13 avril 2022
Difficile de croire que l’exploitant d’une des plus dangereuse installation industrielle puisse accumuler autant d’erreurs sur un même évènement. Et pourtant. Une pièce montée à l’envers sur un circuit essentiel durant l’arrêt du réacteur 5 du Bugey (Ain) pour sa 4ème visite décennale, les essais matériels qui ne détectent pas le problème de fonctionnement induit, des réparations qui prennent trop de temps, un réacteur piloté sur la base d’erreurs d’interprétation des règles à suivre révélant de profondes lacunes dans les connaissances des principes de base du pilotage et de la sûreté nucléaire [1] ... EDF a cumulé les bévues à tous les niveaux et a déclaré, très discrètement, les 12 et 13 avril 2022, 2 incidents significatifs pour la sûreté [2].
En septembre 2021, durant l’arrêt du réacteur 5 du Bugey pour sa 4ème visite décennale, un arrêt pourtant censé améliorer la sûreté de l’installation nucléaire, une pièce a été montée à l’envers sur une pompe du circuit ASG, un circuit essentiel pour le refroidissement du réacteur. Les essais matériels qui ont ensuite été faits sur cette pompe n’ont pas détecté le problème de fonctionnement induit et la pompe a été qualifiée apte au service. Lorsque EDF s’est aperçu le 8 avril 2022 que le débit d’eau dans le circuit en question était en dessous du minimum requis pour permettre le refroidissement nécessaire du réacteur, il était trop tard : la réaction nucléaire dans le cœur avait été lancée, ce circuit ASG devait pouvoir fonctionner parfaitement depuis déjà plusieurs semaines (le 31 janvier). Détection tardive d’une indisponibilité matérielle causée par un manque de qualité de maintenance. Première série de problèmes, première déclaration d’incident.
Les réparations sont initiées mais le délai imposé, trois jours, est insuffisant : très vite EDF se rend compte qu’il lui faudra bien plus que le temps réglementaire pour réparer la pompe et retrouver un débit d’eau suffisant sur le circuit ASG. EDF pilote alors son réacteur nucléaire pour en baisser la puissance, mais il se trompe sur les règles à suivre : dans l’état où il amène son réacteur nucléaire, le circuit ASG, qui sert notamment au refroidissement lors des arrêts et des redémarrages, est encore nécessaire. Non seulement EDF n’a pas été capable de réparer dans un délai raisonnable le problème qu’il a lui-même généré par sa maintenance de mauvaise qualité, mais de surcroît il s’est trompé dans les règles à suivre, démontrant ainsi sa profonde méconnaissance des principes de conduite de son réacteur nucléaire : il a amené le réacteur dans un état où le circuit de refroidissement dysfonctionnant était encore nécessaire. Nouvelles erreurs, seconde déclaration d’incident.
Erreur de montage, tests matériels inefficaces, redémarrage du réacteur avec un débit insuffisant sur un circuit servant à son refroidissement, détection tardive du débit insuffisant dans le circuit servant au refroidissement, réparation trop longue, manque d’anticipation, méconnaissance et incompréhension des règles de conduite démontrant des lacunes profondes quant aux bases de la sûreté nucléaire... EDF a cumulé les bévues à tous les niveaux. L’industriel a déclaré très discrètement, en un seul communiqué publié le 15 avril 2022, 2 incidents significatifs [1] pour la sûreté [2].
L.B.
Détection tardive de l’indisponibilité d’une pompe du système d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG) et dépassement du délai autorisé par les règles d’exploitation pour la réparation de la pompe du réacteur n°5.
Publié le 15/04/2022
Evénement sûreté
L’unité de production n°5 est à l’arrêt pour sa 4ème visite décennale.
Le 27 septembre 2021, une opération de maintenance est réalisée sur une pompe du circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG) [3]. La requalification intrinsèque du matériel qui est faite ne met en évidence aucune anomalie. La pompe est déclarée disponible en attendant sa requalification fonctionnelle qui doit être réalisée lors du redémarrage du réacteur.
