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Des accidents nucléaires partout

France : Cruas : Fuite et fumées : quand "l’entretien" fait plus de mal que de bien

Des isolants imbibés de combustible posés sur une pompe qui chauffe en fonctionnement




15 juillet 2024


Début juillet 2024, EDF teste une pompe du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Cruas (Auvergne-Rhône-Alpes) après une intervention de maintenance. La pompe en question, une turbopompe, est de taille : elle permet, en cas de besoin, d’apporter de l’eau aux générateurs de vapeur, ces échangeurs de chaleur qui permettent de refroidir l’eau chauffée au contact du combustible nucléaire. L’équipement est donc essentiel pour éviter une perte de refroidissement du réacteur. Mais dès sa mise en marche, des fumées se dégagent et une fuite de vapeur survient. Les pompiers sont appelés. La fuite de vapeur est réparée, la pompe re-testée le surlendemain. La fuite est résorbée mais les fumées, elles, sont toujours là.


Crédit photo : André Paris

Durant l’arrêt du réacteur 4 de Cruas, la turbopompe du circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (circuit ASG  [1]) a été entièrement visitée le 21 juin - comprendre démontée et remontée pour entretien (nettoyage et vérification des composants). Apparemment, tout n’a pas été remis comme il fallait puisqu’une fuite de vapeur est apparue dès sa mise en route le 4 juillet. À croire que le contrôle technique censé être fait après la visite complète était un peu trop expéditif puisqu’il n’a pas détecté le problème.

Cette pompe, qui chauffe lorsqu’elle fonctionne, est entourée d’isolants thermiques (appelés calorifuges). Ces isolants avaient évidemment été enlevés pour pouvoir réaliser la visite complète de la turbopompe. Certains ont été changés (remplacés par des neufs) et d’autres conservés et remis en l’état. Après deux dégagements de fumées et un appel aux pompiers, EDF réalisera que les calorifuges ont été aspergés d’une matière inflammable. Comment, par qui, pourquoi ? Probablement un banal accident, mais qui n’a pas été signalé, ou qui est passé totalement inaperçu. Quoiqu’il en soit, les calorifuges ont été remis sur la pompe qui chauffe quand elle fonctionne, imbibés de combustible. Parfait pour un départ de feu. Ce qui n’a pas manqué de se produire lors du test de requalification de la pompe réalisé le 4 juillet. Et qui s’est reproduit le 6 juillet, lors du second essai.

Le communiqué d’EDF qui déclare l’incident reste bien énigmatique. Celui de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) donnera plus de détails sur les évènements, considérés significatifs [2] pour la sûreté du réacteur [3] puisqu’ils ont augmenté le risque de survenue d’un accident. Mais aucun de ces communiqués n’explique comment il est possible que des matières inflammables imbibent des isolants thermiques destinés à couvrir des équipements qui dégagent de la chaleur, sans que personne n’identifie le risque de départ de feu. Et sans que personne ne réalise non plus le risque d’endommagement de la pompe du circuit ASG qui, évidemment, en flammes, ne pourrait plus fonctionner. La pompe est pourtant un équipement important pour la sûreté, et le risque d’incendie est un des plus prégnant dans une installation nucléaire. Mais les intervenants n’y ont manifestement pas tous été formés ni sensibilisés. Et le chantier ni bien préparé, ni bien mené, ni bien surveillé.

Manque de rigueur dans la maintenance, manque de réflexion et d’analyse des risques et manque de surveillance des activités ont généré ces deux départs de feu et le risque d’endommager un équipement important pour le refroidissement du réacteur nucléaire. Mais pour EDF, il s’agit seulement du non-respect de spécifications techniques d’exploitation, du fait d’avoir laissé la pompe ASG hors-service un peu trop longtemps.

L.B.

Ce que dit EDF :

Déclaration d’un événement significatif de sûreté de niveau 1 relatif au non-respect des spécifications techniques d’exploitation

Publié le 15/07/2024

Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles encadrent notamment les interventions réalisées sur les équipements contribuant à la sûreté et prescrivent la conduite à tenir en cas d’indisponibilité de matériels à travers le chapitre dédié aux spécifications techniques d’exploitation.

