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Sortir du nucléaire n°27



Juillet 2005

Mobilisation

Extraits de la lettre ouverte de Youri Bandajevsky du 21 mars

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°27 - Juillet 2005

 Tchernobyl
Article publié le : 1er juillet 2005


Chers collègues, amis et adversaires !

Près de six ans se sont écoulés depuis le jour de mon arrestation (le 13 juillet 1999).

Accusé d’un crime de corruption que je n’ai pas commis, je me suis efforcé pendant toutes ces années de tenir bon dans des conditions de pressions psychologiques particulièrement pénibles, sans parler des difficultés d’ordre physique et matériel.

(…)

Dans cette situation, il est extrêmement important de comprendre la cause de mon arrestation. Avec le temps, elle m’apparaît de plus en plus nette et précise. J’oserai exprimer ici mes considérations à ce sujet.

J’ai été arrêté subitement, mais mon arrestation avait été minutieusement préparée de longue date. Les preuves en sont nombreuses. Dès mon premier appel officiel au Gouvernement de la République du Belarus en 1993, au sujet de l’état de santé des enfants que nous avons examinés et de l’accumulation de radiocésium dans leur organisme, j’ai senti un désaveu brutal de mon activité. Jusqu’à recevoir des menaces physiques. Toutefois, j’ai continué à travailler, et au cours des années qui suivirent, j’ai régulièrement publié les résultats de mes recherches dans des revues scientifiques. Je voudrais souligner que nombre de revues, aussi bien biélorusses qu’étrangères, refusaient de publier mes articles consacrés à l’impact des éléments radioactifs incorporés sur l’organisme humain et animal. C’est pour cette raison que je décidai d’éditer des monographies. Entre 1990 et 1999, je publiai huit livres, consacrés à l’action du radiocésium incorporé sur l’état des organes et des systèmes vitaux de l’organisme. Plusieurs de ces livres ont été publiés en anglais et remis à mes collègues étrangers. Comme l’Etat ne finançait pas ce genre de recherches, je devais compter sur l’aide de mes collègues d’autres établissements scientifiques et médicaux du pays. Les conclusions de ce travail, basé sur les résultats d’examens cliniques, d’analyses de laboratoire et d’études de pathologie morphologique, ainsi que de bon nombre d’expériences effectuées avec des animaux de laboratoire, montrent que les « faibles doses », comme on les appelle, de radionucléides de césium 137 incorporés sont extrêmement dangereuses pour l’organisme. Ces recherches ont reçu l’approbation d’éminents scientifiques du Bélarus et de Russie lors des soutenances de thèses, qui furent nombreuses sur ce sujet parmi les collaborateurs de l’Institut de médecine de Gomel que j’avais fondé en 1990 et dont j’étais doyen jusqu’en 1999.

Considérant en toute candeur que les résultats des recherches consacrées à l’action des éléments radioactifs sur l’organisme humain devaient être portés à la connaissance du public, je m’efforçai de les rendre le plus largement connus à travers la presse, la radio et la télévision. Mon objectif n’était pas du tout de semer la panique, comme les médias présentent aujourd’hui la chose, mais de montrer aux habitants des régions contaminées par les retombées de Tchernobyl comment il fallait vivre dans les conditions de risque radiologique, en respectant certaines mesures de sécurité personnelles et sociales. Ayant compris le pourquoi et le comment de la lésion des cellules des organes vitaux par le césium 137, nous proposions des méthodes réelles et efficaces pour se protéger de l’action néfaste du radionucléide. Je suppose désormais que mon activité dans ce sens n’arrangeait pas ceux qui avaient intérêt à nier les effets à court et à long terme de l’accident de Tchernobyl, en lien sans doute avec la politique nucléaire telle qu’elle est poursuivie au plan international. Je ne soupçonnais pas, à l’époque, la somme d’efforts développée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour préserver son activité à son niveau actuel ou même lui permettre de se développer davantage, en étouffant dans l’oeuf les moindres tentatives de lui faire ombrage.

(…)

Mais en voulant cacher la vérité sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, mes adversaires portent atteinte non seulement à la population de la République du Belarus et des autres pays de l’espace post-soviétique, mais à tous les hommes de la Terre. Il y avait là une occasion unique en son genre d’obtenir une connaissance objective sur la façon dont les éléments radioactifs à vie longue incorporés agissent sur l’organisme humain et les autres représentants de la biosphère, et d’élaborer des mesures efficaces de radioprotection. Elle est en train de disparaître.

Les derniers événements nous montrent pourtant à quel point cette information est importante pour l’humanité. Au siècle du terrorisme, avec nombre de centrales atomiques imparfaites créant des problèmes aussi bien pour leur entretien que pour leur exploitation, et face à la course aux armements nucléaires qui se poursuit toujours dans le monde, l’AIEA est incapable de réaliser un contrôle efficace sur le développement de l’énergie atomique.

J’appelle donc tous ceux qui sont capables de raisonner de manière sensée à débattre de la situation présente et je propose d’établir un moratoire sur l’expansion et l’utilisation de l’énergie atomique tant à des fins militaires qu’à des fins civiles. Il faut comprendre que si l’ONU, les dirigeants de tous les pays sans exception et toutes les ONG ne s’entendent pas pour appliquer des mesures efficaces pour protéger les hommes des risques de l’atome, tout ce qui vit sur Terre risque un jour de périr. Il est indispensable d’entreprendre tous les efforts possibles pour préserver la vie sur la planète Terre au lieu de la détruire.
Un ministre tout en finesse…

Le jour de l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl de 1986, le ministre délégué à l’Industrie Patrick Devedjian, faisant preuve d’une grande finesse, a déclaré :

“Je ne suis pas impressionné par Tchernobyl parce que les conditions dans lesquelles le problème nucléaire est traité en France sont incomparables avec celles de l’Union soviétique”, a-t-il dit, alors que le projet de loi sur l’énergie en cours d’examen au Parlement prévoit la construction d’un prototype du réacteur EPR pour renouveler le parc nucléaire. “Chez nous, c’est totalement transparent”, “totalement démocratique et la sécurité est organisée d’une manière qui offre une vraie garantie aux citoyens”.

“Nous n’avons rien à voir avec Tchernobyl. Tchernobyl, c’est le système des communistes. Nous ne sommes pas un pays communiste”, a conclu le ministre.

Source : Agence AP 26 avril 2005
Professeur Y. Bandajevsky
Où écrire à Youri Bandajevsky ?

Youri Bandajevsky

231314 Grodnenskaia oblast, Lidski raion,

d. Belitsa. Bélarus.

Chers collègues, amis et adversaires !

Près de six ans se sont écoulés depuis le jour de mon arrestation (le 13 juillet 1999).

Accusé d’un crime de corruption que je n’ai pas commis, je me suis efforcé pendant toutes ces années de tenir bon dans des conditions de pressions psychologiques particulièrement pénibles, sans parler des difficultés d’ordre physique et matériel.

(…)

Dans cette situation, il est extrêmement important de comprendre la cause de mon arrestation. Avec le temps, elle m’apparaît de plus en plus nette et précise. J’oserai exprimer ici mes considérations à ce sujet.

J’ai été arrêté subitement, mais mon arrestation avait été minutieusement préparée de longue date. Les preuves en sont nombreuses. Dès mon premier appel officiel au Gouvernement de la République du Belarus en 1993, au sujet de l’état de santé des enfants que nous avons examinés et de l’accumulation de radiocésium dans leur organisme, j’ai senti un désaveu brutal de mon activité. Jusqu’à recevoir des menaces physiques. Toutefois, j’ai continué à travailler, et au cours des années qui suivirent, j’ai régulièrement publié les résultats de mes recherches dans des revues scientifiques. Je voudrais souligner que nombre de revues, aussi bien biélorusses qu’étrangères, refusaient de publier mes articles consacrés à l’impact des éléments radioactifs incorporés sur l’organisme humain et animal. C’est pour cette raison que je décidai d’éditer des monographies. Entre 1990 et 1999, je publiai huit livres, consacrés à l’action du radiocésium incorporé sur l’état des organes et des systèmes vitaux de l’organisme. Plusieurs de ces livres ont été publiés en anglais et remis à mes collègues étrangers. Comme l’Etat ne finançait pas ce genre de recherches, je devais compter sur l’aide de mes collègues d’autres établissements scientifiques et médicaux du pays. Les conclusions de ce travail, basé sur les résultats d’examens cliniques, d’analyses de laboratoire et d’études de pathologie morphologique, ainsi que de bon nombre d’expériences effectuées avec des animaux de laboratoire, montrent que les « faibles doses », comme on les appelle, de radionucléides de césium 137 incorporés sont extrêmement dangereuses pour l’organisme. Ces recherches ont reçu l’approbation d’éminents scientifiques du Bélarus et de Russie lors des soutenances de thèses, qui furent nombreuses sur ce sujet parmi les collaborateurs de l’Institut de médecine de Gomel que j’avais fondé en 1990 et dont j’étais doyen jusqu’en 1999.

