28 septembre 2020
Il a fallu l’insistance de l’Autorité de sûreté nucléaire pour qu’EDF déclare officiellement un évènement significatif pour l’environnement. Plus de trois mois après les faits, survenus début juin 2020 à la centrale de Belleville-sur-Loire (Centre - Val de Loire). EDF n’a pas collecté les eaux utilisées pour éteindre le feu qui a ravagé une zone d’entreposage de matériels. Les eaux se sont déversées directement dans un cours d’eau, sans traitement et sans analyses préalables. Il s’agit donc bien de "rejets d’effluents non maîtrisés", ce qui est contraire au code de l’environnement et à la réglementation en matière nucléaire. Non seulement l’exploitant n’a pas songé à récolter ces eaux avant la fin de l’incendie, mais qui plus est la vanne permettant d’interrompre le rejet ne marchait pas.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est venue sur place le 9 juin 2020. Et ses constats, dressés le 19 juin dans son rapport d’inspection étaient déjà sans appel. On peut y lire (page 2) :
"l’inspection a notamment permis de constater :
▸ qu’aucune analyse de risques ou étude de risque incendie n’avait été réalisée pour cette installation ;
▸ qu’au moment de l’arrivée sur site des secours extérieurs, vous n’étiez pas en mesure d’indiquer les matériels entreposés dans ce bâtiment ;
▸ que la majeure partie des eaux résultant de l’extinction de l’incendie ont été rejetées au niveau du ru d’eau « la Balance » sans aucun contrôle préalable, attendu que les vannes de confinement du réseau de collecte ont été fermées plus de 30 minutes après la fin de l’arrosage par les secours extérieurs."
Et un peu plus loin (page 3) :
"les vannes 9 SEO 032 et 034 VK n’ont été respectivement fermées qu’à 2h15 et 2h25 alors que les secours extérieurs ont arrosé pour éteindre l’incendie du barnum de 0h45 à 1h47. Au regard de la configuration du réseau constatée par les inspecteurs le 9 juin 2020 et de la chronologie précitée, seule une partie minime des eaux d’extinction a éventuellement pu être confinée. Compte tenu des moyens incendie utilisés par les secours extérieurs dans le cadre de la lutte contre ce sinistre, les inspecteurs estiment le volume d’effluents rejetés au ru d’eau « la Balance » entre 20 et 30 m 3 ."
Malgré les faits, malgré des entorses avérées aux réglementations applicables et malgré la demande express de l’Autorité formulée page 4 du rapport en des termes on ne peut plus clairs, EDF n’a pas obtempéré.
"je vous demande de déclarer, dans un délai maximal de 7 jours, un évènement significatif relatif au rejet non maîtrisé d’effluents au niveau du ru d’eau « La Balance », en application des dispositions de l’article 2.6.4 de l’arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base dit arrêté INB"
EDF n’a déclaré que le 1er juillet (soit près d’un mois après l’incendie et après avoir reçu le rapport de lASN) un évènement intéressant l’environnement (EIE). Ce qui dédouane l’exploitant nucléaire d’une déclaration officielle aux autorités et de faire une analyse approfondie de l’évènement (ce qui permet d’identifier les causes, les conséquences et de prendre des mesures afin d’éviter qu’il ne se reproduise). En effet, les événements dits « intéressants » n’entrent pas dans le champ des critères de déclaration et ils ne justifient pas une analyse individuelle comme le précise l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Finalement, fin septembre 2020, après insistance de l’ASN, EDF déclare un évènement significatif pour l’environnement sur le critère « autre événement susceptible d’affecter la protection de l’environnement, jugé significatif par l’ASN » et en informe le public. Dans son communiqué, EDF persiste : l’environnement n’a pas été pollué. Un prélèvement a été fait sur l’eau rejetée dans le cours d’eau au moment de la fermeture des vannes (plus de 30 minutes après la fin de l’arrosage), et les résultats ont montré des valeurs de polluants inférieures aux limites maximales autorisées. En conséquence, l’exploitant a rejeté tel dans le cours d’eau quel le peu d’eau résultant du sinistre qui a été collecté. C’est faire fi de la logique : ce n’est pas parce que les limites autorisées ne sont pas dépassées qu’il n’y a pas eu rejets de substances polluantes. Et c’est sans mentionner que les paramètres analysés par EDF ne sont pas suffisants pour déterminer la dangerosité de ce qui a été déversé dans l’environnement, comme le souligne l’Autorité de sûreté dans son rapport (pages 4 et 5) :
"Lors de l’inspection du 9 juin 2020, vos représentants ont indiqué que des analyses portant sur les paramètres pH et indice organoleptique (indice qui porte sur l’odeur, la couleur et l’aspect d’un prélèvement) avaient été réalisées par votre laboratoire sur les eaux d’extinction qui avaient pu être confinées et qu’au regard de la conformité de ces paramètres, ces eaux avaient été rejetées au ru d’eau « la Balance ».
Au regard des produits ayant brûlé (bois, câbles et transformateurs électriques,...), les inspecteurs ont souhaité connaître les raisons pour lesquelles a minima les paramètres « matières en suspension » et « éléments traces métalliques » n’avaient pas été analysés et ont souhaité savoir s’il existait une procédure ou un mode opératoire identifiant les paramètres à analyser dans un tel cas de figure.
Les inspecteurs considèrent que la mesure des paramètres pH et indice organoleptique est nettement insuffisante pour statuer sur le caractère dangereux ou non d’un effluent et procéder à son rejet vers le milieu naturel. Le pH et l’indice organoleptique pourraient en effet être satisfaisants alors que les concentrations relevées sur les paramètres « matières en suspension » et « éléments traces métalliques » ne permettraient pas de rejeter ces effluents au milieu naturel. Dans ces conditions, l’absence d’impact du rejet sur le ru d’eau « la Balance » n’est pas démontrée."
Un industriel qui ne fait pas d’analyse de risques, ne songe pas à récupérer les eaux ayant servi à éteindre un incendie et les laisse se déverser directement dans un petit cours d’eau, des analyses incomplètes pour justifier a posteriori de la non-dangerosité de ce qu’il a rejeté, un déni de pollution, un refus d’obtempérer aux demandes de l’Autorité de sûreté, des équipements servant à préserver l’environnement qui ne fonctionnent pas... Cet incident en dit long sur la manière dont EDF, exploitant nucléaire, considère la protection de l’environnement. Et qui montre aussi clairement sa propension à respecter, sans rechigner, les injonctions de l’Autorité de sûreté nucléaire.
L.B.
Déclaration d’un Evènement Significatif Environnement le 25 septembre 2020
Publié le 28/09/2020
Dans la nuit du 4 au 5 juin 2020, un départ de feu est identifié à 00h20 dans une structure temporaire de stockage de matériel, située à proximité de l’entrée secondaire de la centrale de Belleville sur Loire, en dehors de la zone industrielle du site. La structure abrite notamment du bois, des câbles électriques et des éléments de robinetterie.
En application des procédures, l’organisation de crise est activée et les secours extérieurs mobilisés. Ils déclarent le feu éteint à 1h47.
Vers 2h, l’isolation du réseau d’écoulement des eaux est demandée pour confiner les eaux d’extinction. La vanne motorisée s’avère inopérante et deux vannes manuelles sont actionnées, à 2h15 et 2h25. À la fermeture de la seconde vanne, un prélèvement est réalisé, permettant de caractériser la nature des effluents rejetés (eau brute sans additif, avec des traces potentielles de produits de combustion) et de confirmer l’absence d’impact sur l’environnement. Les résultats des analyses chimiques sont inférieurs aux limites fixées par l’arrêté de rejets.
Le 19 juin 2020, après la réalisation d’une inspection sur site, l’Autorité de Sûreté Nucléaire demande à la centrale de Belleville de déclarer un évènement significatif environnement (ESE) pour « rejet non maîtrisé d’effluents au niveau du ru d’eau La Balance ».
Sur la base des résultats des analyses réalisées sur les eaux d’extinction et l’absence d’impact significatif sur l’environnement, le site a déclaré le 1er juillet 2020, un évènement intéressant pour l’environnement (EIE).
Le 16 septembre 2020, l’Autorité de Sûreté Nucléaire réitère sa demande de déclaration d’un ESE. La Direction de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire procède à la déclaration d’un ESE sur le critère « autre événement susceptible d’affecter la protection de l’environnement, jugé significatif par l’ASN » le 25 septembre 2020.