27 janvier 2023
On imagine qu’étant donné les enjeux quand on est aux commandes d’un réacteur nucléaire, la plus grande rigueur serait de mise. Et pourtant, les consignes passent mal à Saint-Laurent (Centre - Val de Loire). Même lorsqu’il s’agit d’une phase particulièrement délicate, comme la mise à l’arrêt du réacteur 2 pour sa 4ème visite décennale.
Le réacteur 2 de Saint-Laurent a été mis à l’arrêt le 20 janvier 2023 pour un grand programme de vérifications en profondeur, de remise en conformité et de modifications des installations. Cet arrêt, obligatoire, est aussi jalonné d’épreuves techniques qui doivent être validées pour obtenir l’autorisation de redémarrer. Mais la mise à l’arrêt d’un réacteur nucléaire ne se fait pas d’un coup (sauf en cas d’urgence). Il y a plusieurs étapes qui doivent être respectées à la lettre, des états successifs par lesquels le réacteur doit passer pour éviter de perdre le contrôle de la réaction nucléaire. Pour cela, des protocoles existent, il suffit de les appliquer. Ce qui signifie changer les configurations de certains circuits.
Sans que l’on sache pourquoi ni comment, "un partage d’information incomplète" a été faite au sein de l’équipe de pilotage du réacteur le 22 janvier. Une manœuvre a été faite sur un circuit, alors qu’elle avait déjà été réalisée. La conséquence est qu’au lieu de mettre ledit circuit dans la bonne configuration ("inhibition"), il a été mis dans la mauvaise position (ouvert).
On ne sait pas combien de temps la mauvaise configuration a perduré avant d’être identifiée. Le communiqué d’EDF ne dresse pas non plus les risques et conséquences de cette erreur, que se passe-t-il si le circuit de contrôle volumétrique et chimique (RCV
[1]
) se met en marche en cas d’injection de sécurité (RIS
[2]) lorsque le réacteur est en mode arrêt normal sur réfrigération réacteur à l’arrêt ?
En réalité, avec le communiqué d’EDF on ne sait pas grand chose. Si ce n’est que les infos passent mal dans l’équipe de conduite, que les positions des commutateurs ne sont pas bien lisibles et que les règles censées être appliquées n’ont pas été respectées, même lors d’une phase critique à forts enjeux. Les faits, significatifs [3] pour la sûreté [4] , ont été déclarés le 26 janvier par EDF aux autorités.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) publiera quelques jours plus tard un communiqué livrant des informations un peu plus détaillées permettant de saisir un peu mieux les tenants et aboutissants de l’incident. C’est parce que les actions réalisées par une 1ère équipe n’ont pas été retranscrites dans les dossiers que la seconde équipe a (re)fait la manœuvre. Comme quoi, la traçabilité normalement obligatoire des actions a une utilité... Quant aux conséquences de la non-inhibition des pompes du circuit RCV, le risque est carrément de mettre trop de pression dans le circuit primaire [5] . C’est donc le refroidissement du combustible dans la cuve du réacteur qui est mis en jeu. Une information qui donne une toute autre ampleur aux faits survenus lors de l’arrêt de ce réacteur. Combien de temps a duré la situation avant que les équipes ne découvrent l’erreur ? On ne sait toujours pas précisément. Mais on sait que c’est une 3ème équipe de conduite qui a remis le circuit dans la bonne configuration le 24 janvier. Le réacteur est donc resté mal configuré durant au moins une journée.
Avec ces nouveaux éléments, absents du communiqué d’EDF, on se rend mieux compte du sérieux de l’incident survenu à Saint-Laurent. Et du problème de fond, à savoir un manque de rigueur au sein des équipes de conduite, même lors des phases les plus critiques du pilotage du réacteur.
L.B.
Non-respect d’une Spécification technique d’exploitation (STE)
Publié le 27/01/2023
Evénement sûreté
Dans une centrale nucléaire, le pilotage d’un réacteur s’inscrit dans un cadre de prescriptions à respecter, parmi lesquelles les spécifications techniques d’exploitation (STE). Les spécifications techniques d’exploitation (STE) sont un recueil de règles d’exploitation approuvées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement d’une centrale nucléaire et les prescriptions de conduite du réacteur associées.
Le 22 janvier 2023, les opérations de mise à l’arrêt sont en cours sur l’unité de production n°2 dans le cadre du début de sa visite décennale.
Les équipes de pilotage du réacteur doivent passer le réacteur dans l’état de fonctionnement AN/RRA (arrêt normal sur réfrigération réacteur à l’arrêt). Pour passer à cet état, des actions doivent être réalisées pour éviter l’ordre de démarrage des pompes du circuit de contrôle chimique et volumétrique (RCV) [6] en cas d’injection de sécurité [7] dont le positionnement de trois commutateurs sur la position « inhibition ».
Suite à un partage d’information incomplète, un salarié tourne les commutateurs pensant les mettre en position « inhibition » alors que ces derniers l’étaient déjà. Son action rend possible l’ordre de démarrage des pompes du circuit RCV. La prescription des STE n’est alors plus respectée. Dès détection de cette situation, l’installation a été remise en configuration.
Cet événement n’a pas eu de conséquence réelle sur la sûreté des installations. Toutefois, le non-respect d’une prescription particulière des STE a conduit la direction de la centrale nucléaire de Saint-Laurent à déclarer, le 26 janvier 2023, à l’ASN, un événement significatif relatif à la sûreté au niveau 1 de l’échelle INES qui en compte 7.
Non-respect d’une prescription des règles générales d’exploitation (RGE) du réacteur 2
Publié le 07/02/2023
Centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 26 janvier 2023, l’exploitant de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un évènement significatif pour la sûreté relatif au non-respect d’une prescription des règles générales d’exploitation (RGE) du réacteur 2 concernant le fonctionnement du circuit de contrôle chimique et volumétrique (RCV).
Le circuit de contrôle chimique et volumétrique a notamment pour fonction de maintenir dans le circuit primaire principal la quantité et la qualité de l’eau nécessaire au refroidissement du réacteur. Ce système dispose de trois pompes redondantes pour assurer cette fonction. Ces pompes démarrent automatiquement sur signal d’injection de sécurité.
Le système d’injection de sécurité (RIS) permet quant à lui, en cas d’accident causant une brèche au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci afin d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur.
Les RGE sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles prescrivent notamment que le démarrage des pompes RCV sur signal d’injection de sécurité doit être inhibé lorsque le réacteur est dans le domaine « Arrêt normal sur réfrigération du réacteur à l’arrêt (AN/RRA) », afin de protéger le circuit primaire principal contre les surpressions.
Le 22 janvier 2023, les opérations de mise à l’arrêt du réacteur 2 pour sa quatrième visite décennale sont en cours et l’objectif de l’équipe de conduite est de passer le réacteur dans le domaine d’exploitation AN/RRA. Pour atteindre ce domaine, des actions doivent être réalisées afin d’éviter le démarrage des pompes du circuit RCV en cas d’injection de sécurité. L’une d’entre elles consiste à inhiber les ordres de démarrage de ces pompes, action qui est réalisée par une première équipe de conduite.
A l’issue de la relève entre équipes de conduite, un intervenant d’une deuxième équipe de conduite constate que le compte rendu de la procédure utilisée pour rejoindre le domaine d’exploitation AN/RRA ne mentionne pas que l’inhibition des ordres de démarrage des pompes RCV a été réalisée. Il effectue alors ce qu’il pense être l’inhibition de ces ordres mais procède au contraire à leur désinhibition.
Dès détection de l’écart le 24 janvier 2023, une troisième équipe de conduite procède à la remise en conformité immédiate de l’installation en inhibant les ordres de démarrage des pompes RCV.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Néanmoins, en raison du non-respect d’une prescription permanente des RGE qui a affecté la fonction de sûreté refroidissement, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
[1] Le système de contrôle volumétrique et chimique (RCV) a notamment pour fonction de maintenir dans le circuit primaire la quantité d’eau nécessaire au refroidissement du cœur. Cette régulation du volume du circuit primaire se fait par l’intermédiaire d’un circuit d’injection (charge) et de vidange (décharge). Lorsque la ligne de décharge normale est inutilisable, le fluide primaire en excès peut être évacué par l’intermédiaire d’un autre circuit. Cet autre circuit est également utilisé dans certaines procédures de conduite en situation incidentelle. Source : https://www.asn.fr/lexique/R/RCV
[2] Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. Source : https://www.asn.fr/lexique/R/RIS
[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif
[4] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire
[5] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[6] Sur un réacteur à eau sous pression, le refroidissement du combustible est assuré par un circuit primaire fermé contenant de l’eau à pression et température élevées.
[7] En cas d’accident causant une brèche au niveau du circuit primaire du réacteur, l’injection de sécurité permet d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci afin d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur.