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Des accidents nucléaires partout

France : Cruas : 1 des 2 moyens de contrôler la réaction nucléaire bloqué durant des semaines

Par manque de moyens et de connaissances, EDF augmente les risques




27 octobre 2022


18 octobre 2022, EDF prépare le redémarrage du réacteur 3 de la centrale nucléaire de Cruas (Auvergne-Rhône-Alpes). C’est alors qu’un problème survient sur le principal circuit de refroidissement du réacteur, le circuit primaire.


Le circuit primaire [1] permet d’évacuer la chaleur produite par le combustible nucléaire : l’eau chauffée dans la cuve est ensuite envoyée vers des générateurs de vapeur. La vapeur qui est produite est envoyée vers une turbine qui, couplée à un alternateur, permet de produire l’électricité. Mais le circuit primaire a une autre fonction que le refroidissement du cœur du réacteur : il permet aussi de réguler la puissance de la réaction nucléaire. Du bore [2] , une substance neutrophile, y est ajouté sous forme d’acide. Parce que le bore absorbe les neutrons, il permet de ralentir la réaction nucléaire en chaîne  [3] . Ajuster la concentration en bore dans l’eau du circuit primaire est d’ailleurs un des 2 moyens dont dispose EDF pour contrôler la puissance de son réacteur [4].

Pour ajuster cette concentration en bore, il peut être nécessaire de rajouter de l’eau claire (dilution du bore) ou au contraire de rajouter du bore dans l’eau du circuit primaire (borication). Et pour éviter une dilution intempestive, les arrivées d’eau claire doivent pouvoir être stoppées. Pour cela, les vannes doivent pouvoir se fermer automatiquement. Ce qui n’est plus possible lorsqu’elles ont été bloquées manuellement.
C’est ce qui est arrivé à la centrale du Cruas cet été. Le réacteur 3 était arrêté pour maintenance et la vidange du circuit d’appoint en eau claire du circuit primaire prenait trop de temps (ou le salarié avait trop à faire dans le temps qui lui était donné pour réaliser ses activités). La vanne a donc été bloquée manuellement en position ouverte le 27 juillet pour que la vidange puisse se faire pendant que la personne en charge vaquait à ses autres tâches. Mais la consigne de lever ce blocage en fin de vidange n’a pas été transmise. Lorsque la vidange a été terminée, le système qui maintenait la vanne en position ouverte n’a pas été retiré. Dans cette configuration, impossible de fermer la vanne automatiquement. Le circuit primaire n’était donc plus protégé contre les dilutions de bore.

Ce n’est que le 18 octobre, alors que la réaction nucléaire était lancée et que le système anti-dilution devait fonctionner, qu’EDF s’est rendu compte du problème. Si contrôles préalables il y a eu, ils sont passés à côté. On ne sait pas combien de temps le réacteur est resté avec un système anti-dilution bloqué. On ne sait pas pourquoi le dispositif de blocage n’a pas été repéré lors de rondes ou de contrôles visuels des équipements. On sait en revanche que l’industriel aux commandes du réacteur nucléaire s’est lui-même privé d’un moyen d’en contrôler la puissance et qu’il ne le savait pas. Et qu’il a amené son réacteur nucléaire dans un état où ce système devait fonctionner sans que ses vérifications n’aient permis d’identifier qu’il était bloqué.

L’incident significatif pour la sûreté a été déclaré par EDF aux autorités le 26 octobre 2022, soit 3 mois après que la fermeture de la vanne ait été bloquée. Détection tardive de l’indisponibilité d’un circuit de protection essentiel, erreur de maintenance, mauvaise organisation et manques de moyens, défaut de surveillance des équipements, tests et vérifications insuffisants... Les faits montrent qu’EDF en tant qu’exploitant de centrales nucléaires n’a ni la rigueur ni l’excellence qui devraient être exigées de celles et ceux qui pilotent des installations où les risques sont si importants.

Ce que dit EDF :

Indisponibilité d’une fonction anti dilution sur le circuit d’appoint en eau et en bore

Publié le 27/10/2022

Evénement sûreté

Le circuit REA a pour fonction principale de faire l’appoint en eau et en bore [5] du circuit primaire afin de contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur.

Ce circuit dispose d’une fonction dite d’« anti dilution », permettant de stopper une injection d’eau trop importante, ayant pour conséquence de réduire la teneur en bore nécessaire dans celui-ci.

