23 avril 2024
1 million, c’est le niveau de sous-estimation de l’irradiation dans l’usine de Saclay (Île-de-France) où CIS bio produit des éléments radioactifs. Les rayonnements dans les locaux doivent être en permanence surveillés, pour alerter en cas de problème et évacuer le personnel. Mais à plusieurs reprises et en raison de différentes erreurs qui n’ont pas été détectées durant des mois, les dispositifs de mesure ont été mis hors-d’usage.
La première fois ce fut en raison d’une erreur de paramétrage. Et pas une petite : le seuil était sous-estimé de 10 puissance 6, soit un million de fois en-deça de ce qu’il devait être. Autant dire que ces balises de surveillance, disposées dans un hall d’expédition, perdaient totalement leur efficacité. Elles n’auraient jamais donné l’alerte, même en cas de dépassement du niveau pré-requis. Ou alors, si elles l’avaient fait, cela signifiait que le niveau de rayonnement était un million de fois plus puissant que le seuil réglementaire.
Ces équipements de surveillance, essentiels à la radioprotection des travailleurs, sont classés parmi les plus importants de l’installation (ce sont des EIP, équipements importants pour la protection). À ce titre ils doivent être régulièrement contrôlés et correctement entretenus. Malgré tout, les balises équipant le hall d’expédition de Cis bio sont restées 6 mois ainsi mal réglées, de novembre 2022 à mai 2023.
À la détection de l’erreur de paramétrage au printemps 2023, une modification est appliquée pour corriger la sous-estimation des données transmises par les balises au centre de contrôle des rayonnements. Près d’un an après, en mars 2024, le contrôle annuel du bon fonctionnement des balises de l’installation montre que 15 d’entre-elles ne fonctionnent pas. Il s’avère que des redémarrages du centre de contrôle ont provoqué une réinitialisation, mais à une valeur erronée, du facteur correctif implanté pour corriger la sous-estimation des données transmises par les balises. On ne sait pas à quand remonte le premier redémarrage du système, donc combien de temps exactement ces 15 balises sont restées inopérantes. Le communiqué de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) fait mention de plusieurs mois.
Les travailleur·ses du hall d’expédition de l’usine de CIS bio à Saclay n’ont été protégé·es correctement des radiations que durant peu de temps sur plus d’une année et demie, la période entre novembre 2022 et mars 2024. Et ce en raison de différentes erreurs accumulées. C’est dire le peu de cas que l’industriel fait de la surveillance et de la prévention des risques auxquels il expose son personnel. Et de l’entretien qu’il fait de ses équipements, y compris lorsqu’ils sont identifiés comme importants.
Une chose est sûre, outre la qualité des interventions et de leur contrôle technique qui pose sérieusement question, la fréquence des vérifications du bon fonctionnement des équipements est clairement insuffisante pour permettre une détection rapide des erreurs de maintenance commises à répétition.
Rappelons que l’usine de CIS bio aux portes de Paris est tristement connue des autorités pour des manquements divers et variés depuis des années. L’ASN est allée jusqu’à la consignation financière et a déjà mis plusieurs fois en demeure son exploitant de se conformer à la réglementation, notamment concernant l’entretien des installations et le fonctionnement des dispositifs de protection, qu’il s’agisse du refroidissement des matériels, des dispositifs incendies ou, comme ici, de radioprotection (voir à droite de cet article pour consulter les derniers incidents survenus dans cette usine). Le gendarme du nucléaire précise à la fin de son communiqué qu’il a exigé que le niveau de déclaration de l’incident significatif [1] pour la (non)radioprotection soit rehaussé [2] et qu’il sera vigilant à ce que CIS bio tire les leçons de ses erreurs. Un exercice que l’industriel, malgré le temps qui passe, ne semble toujours pas capable de réussir.
L.B.
Défaut de surveillance de balises d’irradiation
Publié le 23/04/2024
Usine de production de radioéléments artificiels Fabrication ou transformation de substances radioactives - Cis-Bio
CIS bio international, exploitant de l’installation nucléaire de base (INB) n° 29 à Saclay, a déclaré à l’ASN les 2 juin 2023 et 22 mars 2024 deux événements significatifs pour la radioprotection relatifs à des défauts de surveillance des balises d’irradiation présentes dans certains locaux de l’installation.
La société CIS bio international exerce, dans son installation de Saclay, des activités de recherche et développement, de production et de distribution de produits radiopharmaceutiques et d’appareils à usage médical pour le diagnostic et la thérapie. L’installation est équipée de balises de surveillance permettant de mesurer le niveau d’irradiation présent à l’intérieur de locaux. L’information est transmise au local de supervision de l’établissement, au Tableau de contrôle des rayonnements (TCR). En cas de détection d’un niveau d’irradiation anormalement élevé, des alarmes sonores et visuelles alertent les opérateurs en local et ceux chargés de la surveillance présents dans le local de supervision. Des actions spécifiques en fonction de la situation rencontrée doivent être engagées (mise à l’état sûr des équipements et évacuation des locaux concernés par exemple). Les règles générales d’exploitation précisent que ces balises constituent des équipements importants pour la protection (EIP) participant à la maîtrise du risque d’exposition externe des personnels aux rayonnements ionisants.
En novembre 2022, une maintenance préventive comprenant une opération de remise à niveau matérielle de plusieurs balises afin notamment d’anticiper l’obsolescence de certains composants électroniques a été réalisée par le fournisseur des balises. Les modalités de qualification du matériel mises en œuvre après cette maintenance n’ont pas permis d’identifier une erreur qui se trouvait dans de paramétrage des équipements. Le débit d’équivalent de dose affiché au TCR et donc pris en compte pour l’émission des différentes alarmes étaient sous-estimé d’un facteur 10 puissance 6 pour trois balises d’irradiation situées au niveau du hall d’expédition de l’INB n° 29. Cela a fait l’objet d’un premier événement significatif déclaré à l’ASN le 2 juin 2023. Le paramétrage des balises a été revu dès la détection de l’événement en mai 2023 et un facteur correctif a été appliqué pour s’assurer de la transmission des valeurs de débit d’équivalent de dose exactes.
Le 11 mars 2024, lors du contrôle annuel de ces balises d’irradiation, l’exploitant a constaté que 15 balises renvoyaient une valeur fixe même en présence de la source radioactive utilisée pour vérifier leur fonctionnement. Ces balises sont situées soit au niveau du hall d’expédition soit en zone arrière (ZAR) du bâtiment 549. CIS bio international a indiqué que seules étaient concernées les balises ayant fait l’objet de la remise à niveau précitée. Les investigations menées par CIS bio international ont mis en évidence que les écarts rencontrés sont liés à des redémarrages du serveur informatique du TCR.
Ce redémarrage conduit notamment à une réinitialisation, à une valeur erronée, du facteur correctif des valeurs transmises par ces balises. De ce fait, certaines balises n’étaient plus en capacité de détecter les situations anormales sur une période de plusieurs mois.
Les 15 balises concernées ont été remises en conformité et requalifiées dès le 12 mars 2024.
Le suivi dosimétrique du personnel ne révèle pas à ce stade de surexposition du personnel du fait de ces événements. Toutefois, en raison de la détection tardive et de la répétition de défaillances dans la qualification d’équipements participant à la maîtrise du risque d’irradiation et importants pour la protection (EIP), l’événement déclaré le 22 mars 2024 a été reclassé le 9 avril 2024 à la demande de l’ASN au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
L’analyse des événements déclarés le 2 juin 2023 et le 22 mars 2024, et notamment la recherche des causes profondes est encore en cours. L’ASN a néanmoins contacté le fournisseur des balises concernées, qui réalise également les opérations de remise à niveau, pour s’assurer que ces situations ne concernent pas d’autres équipements présents sur d’autres installations nucléaires. Le caractère générique de ces événements est à ce stade écarté. L’ASN sera attentive à l’identification des défaillances ayant conduit à ces événements et aux actions correctives qui seront mises en place. Elle veillera à ce que CIS bio international réalise un retour d’expérience intégrant les spécificités de chaque événement.
[1] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[2] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES