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Des accidents nucléaires partout

France : Civaux : Consignes erronées, essai tardif et manque de logique

Le réacteur 1 redémarre privé d’un circuit obligatoire, EDF met 4 jours à s’en apercevoir




26 juillet 2024


L’injection de soude est une fonction essentielle en cas de montée de radioactivité dans un réacteur nucléaire. Mais à Civaux (Nouvelle Aquitaine), le système a été entièrement paralysé par une mauvaise configuration des circuits. Le réacteur 1 a redémarré sans que EDF ne s’en soit rendu compte, faute d’avoir fait preuve d’un minimum de logique, et d’avoir procédé aux vérifications réglementaires dans les temps.


Crédit photo : André Paris

Le réacteur 1 de Civaux a été mis à l’arrêt fin avril pour une "visite partielle". Ce type d’arrêt permet de renouveler une partie du combustible, mais aussi de "visiter" l’installation, c’est à dire de contrôler et d’entretenir une partie des équipements. Des opérations de maintenance, qui nécessitent souvent de démonter, nettoyer, remonter des matériels, de couper puis de rouvrir certains systèmes, d’ouvrir et de fermer des portions de circuits. Mais au redémarrage, tout doit être remis en ordre et configuré comme il se doit, selon des spécifications techniques détaillées dans les RGE, des règles qui régissent le l’exploitation générale de l’installation imposées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Selon ces RGE, lorsque la réaction nucléaire est lancée et atteint une certaine puissance, pour pallier un risque d’explosion de l’enceinte en béton dans laquelle est le réacteur et limiter les rejets radioactifs à l’extérieur du bâtiment, le circuit d’aspersion (dit EAS) doit être en parfait état de marche. Le principe est assez simple : pulvériser de l’eau et de la soude dans l’enceinte du réacteur, pour faire diminuer la pression et la température, et rabattre au sol des radioéléments.

Le 16 mai 2024, pour réaliser la maintenance d’une partie du circuit EAS, EDF ferme plusieurs vannes, dont celle qui donne accès au réservoir de soude et permet son injection dans le circuit d’aspersion. Un mois plus tard, lorsque les interventions sur cette partie du circuit sont terminées, toutes les vannes sont ouvertes, sauf celle du réservoir de soude.
Début juillet, EDF procède à la maintenance sur l’autre partie du circuit EAS. Et procède de même : il ferme toutes les vannes, puis les rouvrent toutes, sauf celle du réservoir de soude. Comme tous les circuits les plus importants, le circuit EAS est redondant : il est doublé, composé de 2 parties indépendantes l’une de l’autre qui remplissent la même fonction. Le but est d’avoir toujours une voie de secours disponible et utilisable en cas de problème ou de défaillance sur une partie du circuit. Sauf évidemment si EDF fait la même erreur sur les 2 parties du circuit et condamne les 2 réservoirs de soude.

Personne au sein des équipes de maintenance ne repérera le problème, pourtant assez logique : fermer toutes les vannes, puis toutes les ré-ouvrir, sauf celles des réservoirs de soude. Il faut dire que les équipes ont appliqué à la lettre les documents opérationnel guidant les interventions. Mais ceux-ci comportaient une erreur de consigne : ils ne mentionnaient pas qu’il fallait ré-ouvrir les 2 vannes donnant accès aux 2 réservoirs.
Comment une telle erreur a pu se glisser dans les documents pourtant vérifiés et validés par les services de l’exploitant ? Quand ceux-ci ont-ils été élaborés ? Pourquoi personne dans l’équipe d’intervention ne s’est posé la question d’une incohérence de configuration pourtant assez évidente ?

Ce n’est que le 22 juillet, lors des essais pour vérifier le bon fonctionnement du circuit EAS, que les équipes ont découvert le problème : l’injection de soude ne fonctionnait pas, sur aucune des 2 voies. Ils ont alors vérifié les positions des vannes, et ont trouvé les vannes des 2 réservoirs fermées. Ils les ont évidemment ré-ouvertes, et la conformité du circuit d’aspersion a été rétablie. Sauf que EDF a fait ce test un peu tard : le circuit était tenu d’être en parfait état de marche depuis plusieurs jours. EDF avait déjà redémarré son réacteur et fait monter en puissance la réaction nucléaire. Le circuit EAS était censé être pleinement opérationnel depuis le 18 juillet, mais aucune des 2 voies ne l’était. D’après les RGE, dans un tel cas, EDF avait 24 heures pour baisser la puissance de son réacteur. Mais ne s’en étant aperçu que 4 jours tard, forcément, il n’a pas pu respecter cette règle de sûreté [1].

Documents opérationnels erronés, absence d’analyse et de réflexion lors de l’exécution des activités, tests de vérifications qui arrivent trop tard... Pour avoir mis en péril le confinement de la radioactivité et avoir redémarré son réacteur nucléaire de manière un peu trop précipitée, EDF a déclaré à l’ASN un évènement significatif [2] pour la sûreté puisqu’il a augmenté le risque d’accident ou d’aggravation d’un incident dans son installation nucléaire.
Quid des erreurs de base qui ont sous-tendu cet incident direz-vous ? Quid des consignes incomplètes, de documents validés malgré leur consigné erronée, de l’absence de réflexion et de sens logique des équipes ? Pour ça, rien ne semble prévu. En tout cas, les communiqués d’EDF et de l’ASN ne le mentionnent pas.

L.B.

Ce que dit EDF :

Détection tardive du non-respect d’une spécification technique d’exploitation (STE) sur l’unité de production n°1

Publié le 26/07/2024

Evénement sûreté

Sur les centrales nucléaires, de nombreux systèmes sont doublés et situés sur deux « voies » différentes, A et B, séparées physiquement et électriquement l’une de l’autre, afin d’assurer la disponibilité d’une voie en cas de défaillance de la seconde. C’est le cas notamment du système de sauvegarde d’aspersion enceinte (qui consiste à asperger de l’eau à l’intérieur de l’enceinte de confinement du réacteur pour en maitriser la pression en cas d’accident).

Les 16 et 17 mai 2024, dans le cadre de l’arrêt programmé en cours, les équipes d’exploitation de la centrale de Civaux condamnent en position fermée des vannes d’isolement de réservoirs de soude sur les deux voies (A et B) de l’unité de production n°1, afin de réaliser la maintenance en toute sécurité. Les réservoirs de soude seraient utilisés pour limiter le relâchement de substances radioactives à l’intérieur l’enceinte de confinement en cas d’accident.

Le 18 juillet, dans le cadre des opérations de redémarrage de l’unité de production, les spécifications techniques d’exploitation (STE)  [3] requièrent la disponibilité des deux réservoirs à soude. Or, le 22 juillet, un essai périodique sur le circuit d’aspersion de l’enceinte de la voie A met en lumière un débit d’injection de soude non conforme aux règles d’exploitation.
Un contrôle est alors effectué sur le matériel par un agent de terrain, qui constate que la vanne est en position fermée. Il la remet immédiatement en conformité.

Par précaution, l’équipe décide de contrôler la position de cette même vanne sur la voie B et s’aperçoit qu’elle est également à tort en position fermée. Celle-ci est également immédiatement rouverte.

La fermeture simultanée de ces deux vannes a généré l’indisponibilité de l’injection de soude durant quatre jours. Or, la conduite à tenir décrite par les STE demande d’interrompre les opérations de montée en puissance et température de l’unité de production (dans le cadre du redémarrage) sous 24 heures dès lors que l’injection de soude est indisponible. L’aspersion en eau est, quant à elle, restée disponible sur les deux voies, permettant, en cas d’accident, la maitrise de la pression de l’enceinte.

En raison de sa détection (dite tardive car détectée a posteriori), la centrale nucléaire de Civaux a déclaré ce non-respect d’une spécification technique d’exploitation le 24 juillet à l’Autorité de sûreté nucléaire, comme événement significatif de sûreté de niveau 1 (anomalie) sur l’échelle INES, qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-civaux/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-civaux/detection-tardive-du-non-respect-dune-specification-technique-dexploitation-ste-sur-lunite-de-production-ndeg1


Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité totale du système d’injection de soude du système d’aspersion de l’enceinte du réacteur 1

Publié le 29/07/2024

Centrale nucléaire de Civaux Réacteurs de 1450 MWe - EDF

Le 25 juillet 2024, EDF a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif à la détection tardive de l’indisponibilité totale du système d’injection de soude du système d’aspersion de l’enceinte de réacteur 1.

Le circuit d’aspersion de l’enceinte (EAS) est un système de sauvegarde, constitué de deux voies redondantes, qui pulvérise de l’eau contenant de la soude dans l’enceinte du réacteur en cas d’accident, afin de diminuer la pression et la température à l’intérieur de l’enceinte et de diminuer la quantité d’iode radioactif présente sous forme de gaz.

Le 16 mai 2024, le réacteur 1 était à l’arrêt pour maintenance et rechargement en combustible. L’exploitant a fermé plusieurs vannes du système EAS afin d’effectuer des opérations de maintenance. À l’issue de celles-ci, le 20 juin, il a laissé fermée la vanne d’isolement du réservoir de soude d’une voie, comme le lui demandait à tort sa documentation opérationnelle. Le 1er juillet, il a répété cette erreur sur l’autre voie du système EAS. Lorsque cette vanne est fermée, le réservoir de soude n’est pas disponible.

A partir du 18 juillet, dans le cadre des opérations de redémarrage du réacteur, les deux réservoirs de soude EAS devaient être disponibles au titre des règles générales d’exploitation (RGE).

Le 22 juillet, l’exploitant a effectué un essai périodique du système EAS et a alors détecté que l’injection de soude ne fonctionnait pas.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement.

Toutefois, l’événement a affecté la fonction de sûreté liée au confinement du réacteur.

En raison de la détection tardive de l’indisponibilité totale du système d’injection de soude du système d’aspersion de l’enceinte de réacteur, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

Dès la détection de l’anomalie, l’exploitant a contrôlé le positionnement des vannes du système EAS et a ouvert les deux vannes qui n’auraient pas dû être fermées.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/detection-tardive-de-l-indisponibilite-totale-du-systeme-d-injection#close


[1La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[2Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[3Le pilotage d’un réacteur s’inscrit dans un cadre de prescriptions, parmi lesquelles les spécifications techniques d’exploitation (STE), qui recueillent l’ensemble des règles à respecter pour la conduite des installations.


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Installation(s) concernée(s)

Civaux

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