8 juin 2021
Le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Saint-Laurent (Centre - Val de Loire) s’est arrêté en urgence deux fois d’affilée le 30 et 31 mai 2021. À l’origine, à chaque fois un problème matériel : une vanne qui se ferme, une pompe de refroidissement qui s’arrête. Mais d’où viennent ces problèmes matériels ? Manifestement, les équipements de la centrale nucléaire ne sont ni bien entretenus, ni bien surveillés.
Le premier communiqué d’EDF annonçant l’arrêt automatique du réacteur 1 de Saint-Laurent ne donnait pas d’explication (voir notre article en ligne). Pourtant un arrêt automatique n’est jamais anodin, puisqu’il signifie qu’un problème de fonctionnement a été détecté par les automates de surveillance. Un problème suffisamment sérieux pour justifier un arrêt immédiat de la réaction nucléaire. Qui plus est, ces arrêts en urgence ne sont pas sans conséquences, puisque même arrêté un réacteur nucléaire consomme toujours de l’eau et de l’électricité. Sans oublier que ces arrêts nécessitent l’utilisation de bore [1], un produit chimique coûteux, qui devient de l’acide et participe au vieillissement accéléré des circuits.
L’explication de l’arrêt automatique du 30 mai est finalement arrivée dans un discret communiqué, publié le 1er juin par EDF : la fermeture d’une vanne du système de régulation du débit d’eau des générateurs de vapeur
[2]. Les générateurs de vapeur étant ce qui permet d’évacuer la chaleur dégagée par le combustible nucléaire, il valait en effet mieux que tout s’arrête. Mais pourquoi cette vanne s’est fermée ? Dysfonctionnement matériel ? Mauvaise configuration ? EDF ne le dit pas. Quoiqu’il en soit, il y a manifestement eu un défaut dans l’organisation interne d’EDF et dans le contrôle des équipements du réacteur. L’incident sera d’ailleurs reclassé quelques mois après comme significatif [3]
pour la sûreté [4] à un niveau de gravité plus important que ce que n’avait initialement estimé EDF..
En effet, l’exploitant nucléaire a, par ses propres inactions, provoqué l’arrêt automatique du 30 mai. Alors qu’il aurait pu être évité. La fermeture de la vanne de régulation du débit des générateurs de vapeur a été provoquée par l’échauffement et la détérioration de son câble d’instrumentation et de commande, câble qui se trouvait en contact direct avec le point chaud que constituait la vanne elle-même (selon l’expression d’EDF, ce câble se trouvait "en dehors de son chemin"). Or, l’année précédente, suite à un arrêt automatique survenu à Belleville à cause d’un câble électrique au contact de points chauds, EDF était censé faire vérifier les câbles dans tous ses réacteurs. Mais rien n’a été fait à Saint Laurent, en tout cas pas avec la rigueur exigée puisqu’aucun écart n’avait été signalé pour la centrale de Saint-Laurent. L’Autorité de sûreté nucléaire est venue sur place le 8 juin 2021 et les inspecteurs ont constaté qu’un autre câble était lui aussi au contact d’une la même vanne de régulation. Et ils ont vu la même chose sur le réacteur 2 : un câble, détérioré, était lui aussi au contact d’une vanne similaire. Manifestement à Saint Laurent, on n’apprend ni des erreurs survenues ailleurs, ni des siennes. Et les contrôles laissent passer des choses pourtant bien visibles. Défaut de culture de sûreté dira l’ASN. Un défaut ancré profondément, qui provoquera d’autres incidents sur le site nucléaire.
Dans ce communiqué du 1er juin 2021, en même temps qu’EDF annonce l’explication de l’arrêt automatique du 30 mai, l’exploitant glisse que le réacteur, à peine reconnecté au réseau électrique, s’est de nouveau arrêté automatiquement le 31 mai au soir. Cette fois, EDF avait l’explication immédiate : l’arrêt d’une pompe de refroidissement. Mais là encore la question se pose : pourquoi cette pompe s’est arrêtée ? La raison de ce problème matériel est arrivée elle un peu plus tard : une arrivée massive d’algues. Des algues provenant d’une autre partie de l’installation : les tours aéroréfrigérantes (voir le schéma ci-dessous). Que les algues prolifèrent dans les tours au point qu’elles en arrivent à bloquer une pompe de refroidissement... Là encore, à l’origine du problème matériel qui a causé l’arrêt automatique, il y a un grave défaut d’entretien et de surveillance des équipements à la centrale nucléaire de Saint-Laurent.
Le réacteur redémarrera finalement une semaine plus tard, le lundi 7 juin 2021. EDF dit avoir mené les investigations nécessaires. Espérons que l’exploitant a mis en œuvre quelques actions aussi, a minima nettoyer les tours de refroidissement.
Une inspection sera diligentée sur place par l’Autorité de sûreté nucléaire le 8 juin 2021 (voir ci dessous). Le rapport publié une dizaine de jours plus tard sera édifiant : en plus des 2 arrêts automatiques, il y a eu une inondation interne sur le site nucléaire, au niveau d’une station de pompage d’eau froide. Là encore due à des problèmes matériels qui ont obligé EDF à transférer un volume importants d’effluents du secondaire vers l’autre réacteur du site nucléaire. Lors de ce transfert, une tuyauterie s’est déboîtée. Une série d’incidents causée par des problèmes matériels cumulés, mais avant tout par le manque de surveillance et d’entretien des équipements. Des faits que l’exploitant s’est bien gardé de communiquer.
L.B.
Publié le 01/06/2021
Le réacteur s’était automatiquement arrêté le 30 mai, conformément aux dispositifs de sûreté et de protection, suite à la fermeture d’une vanne du système de régulation du débit d’eau des générateurs de vapeur. Lundi 31 mai à 19h30, l’unité a été reconnectée au réseau électrique avant de s’arrêter automatiquement dans la nuit suite à l’arrêt d’une pompe de refroidissement. Les équipes de la centrale sont actuellement mobilisées pour mener l’ensemble des activités nécessaire au redémarrage de l’unité de production en toute sûreté.
Publié le 08/06/2021
Lundi 7 juin 2021, à 13h42, l’unité de production n°1 de la centrale de Saint-Laurent a été reconnectée au réseau électrique. Le réacteur s’était automatiquement mis à l’arrêt le 1er juin 2021 suite à l’arrêt d’une pompe de refroidissement lié à l’arrivée massive d’algues provenant de la paroi intérieure de l’aéroréfrigérant. Les équipes ont mené les investigations nécessaires au redémarrage du réacteur. Cet événement n’a eu aucun impact réel sur la sûreté des installations.
Evénement sûreté
Publié le 01/09/2021
Le 30 mai 2021, la fermeture d’une vanne du système de régulation du débit d’eau des générateurs de vapeur a provoqué un arrêt automatique réacteur sur l’unité de production n°1 de la centrale nucléaire de Saint-Laurent. La fermeture de cette vanne a été provoquée par l’échauffement de son câble d’instrumentation et de commande qui se trouvait en dehors de son chemin de câble. Suite à cet arrêt automatique réacteur, le câble concerné a été remplacé et la vérification du placement de l’ensemble des câbles a été réalisée sur les deux unités de production.
Après analyse, le site considère que cet événement, qui s’était déjà produit sur un autre réacteur du parc nucléaire, aurait pu être évité. En effet, un contrôle visuel effectué sur le matériel quelques mois auparavant aurait pu identifier la dégradation du câble. La centrale nucléaire de Saint-Laurent a donc reclassé cet événement significatif sûreté du niveau 0 au niveau 1 de l’échelle INES auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire le 1er septembre 2021.
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Inspection du 08/06/2021 : Centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux - Réacteurs de 900 MWe - EDF
Publié le 18/06/2021
INSSN-OLS-2021-0760 (PDF - 495,26 Ko)
Extrait (page 2/10) :
Éléments de compréhension
Le dimanche 30 mai, alors que le réacteur 1 est à puissance maximale, une vanne d’alimentation gros débit d’un générateur de vapeur (GV) de ce réacteur se ferme et se rouvre intempestivement, générant un déséquilibre eau/vapeur et une baisse du niveau du GV concerné. Dans ces conditions de puissance, l’instrumentation du réacteur provoque alors son arrêt automatique.
Les investigations menées par l’exploitant lui ont permis d’identifier rapidement la cause de l’AAR, un câble électrique dédié au contrôle commande de la vanne incriminée ayant été détérioré et ayant provoqué un ordre aberrant de fermeture et d’ouverture. La réparation du câble est donc lancée et les opérations de redémarrage peuvent débuter, la puissance maximale du réacteur étant obtenue dans la nuit du 31 mai au 1 er juin.
Les réacteurs de Saint-Laurent disposent de tours aéroréfrigérantes particulières dont la forme peut favoriser l’apparition de substances (identifiées comme des « algues » par l’exploitant) sur les parois du fût de ces tours. Ces algues peuvent se décoller de leur support lors de variations de température et d’humidité, ce qui est le cas lors d’un arrêt de réacteur en période chaude et sèche.
Le 1 er juin, les conditions météorologiques générales et hydrauliques au niveau de la tour aéroréfrigérante du réacteur 1 provoque un décollement important des « algues » présentes sur la paroi en cette fin de cycle. Lors du redémarrage, l’humidification de ces « algues » partiellement décollées provoque leur alourdissement et leur décrochage des parois. Elles vont alors obstruer les filtres situés sur le circuit de réfrigérations du condenseur de ce réacteur et provoquer la perte de ce circuit induisant une perte de vide au condenseur. La perte de ce dernier à puissance élevée provoque le second arrêt automatique du réacteur 1.
Transversalement, la perte du circuit de réfrigération du condenseur (CRF), les échauffements constatés sur certains matériels des circuits secondaires, la nécessité d’appoints aux circuits secondaires pour refroidir les matériels, la montée de niveau au condenseur et des travaux en cours en tranche 1 sur les moyens de transferts des effluents secondaires (non radioactifs) ont amené l’exploitant à transférer des volumes importants d’effluents secondaires vers la tranche 2. Lors de ce transfert, une des canalisations utilisées et situées dans des galeries reliant les deux tranches s’est déboîtée provoquant une inondation interne desdites galeries et une arrivée d’eau en station de pompage voie A.
L’objectif de l’inspection visait donc à vérifier les dispositions existantes et mises en œuvre par l’exploitant avant, pendant et après ces événements.
Publié le 03/09/2021
Centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux - Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 1er septembre 2021, EDF a reclassé au niveau 1 de l’échelle INES un événement significatif pour la sûreté nucléaire portant sur un arrêt automatique du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux.
En juillet 2020, dans le cadre de la prise en compte du retour d’expérience d’un arrêt automatique réacteur survenu sur la centrale nucléaire de Belleville, EDF a réalisé un contrôle des câbles électriques susceptibles d’être en contact avec des points chauds sur tous les réacteurs du parc. Ce contrôle a été déclaré sans écart pour la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux.
Le 30 mai 2021, la fermeture d’une vanne du système de régulation du débit d’eau des générateurs de vapeur a provoqué un arrêt automatique du réacteur 1. La fermeture de cette vanne a été provoquée par l’échauffement et la détérioration de son câble d’instrumentation et de commande, qui se trouvait en contact direct avec le point chaud que constituait la vanne elle-même. A la suite de cet arrêt automatique réacteur, le câble concerné a été remplacé et la vérification du placement de l’ensemble des câbles a été réalisée sur les deux réacteurs du site.
L’ASN a effectué une inspection sur la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux le 8 juin 2021 (voir la lettre de suites INSSN-OLS-2021-0760) afin d’analyser les causes et conséquences de cet événement. Lors de cette inspection, il a été constaté la présence d’un autre câble électrique en contact avec la même vanne du réacteur 1 ainsi qu’un câble endommagé sur une vanne équivalente du réacteur 2. L’ASN a également eu confirmation que le contrôle de juillet 2020 n’avait pas été effectué avec toute la rigueur exigée.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, après analyse approfondie et à la suite des constats et interrogations de l’ASN concernant notamment le manque de culture de sûreté, cet évènement a été reclassé par EDF au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
L’ensemble des câbles concernés a fait l’objet d’une remise en état et d’une protection par l’exploitant.
Ce fonctionnement est basé sur trois circuits indépendants remplis d’eau qui opèrent des échanges thermiques.
Selon le modèle de réacteur, l’eau peut être ensuite rejetée à la source à une température légèrement plus élevée (réacteur sans aéroréfrigérant) ou bien refroidie dans un aéroréfrigérant puis réinjecté dans le circuit de refroidissement (réacteur avec aéroréfrigérant).
[1] Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile.https://www.asn.fr/Lexique/B/Bore
[2] Un générateur de vapeur (GV) est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température (320 °C) et à pression élevée (155 bars) dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine. les réacteurs à eau sous pression de 900 MWe comportent 3 générateurs de vapeur, les réacteurs de 1 300 MWe comportent 4 GV.https://www.asn.fr/Lexique/G/Generateur-de-vapeur
[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif
[4] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire