14 janvier 2022
C’est d’abord à Civaux 1 (Vienne) lors de contrôles faits durant sa visite décennale que les fissures ont été découvertes. Puis sur Civaux 2, sur Chooz 2 (Ardennes) et sur Penly 1 (Manche). Des fissures qui peuvent engendrer la rupture des tuyaux sur un circuit essentiel en cas d’accident, le circuit RIS, qui est directement connecté au circuit primaire qui permet de refroidir en permanence le combustible nucléaire. Ces fissures à proximité de soudures sur les tuyauteries sont dues à de la corrosion sous contrainte, un phénomène qui n’était pas censé apparaître selon les études d’EDF. Les réacteurs ont été mis à l’arrêt pour plusieurs mois, de même que Chooz 1 sur lequel les vérifications sont en cours. EDF doit contrôler tous les réacteurs nucléaires de France, 56 au total.
Les fissures sont sur le circuit d’injection de sécurité (dit RIS [1] ), un circuit qui sert à arrêter la réaction nucléaire et à refroidir le combustible nucléaire contenu dans la cuve du réacteur en cas d’accident. Ce circuit permet d’injecter de l’eau et du bore, une substance acide qui étouffe la réaction nucléaire [2] dans le circuit qui assure normalement ce refroidissement en permanence : le circuit primaire [3] . C’est la pierre angulaire même du fonctionnement d’un réacteur nucléaire qui est ébranlée par ces fissures car un réacteur nucléaire ne peut pas se passer de refroidissement : l’énergie produite par la réaction nucléaire (la chaleur) doit être évacuée, sinon c’est la surchauffe et l’explosion. D’où les précautions prises pour garantir, en permanence et dans toutes conditions, une source de refroidissement.
En cas de problème ou de fuite sur le circuit primaire, c’est donc le circuit d’injection de sécurité qui doit prendre le relai. Il est redondant, comme tous les circuits les plus importants dans un réacteur nucléaire : il est en double, il est composé de deux voies similaires et indépendantes. Chacune de ces voies est connectée au circuit primaire à deux endroit différents : avant et après la cuve qui contient le combustible et où à lieu la réaction nucléaire. Ce sont juste avant ces jonctions avec le circuit primaire, sur des coudes de tuyauteries, que des fissures ont été découvertes. Ces coudes sont situés avant le circuit primaire, mais après le système qui permet de fermer le circuit RIS et de l’isoler du circuit primaire. Si ce morceau de tuyau rompt, quand bien même le circuit RIS serait fermé, le circuit primaire se viderai par cette portion de tuyauterie. Et c’est justement le circuit de secours, qui permet d’injecter de l’eau dans le circuit primaire en cas de fuite de celui-ci, qui est concerné (voir schéma).
Ces fissures du métal sont dues à de la corrosion. Une corrosion dite sous contrainte, qui résulte de la rencontre de plusieurs facteurs : le type de matériau utilisé (le métal des tuyauteries), le milieu agressif (les produits chimiques qui y circulent), des pressions physiques exercées sur ce métal (thermiques et mécaniques). Évidemment, ce phénomène de corrosion sous contrainte est connu des industriels, il est pris en compte dans les études de conception : quel métal utiliser quand il va être exposé à tels produits chimiques et telle pression pour qu’il résiste ? EDF avait tout prévu, les tuyaux au cœur de ses réacteurs nucléaires étaient censés résister, pas rouiller et se fissurer à cause des contraintes auxquelles ils sont soumis.
EDF ne comprend pas ce phénomène de corrosion sous contrainte des tuyauteries RIS : il lui échappe, il ne l’avait pas prévu, il ne sait pas à quoi il est dû. Mais une chose est sûre, en terme de conséquences : avec l’apparition de ces fissures il y a un risque que les tuyauteries cassent. Les réacteurs nucléaires seraient alors privés de leur refroidissement. Le risque est d’autant plus important si les deux voies du circuit d’injection de sécurité sont concernés : le circuit primaire se viderait littéralement, puisque que les portions fissurées sont situées entre la jonction avec le circuit primaire et le clapet qui permet de couper le circuit RIS du circuit primaire.
EDF a donc arrêté le réacteur n°2 de la centrale de Civaux suite à la découverte des fissures sur le réacteur 1 lors de son arrêt pour visite décennale, en décembre 2021. Il a aussi arrêté les réacteurs 1 et 2 de la centrale nucléaire de Chooz qui sont du même modèle (des 1450 MWe, les réacteurs les plus récents et les plus puissants du parc en fonctionnement). Les mêmes fissures ont été découvertes sur Chooz 2, le réacteur 1 est toujours en cours d’examen. Pourtant, ces deux réacteurs ont été vérifiés en profondeur il y a peu : leurs visites décennales, ce grand programme de vérifications qui a lieu tous les 10 ans, ont été faites en 2019 et 2020. EDF a-t-il fait ces contrôles comme il fallait ? A-t-il suffisamment poussé l’analyse des résultats ?
Coup de tonnerre lorsque mi janvier 2022, un mois après les premières annonces sur les fissures découvertes à Civaux : EDF déclare que les mêmes fissures ont été trouvées sur le réacteur 1 de la centrale de Penly, arrêté depuis octobre 2021 pour une houleuse visite décennale. Ce réacteur est d’un modèle différent que ceux de Chooz et de Civaux. Le problème de fissures ne concerne donc pas que les 1450 MWe, mais aussi les 1300 MWe, qui sont un peu moins récents. Ils sont 20 au total sur toute la France : 2 à Penly, 2 à Flamanville et 4 à Paluel (Normandie), 2 à Belleville (Centre- Val de Loire), 4 à Cattenom et 2 à Nogent (Grand Est), 2 à Glofech (Occitanie), 2 à Saint-Alban (Auvergne - Rhône Alpes). Le réacteur 2 de Penly, 4 de Cattenom et les 2 réacteurs de Golfech n’ont pas été vérifiés depuis quasiment 10 ans, leurs visites décennales doivent être faites dans les prochains temps (tout comme le réacteur 2 de Civaux dont la visite décennale était prévue pour l’été 2022). Pour les autres réacteurs de 1300 MWe, les arrêts et leurs vérifications approfondies ont déjà eu lieu [4] . Comme pour Chooz, ce qui n’a pas empêché d’y découvrir des fissures. La même question de pose pour les réacteurs qui ont déjà passé leur visite approfondie : les vérifications ont-elles été suffisamment poussées ? Les données collectées ont-elles été bien analysées ? La pandémie de Covid qui dure depuis n’a-t-elle pas encore plus altéré la qualité des contrôles effectués par EDF ?
Suite à la découverte de fissures au cœur du réacteur 1 de Penly, EDF a déclaré ce problème générique (commun à plusieurs réacteurs) à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) comme étant un évènement significatif [5] pour la sûreté [6]. En effet, les conséquences potentielles revêtent une importance particulière et les dispositions prises pour limiter les risques d’accident nucléaire sont significativement altérées. Puisque le problème n’est pas uniquement sur un même modèle, tous les réacteurs nucléaires doivent être vérifiés, y compris les modèles les plus anciens (les 900 MWe), qui en sont à leurs 4èmes visites décennales (Tricastin, Bugey, Gravelines, Blayais, Cruas, Dampierre, Chinon, Saint-Laurent).
Dans l’immédiat, EDF a annoncé prolonger les arrêts de Civaux 1 et 2, Chooz 1 et 2 et Penly 1. Civaux 2 et Chooz 2 seront arrêtés au moins un an : ils ne redémarreront pas avant décembre 2022. Penly 1 restera arrêté jusqu’à fin mai, Chooz 1 jusqu’à juillet, Civaux 1 jusqu’au mois d’août. Minimum, car EDF prévient dores et déjà qu’il est possible que les arrêts soient prolongés : il faut découper les tronçons fissurés, vérifier si d’autres secteurs ne sont pas aussi concernés, établir un plan de réparation, fabriquer des tronçons de remplacement, les acheminer, les souder, vérifier que tout à été fait correctement, faire des essais, obtenir les autorisations des autorités... Et surtout tirer le retour d’expérience du problème, pour ne pas refaire les mêmes erreurs : pourquoi ces fissures sont-elles apparues ? Qu’est-ce qui n’a pas été pris en compte ? Le métal utilisé a-t-il été fabriqué correctement ? Les soudures ont-elles été réalisées comme il se doit ?
Et c’est probablement ce qui va être le plus crucial mais aussi le plus délicat : identifier à quelle(s) étape(s) de la chaîne conception-fabrication-exploitation se sont glissées des erreurs. EDF n’a pas acquis toutes les connaissances nécessaires à la maîtrise complète du processus industriel, de nombreuses questions sont à résoudre. Les modèles prédictifs utilisés sont aussi à revoir, puisque selon les études et les prévisions d’EDF, ces tuyauteries n’était pas censées se corroder mais au contraire, résister aux contraintes de leur environnement. Au niveau des gammes de maintenance et des programmes de vérifications aussi il y a du travail à (re)faire pour l’exploitant nucléaire : pour que la corrosion se soit développée jusqu’à créer des fissures, les contrôles des équipements sont-ils assez poussés ? Assez fréquents ? Les modalités adaptées ?
Pour l’heure, l’industriel n’a pas annoncé avoir l’intention arrêter par prévention d’autres réacteurs, comme on aurait put l’attendre pour le réacteur 2 de Penly par exemple (ou Cattenom 4, ou Golfech 1 et 2 dont les dernières VD remontent à près de 10 ans). Il faut dire que la production d’électricité est particulièrement tendue en ce début 2022 : dans un contexte européen de forte augmentation des prix de l’énergie, la disponibilité du parc nucléaire français est plus basse que jamais. Le calendrier des arrêts pour maintenance des réacteurs nucléaires d’EDF était déjà particulièrement chargés pour cet hiver 2021-2022 alertait RTE fin décembre 2021. Près de 20% des réacteurs sont à l’arrêt alors que dans le même temps, les températures basses poussent à une consommation accrue d’électricité. La prolongation des arrêts des réacteurs de Civaux, Chooz et de Penly 1 est donc particulièrement mal venue. EDF repousse, mais il faudra bien à un moment arrêter les autres réacteurs, car les vérifications peuvent certes être en partie documentaires (reprendre les résultats des derniers contrôles), mais c’est en allant voir directement l’état des tuyauteries qu’EDF saura vraiment ce qu’il en est.
Quoiqu’il en soit de ce que révélera l’avenir, l’existence de ces fissures au cœur de plusieurs réacteurs nucléaires différents montre qu’EDF n’est pas capable de tout prévoir dans le processus industriel atomique qu’il a développé, que ce soit au niveau de la conception, la fabrication ou de l’exploitation de ses installations. Des phénomènes imprévus et incompris sont apparus et ces fissures, avec le risque de rupture qu’elles induisent, remettent en question les dispositions les plus essentielles prises pour limiter les risques d’accident nucléaire. Les faits montrent aussi que les contrôles effectués par EDF sur les équipements - même les contrôles les plus approfondis faits durant les visites décennales - ne sont pas assez poussés et pas assez fréquents. Manifestement, EDF surveille mal et trop peu souvent ses installations. Le résultat est que la France, pays nucléaire par excellence, est dans une situation d’approvisionnement en électricité particulièrement tendue en plein hiver. Un approviosnnement menacé par la survenue de ce que EDF qualifie de simple "écart", l’industriel ayant classé les faits significatifs pour la sûreté au plus bas niveau de l’échelle INES [7] .
L.B.
Phénomène de corrosion sous contrainte détecté sur des portions de tuyauteries, situées sur un circuit annexe du circuit primaire principal de plusieurs réacteurs nucléaires
Note d’information
Publiée le 14/01/2022
Afin de se prémunir de la présence de défauts sur les tuyauteries des circuits importants pour la sûreté des installations, les programmes de maintenance du parc nucléaire français prévoient la réalisation de contrôles, lors de chaque visite décennale, sous forme d’Examens Non Destructifs (END) manuels (par ultrasons ou par radiographie).
Le 15 décembre, EDF a indiqué dans un communiqué avoir détecté, lors de la deuxième visite décennale du réacteur n°1 de Civaux, un endommagement de l’acier inoxydable d’une portion de tuyauterie sur les lignes du circuit d’injection de sécurité (RIS).
Les contrôles par ultrasons réalisés sur ce circuit ont mis en évidence des défauts à proximité de deux soudures situées en amont et en aval d’un coude sur les quatre lignes que comporte le circuit d’injection de sécurité. Aucun défaut n’avait été identifié lors des contrôles réalisés lors de la première décennale en 2011.
EDF a procédé à la découpe des portions de tuyauteries concernées et les expertises, réalisées en laboratoire, ont permis de confirmer que les défauts constatés sur le réacteur de Civaux 1 sont liés à un mécanisme de dégradation qui fait intervenir simultanément le matériau et ses caractéristiques intrinsèques, les sollicitations mécaniques auxquelles il est soumis et la nature du fluide qui y circule.
C’est un phénomène connu dans l’industrie et appelé « corrosion sous contrainte ». Il peut être détecté par la réalisation de contrôles spécifiques par ultra-sons, tels que ceux menés de manière préventive par EDF lors des visites décennales de ses réacteurs.
Des contrôles ont été initiés sur les mêmes matériels du réacteur n°2 de la centrale nucléaire de Civaux et ont fait apparaître des défauts similaires. Les quatre réacteurs des centrales de Chooz (Ardennes) et de Civaux sont de même technologie et constituent le palier N4 du parc nucléaire français. En tant qu’industriel responsable et par mesure de précaution, EDF a donc pris la décision d’arrêter les deux réacteurs de la centrale de Chooz, afin de procéder à titre préventif à ces mêmes contrôles.
Au cours de ces contrôles, un défaut a été détecté sur une portion de tuyauterie du réacteur n°2 de Chooz B et les expertises seront étendues à d’autres zones. Les contrôles sont toujours en cours sur le réacteur de Chooz B1.
Par ailleurs, à l’occasion de la troisième visite décennale du réacteur n°1 de la centrale de Penly qui se déroule actuellement, une indication a été identifiée à proximité d’une soudure, sur une portion de tuyauterie de l’une des quatre lignes que compte le système d’injection de sécurité.
Les examens approfondis réalisés en laboratoire ont montré la présence de défauts similaires à ceux détectés à Civaux : le mécanisme de fissuration diagnostiqué est de la corrosion sous contrainte, mais les défauts expertisés sur Penly 1 sont cependant de moindre profondeur que ceux de Civaux 1.
Des solutions de remplacement ou de réparation des portions de tuyauteries affectées par le phénomène d’endommagement sont en cours d’instruction. Elles seront mises en œuvre au cas par cas, en fonction des conclusions des contrôles, afin de garantir la sûreté des installations.
Dès lors, afin de mener l’ensemble de ces travaux, les durées des arrêts des réacteurs concernés sont modifiées comme suit :
▸ La date prévisionnelle de reconnexion au réseau électrique du réacteur de Civaux 1 est le 31 Août 2022 ;
▸ La date prévisionnelle de reconnexion au réseau électrique du réacteur de Chooz B1 est le 27 juillet 2022 ;
▸ La date prévisionnelle de reconnexion au réseau électrique des réacteurs de Chooz B2 et de Civaux 2 est le 31 décembre 2022 ;
▸ La date prévisionnelle de reconnexion au réseau électrique du réacteur de Penly 1 est le 30 mai 2022.
La durée des arrêts des réacteurs de Civaux 1 et 2, Chooz 1 et 2, Penly 1 est susceptible d’être prolongée en fonction des résultats des contrôles et des travaux qui seront à réaliser.
Un événement significatif de sûreté non classé (niveau 0 échelle INES) a été déclaré auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire par les centrales de Civaux et de Penly. L’élaboration du programme de contrôles sur l’ensemble du parc nucléaire se poursuit en intégrant, au fur et à mesure, les enseignements tirés des premières expertises réalisées.
Cette note d’information sera mise à jour en fonction des résultats de ces contrôles et expertises.
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https://www.edf.fr/groupe-edf/agir-en-entreprise-responsable/notes-information
Phénomène de corrosion sous contrainte détecté sur le circuit d’injection de sécurité du réacteur 1 de la centrale de Civaux - Arrêt des réacteurs de 1 450 MWe pour réalisation de contrôles
Publié le 16/12/2021
Note d’information
Le 21 octobre 2021, à la suite de contrôles par ultrasons réalisés au titre de la visite décennale du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Civaux, EDF a informé l’ASN de la détection d’indications [1] sur des soudures des coudes de la tuyauterie raccordant le système d’injection de sécurité [2] au circuit primaire principal du réacteur (voir image ci-après). Afin d’identifier l’origine de ces indications, les parties de tuyauteries concernées ont été découpées pour expertise métallurgique en laboratoire.
EDF a par ailleurs pris la décision d’arrêter le réacteur 2 de la centrale de Civaux pour réaliser, de manière anticipée, ces contrôles des zones concernées, les précédents contrôles datant de 2012. Les résultats préliminaires de ces contrôles ont confirmé la présence d’indications similaires à celles du réacteur 1.
Le 15 décembre 2021, EDF a informé l’ASN que les premières expertises métallurgiques réalisées sur les parties déposées des tuyauteries du réacteur 1 de la centrale de Civaux avaient mis en évidence la présence de fissuration résultant d’un phénomène de corrosion sous contrainte. EDF poursuit ses investigations afin de caractériser les facteurs à l’origine de ce phénomène et d’identifier les zones possiblement concernées.
Au regard de l’origine inattendue des fissurations constatées, EDF a pris la décision de mettre à l’arrêt, dans les meilleurs délais, les réacteurs de conception similaire. Les réacteurs B1 et B2 de la centrale nucléaire de Chooz seront ainsi prochainement arrêtés afin de réaliser des contrôles complémentaires à ceux réalisés en 2019 et 2020 lors de leur visite décennale.
L’ASN considère que cette décision, prise par EDF en tant que premier responsable de la sûreté, est appropriée à la situation.
L’ASN, avec l’appui technique de l’IRSN, suit avec attention les investigations menées par EDF et les conclusions qui en seront tirées, notamment vis-à-vis du suivi en service sur ces équipements. L’ASN autorise les interventions sur les équipements concernés et se prononcera sur leur remise en service.
[1] Une indication est un signal (typiquement un écho pour des contrôles par ultrason) mettant en évidence la possible présence d’un défaut dans le matériau contrôlé.
[2] Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci afin d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur.
Détection de fissures sur des tuyauteries du système d’injection de sécurité des réacteurs n° 1 et n° 2 de la centrale nucléaire de Civaux
Publié le 16/12/2021
Au cours de l’arrêt décennal du réacteur n° 1 de la centrale nucléaire de Civaux, qui a débuté le 21 août 2021, EDF a procédé à un contrôle par ultrasons de plusieurs soudures du circuit d’injection de sécurité (RIS), conformément au programme de maintenance préventive en vigueur.
Le circuit d’injection de sécurité est un système de sauvegarde qui injecte de l’eau borée dans le circuit primaire principal du réacteur pour refroidir le cœur en cas de brèche sur le circuit primaire. L’objectif est ainsi de maintenir un inventaire en eau suffisant dans le cœur permettant de refroidir le combustible.
Le système RIS est composé de deux voies indépendantes connectées au circuit primaire via un piquage en branche chaude[1] et en branche froide[2] de chacune des quatre boucles du circuit primaire.
Les contrôles par ultrasons réalisés sur le réacteur n° 1 de Civaux ont révélé la présence de défauts à proximité des soudures de certains coudes de tuyauteries (cf. figure). Conformément à la stratégie de maintenance en vigueur, les contrôles ont alors été étendus par EDF aux soudures attenantes. Afin de déterminer l’origine de ces fissures, les tuyauteries ont été découpées et les soudures concernées envoyées en laboratoire pour expertise. Par examen métallographique et microscopique, EDF a pu ainsi déterminer la nature et la profondeur des défauts détectés. En première analyse, il s’agit de fissuration par corrosion sous contrainte.
La corrosion sous contrainte est un mode d’endommagement qui résulte généralement de l’action conjuguée d’une contrainte mécanique et d’un milieu agressif vis-à-vis du matériau. Afin de mieux appréhender les facteurs à l’origine de la corrosion observée, EDF a engagé une vérification des dossiers de fabrication. En parallèle, il procède à une revue de performance des procédés de contrôle employés. Ces analyses visent à élaborer un programme de vérification des soudures susceptibles d’être concernées par le phénomène.
