16 octobre 2019
EDF l’a considéré comme un simple petit écart de conduite, mais l’Autorité de sûreté nucléaire y accorde plus de gravité : à 2 reprises, la pression du circuit primaire* du réacteur 2 de la centrale de Belleville (Centre) est passée en dessous de la limite minimale autorisée. Or, sans pression suffisante, l’eau du circuit primaire s’évapore, le débit baisse et le cœur du réacteur nucléaire n’est plus refroidi. À l’origine de l’évènement : un défaut de conception sur une carte électronique couplé à la panne d’un système de commande et au manque de préparation et de connaissances du personnel aux commandes.
Les faits datent de plusieurs mois (avril 2019), mais c’est mi-octobre que le public est informé, par l’Autorité de sûreté nucléaire. Qui vient de reclasser au niveau 1 de l’échelle INES [1] un évènement significatif pour la sûreté qu’EDF a déclaré au plus bas niveau de gravité. Pourtant, le réacteur 2 est sorti du domaine de fonctionnement autorisé à deux reprises le 1er avril 2019. C’est à dire que les paramètres qui doivent absolument être respectés ne l’ont pas été. Alors que le réacteur était en fonctionnement, la pression du circuit primaire a chuté et passe sous le seuil requis. Les premières analyses de l’exploitant n’ont pas identifié l’ensemble des causes de cette baisse de pression (une carte électronique de régulation sur le pressuriseur [2] défectueuse et la panne du système de commande manuelle des vannes du circuit d’aspersion [3]), les actions pour retrouver un niveau conforme n’ont donc pas été durablement efficaces. La pression a rapidement baissée une seconde fois (jusqu’à 139 bars au lieu de 155), et cette seconde sortie de route a durée 45 minutes. Trois quart d’heure durant lesquels le niveau d’eau du circuit primaire baissait et n’était plus en capacité de refroidir suffisamment le combustible nucléaire contenu dans la cuve du réacteur. Mais parce que l’exploitant a qualifié la situation de simple "écart" au plan de la sûreté (niveau zéro de l’échelle INES), l’évènement est resté dans l’ombre. Ce n’est qu’avec le reclassement au niveau 1 par l’ASN après analyse approfondie des faits, qu’une communication au grand public est faite. Six mois plus tard. Quand des défaillances simultanées de plusieurs systèmes de sûreté se cumulent avec des équipes mal préparées et mal formées, est-il surprenant qu’EDF ne le mette pas en avant ?
L.B.
Sorties du domaine de fonctionnement autorisé du réacteur 2 de Belleville
Publié le 16/10/2019
Centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire - Réacteurs de 1300 MWe - EDF
Le 5 avril 2019, l’exploitant de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif à la sortie du domaine de fonctionnement autorisé par pression basse du circuit primaire principal à deux reprises. Ces sorties constituent un écart aux règles générales d’exploitation, approuvées par l’ASN, qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite associées.
Le pressuriseur est un réservoir dont la fonction est de contrôler la pression du circuit primaire à l’aide de cannes chauffantes et d’un système d’aspersion. Durant le fonctionnement du réacteur, cette pression est maintenue à 155 bars.
Le 1er avril 2019, une baisse de pression conduisant à une sortie du domaine de fonctionnement a été détectée par un opérateur, qui a alors constaté que les vannes d’aspersion étaient ouvertes au maximum. Après analyse, les vannes ont été refermées par une commande manuelle et la pression a retrouvé sa valeur nominale.
L’analyse de l’exploitant l’a conduit à remplacer une carte de régulation de pression et à maintenir les deux vannes d’aspersion en mode de commande manuelle. L’opérateur a alors constaté une nouvelle baisse rapide de pression et une nouvelle sortie du domaine de fonctionnement, due à l’ouverture des vannes d’aspersion et l’inefficacité de la commande manuelle de fermeture. A l’atteinte de la pression de 139 bars, l’automate de contrôle a refermé les vannes d’aspersion.
A la suite du paramétrage de la nouvelle carte, quarante-cinq minutes plus tard, la pression primaire a retrouvé son niveau initial.
L’expertise a mis en avant un défaut de conception de la carte de régulation ainsi qu’un manque de préparation et de connaissance de la part des opérateurs. Les investigations complémentaires de l’ASN ainsi que celles de l’exploitant ont conduit ce dernier à reclasser l’évènement du niveau 0 au niveau 1 en octobre 2019.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, l’événement a affecté la fonction de sûreté liée au refroidissement du réacteur.
En raison de l’indisponibilité de systèmes de sûreté associés, l’ASN classe au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
* Circuit primaire :
Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entrainer le groupe turboalternateur.
L’eau du circuit primaire est mise en mouvement par trois pompes dites "pompes primaires". Plusieurs circuits hydrauliques annexes sont branchés sur le circuit primaire principal ; ces circuits sont munis de vannes manœuvrables à partir de la salle de commande. Un programme d’essais périodiques est destiné à s’assurer du bon fonctionnement de ces vannes.
Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. - https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[1] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES
[2] Le pressuriseur est un gros composant forgé qui mesure 14 m de haut et pèse plus de 140 tonnes à vide. Le pressuriseur est un réservoir de forme cylindrique, dont la fonction est de réguler la pression du circuit primaire. En fonctionnement normal, il contient de l’eau en phase liquide et en phase vapeur. Lors du démarrage du réacteur, il est rempli en eau sous forme liquide. La vaporisation d’une partie de cette eau est obtenue par la mise en service de résistances électriques de chauffage. https://www.asn.fr/Lexique/P/Pressuriseur
[3] En cas d’accident conduisant à une augmentation de pression et de température dans le bâtiment réacteur, le circuit d’aspersion de secours (EAS) pulvérise de l’eau additionnée de soude afin de rétablir des conditions ambiantes acceptables, de préserver l’intégrité de l’enceinte de confinement et de rabattre au sol les aérosols radioactifs éventuellement disséminés. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-d-aspersion-de-secours