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Sortir du nucléaire n°62



Août 2014

Focus

Loi de transition énergétique : un mauvais feuilleton

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°62 - Août 2014



Le 18 juin 2014, le gouvernement a dévoilé une partie des grandes lignes de la loi de transition énergétique qui doit être votée début 2015. Cafouillages, articles cachés, texte marqué par l’empreinte d’EDF : on est loin d’une grande loi qui permettrait d’engager une vraie transition !



Une loi très attendue

Cela va sans dire : en France, une vraie loi de transition énergétique, qui réoriente vers la sobriété et les énergies renouvelables, est indispensable et urgente. Nous avons besoin de mesures et d’orientations qui permettent de fermer rapidement les réacteurs vieillissants pour laisser se développer les alternatives, et d’arrêter de gaspiller des milliards pour une technologie dépassée.

Depuis des mois, des rapports s’accumulent comme autant de signaux d’alerte indiquant la nécessité d’un virage rapide : étude de Greenpeace sur les coûts des travaux de rafistolage attendus des vieilles centrales, mise en garde de l’Autorité de sûreté nucléaire sur les risques d’une prolongation du fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans, mise en garde de la Cour des Comptes sur une augmentation de 21% en trois ans des coûts de production du nucléaire...

Une vraie loi de transition permettrait également d’apporter une réponse claire à la fameuse équation de la "réduction de la part du nucléaire à 50% d’ici 2025", qui peut être interprétée de toutes les manières. S’agit-il de fermer des réacteurs, comme le demandait l’accord passé entre le PS et EELV - et comme l’envisagent même certains hauts fonctionnaires [1] ? Ou juste de laisser croître toutes les énergies pour réduire mécaniquement la proportion de nucléaire dans la production, comme le préconise EDF ?

Une conférence de presse surréaliste

Mais le projet de loi de transition énergétique qui doit être discuté cet automne, puis voté début 2015, est loin de répondre à ces enjeux. La ministre de l’Environnement Ségolène Royal a donné le ton, le 18 juin dernier, lors de la conférence de presse censée en dévoiler les grandes lignes, à laquelle j’ai pu assister.

Après une ode à la croissance verte et au refus d’une "écologie punitive" ("j’ai évacué toutes les normes contraignantes de la loi"), un quart d’heure d’autosatisfaction sur "ses" réalisations en Poitou-Charentes, Ségolène Royal se lance dans une description détaillée de son plan pour la voiture électrique, "la voiture la plus propre qui existe". Bornes de recharges, parkings, couloirs de circulation... tout y passe. Et le nucléaire dans tout ça ? Esquivé.

Resté sur sa faim, un journaliste l’interroge : prévoit- elle de réduire les consommations d’électricité, seule mesure qui permettrait de fermer des centrales ? "Écoutez, il y aura des trajectoires. On ne va pas faire de bataille de chiffre", réplique-t-elle sèchement. Mais encore ? "On verra. On verra", assène-t-elle avec condescendance.

J’interpelle alors Mme Royal concernant la réduction de la part du nucléaire. Compte-t-elle fermer des centrales ? "Nous ne sortirons pas du nucléaire, ce n’est pas le choix qui est fait. Je dirais même que c’est grâce à l’énergie nucléaire aujourd’hui, à la sécurité qu’elle apporte que nous pouvons accélérer et faire sereinement la transition énergétique". Et de poursuivre : "Je ne veux pas qu’on oppose les énergies les unes aux autres, le temps n’est plus aux confrontations, aux batailles idéologiques". Refusant sans doute les "confrontations", elle esquivera aussi les questions concernant le devenir de Fessenheim...

EDF reste maître de la politique énergétique

"La question, ce n’est pas de garder la main ou pas, mais de faire ce qui est bon pour le pays !", assène Ségolène Royal, confondant apparemment l’intérêt général avec les intérêts d’EDF. De fait, le texte ne comporte rien qui imposerait quoi que ce soit de contraignant à l’énergéticien. La durée de fonctionnement des centrales n’est pas limitée. Et surtout, l’État n’a toujours pas la possibilité de faire fermer une centrale pour raison de politique énergétique. Il se contentera de donner des orientations dans le cadre d’une "Programmation Pluriannuelle de l’Énergie" (PPE), qu’EDF sera ensuite censé décliner. Mais rien ne garantit que celle-ci permettra d’exiger des fermetures de réacteurs.

Les propos de Ségolène Royal évoquant un "dialogue intelligent et fructueux" avec EDF et son intention de respecter les choix d’une entreprise cotée en bourse laissent d’ailleurs craindre que l’État n’ose pas impulser de changement d’envergure. Les décisions de fermetures nécessaires pour faire face au vieillissement des centrales attendront...

Le projet de loi ne prévoit pas explicitement de réduire la production d’électricité nucléaire et laisse la porte grande ouverte au remplacement progressif des réacteurs. L’étude d’impact qui accompagne le texte évoque d’ailleurs des EPR "marginaux" à l’horizon 2030 et le développement de nouvelles filières nucléaires au cours des prochaines décennies !

Minuscule concession aux écologistes, la production nucléaire est plafonnée à son niveau actuel : aucune nouvelle centrale nucléaire n’est censée entrer en service tant que d’autres n’auront pas été fermées. Suivant cette logique, faudra-t-il donc attendre la mise en service de l’EPR pour que la centrale de Fessenheim soit enfin fermée ?

Insertion sournoise d’un article sur les déchets nucléaires

Dénué de mesures révolutionnaires, le texte recelait de plus deux articles consacrés aux déchets radioactifs et notamment à CIGÉO, le futur site d’enfouissement prévu dans la Meuse. De fait, dès décembre 2013, un brouillon de la loi mentionnait des mesures concernant l’enfouissement et la transposition de la directive européenne de 2011 sur les déchets radioactifs (qui autorise notamment un pays de l’UE à accueillir des déchets provenant d’un autre État-membre). Plus de 50 associations avaient alors adressé une lettre ouverte au gouvernement pour exiger leur retrait. Et début juin, Ségolène Royal avait soutenu que le texte avait été expurgé de toute référence à l’enfouissement des déchets radioactifs, affirmant au président des Amis de la Terre : "S’ils veulent le faire, ils le feront, mais pas dans MA loi !".

Le jour de la conférence de presse, pas de mention de CIGÉO. Mais dans le texte envoyé le soir même aux membres du Conseil National de la Transition Énergétique, nous avons eu la désagréable surprise de découvrir un article prévoyant la mise en œuvre de la directive européenne et un autre prévoyant la création par décret du futur site d’enfouissement, pourtant censé faire l’objet d’un processus législatif !

Immédiatement, nous montons au créneau, de concert avec la coordination BURE-STOP et les Amis de la Terre. Informé du passage en force du gouvernement, EELV, qui s’était globalement félicité de la loi de transition, réagit enfin en demandant le retrait de l’article sur CIGÉO.

Le 20 juin au soir, nous apprenons que le gouvernement a fini par retirer l’article portant spécifiquement sur CIGÉO (l’article sur la directive Euratom demeure cependant...), au grand déplaisir des élus locaux impliqués dans la promotion du projet. Restons vigilants pour que ce retrait demeure définitif ; mais cette petite victoire montre que la mobilisation peut payer.

Le feuilleton n’est pas terminé ! D’ici au vote du projet de loi, continuons d’interpeller les député-e-s pour contrer l’influence d’EDF et leur faire prendre conscience de l’urgence d’une vraie transition.

Charlotte Mijeon


Notes

[1À l’occasion de l’enquête parlementaire sur les coûts du nucléaire menée par le député Denis Baupin, des membres de la Direction Générale de l’Énergie et du Climat ont créé la surprise en déclarant que le développement des énergies renouvelables, s’il était couplé à une croissance modérée des consommations d’électricité, aboutirait d’ici 2025 à un "non-besoin" d’une vingtaine de réacteurs !

Une loi très attendue

Cela va sans dire : en France, une vraie loi de transition énergétique, qui réoriente vers la sobriété et les énergies renouvelables, est indispensable et urgente. Nous avons besoin de mesures et d’orientations qui permettent de fermer rapidement les réacteurs vieillissants pour laisser se développer les alternatives, et d’arrêter de gaspiller des milliards pour une technologie dépassée.

Depuis des mois, des rapports s’accumulent comme autant de signaux d’alerte indiquant la nécessité d’un virage rapide : étude de Greenpeace sur les coûts des travaux de rafistolage attendus des vieilles centrales, mise en garde de l’Autorité de sûreté nucléaire sur les risques d’une prolongation du fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans, mise en garde de la Cour des Comptes sur une augmentation de 21% en trois ans des coûts de production du nucléaire...

Une vraie loi de transition permettrait également d’apporter une réponse claire à la fameuse équation de la "réduction de la part du nucléaire à 50% d’ici 2025", qui peut être interprétée de toutes les manières. S’agit-il de fermer des réacteurs, comme le demandait l’accord passé entre le PS et EELV - et comme l’envisagent même certains hauts fonctionnaires [1] ? Ou juste de laisser croître toutes les énergies pour réduire mécaniquement la proportion de nucléaire dans la production, comme le préconise EDF ?

Une conférence de presse surréaliste

Mais le projet de loi de transition énergétique qui doit être discuté cet automne, puis voté début 2015, est loin de répondre à ces enjeux. La ministre de l’Environnement Ségolène Royal a donné le ton, le 18 juin dernier, lors de la conférence de presse censée en dévoiler les grandes lignes, à laquelle j’ai pu assister.

Après une ode à la croissance verte et au refus d’une "écologie punitive" ("j’ai évacué toutes les normes contraignantes de la loi"), un quart d’heure d’autosatisfaction sur "ses" réalisations en Poitou-Charentes, Ségolène Royal se lance dans une description détaillée de son plan pour la voiture électrique, "la voiture la plus propre qui existe". Bornes de recharges, parkings, couloirs de circulation... tout y passe. Et le nucléaire dans tout ça ? Esquivé.

Resté sur sa faim, un journaliste l’interroge : prévoit- elle de réduire les consommations d’électricité, seule mesure qui permettrait de fermer des centrales ? "Écoutez, il y aura des trajectoires. On ne va pas faire de bataille de chiffre", réplique-t-elle sèchement. Mais encore ? "On verra. On verra", assène-t-elle avec condescendance.

J’interpelle alors Mme Royal concernant la réduction de la part du nucléaire. Compte-t-elle fermer des centrales ? "Nous ne sortirons pas du nucléaire, ce n’est pas le choix qui est fait. Je dirais même que c’est grâce à l’énergie nucléaire aujourd’hui, à la sécurité qu’elle apporte que nous pouvons accélérer et faire sereinement la transition énergétique". Et de poursuivre : "Je ne veux pas qu’on oppose les énergies les unes aux autres, le temps n’est plus aux confrontations, aux batailles idéologiques". Refusant sans doute les "confrontations", elle esquivera aussi les questions concernant le devenir de Fessenheim...

EDF reste maître de la politique énergétique

"La question, ce n’est pas de garder la main ou pas, mais de faire ce qui est bon pour le pays !", assène Ségolène Royal, confondant apparemment l’intérêt général avec les intérêts d’EDF. De fait, le texte ne comporte rien qui imposerait quoi que ce soit de contraignant à l’énergéticien. La durée de fonctionnement des centrales n’est pas limitée. Et surtout, l’État n’a toujours pas la possibilité de faire fermer une centrale pour raison de politique énergétique. Il se contentera de donner des orientations dans le cadre d’une "Programmation Pluriannuelle de l’Énergie" (PPE), qu’EDF sera ensuite censé décliner. Mais rien ne garantit que celle-ci permettra d’exiger des fermetures de réacteurs.

Les propos de Ségolène Royal évoquant un "dialogue intelligent et fructueux" avec EDF et son intention de respecter les choix d’une entreprise cotée en bourse laissent d’ailleurs craindre que l’État n’ose pas impulser de changement d’envergure. Les décisions de fermetures nécessaires pour faire face au vieillissement des centrales attendront...

Le projet de loi ne prévoit pas explicitement de réduire la production d’électricité nucléaire et laisse la porte grande ouverte au remplacement progressif des réacteurs. L’étude d’impact qui accompagne le texte évoque d’ailleurs des EPR "marginaux" à l’horizon 2030 et le développement de nouvelles filières nucléaires au cours des prochaines décennies !

Minuscule concession aux écologistes, la production nucléaire est plafonnée à son niveau actuel : aucune nouvelle centrale nucléaire n’est censée entrer en service tant que d’autres n’auront pas été fermées. Suivant cette logique, faudra-t-il donc attendre la mise en service de l’EPR pour que la centrale de Fessenheim soit enfin fermée ?

Insertion sournoise d’un article sur les déchets nucléaires

Dénué de mesures révolutionnaires, le texte recelait de plus deux articles consacrés aux déchets radioactifs et notamment à CIGÉO, le futur site d’enfouissement prévu dans la Meuse. De fait, dès décembre 2013, un brouillon de la loi mentionnait des mesures concernant l’enfouissement et la transposition de la directive européenne de 2011 sur les déchets radioactifs (qui autorise notamment un pays de l’UE à accueillir des déchets provenant d’un autre État-membre). Plus de 50 associations avaient alors adressé une lettre ouverte au gouvernement pour exiger leur retrait. Et début juin, Ségolène Royal avait soutenu que le texte avait été expurgé de toute référence à l’enfouissement des déchets radioactifs, affirmant au président des Amis de la Terre : "S’ils veulent le faire, ils le feront, mais pas dans MA loi !".

Le jour de la conférence de presse, pas de mention de CIGÉO. Mais dans le texte envoyé le soir même aux membres du Conseil National de la Transition Énergétique, nous avons eu la désagréable surprise de découvrir un article prévoyant la mise en œuvre de la directive européenne et un autre prévoyant la création par décret du futur site d’enfouissement, pourtant censé faire l’objet d’un processus législatif !

Immédiatement, nous montons au créneau, de concert avec la coordination BURE-STOP et les Amis de la Terre. Informé du passage en force du gouvernement, EELV, qui s’était globalement félicité de la loi de transition, réagit enfin en demandant le retrait de l’article sur CIGÉO.

Le 20 juin au soir, nous apprenons que le gouvernement a fini par retirer l’article portant spécifiquement sur CIGÉO (l’article sur la directive Euratom demeure cependant...), au grand déplaisir des élus locaux impliqués dans la promotion du projet. Restons vigilants pour que ce retrait demeure définitif ; mais cette petite victoire montre que la mobilisation peut payer.

Le feuilleton n’est pas terminé ! D’ici au vote du projet de loi, continuons d’interpeller les député-e-s pour contrer l’influence d’EDF et leur faire prendre conscience de l’urgence d’une vraie transition.

Charlotte Mijeon



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