En cas d’évolution de ces défauts sur les tuyauteries du système d’injection de sécurité, cela pourrait conduire à une fuite ou à une rupture. Si cette rupture intervient sur une tuyauterie, cela conduit à une situation de brèche sur le circuit primaire principal, les coudes endommagés étant situés en aval des organes d’isolement des circuits RIS. La voie du circuit RIS non affectée par la brèche assurerait alors l’injection d’eau dans le circuit primaire et le refroidissement du cœur. Si en revanche cette rupture ou fuite survenait simultanément sur plusieurs tuyauteries concernées, le refroidissement du cœur du réacteur ne pourrait potentiellement plus être assuré. Des événements comme un séisme (générant des contraintes mécaniques dans les tuyauteries concernées) ou une mise en service de l’injection de sécurité (provoquant une arrivée d’eau froide dans des tuyauteries chaudes) peuvent solliciter simultanément ces circuits.
EDF a décidé d’arrêter préventivement le réacteur n° 2 de Civaux le 20 novembre dernier, afin de procéder à des contrôles anticipés des soudures, l’arrêt décennal du réacteur étant prévu dans quelques mois. Les premiers résultats des contrôles sur ce réacteur mettent en évidence la présence d’anomalies au niveau des mêmes soudures que sur le réacteur n° 1. De ce fait, EDF a décidé le déchargement des assemblages combustibles du cœur du réacteur n° 2 pour procéder à des investigations poussées et aux réparations qui s’avèreraient nécessaires.
Une anomalie générique relative aux réacteurs de 1450 MWe ne pouvant, à ce stade, être exclue, EDF a décidé la mise à l’arrêt préventive des deux réacteurs de la centrale nucléaire de Chooz B dans les Ardennes à partir du 16 décembre, qui sont de même type que ceux de Civaux (réacteurs de 1450 MWe), afin de procéder à des contrôles.
L’IRSN estime que la décision d’EDF de mettre à l’arrêt les deux réacteurs de Chooz B, en plus des deux réacteurs de Civaux, est satisfaisante du point de vue de la sûreté. Les contrôles sur les réacteurs de Chooz B permettront de déterminer s’ils sont affectés par les mêmes défauts. Des investigations approfondies doivent être menées afin de déterminer les phénomènes à l’origine des fissures de corrosion sous contrainte et définir le périmètre des contrôles à réaliser.
Des actions de contrôle pourraient s’avérer nécessaires sur les autres réacteurs en exploitation.
[1] Après la sortie de la cuve du réacteur [2] Avant l’entrée de la cuve du réacteur.
[1] Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. https://www.asn.fr/lexique/R/RIS
[2] Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. https://www.asn.fr/lexique/B/Bore
[3] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[4] Dates des dernières visites décennales (VD) des réacteurs de 1300 Mwe :
Flam 1 : VD 3 d’avril 2018 à février 2019 ; Flam 2 : VD 3 de janvier 2019 à décembre 2020
Paluel 1 : 3ème VD d’avril à novembre 2016 ; Paluel 2 : 3ème VD de mai 2015 à septembre 2018 ; Paluel 3 : 3ème VD de février à novembre 2017 ; Paluel 4 : 3ème VD de janvier à décembre 2019
Penly 1 : 3ème VD en cours depuis le 2 octobre 2021 ; Penly 2 : 2ème VD 2 de février à mai 2014
Cattenom 1 : 3ème VD de mai à octobre 2016 ; Cattenom 2 : 3ème VD de mai à octobre 2018 ; Cattenom 3 : 3ème VD de février à septembre 2021 ; Cattenom 4 : 2ème VD de février à juillet 2013
Nogent 1 : 3ème VD d’avril à septembre 2019 ; Nogent 2 : 3ème VD de février à août 2020
Belleville 1 : 3ème VD de juin 2020 à mars 2021 ; Belleville 2 : 3ème VD de mai à décembre 2019
Saint-Alban 1 : 3ème VD de février à juillet 2017 ; Saint-Alban 2 : 3ème VD de février à juillet 2018
Golfech 1 : 2ème VD de mars à juillet 2012 ; Golfech 2 : 2ème VD d’avril à août 2014
Sources : sites EDF et ASN
[5] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif
[6] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire
[7] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES