24 juillet 2023
Les systèmes qui permettent de fixer les générateurs de vapeurs, ces équipements de plus de 400 tonnes et de 22 mètres de haut, sont mal conçus : ils s’abîment s’ils sont serrés comme indiqué sur leur mode d’emploi. EDF a donc fait passer à toutes ses centrales nucléaires des consignes pour qu’ils soient un peu moins serrés dans le but de limiter leur dégradation. Mais à ces défauts de conceptions s’ajoutent pour certains des défauts de fabrication qui les rendent encore plus fragiles. C’est le cas sur un des réacteurs nucléaire de Gravelines (Hauts-de-France). Où EDF n’a pas appliqué les consignes.
Les dispositifs dits auto-bloquants permettent aux générateurs de vapeurs (GV), ces échangeurs thermiques raccordés à la cuve [1] , d’être maintenus en place dans le bâtiment réacteur en cas de secousse. Comme lors d’un séisme par exemple, ou d’une explosion. Ils permettent aussi de légers mouvements (comme lors de la dilatation du métal sous l’effet de la chaleur). Étant donné le rôle des GV, leur place et leurs dimensions, la bonne tenue de ces dispositifs auto-bloquants est cruciale.
Mais ces dispositifs ont un vice de conception. S’ils sont serrés comme spécifié dans les consignes d’EDF, ils s’abîment. Cette erreur de conception n’a été découverte que fin 2021. Pourquoi le problème n’a pas été détecté avant, quelle erreur a été commise (et quand ?) pour que les études préalables ne détectent pas la dégradation induite par le serrage préconisé ? On ne sait pas. Mais la conséquence est elle avérée : le risque est que les dispositifs auto-bloquants ne bloquent plus les GV. EDF a donc fait passer une nouvelle consigne à toutes les centrales nucléaires : desserrer et appliquer un autre serrage, moins important. À Gravelines, sur le réacteur 6, cette consigne n’a pas été appliquée. Là encore, on ne sait pas pourquoi.
Le dispositif d’un des GV était non seulement resté trop serré, mais il faisait aussi partie d’un lot ayant été mal fabriqué. Là encore, on ne sait pas pourquoi - ni comment - un dispositif dont la fonction est si importante a pu être installé malgré des défauts avérés. Le défaut de fabrication rendait justement la pièce dégradée par le serrage d’origine encore plus fragile, amoindrissant sa tenue mécanique. Cumulant défaut de conception, non application de la consigne limitant les risques de dégradation et défaut de fabrication, le risque que le générateur de vapeur tombe était multiplié. Depuis quand ? Là non plus on se sait pas.
Un équipement de plusieurs centaines de tonnes et de 20 mètres de haut, qui tombe dans le bâtiment réacteur, arrachant les tuyauteries du circuit primaire (le circuit de refroidissement du combustible) [2] , et probablement bien d’autres équipements au passage... EDF avoue dans son communiqué avoir créé une situation qui n’était pas prévue. C’est ce qu’il se passe quand l’industriel accumule les erreurs. Dès lors, comme peut-il prétendre maîtriser les risques inhérents à ses réacteurs nucléaires ?
L.B.
Déclaration d’un événement significatif pour la sûreté de niveau 1 relatif au serrage inadéquat d’un matériel pouvant conduire à sa non-tenue en situation accidentelle
Publié le 24/07/2023
Sur les centrales nucléaires de puissance 900 MWe, chaque générateur de vapeur installé est protégé par 4 Dispositifs AutoBloquants (DAB), amortisseurs destinés à préserver les matériels et tuyauteries associés, en limitant les mouvements brusques indésirables comme des à-coups ou des séismes.
En juin 2021, à la suite d’opérations de maintenance réalisées sur les générateurs de vapeur de l’unité de production n°6, les intervenants installent des DAB, configurés au préalable en atelier selon un niveau de serrage indiqué dans les procédures. A l’issue de l’activité, la requalification du matériel est réalisée avec succès.
En juin 2023, le site de Gravelines est informé qu’une nouvelle note de calcul remet potentiellement en cause le comportement d’un des DAB remplacé sur cette unité de production n°6, en lien avec le niveau de serrage initialement recommandé. Sa fiabilité dans certains types de situations accidentelles ne peut par conséquent être complètement démontrée. L’unité de production n°6 étant à l’arrêt pour visite partielle à cette même période, le site décide donc, par mesure préventive, de remplacer intégralement le DAB incriminé. Il s’agit du seul DAB concerné sur Gravelines et sur le parc nucléaire EDF.
Cet événement n’a eu aucune conséquence réelle sur la sûreté des installations. Néanmoins, la centrale nucléaire de Gravelines a considéré que cette situation, très peu probable, pouvait conduire à une condition de fonctionnement non prise en compte à la conception. A ce titre, la direction de la centrale de Gravelines a décidé de déclarer le 21 juillet 2023 à l’Autorité de sûreté nucléaire, un évènement significatif de sûreté au niveau 1 de l’échelle INES qui en compte 7.
Risque de défaillance mécanique d’un dispositif de maintien d’un générateur de vapeur
Publié le 08/08/2023
Centrale nucléaire de Gravelines Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 21 juillet 2023, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à la non-tenue potentielle, en situation accidentelle, d’un dispositif de maintien d’un générateur de vapeur.
Un générateur de vapeur est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température et pression élevée dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire, qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Ils sont maintenus par des dispositifs autobloquants (DAB), qui sont des supports destinés à les maintenir lors de sollicitations brusques, notamment en cas de choc ou de secousses sismiques. Ces dispositifs permettent également des mouvements lents, dus par exemple aux dilatations thermiques, en n’opposant qu’une faible résistance aux déplacements grâce à l’action d’un diaphragme interne.
A la suite de défauts constatés par EDF sur des diaphragmes de dispositifs autobloquants lors de leur maintenance en usine fin 2021, des expertises ont été menées. Elles ont mis en évidence un risque de défaillance du diaphragme si le couple de serrage prescrit de 120 N.m était appliqué, lors de son montage dans le DAB, sur des pièces possédant des caractéristiques mécaniques dégradées. Le couple de serrage prescrit est alors abaissé à 81 N.m en 2022.
n avril 2023, EDF détecte une anomalie de fabrication, diminuant leurs caractéristiques mécaniques, sur neuf diaphragmes issus du même lot, dont 8 sont serrés avec le nouveau couple prescrit. Le dernier, monté sur un dispositif autobloquant du générateur de vapeur n° 1 du réacteur 6 de la centrale nucléaire de Gravelines, a été serré au couple historique de 120 N.m et présente donc un risque potentiel de dégradation ou de casse mécanique.
Le DAB concerné a été changé au cours de l’arrêt pour maintenance et rechargement du réacteur 6 en juin 2023.
En situation accidentelle, la défaillance de ce DAB aurait potentiellement pu mener à la non-tenue du générateur de vapeur.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Il a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
[1] Un générateur de vapeur (GV) est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température (320 °C) et à pression élevée (155 bars) dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine https://www.asn.fr/Lexique/G/Generateur-de-vapeur
[2] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire