André Larivière, salarié du Réseau "Sortir du nucléaire" s’est rendu en Ukraine du 22 au 27 avril 2006. Il a accompagné la Diagonale de Tchernobyl (performance artistique de théâtre, musique et spectacle). Voici son compte rendu. Emouvant.
23-25 avril 06 : conférence internationale dONG (avec plus de 200 participants) pour contrer les mensonges de lAIEA (Agence Internationale pour lEnergie Atomique) sur Tchernobyl. De nombreux experts indépendants (surtout anglo-saxons, ukrainiens et russes) viennent annoncer des chiffres inquiétants sur cette catastrophe.
- 24-26 avril : lAIEA tient aussi, à un coin de rue de là, sa conférence officielle pour les 20 ans de Tchernobyl. Nous en profitons pour aller manifester à lentrée de leur conférence avec des banderoles et slogans disant : Honte à lAIEA et Un Tchernobyl a suffi ; on ne veut plus de centrales nucléaires et encore il ny a pas de centrales sûres dans un monde instable.
- 25 avril : je rejoins la Diagonale de Tchernobyl (composée de comédiens de Brut de béton et de musiciens français) dans lécole dart du village de Krasiatychi qui se situe juste en-dehors de la zone interdite et qui est considéré comme faiblement contaminé en permanence. Ce lieu leur sert pour répéter et gérer la vie quotidienne du groupe. Ils y séjourneront pendant les deux prochaines semaines et y monteront un chapiteau pour créer lévénement avec les gens du village. Région à la vie rurale simple dantan : partout des piétons, des vélos et des chevaux attelés à des charrettes. Silence et lenteur tels que cela nexiste plus depuis belle lurette dans loccident riche.
- 25 avril à 13h30 : après des mois de tergiversations, la Diagonale obtient une autorisation verbale au téléphone pour jouer le soir même devant la centrale de Tchernobyl de 18 à 20 heures. Rendez-vous pris à lun des postes-frontières de la zone interdite à 15 heures pour être guidés et encadrés jusquau pied de la centrale. Par le même appel, nous apprenons que celle (Rima) qui suivait ce dossier depuis des mois vient de décéder.
- 25 avril à 15 heures : en attente au poste-frontière pendant une heure. Le guide narrive pas. Sachant combien lourde est cette bureaucratie post-soviétique (il aura fallu 21 heures dattente au bus de la Diagonale pour franchir la frontière dUkraine depuis la Pologne), nous ne savons encore si lentente verbale sera vraiment suivie deffets. Au poste-frontière se tiennent aussi deux cinéastes payés par lAIEA (!) Pour recueillir les impressions des gens sur Tchernobyl. Après quon leur eut expliqué notre projet, ils ne sattardent plus guère avec nous
- 25 avril après 16 heures : notre guide arrive enfin. Elle semble stressée et sévère. Probablement craint-elle une bande de farfelus aux gestes inconsidérés. En passant, je salue ici Bruno Boussagol, metteur en scène et artisan principal de cette Diagonale qui, par ses attitudes très zen, a su allier détermination, souplesse et humilité pour franchir et déplacer des montagnes dembûches. En chemin, sur le long de la route, des villages abandonnés et littéralement avalés par la forêt nouvelle. Arrivée sur le site du réacteur qui continue de cracher par les nombreuses fissures du sarcophage. Nos compteurs Geiger crépitent et atteignent des sommets. Ne pas quitter le bitume. Ne pas marcher sur lherbe et le sable alentour. Et sur le bitume, ne pas sasseoir au sol. Roland, pompier à la retraite formé à la prévention des risques radiologiques, a confectionné des recouvrements plastiques pour toutes nos chaussures ; et la scène sinstalle sur une grande bâche plastique que nous laisserons sur place.
- à 18 heures, la veillée artistique débute avec bougies, clochettes, harmonium, harpe, flûtes traversières et clavier. Des extraits de La Supplication (témoignages de victimes de Tchernobyl) sont dits. LAve Maria de Schubert est chanté. Un texte de lApocalypse est aussi lu où il est question de labsinthe qui rend 1/3 des eaux de la terre amères. En ukrainien, Tchernobyl signifie absinthe. Pendant certains silences, on entend distinctement le vent (qui vient du côté de la centrale) chanter tout seul au travers de la harpe. Le tout avec, comme arrière-scène et ligne dhorizon, le monstre de Tchernobyl qui respire encore. Lémotion est à son comble. Les comédiens retiennent leurs larmes pour arriver à dire leur texte jusquau bout. Presque tous pleurent à un moment ou lautre. Pas de public. Quelques télés : France 2, une allemande et une ou deux ukrainiennes. Des caméramen qui marchent sur la pointe des pieds en faisant attention pour ne pas troubler la gravité et le recueillement de ce moment unique. Quand nous repartons, notre guide monte sur le bus pour nous dire merci et que ce que nous avons fait était vraiment très bien. Elle a perdu son masque de sévérité. Nous apprenons après coup que la personne décédée qui gérait ce dossier avant elle était à la fois une amie personnelle et que la nouvelle guide avait eu à cur de mener correctement ce dossier à terme. Son amie décédée avait à peine plus de 40 ans et les causes du décès nont pas été éclaircies. On sait qu’elle vivait dans la zone comme si la radioactivité nexistait pas ; jusquà faire son jogging en forêt
- 26 avril : commémoration des 20 ans de la catastrophe de Tchernobyl avec les villageois de Krasiatychi où nous séjournons. Ce bourg a été atteint de plein fouet car 14 villages relevant de cette commune ont été évacués de force, en partie rasés et se retrouvent maintenant en zone interdite. Les noms des 14 villages sont écrits sur un mur ; et autant de bougies piquées chacune dans une tranche de pain bis rappellent probablement que lUkraine était considérée comme le grenier à blé de lURSS. Des villageois viennent chaleureusement nous saluer. Nous apprenons par nos interprètes que certains de leurs enfants bénéficient de vacances en France grâce aux bons soins de lassociation "Enfants de Tchernobyl". Par nos interprètes, nous apprenons aussi que le gardien de lécole où nous sommes installés a été lun des premiers liquidateurs appelés à Tchernobyl et quil a aidé à évacuer en urgence les habitants de Pripyat (encore aujourdhui largement polluée au plutonium). Depuis, plusieurs de ses collègues sont morts. Il se sent abandonné par lEtat et survit en faisant du gardiennage. Nous lui montrons des photos prises la veille dans la zone. Il est très ému car il nétait pas retourné sur place et navait pas idée de quoi cela avait lair maintenant. Le reste de la soirée et une partie de la nuit se passent en échanges musicaux avec quelques amis ukrainiens.
Merci à la Diagonale de mavoir permis de les rejoindre dans cette belle grande expérience.
BD : Tchernobyl, mon amour
Chantal Montellier, la grande dame de la BD, l’auteure de Wonder city, des Damnés de Nanterre et beaucoup d’autres ouvrages salués en leur temps, notamment, dans "Métal Hurlant" vient de sortir sa dernière BD : Tchernobyl, mon amour aux éditions Actes Sud.
La sortie de cette BD coïncide, et ce n’est pas un hasard, avec les 20 ans de la catastrophe de Tchernobyl, de même importance à ses yeux, pour les dommages causés, qu’Hiroshima, d’où le titre. Dans cet ouvrage, elle lance une héroïne déjà apparue dans une autre BD dans une enquête sur cette tragédie qui l’a particulièrement touchée et qui, dans ses suites les plus actuelles, la révolte. C’est une uvre sensible, documentée et de fiction, où l’humour n’est toutefois pas absent. Définitivement engagée, Chantal Montellier signe là un manifeste antinucléaire sans compromis.
André Larivière
Pour le Réseau "Sortir du nucléaire"
Pour en savoir plus sur la Diagonale de Tchernobyl : https://diagonaletchernobyl.free.fr/
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