Faire un don

Des accidents nucléaires partout

France : Bugey : Erreur sur le réacteur 5 passée inaperçue malgré son enjeu pour la sûreté

La régulation de la réaction nucléaire impactée




8 mars 2022


Le communiqué d’EDF en dit peu. Une erreur a été commise lors d’une intervention sur le réacteur 5 de la centrale du Bugey (Ain) mais n’a pas été détectée. Cette erreur a provoqué une dérégulation de l’apport en bore dans le cœur du réacteur, alors que c’est ce système qui permet de contrôler et si besoin d’étouffer la réaction nucléaire.


Dans un réacteur nucléaire, il y a 2 moyens principaux pour réguler la réaction nucléaire lorsqu’elle est en cours dans la cuve : injecter plus de bore dans l’eau du circuit primaire qui refroidit le combustible ou insérer dans les grappes de commandes dans la cuve. Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, absorbe les neutrons. C’est grâce à cette capacité qu’il est possible de modérer la réaction nucléaire en chaîne qui se produit dans la cuve des réacteurs. La régulation du bore dans le circuit primaire, tout comme le bon fonctionnement des grappes de commande sont donc 2 fonctions essentielles pour qui veut contrôler une réaction nucléaire.

À Bugey, une intervention sur le réacteur 5 a eu lieu en 2021 sur le circuit qui injecte de le bore dans le circuit primaire. EDF ne précise pas quand ni dans quel cadre, mais ce réacteur est arrêté depuis le 31 juillet 2021 pour sa 4ème visite décennale, un grand programme de vérifications et de remise en conformité des équipements. Il est donc probable que ce soit lors de cet arrêt, censé rendre le réacteur plus sûr et réduire le risque d’accident, que l’erreur ait été commise. L’intervention a consisté à remplacer un capteur de débit de l’injection d’eau borée. Les contrôles réalisés une fois le remplacement effectué n’avaient pas détecté d’anomalie précise EDF. Pourtant, le 13 février 2022, alors que le réacteur 5 doit bientôt redémarrer, un problème survient : le taux de bore dans les circuits ne se maintient pas au niveau attendu. Il passe en dessous du minimum requis.

Si le taux de bore est trop bas, qu’il varie tout seul sans que l’exploitant ne sache pourquoi, sa capacité à garder le contrôle de la puissance de la réaction nucléaire est sérieusement compromise. Les règles de conduite de l’installation imposent d’ailleurs de couper toutes les arrivées d’eau et d’isoler le circuit primaire sous une heure dans un tel cas. Car le risque d’un niveau de bore trop bas dans le circuit primaire est que la réaction nucléaire s’emballe. La puissance dégagée peut alors augmenter très rapidement et devenir trop importante pour être contrôlée.

Ce n’est que le 2 jours plus tard, le 19 février, qu’EDF trouvera d’où vient le problème : le capteur changé en 2021 ne fonctionne pas. Il ne mesurait pas correctement le débit d’eau borée qui est injectée dans le circuit primaire. Le circuit en question est coupé, "le temps de solutionner la problématique". EDF n’en dira pas plus. Ni sur les suites, ni sur les origines de l’incident. L’intervention de remplacement du capteur a-t-elle été contrôlée comme il se devait ? Les tests de bons fonctionnement ont-ils été réalisés correctement ? Étaient-ils adaptés ? Comment se fait-il que malgré l’enjeu de sûreté associé à l’injection de bore et l’arrêt pour visite décennale, le problème n’ait été découvert que bien après  ? Et quelle solution a trouvé EDF alors qu’il a fallu priver le réacteur nucléaire d’un des 2 moyens principaux pour le contrôler ?

EDF a déclaré les faits aux autorités de contrôles en tant qu’évènement significatif pour la sûreté le 4 mars. Le public lui n’a été informé que le 8 mars. À cette date, le réacteur 5 n’a pas encore redémarré. Une chose est sûre : les réparations d’EDF et les examens censés vérifier la conformité des équipements ne sont pas fiables. ce manque de fiabilité, qui ne devrait pas avoir sa place les activités industrielles, est particulièrement risqué lorsqu’il s’agit des systèmes permettant de contrôler la puissance d’un réacteur nucléaire. Est-ce la raison pour laquelle le communiqué d’EDF reste vague ?

Ce que dit EDF :

Indisponibilité d’un capteur de débit d’injection d’eau borée ayant conduit au non-respect d’une spécification technique d’exploitation

Publié le 8 mars 2022

Le 13 février 2022 après-midi, les équipes de la centrale réalisent un appoint en bore [1] dans un réservoir de l’unité de production n°5, à l’arrêt pour la réalisation de sa 4ème visite décennale. Elles constatent, dans les heures qui suivent, une anomalie sur le maintien du niveau de concentration en bore.

Le 15/02, les analyses réalisées par l’exploitant concluent au dysfonctionnement d’un capteur de débit de l’injection en eau borée. Ce capteur avait été remplacé en 2021 et les contrôles n’avaient pas montré d’anomalie. Le capteur est alors déclaré indisponible et la ligne d’injection en eau borée est isolée et condamnée le temps de solutionner la problématique.

Bien que la détection et l’analyse par l’exploitant aient été rapides, la conduite à tenir pour cette indisponibilité, précisée dans les spécifications techniques d’exploitation qui demandent à isoler toutes les arrivées d’eau dans le circuit primaire sous un délai d’1 heure lorsque la concentration en bore est inférieure aux pré requis d’exploitation, n’a pas été respectée.

La centrale a déclaré, auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire, un événement significatif sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES, le 4 mars 2022.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-bugey/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-bugey/indisponibilite-dun-capteur-de-debit-dinjection-deau-boree-ayant-conduit-au-non-respect-dune-specification-technique-dexploitation


Ce que dit l’ASN :

Indisponibilité d’un capteur de débit d’injection d’acide borique du système d’appoint en eau borée du réacteur 5

Publié le 21/03/2022

Le 4 mars 2022, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à l’indisponibilité d’un capteur de débit d’injection d’acide borique du système d’appoint en eau borée du réacteur 5 de la centrale nucléaire du Bugey.

La réaction nucléaire est contrôlée par :

- les grappes de commande, qui sont insérées ou extraites du combustible contenu dans la cuve du réacteur ;

- le bore, qui est un élément chimique introduit dans l’eau du circuit primaire et qui a la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire.

Le système d’appoint en eau borée (REA) a pour fonction principale de faire l’appoint en eau et en bore du circuit primaire afin de contrôler la réaction nucléaire.

Lorsque le réacteur est à l’arrêt et refroidi par le circuit de refroidissement à l’arrêt (RRA), une prescription particulière des règles générales d’exploitation (RGE) relative à la position des grappes de commande impose l’isolement de toutes les arrivées d’eau à une concentration en bore inférieure à 2385 ppm, pour éviter la dilution du bore présent dans le circuit primaire. Le 13 février 2022, au cours du redémarrage du réacteur 5 dans le cadre de sa quatrième visite décennale, cette prescription particulière a été mise en place.

Le 15 février 2022, lors d’un essai de borication, l’exploitant a détecté une incohérence sur la valeur de débit d’injection d’acide borique retransmise par un capteur du système REA. Ce capteur entrant dans la régulation de l’injection en eau borée vers le circuit primaire, il ne pouvait plus être garanti l’absence d’arrivée d’eau à une concentration en bore inférieure à 2385 ppm imposée par la prescription particulière évoquée ci-avant.

Dès la détection de la défaillance de ce capteur, l’exploitant a stoppé l’injection d’eau par le système REA. Le capteur a ensuite été remis en conformité.

Cet événement n’a eu aucune conséquence sur l’installation, l’environnement, ou le personnel. Toutefois, compte tenu du non-respect d’une prescription particulière des RGE, il a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/indisponibilite-d-un-capteur-de-debit-d-injection-d-acide-borique


[1Le bore est un élément chimique utilisé dans les réacteurs de centrales nucléaires comme ralentisseur ou absorbeur de neutrons lents. Mélangé à l’eau du circuit primaire, il permet de contrôler les réactions thermonucléaires.


La surveillance des installations nucléaires au quotidien ? C’est grâce à vos dons que nous pouvons la mener !
Pour surveiller au jour le jour les incidents dans les installations nucléaires, les décrypter et dénoncer les risques permanents qui sont trop souvent minimisés - voire cachés par les exploitants, nous mobilisons tout au long de l’année des moyens humains et techniques.
Pour continuer ce travail de lanceur d’alerte et donner, au plus proche de leur survenue, des informations sur les inquiétants dysfonctionnements d’un parc nucléaire vieillissant, nous avons besoin de votre soutien financier !

Faire un don



Installation(s) concernée(s)

Bugey

Nombre d'événements enregistrés dans notre base de données sur cette installation
151