Considérant en toute candeur que les résultats des recherches consacrées à l’action des éléments radioactifs sur l’organisme humain devaient être portés à la connaissance du public, je m’efforçai de les rendre le plus largement connus à travers la presse, la radio et la télévision. Mon objectif n’était pas du tout de semer la panique, comme les médias présentent aujourd’hui la chose, mais de montrer aux habitants des régions contaminées par les retombées de Tchernobyl comment il fallait vivre dans les conditions de risque radiologique, en respectant certaines mesures de sécurité personnelles et sociales. Ayant compris le pourquoi et le comment de la lésion des cellules des organes vitaux par le césium 137, nous proposions des méthodes réelles et efficaces pour se protéger de l’action néfaste du radionucléide. Je suppose désormais que mon activité dans ce sens n’arrangeait pas ceux qui avaient intérêt à nier les effets à court et à long terme de l’accident de Tchernobyl, en lien sans doute avec la politique nucléaire telle qu’elle est poursuivie au plan international. Je ne soupçonnais pas, à l’époque, la somme d’efforts développée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour préserver son activité à son niveau actuel ou même lui permettre de se développer davantage, en étouffant dans l’oeuf les moindres tentatives de lui faire ombrage.

(…)

Mais en voulant cacher la vérité sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, mes adversaires portent atteinte non seulement à la population de la République du Belarus et des autres pays de l’espace post-soviétique, mais à tous les hommes de la Terre. Il y avait là une occasion unique en son genre d’obtenir une connaissance objective sur la façon dont les éléments radioactifs à vie longue incorporés agissent sur l’organisme humain et les autres représentants de la biosphère, et d’élaborer des mesures efficaces de radioprotection. Elle est en train de disparaître.

Les derniers événements nous montrent pourtant à quel point cette information est importante pour l’humanité. Au siècle du terrorisme, avec nombre de centrales atomiques imparfaites créant des problèmes aussi bien pour leur entretien que pour leur exploitation, et face à la course aux armements nucléaires qui se poursuit toujours dans le monde, l’AIEA est incapable de réaliser un contrôle efficace sur le développement de l’énergie atomique.

J’appelle donc tous ceux qui sont capables de raisonner de manière sensée à débattre de la situation présente et je propose d’établir un moratoire sur l’expansion et l’utilisation de l’énergie atomique tant à des fins militaires qu’à des fins civiles. Il faut comprendre que si l’ONU, les dirigeants de tous les pays sans exception et toutes les ONG ne s’entendent pas pour appliquer des mesures efficaces pour protéger les hommes des risques de l’atome, tout ce qui vit sur Terre risque un jour de périr. Il est indispensable d’entreprendre tous les efforts possibles pour préserver la vie sur la planète Terre au lieu de la détruire.
Un ministre tout en finesse…

Le jour de l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl de 1986, le ministre délégué à l’Industrie Patrick Devedjian, faisant preuve d’une grande finesse, a déclaré :

“Je ne suis pas impressionné par Tchernobyl parce que les conditions dans lesquelles le problème nucléaire est traité en France sont incomparables avec celles de l’Union soviétique”, a-t-il dit, alors que le projet de loi sur l’énergie en cours d’examen au Parlement prévoit la construction d’un prototype du réacteur EPR pour renouveler le parc nucléaire. “Chez nous, c’est totalement transparent”, “totalement démocratique et la sécurité est organisée d’une manière qui offre une vraie garantie aux citoyens”.

“Nous n’avons rien à voir avec Tchernobyl. Tchernobyl, c’est le système des communistes. Nous ne sommes pas un pays communiste”, a conclu le ministre.

Source : Agence AP 26 avril 2005
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231314 Grodnenskaia oblast, Lidski raion,

d. Belitsa. Bélarus.



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