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Tchernobyl : la catastrophe et la désinformation durent depuis plus de 30 ans

26 avril 1986 : Début de la catastrophe

Article publié le 26 avril 2012



Le 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine), réputée « si sûre qu’elle aurait pu être construite sur la Place Rouge », explose en projetant dans l’atmosphère des quantités considérables de radioéléments.



 

 

La première vague d’évacuation ne commencera que le lendemain ; une zone d’exclusion de 30 km de rayon sera ensuite définie. Pendant des mois, pompiers puis « liquidateurs » - de 600 000 à 900 000 personnes, essentiellement des jeunes recrutés sur tout le territoire de l’URSS - se relaient dans des conditions sanitaires catastrophiques pour éteindre l’incendie, puis pour tenter à tout prix d’étouffer la fusion du cœur du réacteur. Comme celui-ci menace de s’enfoncer dans le sol, un tunnel de 167 mètres de long est creusé sous le réacteur pour y construire une dalle de béton. Une deuxième explosion catastrophique sera évitée, mais au prix de l’irradiation de centaines de milliers de personnes.

Les radionucléides mortifères projetés par l’explosion ont touché principalement le Bélarus, l’Ukraine et l’Ouest de la Russie, mais se sont également dispersés sur une grande partie de l’Europe. Des concentrations élevées se déposent notamment en Autriche, en Suède et en Finlande. La France n’est pas épargnée : les Alpes, la Corse et l’Alsace seront les régions les plus touchées.

Très vite, l’appareil de désinformation officiel se met en place en Ukraine, mais aussi en Europe. En France, le Professeur Pellerin, directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants, intervient à de nombreuses reprises pour minimiser la menace sanitaire. Aucune distribution de pastilles d’iode n’aura lieu, et – contrairement à ce qui s’est passé chez nos voisins européens - aucune consigne concernant les aliments contaminés ne sera donnée. Le même Pierre Pellerin fera partie du petit cénacle d’experts internationaux qui s’accorderont sur le nombre de morts de Tchernobyl à communiquer officiellement [1].

L’Ukraine entre tourisme radioactif et chantier pharaonique

26 ans après l’explosion, pour les autorités ukrainiennes, la catastrophe est terminée. Deux nouveaux réacteurs nucléaires sont en commande. La zone d’exclusion de Tchernobyl est ouverte aux touristes en quête de sensations fortes [2]. Le 23 avril 2012, le Premier Ministre Mykola Azarov a même déclaré que le niveau de radioactivité avait considérablement baissé ces dernières années dans la zone d’exclusion, et qu’il était temps de « revitaliser » la région et donner un coup de jeune aux villages abandonnés.

Pourtant, le réacteur éventré n’a pas fini de menacer l’Ukraine : le sarcophage de béton construit à la va-vite au-dessus de ses ruines se fissure déjà. La construction d’une arche métallique géante de 29 000 tonnes, 105 mètres de haut et 260 mètres de long, conçue pour durer 100 ans, est prévue. Ce chantier pharaonique, mené par un consortium formé de Vinci et Bouygues, coûtera 1,54 milliards d’euros. L’Ukraine ne pouvant y contribuer qu’à hauteur de 8%, le reste a été financé par l’Union Européenne et le reste de la communauté internationale.

La vie durablement contaminée

Surtout, la catastrophe sanitaire n’a pas fini de sévir. Parmi les 600 000 à 900 000 liquidateurs, un grand nombre sont décédés ou tombés rapidement malades des suites de leur irradiation. Plus de deux millions de personnes vivent toujours dans des zones contaminées en Ukraine, 1,1 million au Bélarus et 1,5 en Russie. Certains radioéléments projetés en masse lors de l’explosion sont toujours présents dans les sols et entrent dans la chaîne alimentaire. C’est le cas du Césium 137 et du Strontium 90, qui n’ont perdu que la moitié de leur activité depuis 1986 et dont les effets nocifs ne prendront fin que d’ici trois siècles. En particulier, l’accumulation du Césium 137 dans l’organisme va de pair avec une augmentation spectaculaire du taux de cancers et de pathologies cardiovasculaires, en particulier chez les enfants. Elle provoque également des changements hormonaux responsables d’une infertilité croissante, ainsi que l’augmentation des malformations pour les enfants.

La désinformation est toujours à l’œuvre concernant les impacts réels de Tchernobyl. Devant l’élévation du taux de malformations congénitales (passé entre 2000 et 2009 de 3,5 pour 1000 à 5,5 pour 1000), la réponse du ministère de la Santé du Bélarus a été de fermer l’unique Institut de recherche sur les maladies héréditaires et congénitales [3]. En 2005, le « Forum Tchernobyl », réuni à Vienne sous l’égide de l’AIEA, a conclu que seuls 4000 décès pouvaient être attribués à Tchernobyl. L’augmentation des pathologies et la dégradation de l’état de santé des populations y sont notamment mises sur le compte du stress (la « radiophobie »), de l’alcoolisme et de la détérioration des conditions économiques et sociales dans les régions concernées. Pourtant, les recherches menées par des scientifiques indépendants mettent au jour des chiffres autrement plus élevés. Selon une étude du Pr. Yuri Bandajevski, publiée par l’Académie de Médecine de New-York en 2011, la catastrophe et ses suites seraient responsables de 985 000 morts [4].

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Vingt-cinq ans après le début de la catastrophe de Tchernobyl, un nouvel accident majeur a eu lieu au Japon. On peut constater avec tristesse que la mécanique de déni et de désinformation s’est à nouveau mise en marche ; ainsi, pour Shunishi Yamashita, responsable des études épidémiologiques qui concerneront la population de Fukushima, la radiation ne touche pas les gens heureux, mais seulement les faibles d’esprit [5] !

Que ce soit un an, 10 ans ou 40 ans après, ces catastrophes que l’on cherche à cacher et reléguer dans le passé sont cruellement actuelles, et le resteront pendant des siècles. Pour empêcher qu’elles se reproduisent, une seule solution : sortir du nucléaire, et vite !


Notes

[1Wladimir Tchertkoff, Le crime de Tchernobyl. Le goulag nucléaire, Actes Sud, avril 2006

[3Bandajevski Y, Dubovaya N.F., Les conséquences de Tchernobyl sur la natalité. Césium radioactif et processus de reproduction, Éditions Yves Michel, 2012.

[4Alexey V. Yablokov, Vassily B. Nesterenko et Alexey V. Nesterenko, Chernobyl. Consequences of the catastrophe for people and the environnement, Annales de l’Académie des Sciences de New York, Volume 1181. Consulter un résumé en français ici.

 

 

La première vague d’évacuation ne commencera que le lendemain ; une zone d’exclusion de 30 km de rayon sera ensuite définie. Pendant des mois, pompiers puis « liquidateurs » - de 600 000 à 900 000 personnes, essentiellement des jeunes recrutés sur tout le territoire de l’URSS - se relaient dans des conditions sanitaires catastrophiques pour éteindre l’incendie, puis pour tenter à tout prix d’étouffer la fusion du cœur du réacteur. Comme celui-ci menace de s’enfoncer dans le sol, un tunnel de 167 mètres de long est creusé sous le réacteur pour y construire une dalle de béton. Une deuxième explosion catastrophique sera évitée, mais au prix de l’irradiation de centaines de milliers de personnes.

Les radionucléides mortifères projetés par l’explosion ont touché principalement le Bélarus, l’Ukraine et l’Ouest de la Russie, mais se sont également dispersés sur une grande partie de l’Europe. Des concentrations élevées se déposent notamment en Autriche, en Suède et en Finlande. La France n’est pas épargnée : les Alpes, la Corse et l’Alsace seront les régions les plus touchées.

Très vite, l’appareil de désinformation officiel se met en place en Ukraine, mais aussi en Europe. En France, le Professeur Pellerin, directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants, intervient à de nombreuses reprises pour minimiser la menace sanitaire. Aucune distribution de pastilles d’iode n’aura lieu, et – contrairement à ce qui s’est passé chez nos voisins européens - aucune consigne concernant les aliments contaminés ne sera donnée. Le même Pierre Pellerin fera partie du petit cénacle d’experts internationaux qui s’accorderont sur le nombre de morts de Tchernobyl à communiquer officiellement [1].

L’Ukraine entre tourisme radioactif et chantier pharaonique

26 ans après l’explosion, pour les autorités ukrainiennes, la catastrophe est terminée. Deux nouveaux réacteurs nucléaires sont en commande. La zone d’exclusion de Tchernobyl est ouverte aux touristes en quête de sensations fortes [2]. Le 23 avril 2012, le Premier Ministre Mykola Azarov a même déclaré que le niveau de radioactivité avait considérablement baissé ces dernières années dans la zone d’exclusion, et qu’il était temps de « revitaliser » la région et donner un coup de jeune aux villages abandonnés.

Pourtant, le réacteur éventré n’a pas fini de menacer l’Ukraine : le sarcophage de béton construit à la va-vite au-dessus de ses ruines se fissure déjà. La construction d’une arche métallique géante de 29 000 tonnes, 105 mètres de haut et 260 mètres de long, conçue pour durer 100 ans, est prévue. Ce chantier pharaonique, mené par un consortium formé de Vinci et Bouygues, coûtera 1,54 milliards d’euros. L’Ukraine ne pouvant y contribuer qu’à hauteur de 8%, le reste a été financé par l’Union Européenne et le reste de la communauté internationale.

La vie durablement contaminée

Surtout, la catastrophe sanitaire n’a pas fini de sévir. Parmi les 600 000 à 900 000 liquidateurs, un grand nombre sont décédés ou tombés rapidement malades des suites de leur irradiation. Plus de deux millions de personnes vivent toujours dans des zones contaminées en Ukraine, 1,1 million au Bélarus et 1,5 en Russie. Certains radioéléments projetés en masse lors de l’explosion sont toujours présents dans les sols et entrent dans la chaîne alimentaire. C’est le cas du Césium 137 et du Strontium 90, qui n’ont perdu que la moitié de leur activité depuis 1986 et dont les effets nocifs ne prendront fin que d’ici trois siècles. En particulier, l’accumulation du Césium 137 dans l’organisme va de pair avec une augmentation spectaculaire du taux de cancers et de pathologies cardiovasculaires, en particulier chez les enfants. Elle provoque également des changements hormonaux responsables d’une infertilité croissante, ainsi que l’augmentation des malformations pour les enfants.

La désinformation est toujours à l’œuvre concernant les impacts réels de Tchernobyl. Devant l’élévation du taux de malformations congénitales (passé entre 2000 et 2009 de 3,5 pour 1000 à 5,5 pour 1000), la réponse du ministère de la Santé du Bélarus a été de fermer l’unique Institut de recherche sur les maladies héréditaires et congénitales [3]. En 2005, le « Forum Tchernobyl », réuni à Vienne sous l’égide de l’AIEA, a conclu que seuls 4000 décès pouvaient être attribués à Tchernobyl. L’augmentation des pathologies et la dégradation de l’état de santé des populations y sont notamment mises sur le compte du stress (la « radiophobie »), de l’alcoolisme et de la détérioration des conditions économiques et sociales dans les régions concernées. Pourtant, les recherches menées par des scientifiques indépendants mettent au jour des chiffres autrement plus élevés. Selon une étude du Pr. Yuri Bandajevski, publiée par l’Académie de Médecine de New-York en 2011, la catastrophe et ses suites seraient responsables de 985 000 morts [4].

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Que ce soit un an, 10 ans ou 40 ans après, ces catastrophes que l’on cherche à cacher et reléguer dans le passé sont cruellement actuelles, et le resteront pendant des siècles. Pour empêcher qu’elles se reproduisent, une seule solution : sortir du nucléaire, et vite !



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