23 août 2018
Le 6 août 2018, des hydrocarbures sont détectés dans la nappe d’eau souterraine sous le site nucléaire, surveillée de près à la demande le d’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) depuis la récente pollution des eaux au tritium*. Le lendemain, 2 autres prélèvements sont réalisés à proximité du premier : la pollution est confirmée. L’ASN est allée inspecter le site le 9 août suite à la déclaration par l’exploitant de l’évènement significatif pour l’environnement et nous livre le 10 août un rapport d’inspection qui ne laisse aucun doute quant à la gestion calamiteuse par EDF de l’évènement. Même si le bâtiment à huile est suspecté, l’exploitant n’a pas été capable de présenter des hypothèses fiables et d’identifier la provenance des hydrocarbures. EDF n’a pas stoppé ni limité la propagation de cette pollution des eaux : le bâtiment de l’huilerie était toujours en exploitation le jour de l’inspection alors que de nouveaux prélèvements des eaux prouvaient que le déversement d’hydrocarbures dans l’environnement perdurait, et le pompage des eaux polluées a été arrêté dès le 7 août, faute de place sur le site nucléaire pour entreposer les eaux polluées. Cerise sur le gâteau, en marge de l’inspection, EDF a informé l’ASN que des hydrocarbures étaient également présents dans le réseau d’eau potable du site. La consommation de celle-ci a été suspendue dans la centrale, le seuil de potabilité (0,1mg/L) a été atteint. Or l’eau potable du site est prélevée dans une autre nappe, située elle à l’extérieur du périmètre de l’installation nucléaire. EDF n’a toutefois pas pris la peine d’informer les autres utilisateurs potentiels de cette nappe phréatique que cette eau était polluée à un tel point que sa consommation engendrait des risques pour la santé. En plus d’avoir encore une fois pollué une ressource naturelle, fragile et commune, en plus d’avoir abimé tout un écosystème, l’exploitant nucléaire a sciemment laissé dans l’ignorance les riverains, établissements agricoles et industriels à proximité, au mépris de la santé publique.
Une fois n’est pas coutume dit-on. Et bien à Cruas si. À peine 4 mois après la pollution au tritium des eaux souterraines du site et des environs (un taux près de 20 fois supérieur à la normale avait été détecté en mai) qui avait contraint EDF à suspendre (bien tardivement) la consommation de l’eau potable sur le site : bis repetita. Mais avec un autre type de pollution cette fois. C’est d’ailleurs suite à cette pollution radioactive et à la mauvaise gestion d’EDF - qui n’avait pas été des plus réactives ni des plus transparentes - que les eaux souterraines du site sont actuellement surveillées. À la demande de l’ASN, des prélèvements y sont faits toutes les semaines. C’est ainsi que la pollution aux hydrocarbures a été découverte le 6 août. L’exploitant a déclaré l’évènement comme significatif pour l’environnement le 8, et l’ASN a diligenté des inspecteurs sur place le lendemain. Ce qu’ils ont découvert sur place démontre un tel laxisme et une si mauvaise gestion que le ton employé dans le courrier adressé ensuite à l’exploitant est d’une rare sévérité. C’est dans ce rapport daté du 10 août et signé par la Directrice générale adjointe (et non par la cheffe de la division locale de l’ASN ou par son adjoint comme il est habituel), que l’on découvre ce qu’il se passe sur le site nucléaire. L’exploitant n’a communiqué sur l’évènement que par quelques lignes dans sa lettre d’information mensuelle (Recto-Verseau n°82) publiée le 17 août, lettre qu’il faut aller débusquer sur le site internet de la centrale. On y apprend d’ailleurs - un mois après les faits - que 22m3 d’effluents chimiques et radioactifs ont été déversés directement dans la nature sans que les contrôles obligatoires ne soient réalisés. L’exploitant a tout simplement "oublié" de les faire, petit "défaut d’organisation" mais qui est "sans conséquence sur l’environnement". Concernant la pollution des eaux aux hydrocarbures, la communication de l’exploitant, plus que minimaliste, présente les faits de manière elliptique et laisse à penser que tout est réglé. Or il n’en est rien. Et surtout, dans cette communication, EDF ne dit pas un mot sur le problème de santé publique généré par ses agissements : aucune information sur le fait que la nappe à l’extérieure du site où la centrale puisse son eau potable est également touchée par la pollution aux hydrocarbures.
Si le rapport d’inspection pointe le manque de réactivité et la gestion insatisfaisante d’EDF, il soulève aussi de nombreuses questions. Plusieurs éléments clés restent aujourd’hui inconnus du public, comme le volume d’hydrocarbures déversés dans l’environnement, les taux retrouvés dans les eaux ou encore l’origine de la fuite. La Directrice générale adjointe fait de nombreuses demandes à l’exploitant, comme la mise immédiate à l’arrêt du déshuileur (pour stopper la pollution), la reprise du pompage (pour limiter la propagation de cette pollution), l’information sans délai aux autres usagers potentiels de la ressource. Mais aussi des compte-rendus quotidiens sur l’état des eaux et hebdomadaire sur la recherches des origines, le cheminement, le traitement des sols... Le 21 août notre association agréée pour la protection de l’environnement a adressé une demande d’information à l’ASN de Lyon chargée du suivi de l’affaire. À ce jour, nous ne savons pas si EDF s’est conformé aux demandes de l’ASN. Des habitants des communes adjacentes nous ont cependant signalé qu’aucune communication de la part des autorités ni aucun affichage n’avaient été fait pour leur signaler la pollution des eaux et les dangers sanitaires associés. Dans l’attente de plus d’éléments, tour d’horizon des faits révélés dans le rapport de l’ASN.
L.B.
Inspection réactive INSSN-LYO-2018-0826 du 9 Août 2018 : Présence d’hydrocarbure dans les eaux souterraines du site
Le 10/08/18
L’inspection réactive menée sur la centrale nucléaire de Cruas-Meysse le 9 août 2018 fait suite à la déclaration par EDF, le 8 août 2018, d’un événement significatif du domaine environnement et relatif à la présence anormale d’hydrocarbures dans trois piézomètres du site [cf. Événement significatif pour l’environnement D5180-FT/SQ/18/53682 du 8 août 2018]. Ces points de prélèvement des eaux souterraines sont situés à l’intérieur du périmètre des installations nucléaires de base (INB) de la centrale nucléaire (INB n° 111 et 112).
Cette présence d’hydrocarbures a été relevée le 6 août 2018 dans le cadre d’un prélèvement réalisé dans un piézomètre qui fait l’objet d’analyses hebdomadaires, à la demande de l’ASN, à la suite de la récente pollution en tritium des eaux souterraines de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse (Cf. lettre de suite de l’inspection INSSN-LYO-2018-0793 du 30 mai 2018). La présence d’hydrocarbures a été confirmée le 7 août 2018 dans deux autres piézomètres implantés à proximité.
Par ailleurs, en marge de l’inspection, EDF a informé l’ASN de la présence anormale d’hydrocarbures dans l’eau du captage d’eau potable de la centrale nucléaire : EDF a indiqué que l’eau issue de ce captage présente un taux en hydrocarbures de 0,1 mg/L, ce qui correspond au seuil de potabilité. EDF a indiqué avoir par conséquent suspendu la consommation d’eau de ce captage d’eau au sein de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse. Ces points de prélèvement des eaux souterraines sont situés à l’extérieur du périmètre de l’installation nucléaire de base (INB).
