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Des accidents nucléaires partout

France : Blayais : Incident lors du redémarrage du réacteur 1

EDF met plus de 4 heures à comprendre les règles et à les appliquer




3 septembre 2021


27 août 2021, le réacteur 1 de la centrale nucléaire du Blayais (Nouvelle Aquitaine) redémarre après un mois d’arrêt pour travaux. Une alarme se déclenche : le système qui mesure l’activité dans la cuve est en partie HS. L’industriel aux commandes de la machine nucléaire mettra plus de 4 heures à réaliser que dans un tel cas, un système d’appoint doit être raccordé pour pouvoir arrêter la réaction nucléaire.


Il parait logique en effet qu’en cas de panne du système qui surveille en temps réel la réaction nucléaire en chaîne [1] en cours dans la cuve, il faille mettre le paquet sur les systèmes qui permettent l’arrêt en urgence de cette réaction nucléaire [2] . Encore plus lorsque le réacteur est en phase de redémarrage, c’est à dire que cette réaction en chaîne s’accélère et que le réacteur monte en puissance. Et encore plus lorsque les grappes de commandes permettant l’arrêt de la réaction nucléaire ont été insérées dans la cuve sans que leur temps de chute n’ait été calculé et que certaines ne sont pas dans la bonne position.

Malgré un enjeu de sûreté évident lié à la réactivité, les équipes d’EDF ont mis plus de 4 heures pour analyser, comprendre la situation et pour agir. Quatre heures au lieu d’une. Pour détecter d’une part qu’ils ne savaient pas combien de temps mettraient les grappes de commande pour stopper la réaction nucléaire et mettre en œuvre les procédures attendues dans ce cas là, notamment raccorder un réservoir d’eau contenant du bore, un produit absorbant les neutrons  [3]. . Le bore, rajouté sous forme dissoute dans le circuit primaire, et les grappe de commande qui sont insérées dans la cuve du réacteur sont les 2 seuls moyens dont dispose EDF pour ralentir et stopper la réaction nucléaire  [4].

Que les équipes en charge de piloter le réacteur aient mis plus de 4 heures à réagir dans une telle situation est pour le moins surprenant. Comment est-il possible quand on conduit un réacteur nucléaire de ne pas saisir en saisir le fonctionnement et les risques ? Comment est-il possible de mettre plus de 4 heures pour comprendre que la situation nécessite de mettre en place des mesures afin de compenser la perte d’informations et de surveillance de l’activité nucléaire due à la panne matérielle et à l’absence d’information sur le temps que mettra la réaction nucléaire à s’arrêter ? D’ailleurs, comment se fait-il qu’après plusieurs semaines d’arrêt pour travaux  [5] , une panne survienne sur un des systèmes clé du réacteur ? Et pourquoi ne pas avoir calculé le temps de chute des grappes de commande avant ?

Autant de questions qui ne trouveront pas réponse dans la communication d’EDF, dont certains éléments sont même absents : c’est l’ASN qui informe sur le fait qu’EDF ne connaissait pas le temps de chute des grappes de commandes permettant l’arrêt de la réaction nucléaire au moment des faits. L’industriel se contente d’annoncer que l’évènement a été considéré comme significatif [6] pour la sûreté [7] et classé au niveau 1 de l’échelle INES [8] , pour "détection tardive du non-respect d’une consigne spécifique d’exploitation". Que les pilotes d’un réacteur nucléaire aient mis plus de 4 heures à comprendre la situation et les règles à suivre lorsqu’ils n’ont plus d’informations sur ce qu’il est en train de se passer dans la cuve, alors même que la réaction nucléaire est en phase d’accélération, n’a pourtant rien d’une petite consigne anecdotique dans une situation anodine. Et que la machine nucléaire redémarre avec des pannes sur ses systèmes de surveillance de l’activité de son cœur radioactif n’est pas non plus dénudé d’importance.
Avec ce nouvel incident, EDF se montre en industriel qui va manifestement un peu trop vite dans les travaux et les vérifications de ses équipements, et un peu trop lentement quant il s’agit de comprendre une situation, d’en analyser les tenants et les aboutissants et de suivre les règles associées. Cette manière de faire est-elle compatible avec l’exploitation d’une industrie aussi risquée ? EDF est-il en capacité de maîtriser ce qu’il se passe dans ses réacteurs nucléaires et de faire face, rapidement et efficacement, à toutes les situations qui peuvent se présenter ?

Ce que dit EDF :

Non-respect d’une consigne spécifique d’exploitation lors des opérations de redémarrage de l’unité de production n°1

Evénement sûreté

Publié le 03/09/2021

Le 27 août 2021, l’unité de production n°1 est en cours de redémarrage. À 8h20, un signal intempestif provoque, pendant 30 minutes, l’indisponibilité d’une partie du système de mesure du flux neutronique du réacteur à l’arrêt.

Les spécifications techniques d’exploitation exigent, dans ce cas de figure, de connecter la pompe du système de contrôle chimique du circuit primaire vers un réservoir d’appoint en eau borée [9]. Cette conduite à tenir, associée à l’indisponibilité du système de mesure neutronique, n’est pas détectée immédiatement.

À 12h44, l’analyse de cet événement met en évidence le non-respect de cette spécification technique d’exploitation. La mise en configuration est immédiatement réalisée.

Cet événement n’a eu aucune conséquence sur la sûreté des installations. Toutefois, la détection tardive du non-respect d’une consigne spécifique d’exploitation a conduit la direction de la centrale nucléaire du Blayais à déclarer à l’Autorité de sûreté nucléaire, le 1er septembre 2021, un événement au niveau 1 de l’échelle INES [10] qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-blayais/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-blayais/non-respect-d-une-consigne-specifique-d-exploitation-lors-des-operations-de-redemarrage-de-l-unite-de-production-ndeg1


Ce que dit l’ASN :

Non-respect d’une spécification technique d’exploitation à la suite de la détection tardive de la position non conforme de grappes de commande

Publié le 15/10/2021

Centrale nucléaire du Blayais Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 1er septembre 2021, l’exploitant de la centrale nucléaire du Blayais a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à la détection tardive de la position non conforme de grappes de commande.

Les grappes de commande sont un des deux moyens principaux permettant de contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur (l’autre moyen étant l’ajustement de la concentration en bore dans l’eau du circuit primaire). Les grappes de commande contiennent des matériaux absorbant les neutrons. Leur insertion dans le cœur du réacteur permet de réguler sa puissance ou pour certains types de grappes de provoquer son arrêt. Ces dernières sont regroupées en groupes d’arrêt.

Les spécifications techniques d’exploitation sont un recueil de règles d’exploitation approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite associées. Elles prescrivent en outre les délais maximums de réparation en cas de dysfonctionnement de certains matériels.

Le 27 août 2021, le réacteur 1 de la centrale nucléaire du Blayais était en phase de redémarrage après son arrêt pour maintenance et rechargement en combustible. Des groupes d’arrêt ont été insérés dans le cœur du réacteur alors que leur temps de chute n’avait pas encore été mesuré à l’occasion des opérations de redémarrage. Cette situation est permise par les spécifications techniques d’exploitation à condition que toutes les chaînes de mesure de flux neutronique et les alarmes associées soient disponibles.

A la suite d’une perte de tension sur une chaîne de mesure du flux neutronique, l’exploitant a considéré cette chaîne comme indisponible. Toutefois, l’exploitant a mis environ 4 heures et demi à détecter que cette indisponibilité devait l’amener à considérer certains groupes d’arrêt comme n’étant pas dans la position requise. Dès l’écart détecté, l’équipe de quart de conduite a appliqué la conduite à tenir prévue par les spécifications techniques d’exploitation, qui aurait dû être mise en place sous une heure, consistant notamment à connecter les pompes du circuit de contrôle volumétrique sur le réservoir du système de refroidissement des piscines de combustible.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, l’événement a affecté la fonction de sûreté liée à la réactivité du réacteur. En raison de la détection tardive de la position non conforme de certains groupes d’arrêt, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

Après analyse par l’exploitant, un des relais électriques responsable du déclenchement de l’alarme de perte de tension a été remplacé. La disponibilité de la chaîne de mesure du flux neutronique a ainsi été rétablie, et l’écart concernant la position des groupes d’arrêt résorbé.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/non-respect-d-une-specification-technique-d-exploitation2


[1Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/Lexique/R/Reaction-en-chaine

[2 Réaction nucléaire  : processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/Lexique/R/Reaction-nucleaire

[3Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile https://www.asn.fr/Lexique/B/Bore

[4Pour contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur, l’exploitant dispose de deux moyens principaux : - ajuster la concentration de bore dans l’eau du circuit primaire, le bore ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire, - introduire les grappes de commande dans le cœur ou les en retirer, ces grappes de commande contiennent des matériaux absorbant les neutrons. II convient, en marche normale du réacteur, de maintenir certaines grappes à un niveau suffisant, fixé par les spécifications techniques, d’une part pour que leur chute puisse étouffer efficacement la réaction nucléaire en cas d’arrêt d’urgence, d’autre part pour assurer une bonne répartition du flux de neutrons.https://www.asn.fr/Lexique/G/Grappes-de-commande

[5Déconnexion de l’unité de production n°1 pour sa maintenance programmée

Samedi 31 juillet 2021, à 00h00, les équipes de la centrale du Blayais ont arrêté l’unité de production n°1 dans le cadre de son arrêt annuel pour maintenance programmée.

2300 intervenants sont mobilisés pour réaliser près de 2600 opérations de contrôles et de maintenance ainsi que le renouvellement d’un quart de son combustible. https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-blayais/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-blayais/deconnexion-de-l-unite-de-production-ndeg1-pour-sa-maintenance-programmee

[6Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif

[7La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[8INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES

[9Le bore est un produit chimique ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire. Mélangé à l’eau du circuit primaire principal, il participe ainsi au contrôle de la puissance du réacteur et, le cas échéant, à son arrêt

[10International Nuclear Event Scale


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Installation(s) concernée(s)

Blayais

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107