surveillance. D’autant que cette fuite s’est produite durant la quatrième visite décennale du réacteur 1, c’est à dire pendant un arrêt pour contrôles, remises en conformité et modifications des équipements.

Dans son communiqué au public, daté du 22 janvier 2020, EDF indique que la déclaration de cet évènement significatif pour l’environnement a été faite le 6 novembre 2019. Soit 2 mois et demi avant. La fuite radioactive est donc probablement antérieure, mais aucune date précise de découverte de la fuite n’est donnée (aucune information non plus sur sa durée, le volume d’effluents contaminés dispersés etc.). EDF indique aussi que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ont été informés et ont suivi l’évolution de la situation. Mais il n’en n’a pas été de même pour le public. Aucune publication n’a été faite, ni par EDF ni par l’ASN. La commission locale d’information des grands équipements énergétiques du Tricastin (Cligeet), censée être une interface privilégiée d’échanges avec l’exploitant et d’information du public n’a pas non plus été informée, alors qu’elle tenait une de ses réunions le 6 novembre 2019, jour de la déclaration de l’incident par EDF à l’ASN.

Si la radioactivité mesurée depuis le 6 novembre dans les eaux souterraines à l’aplomb de la centrale nucléaire est "aujourd’hui significativement en baisse" selon l’exploitant, des pics de radioactivité sont encore possibles, et pourront s’étaler sur plusieurs mois. Ces eaux souterraines ainsi que la nappe adjacente, qui elle est à l’extérieur du site nucléaire, sont mises sous surveillance renforcée. Mais les mesures réalisées en novembre et en décembre ont montré une contamination au tritium très importante, allant jusqu’à plus de 5000 Bq/L (le tritium est un isotope radioactif normalement quasi absent de l’environnement - pour en savoir plus sur le tritium, c’est par ici). L’exploitant insiste sur le confinement total de cette pollution radioactive grâce à une enceinte géotechnique construite sous la centrale. Mais il ne précise pas en revanche que le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, le plus petit des atome. Le tritium est donc un élément extrêmement fin et mobile, très difficile à contenir, qui peut, selon la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), traverser 60 centimètres de béton, c’est-à-dire l’épaisseur de l’enceinte géotechnique sous la centrale. EDF précise également que "les valeurs en tritium relevées dans la nappe phréatique à l’extérieur de la centrale sont conformes aux valeurs habituellement observées", sans toutefois indiquer ces valeurs.

Une annonce au public plus que tardive, une pollution radioactive durable des eaux souterraines présentée comme un "marquage au tritium de la nappe contenue dans l’enceinte géotechnique", causée par une fuite dont on ne sait rien et qui n’était pas censée pouvoir arriver, cet incident questionne également la question de la gestion des eaux contaminées par l’installation. Ces eaux radioactives sont pompées de la nappe sous la centrale, sont stockées et seront ensuite rejetées dans le canal de Donzère-Mondragon. Comme le souligne la Criirad, "cela permet à EDF de transformer une fuite incontrôlée en un rejet « légal » puisqu’EDF dispose d’autorisations de rejets de tritium dans ce canal".

Ce n’est malheureusement pas la première fois que la centrale du Tricastin pollue les eaux par des contaminations radioactives. En 2013 déjà, de l’eau contaminée s’était infiltrée à travers des joints défectueux jusqu’à aller polluer l’environnement. Plusieurs associations de protection de l’environnement, dont le Réseau "Sortir du nucléaire" et avaient porté plainte. EDF avait alors été incapable d’évaluer la quantité de tritium rejeté dans l’environnement, et la provenance de l’eau contaminée est restée indéterminée.

Cette nouvelle fuite radioactive est une nouvelle preuve que l’état des installations nucléaires du Tricastin, leur surveillance, la maîtrise des risques qu’elles génèrent pour l’environnement et la manière dont EDF informe le public sont loin d’être optimum, et ce malheureusement, de manière récurrente.

L.B.

Ce que dit EDF :

Marquage en tritium de la nappe contenue dans l’enceinte géotechnique située sous la centrale du Tricastin

Publié le 22/01/2020

Le CNPE du Tricastin a déclaré le 6 novembre 2019 un événement significatif pour l’environnement, concernant la détection d’un marquage en tritium de l’eau souterraine contenue dans l’enceinte géotechnique située sous la centrale. La valeur d’activité de 1150 Bq /l était légèrement supérieure au seuil déclaratif fixé à 1000 Bq/L. Les investigations menées montrent qu’une tuyauterie d‘un réservoir d’effluents radioactifs défaillante est à l’origine de l’événement. Le matériel a été immédiatement réparé et remis en conformité.

Cet événement est sans conséquence sanitaire ou environnementale ; en effet, les valeurs en tritium relevées dans la nappe phréatique à l’extérieur de la centrale sont conformes aux valeurs habituellement observées. Le CNPE est construit sur une enceinte géotechnique interne dont les eaux souterraines sont séparées de la nappe phréatique et ne peuvent en aucun cas se mélanger (cf infographie). Ces eaux souterraines ne font l’objet d’aucun usage direct, ni pour la production d’eau potable, ni pour les besoins agricoles ou d’élevage.

Suite à la détection de ce marquage en tritium dans la nappe géotechnique interne, une surveillance renforcée des eaux souterraines a été mise en œuvre sur le réseau piézométrique du site qui compte 44 puits de contrôle ou piézomètres*.,La surveillance renforcée en place, permet de confirmer que les prélèvements dans la nappe phréatique avec les piézomètres situés en bordure externe de la centrale sont conformes aux valeurs habituellement observées. Le marquage des eaux souterraines en tritium est bien circonscrit et limité à l’eau présente dans l’enceinte géotechnique interne située sous la centrale.

Sur l’un des piézomètres permettant la surveillance des eaux de l’enceinte géotechnique, quelques pics d’activités en tritium, jusqu’à 5300 Bq/l, ont été relevés en novembre et décembre 2019. L’activité en tritium des eaux contenues dans l’enceinte géotechnique, varie en fonction des mouvements de la nappe et de la météo ; les valeurs observées sont aujourd’hui significativement en baisse, autour de 400 bq/l et ne dépassent pas le seuil de déclaration fixé à 1000 Bq/l ; mais nous pourrions observer, toujours en lien avec cet événement, de nouvelles fluctuations ou pics de l’activité en tritium au niveau de la nappe interne, dans les semaines voire les mois à venir.

L’ASN et l’IRSN sont informés depuis la détection et la déclaration initiale de l’événement. Une communication régulière les informe de l’évolution des résultats issus de la surveillance de l’eau de la nappe contenue dans l’enceinte géotechnique.

*Le réseau piézométrique du CNPE compte 44 puits de contrôle ou piézomètres :
 26 permettent de surveiller les eaux de l’enceinte géotechnique située sous la centrale, - 18 permettent de surveiller la nappe phréatique.

https://www.edf.fr/groupe-edf/nos-energies/carte-de-nos-implantations-industrielles-en-france/centrale-nucleaire-du-tricastin/actualites/marquage-en-tritium-de-la-nappe-contenue-dans-l-enceinte-geotechnique-situee-sous-la-centrale-du-tricastin


Ce que dit la Criirad :

Le 23/01/2020

Nouvelle fuite de tritium dans la nappe sous la centrale nucléaire du Tricastin Comment transformer une fuite incontrôlée en rejet légal ?

Un « évènement significatif » qui date de novembre 2019

Dans un communiqué publié le 22 janvier 2020, intitulé « Marquage en tritium de la nappe contenue dans l’enceinte géotechnique située sous la centrale du Tricastin », EDF a révélé l’existence de nouvelles fuites de tritium dans la nappe phréatique. On ne peut que déplorer le manque de transparence d’EDF qui a attendu au minimum 11 semaines avant de rendre l’information publique. EDF indique en effet avoir déclaré cet événement le 6 novembre 2019 (déclaration a priori à l’attention de l’ASN – Autorité de Sûreté Nucléaire), mais la contamination est très probablement antérieure.

Curieusement, l’information n’a pas été partagée avec les membres de la CLIGEET (Commission Locale d’Information des Grands Equipements Energétiques du Tricastin) dont une des réunions annuelles se tenait le 6 novembre 2019. Pire, aucune information n’a été donnée aux membres de la CLIGEET depuis lors. Ces derniers ont appris l’existence de cette contamination par la presse locale. Ce type de situation qui pose une fois de plus la question de l’utilité réelle des Commissions Locales d’Information avait conduit la CRIIRAD à démissionner de la CLI de Cruas.

« Marquage » ou « Pollution » ?

Pour « isoler » la nappe qui est sous la centrale du TRICASTIN, EDF a construit une enceinte géotechnique constituée de murs en béton de 60 centimètres d’épaisseur qui s’enfoncent sur une douzaine de mètres dans le sol. Dans le cas de la fuite de tritium déclarée le 6 novembre 2019, EDF utilise le terme « marquage » pour désigner ce qui est en fait pour la CRIIRAD une « contamination des eaux souterraines » et une « pollution ». En effet :

1 / Le niveau de contamination en tritium de 5 300 Bq/l annoncé par EDF est plus de 2 000 fois supérieur au niveau de tritium « normal » que l’on mesure en France dans les nappes non contaminées.