Il ressort de cette inspection les éléments suivants : - la pollution en hydrocarbures des eaux souterraines de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse est une pollution significative en raison des volumes d’hydrocarbures mis en jeu ; - le jour de l’inspection, EDF n’était pas en capacité d’identifier l’origine de cette pollution. L’hypothèse présentée demande à être largement confortée par des éléments tangibles et confirmés, car il persistait le jour de l’inspection des questions sans réponse et des incohérences dans les données présentées ; - la réactivité d’EDF dans la gestion de cet événement est insatisfaisante : à titre d’illustration, la pollution en hydrocarbures du captage d’eau potable de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse n’a été caractérisée que trois jours après la détection de l’événement.
Pendant l’inspection, les inspecteurs ont demandé à EDF de procéder à des tests de contrôle de présence d’hydrocarbures dans les eaux souterraines. Les tests ont été positifs au niveau de deux points de prélèvement.
Les inspecteurs ont constaté que le pompage au niveau de ces points de prélèvements n’était pas effectif. Il s’est avéré que celui-ci avait été arrêté le mardi 7 août 2018, faute de capacités d’entreposage des effluents pollués sur le site. Or ce pompage permet de limiter la propagation de la pollution.
Enfin, les inspecteurs ont constaté que, malgré l’incertitude vis-à-vis de l’origine de la présence d’hydrocarbures dans les eaux souterraines et dans le réseau d’eau potable de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse, et malgré la persistance de la pollution plusieurs jours après sa détection, EDF continue d’exploiter le bâtiment industriel de l’huilerie, identifié par l’exploitant comme un point de départ potentiel de la pollution.
En conclusion, l’ASN considère que la gestion actuelle de cet événement par EDF est insatisfaisante et attend de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse qu’elle déploie des moyens adaptés et rapides pour :
▸ déterminer l’origine, le volume, et le cheminement de la pollution des eaux souterraines par des hydrocarbures ;
▸ limiter l’étendue de cette pollution au sein des eaux souterraines.
=> L’ASN considère que des actions doivent être mises en œuvre sans délai afin de limiter, puis de résorber, la pollution en hydrocarbures des eaux souterraines.
Demande A1 : je vous demande de mettre en œuvre sans délai des moyens de pompage des eaux souterraines et superficielles de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse au droit de l’ensemble des points de prélèvement où une présence, même à l’état de trace, d’hydrocarbures a été détectée, dans le respect de la réglementation applicable.
=> L’ASN considère qu’une surveillance renforcée des eaux souterraines doit être mise en œuvre pour suivre et anticiper l’évolution de la présence d’hydrocarbure.
Demande A2 : je vous demande de mettre en place sans délai une surveillance journalière de chaque point de prélèvement des eaux souterraines et superficielles au droit et à proximité de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse, permettant une caractérisation et un suivi de l’étendue et du déplacement de la pollution dans ces eaux. Vous veillerez à prendre en compte l’ensemble des polluants susceptibles d’avoir migré dans la nappe.
Demande A3 : je vous demande de transmettre quotidiennement à la division de Lyon de l’ASN les résultats de cette surveillance, sous la forme d’un plan de situation et d’un historique des mesures pour chaque point de surveillance.
=> L’ASN considère que vous devez identifier au plus vite et avec certitude l’origine du marquage des eaux souterraines par les hydrocarbures.
Demande A4 : je vous demande, dans l’attente de l’identification des origines de cette pollution, d’arrêter toute opération d’exploitation du déshuileur de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse.
Demande A5 : je vous demande de procéder dans cette installation à des investigations approfondies de l’ensemble des ouvrages de génie civil et des traversées de ces ouvrages. Dans ce cadre, le joint « hypalon » situé au niveau de la jonction entre la rétention et le mur de la fosse du système SEH sera déposé afin de permettre les investigations dans la zone inférieure.
Demande A6 : je vous demande de me transmettre, sous trois jours, la liste exhaustive des équipements de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse identifiés comme pouvant être à l’origine de la présence anormale d’hydrocarbures dans les eaux souterraines. Vous veillerez à accompagner cette liste d’un plan à l’échelle de localisation de ces équipements.
