5 juillet 2024
Des barres insérées dans la cuve des réacteurs permettent d’en réguler la puissance. Mais le 30 juin 2024, un problème est survenu à Golfech (Occitanie) : il est devenu impossible de manœuvrer une partie d’entre-elles ni de contrôler leur position. Or c’est justement leur position qui permet de réguler la puissance de la réaction nucléaire en cours.
Crédit photo : André Paris
Les grappes de commandes [1] contiennent des substances qui permettent de ralentir et de stopper la réaction nucléaire en chaîne [2] . En les insérant plus ou moins au milieu du combustible, EDF peut moduler la puissance développée par la réaction nucléaire. Ces barres de commande sont appelées "grappes de régulation de puissance et de température".
Le 30 juin 2024, le réacteur 2 de Golfech fonctionne à très faible puissance lorsqu’une alarme apparaît en salle de commande. Elle signale un problème avec une partie de ces grappes de régulation qui sont bloquées et ne se manœuvrent plus. On ne sait pas pourquoi, mais l’exploitant nucléaire ne réagit pas immédiatement.
Le lendemain en fin de matinée, EDF décide de remplacer un composant électronique du système qui commande les déplacements de ces grappes. Lors de l’intervention, les grappes se mettent à bouger, ce qui n’était pas du tout prévu ni censé arriver. Les opérateurs stoppent tout, l’intervention est interrompue.
En salle de commande, l’équipe constate en effet qu’un groupe de grappes de régulation s’est déplacé mais aucune alarme ne s’est déclenchée pour indiquer un problème de positionnement. Ne sachant pas vraiment ce qu’il en était, EDF a décidé en début de soirée d’engager le repli de son réacteur nucléaire (baisser la puissance et la température pour le ramener proche de l’arrêt).
Pour cela, des grappes de régulation sont insérées dans le cœur, c’est alors que l’alarme signalant un problème de positionnement a retenti. Il y avait donc bien eu des mouvements incontrôlés d’une partie des grappes de commande. Celles-ci étaient en réalité mal positionnées depuis plusieurs heures, mettant en jeu le contrôle de la puissance du réacteur nucléaire. Si les grappes sont mal positionnées ou se bloquent, EDF est censé engager le repli de son réacteur dans l’heure qui suit. Au total, elles le sont restées près de 20 heures. Comme l’alarme de désalignement ne s’est pas déclenchée (sans que l’on sache pourquoi), EDF n’avait aucune certitude quant à leur position exacte dans le cœur. Un véritable et très sérieux problème.
Ne pas pouvoir maîtriser les mouvements des grappes de commande, ne pas pouvoir avoir avec certitude une connaissance exacte de leur position, c’est ne pas pouvoir contrôler la puissance développée par la réaction nucléaire et ne pas pouvoir arrêter le réacteur. Quand l’industriel perd le contrôle de ses grappes de régulation, c’est comme si l’embrayage et les freins d’une voiture ne répondaient plus. Et si les voyants de niveau d’huile, de liquide de freins et de température ne fonctionnent plus, on n’a aucun moyen de savoir ce qu’il se passe dans le moteur. Mais EDF n’est pas aux commandes d’une voiture, il pilote des réacteurs nucléaires. Ce serait donc bien que les commandes fonctionnent et qu’il sache précisément ce qu’il se passe dans son moteur.
L.B.
Déclaration d’un événement significatif de sûreté en raison de la détection tardive d’un déplacement de grappes de contrôle
Publié le 05/07/2024
Dans une centrale nucléaire, le contrôle de la réaction nucléaire est assuré par deux moyens principaux : l’ajustement de la concentration en bore de l’eau du circuit primaire, ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire, et par l’insertion ou le retrait, dans les assemblages combustibles, de groupes de grappes de contrôle et de régulation de la puissance du réacteur, ces groupes contenant des matériaux absorbant les neutrons.
Le 30 juin 2024, alors que le réacteur n°2 est à l’arrêt pour permettre d’adapter la production d’EDF à la demande en électricité, une alarme apparait en salle de commande, indiquant l’indisponibilité d’un des sous-groupes de grappes de contrôle. Les équipes spécialisées lancent un diagnostic technique.
Le 1 juillet 2024, une carte électronique non conforme est installée entrainant le déplacement du sous-groupe. Ce déplacement, constituant un écart aux Spécifications techniques d’exploitation (STE [3] ), n’est pas identifié en raison de l’indisponibilité d’outils de surveillance (alarme et compteur).
Dès sa détection, l’équipe en charge de l’exploitation du réacteur procède aux opérations de repli [4] du réacteur afin de respecter la conduite à tenir prescrites par les STE dans cette situation. Le 2 juillet 2024, une intervention technique est réalisée permettant de retrouver la position conforme des éléments.
Cet événement n’a eu aucune conséquence réelle sur la sûreté des installations. Cependant, en raison de la détection tardive d’un non-respect des spécifications techniques d’exploitation, il a été déclaré par la Direction de la Centrale nucléaire de Golfech le jeudi 4 juillet 2024, à l’Autorité de sûreté nucléaire, au niveau 1 de l’échelle INES qui en compte 7.
Non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation du réacteur 2 de Golfech à la suite d’un désalignement des sous-groupes de grappes de régulation de puissance
Publié le 10/07/2024
Centrale nucléaire de Golfech Réacteurs de 1300 MWe - EDF
Le 5 juillet 2024, l’exploitant de la centrale nucléaire de Golfech a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des règles générales d’exploitation du réacteur 2 de Golfech à la suite d’un désalignement des sous-groupes de grappes de régulation de puissance.
Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite associées.
Le contrôle des différents paramètres physiques de la réaction nucléaire dans le cœur s’effectue par la combinaison des effets d’absorption neutronique du bore, contenu dans l’eau du circuit primaire, et des mouvements de groupes de grappes de régulation de puissance et de température, dans le cœur du réacteur. Les groupes de grappes de régulation de puissance sont composés de plusieurs sous-groupes. Des grappes d’arrêt sont également utilisées uniquement pour stopper la réaction en chaîne dans le réacteur.
Le 30 juin 2024, le réacteur fonctionnait à très faible puissance sans produire d’électricité, pour adapter la production d’EDF à la demande. Une alarme relative à un défaut de manœuvrabilité d’un sous-groupe de grappes de régulation de puissance est alors apparue en salle de commande. Le 1er juillet 2024 à 11h, l’exploitant a remplacé une carte électronique du système de manœuvre de ces grappes. Lors de cette intervention, les intervenants ont entendu des impulsions électriques de manœuvre de ces grappes, ce qui n’était pas attendu. Ils ont donc interrompu leur intervention.
En salle de commande, les opérateurs ont constaté un déplacement de ce sous-groupe de grappes mais aucune alarme indiquant un désalignement de ce sous-groupe n’était présente. L’exploitant a continué d’investiguer cet aléa. Vers 20h, il a procédé au repli du réacteur dans le respect des règles générales d’exploitation car il n’était pas certain de l’absence de désalignement de ce sous-groupe de grappes de régulation de puissance.
Lors du repli du réacteur, les grappes de régulation de puissance ont été insérées dans le cœur du réacteur et l’alarme de désalignement est apparue en salle de commande. L’analyse de l’exploitant a conclu que ce désalignement était bien présent depuis l’intervention réalisée le matin. L’exploitant n’a donc pas respecté les règles générales d’exploitation, qui demandent de procéder au repli du réacteur sous une heure lorsqu’il y a un désalignement des sous-groupes de grappes.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations. Toutefois, l’événement a affecté la fonction de sûreté liée à la réactivité. En raison du non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
Le 2 juillet 2024 à 4h, l’exploitant a réaligné les sous-groupes de grappes de régulation de puissance afin de remettre en conformité l’installation.
[1] Grappes de commande : Pour contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur, l’exploitant dispose de deux moyens principaux : - ajuster la concentration de bore dans l’eau du circuit primaire, le bore ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire, - introduire les grappes de commande dans le cœur ou les en retirer, ces grappes de commande contiennent des matériaux absorbant les neutrons. II convient, en marche normale du réacteur, de maintenir certaines grappes à un niveau suffisant, fixé par les spécifications techniques, d’une part pour que leur chute puisse étouffer efficacement la réaction nucléaire en cas d’arrêt d’urgence, d’autre part pour assurer une bonne répartition du flux de neutrons. https://www.asn.fr/lexique/G/Grappes-de-commande
[2] Réaction nucléaire : Processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-nucleaire - Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-en-chaine
[3] Les spécifications techniques d’exploitation (STE) sont un recueil de règles d’exploitation approuvées par l’Autorité de sûreté nucléaire, qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement d’une centrale nucléaire et les prescriptions de conduite du réacteur associées.
[4] Le repli d’un réacteur consiste à abaisser la pression et la température de son circuit primaire en application des règles d’exploitation.