Le 4 juillet vers 23 heures, l’unité de production n°4 est à l’arrêt pour maintenance programmée. Lors d’un essai périodique conduite, un dégagement de vapeur est observé au niveau des calorifuges de la turbopompe de secours positionnées sur le système d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG). Conformément aux procédures, les secours extérieurs sont sollicités et la turbopompe est déclarée indisponible.

Les calorifuges sont imbibés de produits combustibles. Après leur remplacement, un nouvel essai périodique est réalisé. La turbopompe est requalifiée le 6 juillet à 19h10.

La turbopompe ASG était requise dès le passage à l’état arrêt pour intervention non suffisamment ouvert, franchi le 24 juin 2024. A ce titre, l’indisponibilité consécutive de la pompe constitue un écart aux spécifications techniques d’exploitation.

Cet événement n’a pas eu de conséquence réelle sur la sûreté des installations. Toutefois, en raison du non-respect des spécifications techniques d’exploitation, la direction de la centrale de Cruas-Meysse l’a déclaré, le 11 juillet 2024, à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en tant qu’évènement significatif sûreté au niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/declaration-dun-evenement-significatif-de-surete-de-niveau-1-relatif-au-non-respect-des-specifications-techniques-dexploitation


Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité de la turbopompe du circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur du réacteur 4

Publié le 18/07/2024

Centrale nucléaire de Cruas-Meysse Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 11 juillet 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un évènement significatif pour la sûreté relatif à la détection tardive de l’indisponibilité de la turbopompe du circuit d’alimentation de secours en eau des générateurs de vapeur (circuit ASG) du réacteur 4.

Le circuit d’alimentation de secours en eau des générateurs de vapeur permet de maintenir le niveau d’eau dans la partie secondaire des générateurs de vapeur et donc de refroidir l’eau du circuit primaire en cas d’indisponibilité du circuit normal d’alimentation en eau des générateurs de vapeur. Le circuit ASG comprend deux voies redondantes (voies A et B). Il comporte deux motopompes et une turbopompe.

Le 21 juin 2024, à l’issue de la visite complète de la turbopompe ASG, les isolants thermiques (calorifuges) de la turbopompe ont été remis en place. Seule une partie de ces calorifuges a été remplacée par des calorifuges neufs.

Le 4 juillet 2024, à la suite du démarrage de la turbine de la turbopompe ASG, une fuite vapeur et un dégagement de fumeroles ont été détectées. La turbine a été arrêtée et la turbopompe a été déclarée indisponible.

Le 5 juillet 2024, après le traitement de la fuite vapeur et la dépose d’une partie des calorifuges, l’essai de requalification de la turbopompe a été relancé. A 20h20, un dégagement de fumeroles a de nouveau été constaté. La turbopompe a été, une seconde fois, déclarée indisponible.

Le 6 juillet 2024 l’ensemble des calorifuges de la turbine a été remplacé par des calorifuges neufs. Les essais de requalification se sont alors déroulés de façon satisfaisante.

A posteriori, l’analyse de la situation a mis en évidence qu’une partie des calorifuges, remise en place le 21 juin 2024 après l’activité de maintenance de la turbopompe ASG, était imbibée de produits combustibles. En cas de sollicitation de cette turbopompe, un départ de feu aurait pu se produire et la rendre inopérante. Il est donc apparu que la turbopompe devait être considérée comme indisponible depuis le 21 juin 2024.

En l’absence d’événement ayant nécessité la mise en service de la turbopompe ASG, cet événement n’a pas eu de conséquence sur l’installation, les personnes et l’environnement. Toutefois, en raison de la détection tardive de l’indisponibilité de la turbopompe ASG et du non-respect des conditions d’exploitation associées à cette indisponibilité, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/indisponibilite-de-la-turbopompe-du-circuit-d-alimentation-de-secours-des-generateurs-de-vapeur2


[1ASG : alimentation de secours des générateurs de vapeur. Lorsque l’alimentation normale en eau est défaillante, le système ASG permet alors d’alimenter les générateurs de vapeur pour évacuer la chaleur transmise par le circuit primaire. L’alimentation de secours peut se faire à partir d’une turbopompe ou de deux motopompes aspirant dans un réservoir de stockage d’eau déminéralisée. Source : lexique ASN

[2Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[3La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire


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Installation(s) concernée(s)

Cruas

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144