Demande A7 : je vous demande de prendre toutes les dispositions nécessaires pour identifier dans les meilleurs délais les voies de fuite dans l’environnement et les équipements à l’origine de la présence anormale d’hydrocarbures dans les eaux souterraines. Vous transmettrez à la division de Lyon de l’ASN un bilan bihebdomadaire de l’état d’avancement de vos recherches d’identification.
=> Concernant la gestion de l’événement, l’ASN considère que des actions de communication doivent être entreprises sans délai. En effet, bien qu’elle n’ait connaissance d’aucun autre captage d’eau que celui utilisé par la centrale nucléaire, il ne peut pas être totalement exclu que des particuliers ou des établissements agricoles ou industriels situés aux alentours de la centrale utilisent également l’eau de cette nappe.
Demande A8 : je vous demande d’informer sans délai de cet événement l’ensemble des riverains et utilisateurs susceptibles d’être affectés par cette pollution d’hydrocarbures, en prenant en compte l’ensemble des usages possibles des eaux souterraines.
=> L’ASN considère que des réflexions doivent être engagées dès à présent par EDF concernant le traitement des terres de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse souillées par des hydrocarbures.
Demande A9 : je vous demande d’informer l’ASN des dispositions que vous prendrez afin de traiter les terres souillées par la pollution aux hydrocarbures.
Le plan d’urgence interne (PUI) applicable à la centrale de Cruas-Meysse prescrit (prescription 137) que l’astreinte direction (PCD-1) applique le logigramme d’orientation initiale dans le cas d’un événement lié à un marquage ou un risque sur l’environnement.
En premier approche, l’application de ce logigramme aurait dû conduire l’astreinte direction à déclencher un plan d’aide à la mobilisation (PAM), notamment en application du nota 6 de ce logigramme.
Demande B1 : je vous demande de me confirmer que la situation constatée le 6 août 2018 relevait bien d’un PAM et, dans l’affirmative, de m’indiquer les raisons pour lesquelles le PCD-1 n’a pas respecté cette prescription du PUI. Vous voudrez bien analyser cet écart éventuel à l’aide du guide de l’ASN du 21 octobre 2005.
Les actions correctives ci-dessus sont à mettre en œuvre sans délai. Vous en assurerez un compte-rendu à la division de Lyon de l’ASN tous les jours ouvrés, jusqu’à ce que cette dernière vous indique les adaptations qu’elle souhaite apporter à ces modalités d’information.
Vous transmettrez sous deux mois un bilan de l’ensemble de ces actions. Pour les engagements que vous prendriez, je vous demande de les identifier clairement et d’en préciser, pour chacun, l’échéance de réalisation. Dans le cas où vous seriez contraint par la suite de modifier l’une de ces échéances, je vous demande également de m’en informer
Consulter le rapport d’inspection :
Le 17/08/18
Environnement
Le 6 août 2018, les équipes de la centrale EDF de Cruas-Meysse ont détecté, lors d’un contrôle hebdomadaire, la présence d’une poche d’huile dans un des puits de contrôle des eaux souterraines de la centrale. Celui-ci se situe à proximité du bâtiment de traitement des huiles provenant de la partie non nucléaire des installations. Aucune présence d’huile n’avait été détectée lors du contrôle précédant le 30 juillet.
Dès la détection de l’écart, le pompage de l’huile a été engagé et une surveillance renforcée des puits de contrôle se situant à proximité a été mise en place. Le 7 août 2018, des traces d’huile ont été identifiées dans deux autres puits. Environ 1 m3 d’huile a été recueilli. Un diagnostic est en cours pour identifier l’origine exacte de l’événement. Le 6 août 2018, la direction de la centrale a informé l’Autorité de sûreté nucléaire. Elle a déclaré un événement significatif, le 8 août 2018.
* plusieurs associations dont le Réseau Sortir du nucléaire ont porté plainte suite à cette pollution des eaux