Le 27 juillet, une vidange du circuit REA est initiée dans le cadre de l’arrêt programmé de l’unité de production n° 3. Cette opération est habituellement réalisée à l’aide d’une commande à distance située dans la salle de commande. Indisponible en raison d’une coupure d’alimentation électrique, la vidange est alors réalisée localement en maintenant un robinet en position ouverte à l’aide d’un dispositif provisoire. Le dispositif est laissé en place après la fin de la vidange.

Le 18 octobre, lors de la réalisation d’un appoint en eau et en bore dans un ballon du circuit de contrôle chimique et volumétrique (dont la fonction est de maintenir dans le circuit primaire la quantité d’eau nécessaire au refroidissement du cœur) le débit d’eau s’arrête après le débit de bore. Ce fonctionnement inhabituel provient du dispositif provisoire laissé en place et qui ne permet pas la manœuvrabilité du robinet sur le circuit d’eau. Le dispositif a été retiré immédiatement après sa détection.

Cet événement n’a pas eu d’impact sur la sûreté des installations, d’autres systèmes permettant de maîtriser l’injection d’eau dans les circuits ayant toujours été disponibles.

Toutefois, en raison d’un non-respect d’une conduite à tenir dans le cadre des spécifications techniques d’exploitation (STE), la direction de la centrale de Cruas-Meysse a déclaré le 25 octobre 2022 à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/indisponibilite-dune-fonction-anti-dilution-sur-le-circuit-dappoint-en-eau-et-en-bore


Ce que dit l’ASN :

Indisponibilité de la fonction anti-dilution de l’eau du circuit primaire

Publié le 27/10/2022

Centrale nucléaire de Cruas-Meysse Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 26 octobre 2022, l’exploitant de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire un évènement significatif pour la sûreté relatif à l’indisponibilité de la fonction anti-dilution du circuit primaire du réacteur 3.

Dans les réacteurs du parc nucléaire exploité par EDF, le contrôle de la réaction nucléaire se fait par deux moyens principaux :

  • l’ajustement de la concentration de bore dans l’eau du circuit primaire, le bore ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire. L’ajustement de la concentration en bore est réalisé par ajout d’eau claire (dilution) ou ajout de bore (borication).
  • l’introduction de grappes de commande dans le cœur ou leur retrait, ces grappes de commande contenant des matériaux absorbant les neutrons. Ces grappes sont réparties en plusieurs groupes, permettant : de réguler la température du circuit primaire, de contrôler le niveau de puissance du réacteur et enfin, d’arrêter complètement la réaction nucléaire en cas d’arrêt automatique.

Le 27 juillet 2022, à l’occasion de l’arrêt pour maintenance du réacteur n°3 et afin de vidanger une partie d’un circuit, une électrovanne de la ligne d’appoint en eau claire au circuit primaire a été ouverte manuellement. La vidange étant longue, l’intervenant a eu recours à un dispositif provisoire de maintien de la vanne en position ouverte, prévu à cet effet, et a poursuivi ses activités.

Le 28 juillet 2022, un autre agent de terrain a terminé la vidange du circuit. En fin d’intervention, la présence du dispositif bloquant l’électrovanne n’a pas été identifiée et ce dernier a été laissé en place, bloquant la vanne en position ouverte.

Or, pendant le fonctionnement du réacteur, et pour prévenir tout risque de dilution non maîtrisée qui pourrait occasionner une élévation non maîtrisée de la réaction nucléaire, la vanne objet de l’événement est munie d’un automatisme de fermeture. Ce système participe à la protection anti-dilution, fonction requise par les spécifications techniques d’exploitation (STE) du réacteur.

Le 18 octobre 2022, au cours des activités préalables au redémarrage du réacteur après son arrêt pour maintenance et alors que la fonction anti-dilution était alors requise, lors d’un appoint en eau, EDF a détecté un fonctionnement inhabituel du système d’appoint. Les investigations réalisées ont permis d’identifier la présence du dispositif de blocage de la vanne et ce dernier a été retiré. La vanne s’est refermée, rendant la fonction anti-dilution à nouveau disponible.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement.

Toutefois, en raison de l’indisponibilité du système de protection anti-dilution, requis par les spécifications techniques d’exploitation (STE), l’événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/indisponibilite-de-la-fonction-anti-dilution-de-l-eau-du-circuit-primaire


[1Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[2Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile. https://www.asn.fr/lexique/b/Bore

[3Réaction nucléaire : Processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-nucleaire - Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-en-chaine

[4Il existe 2 manières de moduler et de stopper une réaction nucléaire : ajouter du bore dans le circuit primaire et descendre des grappes de commandes dans la cuve du réacteur.

[5Le bore est un élément qui a la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire.


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Installation(s) concernée(s)

Cruas

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