Levée du secret sur la période des essais nucléaires aériens en Polynésie
Article publié le 21 août 2013
Essais nucléaires, une transparence limitée, par Bruno BARRILLOT
Mercredi 3 juillet 2013
Le 28 novembre 2003, l’Aven et Moruroa e tatou avaient déposé une plainte contre X auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris « pour abstention délictueuse, administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui, homicide involontaire et atteinte à l’intégrité physique ». Le cabinet Teissonnière, défenseur des associations, avait demandé la levée du secret sur les documents de la période des essais nucléaires français entre 1960 et 1996, notamment ceux qui touchaient la sécurité radiologique et le contrôle biologique. Le 20 décembre 2012, la Commission consultative du secret de la défense nationale donnait un premier avis favorable de déclassification de 58 documents de la période des essais aériens de la Polynésie entre 1966 et 1974, avis qui a été suivi par le ministre de la défense.
La lecture des 58 documents apporte peu d’informations nouvelles. Et pour cause : cinq d’entre eux sont classifiés « secret » alors que les 53 autres rapports sont classés « confidentiel défense », c’est-à-dire d’un niveau moindre d’information. De plus, certaines parties de ces derniers sont en fait remplacées par des pages blanches dont, par recoupements, on comprend qu’il s’agit de passages relatant des contaminations plus importantes des personnels ou des îles ou des informations sur des retombées radioactives non prévues… Contrairement aux prétextes opposés à la levée du secret par les ministres de la défense au nom des engagements de la France vis-à-vis de la non-prolifération, le maintien du secret défense sur près d’une centaine de pages des 58 documents n’a rien à voir avec un quelconque secret de fabrication de la bombe. Un tel maintien du secret laisse entendre que les essais réalisés par la France étaient propres, sans bavures et sans risques pour les personnels comme pour les populations. Ainsi, presque tous les rapports affirment en conclusion que les doses reçues par les populations sont inférieures aux doses maximales admissibles. Pour justifier cette affirmation, les auteurs des rapports répartissent sur une année la dose de radioactivité importante reçue par les populations en une seule fois après un essai. Le montant de la dose ainsi répartie sur un an est très faible et cela permet d’afficher un caractère minime à une dose massive reçue en un temps très limité lors du passage du nuage radioactif.
Parmi les 58 documents, 11 seulement, émanant du Service Mixte de contrôle biologique, concernent les contaminations des produits alimentaires (chaîne biologique des poissons essentiellement), occultant ainsi les risques de contamination interne des personnels des essais et des habitants de toutes les îles de la Polynésie. Selon un des rapports, citant un médecin général, les contaminations internes par voie alimentaire constituent un danger plus important pour la santé humaine que l’irradiation externe.
En 1997, une trentaine de documents secrets des années 1966 et 1967 sur les essais en Polynésie avaient été consultés et photocopiés par Vincent Jauvert, grand reporter au Nouvel Observateur. Ces documents décrivaient les graves risques radiologiques auxquels les populations polynésiennes et les personnels civils et militaires des essais avaient été exposés à leur insu. Aucun de ces documents ne fait partie de la liste des documents déclassifiés le 20 décembre 2012 par le ministre de la défense.
La Polynésie entière contaminée. 26 bâtiments de la Marine nationale et leurs équipages contaminés Du plutonium dans les retombées radioactives
L’ensemble des îles et atolls de la Polynésie ont été touchés par des retombées radioactives. Au travers des 58 documents, tous les archipels polynésiens sont concernés, remettant ainsi en cause les restrictions géographiques de la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires du 5 janvier 2010. Jusqu’au 20 décembre 2012, le ministère de la défense reconnaissait 219 retombées radioactives sur les 21 îles ou atolls disposant d’appareils de mesure1. Les 58 documents déclassifiés ajoutent 149 autres retombées radioactives sur les îles polynésiennes réparties sur les cinq archipels, soit au total 368 retombées constatées entre 1966 et 1974. Un document classé « secret » (n°43/58) mentionne des retombées de plutonium sur Tahiti (à 1 400 km de Moruroa), jusqu’à 500 fois la « concentration maximale admissible » par heure2, ce qui avait été totalement occulté jusqu’à ce jour. Les quelque 200 retombées radioactives signalées sur les îles et atolls habitées de Polynésie contenaient-elles aussi du plutonium ? On peut le présumer. On sait en effet que le plutonium, matière première de la bombe, est un radioélément extrêmement cancérigène lorsqu’il est inhalé, avalé ou intégré dans la chaîne biologique, même en infime quantité. Les lois de la physique font que le plutonium sera entièrement neutralisé dans 240 000 ans ! Par contre, aucun des nombreux autres rapports déclassifiés traitant de la contamination de Moruroa et Fangataufa après les tirs aériens ne mentionne de retombées de plutonium sur les sols ou dans les lagons des deux atolls nucléaires alors que la présence de plusieurs kilos de plutonium provenant des retombées des essais aériens est attestée et cartographiée dans le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique de 1998.
Malgré cette transparence de façade, l’Aven et Moruroa e tatou pourront utiliser certaines informations contenues dans ces documents pour attester devant les tribunaux — cette fois avec des preuves officielles — la présence des personnels des essais — marins, militaires, personnels des entreprises — dans des zones contaminées ou lors d’opérations à risques radiologiques, notamment lors des missions de mesure de contamination ou lors des récupérations à grands risques des fusées de prélèvement dans le nuage radioactif. On apprend aussi que 26 bâtiments de la marine furent touchés par des retombées radioactives non prévues ou que des îles et atolls de tous les archipels de la Polynésie furent copieusement arrosés de pluies radioactives. Il sera ainsi possible de présumer que les maladies dont ont pu être atteints tous les personnels du CEP ou les habitants des îles, peuvent trouver une origine dans ce milieu ambiant radioactif très nocif pour leur santé.
L’Aven et Moruroa e tatou attendent la confirmation du ministre de la défense suite à un nouvel avis favorable pour la déclassification de 182 autres documents concernant également les essais nucléaires de la France au Sahara3. Les deux associations forment le vœu que les autorités françaises fassent un pas supplémentaire vers une véritable transparence sur ses essais nucléaires en s’inspirant des pratiques américaines de déclassification et de communication publique sur internet qui ont commencé depuis 1993.
Mercredi 3 juillet 2013
Le 28 novembre 2003, l’Aven et Moruroa e tatou avaient déposé une plainte contre X auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris « pour abstention délictueuse, administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui, homicide involontaire et atteinte à l’intégrité physique ». Le cabinet Teissonnière, défenseur des associations, avait demandé la levée du secret sur les documents de la période des essais nucléaires français entre 1960 et 1996, notamment ceux qui touchaient la sécurité radiologique et le contrôle biologique. Le 20 décembre 2012, la Commission consultative du secret de la défense nationale donnait un premier avis favorable de déclassification de 58 documents de la période des essais aériens de la Polynésie entre 1966 et 1974, avis qui a été suivi par le ministre de la défense.
La lecture des 58 documents apporte peu d’informations nouvelles. Et pour cause : cinq d’entre eux sont classifiés « secret » alors que les 53 autres rapports sont classés « confidentiel défense », c’est-à-dire d’un niveau moindre d’information. De plus, certaines parties de ces derniers sont en fait remplacées par des pages blanches dont, par recoupements, on comprend qu’il s’agit de passages relatant des contaminations plus importantes des personnels ou des îles ou des informations sur des retombées radioactives non prévues… Contrairement aux prétextes opposés à la levée du secret par les ministres de la défense au nom des engagements de la France vis-à-vis de la non-prolifération, le maintien du secret défense sur près d’une centaine de pages des 58 documents n’a rien à voir avec un quelconque secret de fabrication de la bombe. Un tel maintien du secret laisse entendre que les essais réalisés par la France étaient propres, sans bavures et sans risques pour les personnels comme pour les populations. Ainsi, presque tous les rapports affirment en conclusion que les doses reçues par les populations sont inférieures aux doses maximales admissibles. Pour justifier cette affirmation, les auteurs des rapports répartissent sur une année la dose de radioactivité importante reçue par les populations en une seule fois après un essai. Le montant de la dose ainsi répartie sur un an est très faible et cela permet d’afficher un caractère minime à une dose massive reçue en un temps très limité lors du passage du nuage radioactif.
Parmi les 58 documents, 11 seulement, émanant du Service Mixte de contrôle biologique, concernent les contaminations des produits alimentaires (chaîne biologique des poissons essentiellement), occultant ainsi les risques de contamination interne des personnels des essais et des habitants de toutes les îles de la Polynésie. Selon un des rapports, citant un médecin général, les contaminations internes par voie alimentaire constituent un danger plus important pour la santé humaine que l’irradiation externe.
En 1997, une trentaine de documents secrets des années 1966 et 1967 sur les essais en Polynésie avaient été consultés et photocopiés par Vincent Jauvert, grand reporter au Nouvel Observateur. Ces documents décrivaient les graves risques radiologiques auxquels les populations polynésiennes et les personnels civils et militaires des essais avaient été exposés à leur insu. Aucun de ces documents ne fait partie de la liste des documents déclassifiés le 20 décembre 2012 par le ministre de la défense.
La Polynésie entière contaminée. 26 bâtiments de la Marine nationale et leurs équipages contaminés Du plutonium dans les retombées radioactives
L’ensemble des îles et atolls de la Polynésie ont été touchés par des retombées radioactives. Au travers des 58 documents, tous les archipels polynésiens sont concernés, remettant ainsi en cause les restrictions géographiques de la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires du 5 janvier 2010. Jusqu’au 20 décembre 2012, le ministère de la défense reconnaissait 219 retombées radioactives sur les 21 îles ou atolls disposant d’appareils de mesure1. Les 58 documents déclassifiés ajoutent 149 autres retombées radioactives sur les îles polynésiennes réparties sur les cinq archipels, soit au total 368 retombées constatées entre 1966 et 1974. Un document classé « secret » (n°43/58) mentionne des retombées de plutonium sur Tahiti (à 1 400 km de Moruroa), jusqu’à 500 fois la « concentration maximale admissible » par heure2, ce qui avait été totalement occulté jusqu’à ce jour. Les quelque 200 retombées radioactives signalées sur les îles et atolls habitées de Polynésie contenaient-elles aussi du plutonium ? On peut le présumer. On sait en effet que le plutonium, matière première de la bombe, est un radioélément extrêmement cancérigène lorsqu’il est inhalé, avalé ou intégré dans la chaîne biologique, même en infime quantité. Les lois de la physique font que le plutonium sera entièrement neutralisé dans 240 000 ans ! Par contre, aucun des nombreux autres rapports déclassifiés traitant de la contamination de Moruroa et Fangataufa après les tirs aériens ne mentionne de retombées de plutonium sur les sols ou dans les lagons des deux atolls nucléaires alors que la présence de plusieurs kilos de plutonium provenant des retombées des essais aériens est attestée et cartographiée dans le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique de 1998.
Malgré cette transparence de façade, l’Aven et Moruroa e tatou pourront utiliser certaines informations contenues dans ces documents pour attester devant les tribunaux — cette fois avec des preuves officielles — la présence des personnels des essais — marins, militaires, personnels des entreprises — dans des zones contaminées ou lors d’opérations à risques radiologiques, notamment lors des missions de mesure de contamination ou lors des récupérations à grands risques des fusées de prélèvement dans le nuage radioactif. On apprend aussi que 26 bâtiments de la marine furent touchés par des retombées radioactives non prévues ou que des îles et atolls de tous les archipels de la Polynésie furent copieusement arrosés de pluies radioactives. Il sera ainsi possible de présumer que les maladies dont ont pu être atteints tous les personnels du CEP ou les habitants des îles, peuvent trouver une origine dans ce milieu ambiant radioactif très nocif pour leur santé.
L’Aven et Moruroa e tatou attendent la confirmation du ministre de la défense suite à un nouvel avis favorable pour la déclassification de 182 autres documents concernant également les essais nucléaires de la France au Sahara3. Les deux associations forment le vœu que les autorités françaises fassent un pas supplémentaire vers une véritable transparence sur ses essais nucléaires en s’inspirant des pratiques américaines de déclassification et de communication publique sur internet qui ont commencé depuis 1993.
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