Maîtrise de l’énergie
Energie : les vrais enjeux
En France, le débat sur lénergie se borne à une discussion sur le rôle que pourrait ou non jouer lénergie nucléaire face à leffet de serre. Pourtant, la question énergétique est beaucoup plus complexe et à vouloir la simplifier constamment on court le risque de ne pouvoir réagir à la crise très grave qui point.
Entre 1973 et 2000, les consommations dénergie du monde et de la France ont augmenté respectivement de 65% et de 40%. A ce rythme, les besoins planétaires seront multipliés par 2,4 dici 2050. Et après ? En 2100, en 2200 ? Cette croissance, sans limites apparentes, ne pourra évidemment pas durer dans un monde aux dimensions et aux ressources finies. Mais nous vivons dans cette douce illusion dune croissance et dun bonheur éternels. Pourtant, les raisons de changer de stratégie sont nombreuses.
Energie : des réserves limitées
Au rythme de consommation actuel, les réserves prouvées sont de 40 années de pétrole, 63 de gaz et 218 de charbon (ref [1]) et 71 ans duranium (ref [2]). Mais même en doublant, ces réserves resteraient dérisoires : quelques décennies. Nos descendants proches seront touchés. Il faut en conclure que :
- on ne peut plus bâtir des politiques économiques avec des croissances positives,
- il faudra changer nos systèmes de production et de consommation dénergie pour sadapter. Et ces transformations seront longues : bâtiments, machines, véhicules, sont conçus pour durer plusieurs décennies. Le choix des infrastructures (rail ou route par exemple) a des effets pendant parfois un siècle. Loin de permettre de voir venir , les quelques décennies de ressources seront à peine suffisantes pour opérer ces mutations lourdes qui devront en plus vaincre linertie de nos mentalités.
Curieusement, dans ce contexte de pénurie prévisible, les lois du marché fonctionnent mal. Léconomie enseigne que le prix dun bien reflète sa rareté. Or même à 35 dollars le baril, le pétrole est moins cher que leau minérale ! Serait-il moins rare ?
Première conclusion : on dispose de peu de temps pour résoudre la question de lénergie.
Lénergie est responsable de 80 à 90% des nuisances environnementales
A tous les stades de sa transformation lénergie est source de nuisances : marées noires, effet de serre, couche dozone, déchets radioactifs, la liste est longue et limpact environnemental de ces nuisances nest plus nié par quiconque. La plus médiatisée de ces menaces est le réchauffement climatique (majoritairement dû au CO2) dont dorigine anthropique est aujourdhui bien établie : le monde libère déjà deux fois plus de carbone que ce que la Terre peut absorber (essentiellement par les océans). Si les pays riches ne divisent pas très vite par quatre ou cinq (voire dix pour certains) leurs rejets de gaz à effet de serre (donc aussi leurs consommations dénergie), les désordres observés se multiplieront : inondations, tempêtes, modification des régimes de climats et de pluies, inversion des grands courants marins, voire débullage de locéan qui au lieu dabsorber le CO2 relarguerait celui quil contient déjà. Lissue serait fatale...
Le coût de ces désordres est déjà considérable : en 2002, la Munichoise de Réassurance la évalué à 55 milliards de dollars pour le monde. Les tempêtes de 1999 ont coûté en France plus de 15 milliards deuros (réf [3]), soit le coût de neuf réacteurs nucléaires ou de 65 années du plan national damélioration de lefficacité énergétique...
La seconde menace environnementale, moins médiatisée, est évidemment celle du nucléaire. Déchets sans solution, dissémination de matières radioactives, risques daccidents majeurs resteront pour encore longtemps, et malgré la bienveillance de scientifiques de renom, les marques dune industrie bien sale...
Seconde conclusion : il faut diviser par cinq les consommations dénergie pour conserver lespoir dune vie sur Terre demain.
Lénergie : un enjeu géopolitique majeur
Les ressources dénergie fossile se trouvent réparties de façon peu homogène : 65 % des réserves de pétrole et 35% de celles de gaz sont au Proche Orient, seule région à pouvoir offrir au monde sa croissance et ses ajustements de consommation dans le futur. Mais 70% des réserves de charbon sont regroupées dans les trois régions potentiellement les plus puissantes du monde : les USA, la Chine et lex URSS.
Les ennuis de lIrak ne sont à lévidence pas liés au souci de rétablir la démocratie mais au fait quil dispose probablement des plus grosses réserves de pétrole du monde. Cette guerre préfigure celles qui vont suivre, toutes destinées à contrôler lapprovisionnement en énergie du monde riche. Puis viendront les guerres pour le partage de ces ressources, donc entre pays riches. Et ceci se déroulera sur fond de pénurie dans les pays les plus pauvres.
Mais on ne peut aussi exclure les conflits consécutifs aux désordres climatiques eux-mêmes, comme les inondations de certaines régions par la mer et lexode des populations vers des pays qui les combattront.
Troisième conclusion : les stratégies énergétiques actuelles des pays riches mènent avec certitude à une recrudescence des guerres et de la misère sur Terre. Pour les pays pauvres, tous les scénarios du futur sont des scénarios catastrophe dont ils ne sortiront pas vainqueurs.
Agir : les trois temps de la démarche Négawatt
Face à ce constat, la seule réponse avancée est de produire encore plus. Deux pistes dominent :
- faire plus de nucléaire. Mais cette solution surprend, car même dans les scénarii les plus optimistes du Conseil mondial de lénergie, le nucléaire ne représenterait pas plus de 8 % du bilan énergétique mondial en 2050. Il nest donc pas une réponse à leffet de serre, cest un problème dordre de grandeur,
- développement des technologies futuristes complexes dont il nest sûr ni quelles fonctionneront, ni quelles seront économiquement et environnementalement acceptables (hydrates de méthane, séquestration du carbone, centrales solaires en orbite, fusion, etc.)
Mais, face aux politiques, il nexiste quun seul type de vrai lobby : celui qui regroupe les vendeurs dénergie. Pourtant, il existe une alternative. Elle nécessitera de gros efforts, sera probablement longue à mettre en uvre et supposera surtout que nous changions radicalement notre regard sur lénergie : cest lapproche négawatt .
Elle se décline en trois temps :
Dabord recourir à la sobriété. Cela consiste à supprimer les gaspillages absurdes et coûteux à tous les niveaux de lorganisation de notre société et dans nos comportements individuels. Ce nest ni laustérité, ni le rationnement. Mais il faut fonder notre avenir sur des besoins énergétiques moins boulimiques, mieux maîtrisés et plus équitables. La sobriété sappuie sur la responsabilisation de tous les acteurs, du producteur au citoyen. Exemple : ne se déplacer que si cest strictement nécessaire, faire du covoiturage, éviter à tout prix lavion, renoncer à la climatisation. Ou encore, limiter le niveau déclairement dans les pièces de vie, ou néclairer que les zones de travail.
Ensuite, rechercher lefficacité énergétique. Il faut réduire la quantité dénergie nécessaire pour satisfaire un besoin donné. Avoir 19°C en consommant le moins possible suppose de surisoler lenveloppe du bâtiment et dutiliser lénergie avec le moins de pertes possible. Cest le domaine de la technologie et de la bonne conception des ouvrages : isolants performants, vitrages à haute isolation, chaudières à haut rendement, régulation, programmation, etc. Mais ce qui est vrai dans le bâtiment est vrai partout : on doit construire des véhicules consommant 1 l/100 km (déjà en projet aux USA avec lHypercar), des appareils ménagers et des machines beaucoup plus sobres, supprimer les consommations de veille sur les appareils, etc.
enfin, on aura recours en dernier lieu aux énergies renouvelables (ENR). Ainsi, les besoins énergétiques à assurer sont faibles, et linvestissement en ENR sera limité.
On peut se demander si cette approche est réaliste. Des expériences et des recherches ont lieu depuis longtemps : il nexistait en France jusquen 1975 aucune contrainte pour le chauffage des logements neufs. Mais depuis, quatre réglementations successives ont réduit des deux tiers les besoins de chauffage des constructions neuves.
Ceci montre que la maîtrise de lénergie est déjà opérationnelle à grande échelle et que la voie réglementaire est probablement la seule et la plus efficace pour sa mise en uvre. Elle conduit à réduire dun facteur deux à quatre les consommations. Le facteur deux correspond à ce que lon sait faire à peu près couramment, le facteur quatre à ce que lon pourrait faire en développant les techniques les plus performantes de façon industrielle (réf. [4]). On trouvera sur notre site Web les éléments pour diviser par deux les consommations de chauffage, eau chaude et électricité (https://perso.club-internet.fr/sidler). On ferait encore mieux si des travaux de recherche, des expériences grandeur nature et des efforts étaient engagés. Il faut repenser les infrastructures, inverser les logiques, développer de nouveaux produits industriels. Mais concevoir des produits à faible consommation dénergie nest pas encore une priorité industrielle. Pourtant, la vraie modernité, le vrai Progrès résident dans la société de lintelligence, celle qui aura su réduire la pression quelle exerce sur les ressources nécessaires à assurer son existence, en stimulant son tissu économique par linnovation et la créativité.
LAssociation Négawatt (voir réf [5]), constituée de professionnels engagés sur le terrain de la maîtrise de lénergie et des ENR, a construit un scénario long terme sappuyant sur cette démarche en trois temps. Il ressort quà ce jour, cest le seul scénario respectant les directives du gouvernement lui-même (diviser par 4 les consommations dénergie dici à 2050).
En 2050 notre consommation et les rejets de CO2 pourraient être respectivement trois et cinq fois plus faibles quen poursuivant les tendances actuelles. De quoi être satisfait. Mais...
Les freins à la démarche Négawatt
Il faudra du temps pour transformer les systèmes de production et de consommation dénergie. Et contrairement à lidée répandue, le délai disponible, quelques décennies, est extrêmement court. A cause de linertie de ces systèmes : les bâtiments sont construits pour 50 ans, les infrastructures pour 100 ans, les véhicules pour 10 ans. De même pour les systèmes de production : construire une centrale, un parc éolien prend de très nombreuses années. Et puis enfin, il y a le pire des freins : linertie des mentalités. Lhomme attend toujours les situations de crise profonde pour agir, et les solutions quil met alors en place sont très coûteuses et peu efficaces. Le bilan économique final est catastrophique. Avec les 15 milliards deuros des tempêtes de 1999, on aurait par exemple pu financer lisolation de deux millions de logements !
Il faut donc rapidement une prise de conscience nationale sérieuse, tant de la classe politique que des citoyens. Chacun doit se sentir concerné et être lacteur de cette lente transformation du paysage énergétique. Il y a urgence.
La démarche Négawatt sera-t-elle suffisante ?
Pour mettre la planète hors de danger, il lui faut un régime stable, sans croissance. Stabiliser la consommation dénergie est essentiel. Or cette consommation dépend de trois facteurs : la démographie, lévolution du niveau de vie (que lon caractérise bien mal par le PIB/hab), et lintensité énergétique qui est la quantité dénergie primaire nécessaire à la production dune unité de PIB. En clair, plus les modes dutilisation de lénergie seront efficaces, plus lintensité énergétique et la consommation seront faibles. Mais quel est le poids respectif de ces trois facteurs ?
La consommation dénergie en France a augmenté de 36 % entre 1973 et 2000. Dans le même temps laugmentation du PIB/hab a été de 61 % et celle de la population de 13 %. Ces deux facteurs cumulés auraient conduit à une croissance énergétique de 81 % sil ny avait eu une baisse de 25 % de lintensité énergétique (due aux économies dénergie).
Imaginons maintenant quen 1973 on ait mis en uvre une politique volontariste de maîtrise de lénergie assise sur une division par quatre des consommations (ce que lon sait faire de mieux). On aurait maintenu jusquen 2035 le niveau de consommation de 1973.... Au-delà, la croissance énergétique aurait été inéluctable (à moins dinnovations technologiques). Seul le recours aux ENR pourrait encore retarder le phénomène. Mais on voit bien que, maîtrise de lénergie et ENR ne sont que des moyens de ralentir un phénomène qui sera inéluctable tant quon ne décidera pas dagir à la source en stabilisant les déterminants majeurs de la croissance énergétique que sont la démographie et le niveau de vie.
Conclusion : à elle seule la démarche négawatt ne pourra suffire
Il faudra bien un jour avoir le courage et la lucidité dadmettre que toutes nos références doivent changer si lon veut perdurer sur Terre. Pour cela il faudra stabiliser les populations (pas seulement celles des pays pauvres !) et surtout renoncer à cette croissance aveugle du niveau de vie en acceptant le retour à une certaine sobriété, au moins pour les pays riches. On doit très sérieusement commencer à réfléchir au processus de décroissance, même si cette idée paraît aujourdhui iconoclaste et utopique. Il est vrai que la croissance crée lemploi, il est vrai quelle est le moteur de léconomie que nous avons inventée. Mais ce modèle économique sest toujours affranchi des ressources naturelles puisquil les considérait inépuisables. On sait aujourdhui que cest faux. Tous ensemble on doit donc réfléchir à ce que pourraient être dautres modes de vie, basés sur dautres valeurs, dautres ambitions, dautres rapports entre les peuples. Cest effectivement un vaste programme... Mais cest pourtant bien la question de fond du problème de lénergie. Tout le reste nest que billevesée.
Olivier Sidler (Energéticien)
Courriel : sidler@club-internet.fr