12 décembre 2019
Un problème de niveau d’eau dans le pressuriseur, un clapet pas étanche depuis des mois, un débit d’injection d’eau borée pas garanti, un repli du réacteur pas fait dans les temps et une détection plus que tardive : le nouvel incident déclaré par la direction de la centrale du Bugey (Ain) début décembre 2019 révèle une cascade de manquements.
Manque de rigueur, défaut de surveillance de son installation nucléaire, mauvais entretien des équipements, contrôles et analyses plus que tardifs... Si ce nouvel évènement significatif pour la sûreté est classé au niveau 1 de l’échelle INES [1] en raison du non respect des spécifications techniques censées régir l’exploitation de la centrale nucléaire du Bugey, le déroulé des faits ayant conduit à sa survenue montre clairement la manière dont EDF "gère" ses centrales nucléaires.
Tout commence le 3 décembre 2019. Le réacteur 5 du Bugey est en fonctionnement. Les équipes en charge de sa conduite ont des problèmes pour maintenir le niveau d’eau requis dans le pressuriseur [2], ce gros composant qui permet de maintenir sous pression l’eau du circuit primaire et d’éviter qu’elle ne se mette à bouillir et s’évapore (ce qui générerait des bulles d’air dans le circuit primaire, très mauvais pour la maîtrise de la réaction nucléaire, et une baisse du niveau d’eau, très mauvais pour le refroidissement du combustible et l’évacuation de la puissance du réacteur nucléaire). C’est alors qu’il est découvert qu’un clapet (une sorte de valve ou de soupape) n’est pas étanche ("ne se ferme pas complètement" dira EDF), alors qu’il devrait bien évidemment l’être. Il faudra 4 jours à EDF pour analyser les conséquences de cette non étanchéité : impossible de garantir un débit suffisant sur le circuit d’injection de sécurité [3]. Embêtant puisque c’est ce circuit (dit RIS) qui permet d’injecter de l’eau additionnée de bore [4] dans le circuit primaire [5] afin de stopper la réaction nucléaire et de refroidir le cœur du réacteur en cas de problème.
D’où vient cette inétanchéité ? On ne sait pas, ni l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ni EDF ne dit mot sur son origine. Maintenance mal faite, ou pas faite ? Contrôles oubliés, ou faits avec légèreté ? Quoiqu’il en soit, ce problème de clapet qui ne se ferme pas complètement date d’avril 2019, soit pas moins de 10 mois au moment où elle est découverte par EDF.
Petite cerise sur le gâteau - comme si ce n’était pas suffisant en terme de manquements - en cas d’indisponibilité, même partielle, du circuit d’injection de sécurité, un repli du réacteur doit être engagé sous 3 jours. Ce système RIS est tellement important que s’il ne fonctionne pas correctement et ne peut pas être réparé dans les délais, la température et la pression du circuit primaire doivent être baissées. EDF avait 3 jours pour le faire. Sauf que, puisque le clapet ne se fermait plus depuis avril, mais que l’inétanchéité n’a été découverte que début décembre, le délai de 3 jours fixé par les spécifications techniques d’exploitation pour engager le repli du réacteur a été largement dépassé. L’exploitant de la centrale du Bugey a donc laissé fonctionner un de ses réacteurs nucléaires pendant 10 mois avec un circuit essentiel à moitié hors-service, et ne le savait même pas. Alors oui, le circuit RIS est redondant, il a 2 voies. Mais si les avaries matérielles ne sont pas décelées sur l’une, quelles garanties que l’autre ne soit pas dans le même état ?
L’exploitant n’aura finalement déclaré l’évènement que le 10 décembre 2019, soit une semaine après la découverte de l’inétanchéité du fameux clapet. Une semaine d’analyses et de recherches pour identifier l’origine et évaluer les conséquences de ses manquements. Ce qu’EDF nomme "anomalie" n’a pas eu de conséquences sur le personnel ni sur l’environnement nous dit l’ASN. Et pour la sûreté ?
L.B.
Indisponibilité d’un des circuits d’injection de sécurité
Publié le 12/12/2019
Le 3 décembre 2019, l’unité n°5 est en production. Les équipes en charge de son pilotage constatent qu’un clapet situé sur une tuyauterie du circuit qui alimente le système d’injection de sécurité [6] ne se ferme pas complètement.
Des analyses successives sont réalisées et concluent, le 7 décembre, que le mauvais fonctionnement de ce clapet ne permet pas de garantir l’efficacité d’un des circuits d’injection de sécurité. Ce circuit est donc déclaré indisponible. Des investigations complémentaires sont menées par les équipes EDF et permettent de conclure que le circuit d’injection de sécurité concerné n’était plus pleinement opérationnel depuis le mois d’avril dernier. Le clapet est aussitôt réparé et le circuit d’injection de sécurité est de nouveau disponible le 8 décembre.
Cet événement n’a eu aucune conséquence sur la sécurité des salariés ou sur l’environnement. En cas de besoin, un deuxième circuit d’injection de sécurité complémentaire était disponible et aurait garanti la fonction de sûreté attendue [7] .
La direction de la centrale nucléaire de Bugey a déclaré le 10 décembre 2019 un événement significatif sûreté de niveau 1 [8] à l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Détection tardive d’un non-respect des spécifications techniques d’exploitation du réacteur 5 de la centrale nucléaire du Bugey
Publié le 17/12/2019
Centrale nucléaire du Bugey - Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 10 décembre 2019, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à l’indisponibilité prolongée d’une des deux voies de l’injection de secours haute pression du réacteur 5.
Le 3 décembre 2019, le service conduite a identifié une problématique de maintien du niveau d’eau dans le pressuriseur, due à l’inétanchéité d’un clapet.
Les manœuvres d’exploitation n’ayant pas permis de restaurer l’étanchéité du clapet concerné, EDF a analysé les conséquences de cette anomalie. Il s’est avéré que, dans ces conditions, les débits du système d’injection de sécurité haute pression ne pouvaient pas être garantis, conduisant à considérer que la fonction d’injection de sécurité était partiellement indisponible.
La conduite à tenir dans cette situation, définie par les spécifications techniques d’exploitation, consiste à corriger l’anomalie ou à amorcer le repli du réacteur sous 3 jours. Le site a procédé à la réparation du clapet avant l’expiration du délai fixé, permettant de rétablir totalement la fonction d’injection de sécurité.
EDF a poursuivi ses investigations pour identifier l’origine de la défaillance d’étanchéité du clapet concerné, qui ont montré que ce clapet était inétanche depuis le mois d’avril 2019, conduisant depuis à l’indisponibilité partielle de l’injection de sécurité.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur le personnel ou l’environnement.
Toutefois, la détection tardive du problème technique sur le clapet concerné a conduit à une durée de l’événement supérieure au délai d’amorçage du repli du réacteur, prévu par les spécifications techniques d’exploitation. Pour cette raison, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
[1] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES
[2] Le pressuriseur est un gros composant forgé qui mesure 14 m de haut et pèse plus de 140 tonnes à vide. Le pressuriseur est un réservoir de forme cylindrique, dont la fonction est de réguler la pression du circuit primaire. https://www.asn.fr/Lexique/P/Pressuriseur
[3] Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur https://www.asn.fr/Lexique/R/RIS
[4] Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne https://www.asn.fr/Lexique/B/Bore
[5] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. https://www.asn.fr/Lexique/R/RIS
[6] Le circuit d’injection de sécurité permettrait, en cas d’incident, d’introduire un mélange d’eau et de bore sous pression dans le circuit primaire pour arrêter la réaction nucléaire et assurer le refroidissement du cœur.
[7] Dans une centrale nucléaire, les systèmes permettant de garantir les fonctions de sûreté des installations sont dédoublés en une voie A et une voie B qui peuvent chacune assurer de manière indépendante les fonctions de refroidissement des réacteurs en cas de défaillance d’une des deux voies (les systèmes sont dits « redondants »).
[8] Le niveau 1 sur l’échelle internationale des événements nucléaires correspond à une « Anomalie »