Le 31 janvier 2022, dans le cadre du programme d’arrêt pour maintenance, des seuils de température et de pression du circuit primaire sont atteints. La disponibilité de la pompe du circuit ASG précitée est requise par les spécifications techniques d’exploitation.
Le 8 avril 2022, durant le redémarrage du réacteur, la requalification fonctionnelle de la pompe est réalisée lors d’un essai périodique. Les équipes de la centrale constatent que le débit global du circuit ASG est plus faible que celui requis dans les règles générales d’exploitation du réacteur.
La pompe est aussitôt déclarée indisponible. Les investigations menées ne permettent pas de trouver une solution immédiate pour retrouver la disponibilité de la pompe. Les équipes engagent alors une baisse de puissance du réacteur, pour atteindre des critères de température et de pression du circuit primaire ne nécessitant pas le recours aux générateurs de vapeur pour le refroidir. Les analyses démontrent qu’une pièce de la pompe présentant un défaut doit être remplacée. La réparation de la pompe a été engagée.
Le 12 avril 2022, la pompe du circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur [4], défaillante depuis le 8 avril 2022, n’étant pas réparée, le délai de réparation de 3 jours, autorisé par les spécifications techniques d’exploitation, est alors dépassé. L’expertise de la pompe démontre que les réparations nécessitent plus de 3 jours d’intervention.
Les spécifications techniques d’exploitation ne nécessitaient pas de repli du réacteur pour cet événement. Les équipes d’EDF ont engagé une baisse de puissance du réacteur, pour atteindre des critères de température et de pression du circuit primaire ne nécessitant pas le recours aux générateurs de vapeur pour assurer son refroidissement.
Cet événement n’a pas eu d’impact réel sur la sûreté de l’installation. La centrale nucléaire du Bugey a déclaré deux événements significatifs pour la sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES, graduée de 0 à 7. Le premier le 12 avril 2022 en raison de la détection tardive de l’indisponibilité de la pompe et le second le 13 avril 2022 en raison du dépassement du délai de réparation de la pompe prescrit par les spécifications techniques d’exploitation.
Les unités de production n°2, 4 et 5 sont en arrêts programmés. L’unité de production n°3 est en fonctionnement et alimente le réseau d’électricité.
Publié le 15/04/2022
Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 12 avril 2022, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à la détection tardive de l’indisponibilité de la turbopompe du système d’alimentation de secours des générateurs de vapeur du réacteur 5 de la centrale nucléaire du Bugey.
Le circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG) est utilisé en cas de défaillance de l’alimentation normale en eau afin d’assurer le refroidissement du réacteur. Il est également utilisé lors des phases de démarrage et de mise à l’arrêt du réacteur. Le circuit ASG comprend deux voies redondantes (voies A et B). Il comporte deux motopompes alimentées électriquement et, en redondance, une turbopompe entraînée par une turbine à vapeur.
Le 8 avril 2022, le réacteur 5 était en cours de redémarrage à l’issue de sa 4ème visite décennale. Lors d’un essai périodique de redémarrage, l’exploitant a détecté que le débit de la turbopompe du système ASG était insuffisant, ce qui l’a conduit à la considérer indisponible. En application des spécifications techniques d’exploitation (STE) en cas d’indisponibilité de la turbopompe du système ASG, EDF a engagé le repli du réacteur le 9 avril 2022.
Les investigations menées par EDF ont mis en évidence qu’une pièce de la turbopompe du système ASG était montée à l’envers. Cette pièce avait été remplacée au cours de la 4ème visite décennale du réacteur 5 en septembre 2021. Par conséquent, la turbopompe du système ASG était indisponible depuis le 31 janvier 2022, date à partir de laquelle elle était requise par les STE, au cours du redémarrage du réacteur 5.
Cet événement n’a eu aucune conséquence sur l’installation, l’environnement, ou le personnel. Toutefois, compte tenu de la détection tardive de la turbopompe du circuit ASG requise par les spécifications techniques d’exploitation, il a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
Publié le 22/04/2022
Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 13 avril 2022, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect du délai de réparation de la turbopompe du système d’alimentation de secours des générateurs de vapeur du réacteur 5 de la centrale nucléaire du Bugey. Cet événement fait suite à celui déclaré la veille relatif à la détection tardive de l’indisponibilité de cette turbopompe
Le circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG) est utilisé en cas de défaillance de l’alimentation normale en eau afin d’assurer le refroidissement du réacteur. Il est également utilisé lors des phases de démarrage et de mise à l’arrêt du réacteur. Le circuit ASG comprend deux voies redondantes (voies A et B). Il comporte deux motopompes alimentées électriquement et, en redondance, une turbopompe entraînée par une turbine à vapeur.
En cas d’indisponibilité de la turbopompe du système ASG, les spécifications techniques d’exploitation (STE) prescrivent le repli du réacteur dans l’état standard AN/GV (arrêt normal sur les générateurs de vapeur) aux conditions de connexion du circuit de refroidissement du réacteur à l’arrêt (RRA). Cette conduite a été initialement respectée par l’exploitant. Dans cet état standard, la turbopompe du circuit ASG reste requise par les STE, qui prescrivent sa réparation sous 3 jours. En revanche, dans l’état standard API-SO (arrêt pour intervention avec le circuit primaire suffisamment ouvert), la disponibilité de la turbopompe du système ASG n’est plus requise par les STE.
A compter du 9 avril 2022, à la suite du repli du réacteur 5 engagé en application des STE en cas d’indisponibilité de la turbopompe du système ASG, l’exploitant disposait donc d’un délai de 3 jours pour effectuer sa réparation et retrouver sa disponibilité. Dès le 10 avril 2022, les investigations menées sur la turbopompe du circuit ASG ont montré que le délai de réparation imposé par les STE ne pourrait pas être respecté. EDF a alors décidé d’amener le réacteur 5 dans l’état standard AN/RRA, état dans lequel les STE prescrivent toujours une réparation sous 3 jours.
A partir du 12 avril 2022, la situation du réacteur 5 était donc non-conforme aux STE dans la mesure où la turbopompe du système ASG était toujours indisponible et que le réacteur n’avait pas été amené dans un état standard dans lequel elle n’était plus requise.
Le 12 avril 2022, l’ASN a mené une inspection réactive afin de questionner la gestion de l’événement et les décisions prises par l’exploitant pour rétablir la disponibilité de la turbopompe du circuit ASG et replier le réacteur. L’ASN a constaté que les décisions prises ont conduit à un dépassement du délai de réparation de la turbopompe du circuit ASG du réacteur 5, sans que le réacteur n’ait été conduit vers un état dans lequel la turbopompe n’aurait plus été plus requise. La réparation de la turbopompe s’est terminée le 15 avril 2022.
En l’absence de situation nécessitant l’utilisation de la turbopompe du circuit ASG entre le 12 et le 15 avril 2022, cet événement n’a eu aucune conséquence sur l’installation, l’environnement, ou le personnel. Toutefois, compte tenu du non-respect prolongé du délai de réparation de la turbopompe du circuit ASG imposé par les STE, mettant en évidence des lacunes de culture de sûreté, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
En savoir plus :
Inspection du 12/04/2022 - Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF : Conduite normale - INSSN-LYO-2022-0835.pdf (PDF - 488.63 Ko )
[1] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire
[2] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif
[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif
[4] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire
[5] Les générateurs de vapeur sont des échangeurs thermiques entre l’eau du circuit primaire, portée à une température et une pression élevées dans le cœur du réacteur et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Le circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG) intervient en cas de défaillance du circuit d’alimentation normale des générateurs de vapeur pour évacuer la puissance résiduelle du cœur du réacteur et refroidir le circuit primaire. Ce circuit est équipé de plusieurs systèmes de pompes redondantes.
[6] ASG : Le circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur a pour rôle d’alimenter en eau les générateurs de vapeur et ainsi évacuer la chaleur dégagée par le réacteur en cas d’indisponibilité du circuit d’eau normal et lors des phases d’arrêt du réacteur.