2 / La nappe située sous la centrale fait intégralement partie de l’environnement. Or, en France, le rejet direct de substances radioactives dans les eaux souterraines est interdit.

Le mythe de la contamination confinée ?

Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, qui est le plus petit atome existant. Il est particulièrement mobile et est susceptible de diffuser même à travers des murs de 60 centimètres de béton. L’enceinte géotechnique ne peut donc être considérée comme étanche au tritium.

EDF indique : « les valeurs en tritium relevées dans la nappe phréatique à l’extérieur de la centrale sont conformes aux valeurs habituellement observées ». Il n’est pas possible de vérifier cette affirmation, en effet, les résultats de surveillance du tritium dans les eaux souterraines mis en ligne par EDF sur le site du Réseau National de Mesure, que la CRIIRAD a consulté le 23 janvier 2020, sont tous antérieurs au 30 octobre 2019.

La CRIIRAD a pu constater qu’en réalité, des niveaux de tritium traduisant des apports anthropiques sont régulièrement détectés par EDF dans la nappe autour de la centrale, en dehors de l’enceinte géotechnique. En 2018 par exemple, des valeurs supérieures à 10 Bq/l étaient mises en évidence dans plusieurs piézomètres situés au sud du site du Tricastin, en dehors de l’enceinte géotechnique. Cette contamination peut avoir plusieurs origines. Elle peut provenir de l’impact des fuites antérieures dans la nappe, mais aussi de l’impact des rejets de tritium à l’atmosphère, etc..

Puisqu’il y a une contamination chronique des eaux souterraines, et ceci même en dehors de l’enceinte géotechnique, EDF peut écrire que la pollution à l’extérieur de la centrale est « conforme » aux valeurs habituellement observées, ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas de pollution, mais qu’elle est devenue chronique.

Comment transformer une fuite incontrôlée en rejet légal ?

EDF effectue de plus un pompage régulier de l’eau de l’enceinte géotechnique pour que le niveau reste inférieur à celui de la nappe extérieure afin qu’en cas de contamination des eaux souterraines sous la centrale, les polluants radioactifs puissent être repompés.

Mais les eaux contaminées par le tritium sont en réalité finalement rejetées dans le canal de Donzère-Mondragon. Cela permet à EDF de transformer une fuite incontrôlée en un rejet « légal » puisqu’EDF dispose d’autorisations de rejets de tritium dans ce canal.

Ce type de fuite arrive malheureusement régulièrement sur le site du Tricastin. La CRIIRAD était intervenue comme témoin lors du procès qui s’est tenu à Valence en mars 2019 dans le cadre de la plainte déposée contre EDF par les associations Réseau Sortir du Nucléaire, Stop Nucléaire 26-07 et FRAPNA Drôme, du fait des fuites radioactives de l’été 2013 dans la nappe phréatique sous la centrale nucléaire du Tricastin. Lors de l’audience, EDF a été dans l’incapacité de répondre à la question de l’évaluation de la quantité de tritium qui avait été rejeté dans l’environnement du fait des fuites de 2013.

Une situation inquiétante

Dans le cas des fuites de 2013, la contamination des eaux souterraines était due, selon EDF, à la présence d’une « flaque » d’eau contaminée dans un bâtiment en sous-sol. Du fait de défauts d’étanchéité dans les joints inter bâtiments, les éléments radioactifs ont pu migrer jusqu’à la nappe.

Cette « anomalie » pose de nombreuses questions sur la capacité d’EDF à gérer correctement son installation. Plus de 5 ans après l’incident de 2013, lors du procès à Valence, on ne savait toujours pas d’où venait la « flaque radioactive ».

Dans le cas de la fuite déclarée en novembre 2019, EDF indique qu’ « une tuyauterie d‘un réservoir d’effluents radioactifs défaillante est à l’origine de l’événement ». L’entreprise ne précise pas s’il s’agit d’une tuyauterie usée par la corrosion, ce qui poserait d’autres questions quant à l’état général de la centrale. Ni pourquoi il n’y avait pas de dispositif de rétention sous ces tuyauteries ? Dans tous les cas, cet évènement montre l’incapacité d’EDF à prévenir des fuites de substances radioactives dans l’environnement.

Rédacteurs : Bruno CHAREYRON, ingénieur en physique nucléaire, directeur du laboratoire de la CRIIRAD, avec la participation de Jérémie MOTTE, ingénieur environnement, responsable du réseau de balises de la CRIIRAD.

http://www.criirad.org/installations-nucl/tricastin-mesures/CP_CRIIRAD_200123_tritium_Tricastin.pdf


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