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Des accidents nucléaires partout

France : Marcoule : La citerne était plus radioactive que prévu

Erreurs sur le contenu, les documents et l’emballage




7 juillet 2021


Le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives) a expédié par la route une citerne servant autrefois à transporter des matières radioactives. Sans avoir bien défini ce qu’il y avait dedans. Lorsque le démontage de la citerne a commencé, les niveaux de radiations ont alerté les équipes.


Les faits datent du 2 mars 2021. Mais c’est 4 mois plus tard, début juillet, que le public est informé, par un communiqué de l’Autorité de sûreté nucléaire (le CEA, exploitant du site de Cadarache, ne mettant pas à disposition ses déclarations d’incidents).
Une citerne - dont ni la contenance ni le contenu ne sont précisés - est partie de l’installation nucléaire secrète [1] de Cadarache [2] pour être démontée dans une usine située à Pierrelatte (Drôme). Quand le démantèlement de cet emballage de transport obsolète du CEA a commencé à l’usine Sogeval en avril et que la couche de protection métallique contre les radiations a été retirée, les équipes se sont rendues compte qu’il y avait un problème : il restait plus de matières radioactives dans la citerne que le CEA n’avait annoncé. En conséquence, les doses de radiations émises par la citerne étaient aussi plus fortes que prévues. Ces doses - dont les niveaux ne sont pas communiqués - démontrant la présence de radionucléides dans la citerne, le démontage de la citerne a été interrompu. Les équipes ont prélevé un échantillon des substances présentes dans l’ancien emballage de transport et l’ont envoyé au CEA.
Le 11 juin, les résultats confirment la présence de radionucléides dans la citerne. En quantité plus importantes que déclaré dans les documents de transport. Le CEA a donc expédié sur la route des matières radioactives, sans en avoir correctement estimé la teneur. Et donc les risques. Les documents obligatoires des transports de matières dangereuses et radioactives étaient donc faux. De même que l’emballage utilisé pour le transport, qui n’était pas adapté au niveau réel de radiations. Le sigle apposé sur le véhicule de transport, qui signale le type de matières contenues dans le convoi (un élément très important en cas d’accident de la route et d’interventions des secours) était lui aussi faux.

Le CEA a donc mis sur la route une citerne radioactive, sans en avoir bien identifié le contenu, et sans y associer les protections adaptées contre les rayonnements ionisants. On ne sait pas ce qu’il en est de l’exposition du personnel de la société Dangexpress qui s’est chargé d’effectuer le transport de Cadarache à Pierrelatte.
Difficile de comprendre comment un exploitant nucléaire peut ne pas connaître ce qu’il y a dans ses conteneurs. Comment se fait-il que les contrôles, ni au départ, ni à l’arrivée, n’aient pas permis de déceler la sous-estimation ? Et quid de l’exposition du personnel de l’usine Sogeval, qui a commencé le démontage de cette citerne ? D’autant que, comme précisé dans le communiqué, la première protection contre les rayons a été retirée.

Un exploitant nucléaire qui ne sait pas ce qu’il y a dans ses déchets et les envoie sur les routes, sans les précautions nécessaires, faisant au passage courir des risques accrus en cas d’accident de transport. Une usine qui démantèle des déchets radioactifs sans être au courant du niveau réel de radiations, exposant son personnel à des doses de rayons sans qu’ils n’aient les protections nécessaires ni la formation adaptée. Et probablement, même si aucune valeur ni mesure n’est communiquée, une erreur de filière. Car les usines comme Sogeval, des ICPE  [3] , ne sont pas des INB [4] . Elles ne sont pas habilitées à traiter des matériaux radioactifs au delà d’un certain seuil. Et ne sont pas équipées pour. D’ailleurs, l’ASN précise que les substances contenues dans la citerne seront récupérées par le CEA qui devra ensuite les caractériser correctement et les traiter comme il se doit avec des déchets nucléaires.

Un énième incident sur le site de Cadarache (voir à droite de cet article pour une revue des derniers déclarations d’incidents sur le site) qui démontre que le CEA, producteur historique de déchets nucléaires [5] , a bien du mal à les gérer. Embêtant quand on est en plein démantèlement, qu’on produit et qu’on évacue des déchets. Un démantèlement que le CEA peine depuis des années à mener, et qui inquiète les autorités de sûreté nucléaire [6] . Les travailleurs sont en première ligne des conséquences des erreurs et des balbutiements de l’exploitant nucléaire. Mais aussi le grand public et l’environnement, puisqu’il s’agit de démantèlement et de transports sur la voie publique. Le CEA est pourtant le plus ancien industriel de l’atome en France. L’ASN précise qu’elle veillera à ce que le CEA tire enseignement de ses erreurs, récupère ses déchets et les traite correctement, et que dorénavant, des contrôles du niveau de remplissage réel de ses citernes soient faits avant leurs expéditions. On aurait pu penser que c’était déjà le cas, qu’étant donnés les enjeux pour les personnes et l’environnement, le CEA faisait déjà tout ça. Mais non. Manifestement, au Commissariat à l’énergie atomique, les années passent et les problèmes eux, se multiplient.

Ce que dit l’ASN :

Sous-estimation de la quantité de substance radioactive dans une citerne de type LR56

Publié le 07/07/2021

Le 16 juin 2021, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) la sous-estimation de la quantité de substances radioactives lors d’un transport d’une citerne réalisé par la société Dangexpress.

Le 2 mars 2021, dans le cadre des opérations de démantèlement des emballages de transport obsolètes du CEA, une citerne de type LR 56 située dans l’installation nucléaire de base « secrète » (INBS) du centre de Marcoule a été transportée, en vue de son démontage et de sa mise au rebut, vers l’installation Sogeval, qui est une installation classée pour la protection de l’environnement située à Pierrelatte. Les citernes de type LR 56 sont utilisées par le CEA pour le transfert d’effluents aqueux radioactifs.

Les opérations de retrait de la première protection biologique de la citerne, une double peau en acier, réalisées sur l’installation Sogeval en avril 2021, ont mis en évidence des écarts par rapport aux données transmises par le CEA Marcoule. Le volume du reliquat d’effluents présent dans la citerne était supérieur aux données initiales du CEA et le débit de dose au contact de la citerne sans sa double peau en acier démontrait la présence de radionucléides. Les opérations de démontage de la citerne ont été arrêtées et un échantillon du reliquat d’effluents a été envoyé au CEA Marcoule pour analyse.

Le 11 juin 2021, les résultats ont mis en évidence la présence de radionucléides dans des quantités supérieures à celles déclarées dans les documents de transport. Les effluents sont par ailleurs restés confinés à l’intérieur de la citerne et sont actuellement entreposés de manière sûre au sein de l’ICPE, en attendant leur traitement ultérieur.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, les erreurs réalisées lors de l’inventaire des radionucléides transportés, non détectées par les contrôles réalisés préalablement puis à la réception du transport de la citerne, ont entrainé l’utilisation d’un mauvais numéro d’identification des matières dangereuses transportées, leur transport dans un emballage non agréé pour ce type de substances et des erreurs dans les documents de transports. L’ASN classe donc cet incident au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

L’ASN veillera à la prise en compte du retour d’expérience issu de l’analyse de ces écarts, notamment concernant le contrôle de l’état de remplissage réel de la citerne avant son expédition, pour qu’ils ne se reproduisent pas, ainsi qu’à la bonne gestion de ces effluents, qui seront récupérés puis traités au sein d’une installation du CEA.

https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Sous-estimation-de-la-quantite-de-substance-radioactive-dans-une-citerne-de-type-LR56


[1INBS : installations nucléaire de base secrètes, elles dépendent du ministère de la défense

[2Créé en 1959, le centre CEA de Cadarache se situe sur la commune de Saint-Paul-lez-Durance, dans le département des Bouches‑du‑Rhône et occupe une superficie de 1 600 hectares.

[3ICPE : Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (installation soumise, du fait de son impact potentiel sur le public et l’environnement, à la réglementation définie par le titre Ier du livre V du code de l’environnement) https://www.asn.fr/Lexique/I/ICPE

[4INB : Installation Nucléaire de Base. Installation soumise, de par sa nature ou en raison de la quantité ou de l’activité des substances radioactives qu’elle contient, à la loi du 13 juin 2006 (dite Loi TSN) et de l’arrêté du 7 février 2012. Ces installations doivent être autorisées par décret pris après enquête publique et avis de l’ASN. Leurs conception, construction, exploitation (en fonctionnement et à l’arrêt) et démantèlement sont réglementés. https://www.asn.fr/Lexique/I/INB

[5En France, l’industrie nucléaire civile a pris son essor dans les années 1960. Plusieurs installations construites dans cette période sont arrivées en fin de vie et leur exploitation à des fins de production ou de recherche a cessé. Elles doivent faire l’objet d’une série d’opérations d’assainissement et de démontage que l’on regroupe sous le vocable de "démantèlement". https://www.asn.fr/Informer/Dossiers-pedagogiques/Le-demantelement-des-installations-nucleaires/Les-strategies-de-demantelement-en-France/La-strategie-du-CEA

[6L’ASN constate des difficultés du CEA dans la mise en œuvre de la stratégie de démantèlement immédiat et complet  :

A la demande de l’ASN, le CEA a transmis en 2004 un plan de démantèlement à 10 ans de ses installations. Ce plan concerne des installations de nature variée (laboratoires, usines pilotes, réacteurs expérimentaux, installations de traitement d’effluents et déchets) réparties sur l’ensemble des sites.
Compte tenu des retards récurrents et du report de plusieurs échéances dans les opérations de démantèlement sur certaines installations, le CEA a transmis en 2011, sur demande de l’ASN, un rapport d’étape présentant la mise à jour de cette stratégie,justifiant les échéances retenues et précisant les raisons, de nature technique ou non, à l’origine des retards constatés. En réponse, l’ASN a rappelé en novembre 2011 sa position concernant la priorité donnée au démantèlement immédiat, les niveaux d’assainissement à atteindre, le recours aux servitudes d’utilité publique et a rappelé les objectifs calendaires associés à certaines opérations de démantèlement.

Le CEA n’ayant pas transmis de mise à jour de sa stratégie de démantèlement, l’ASN a demandé au CEA en juillet 2015, avec l’ASND (Autorité de sûreté nucléaire de défense en charge du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, notamment celles exploitées le CEA), qu’une mise à jour de la stratégie de démantèlement et de gestion des déchets du CEA lui soit transmise en 2016. Cependant, au vu des calendriers prévisionnels présentés, même en l’absence d’aléas et de retards sur les projets, la réduction des risques ne sera pas effective avant, au mieux, une dizaine d’années. En effet, de nombreux projets de RCD (Reprise et Conditionnement des Déchets radioactifs anciens ), classés prioritaires, nécessitent la création ou la rénovation préalable de moyens de reprise, de conditionnement et d’entreposage des matières et des déchets radioactifs, ainsi que de transport associés.
Aussi, malgré l’organisation pertinente mise en place par le CEA récemment pour gérer son programme de démantèlement dans la durée, l’ASN et l’ASND s’interrogent sur la robustesse du plan d’action du CEA et les moyens disponibles, tant humains que financiers, pour traiter au plus tôt l’ensemble des situations présentant les enjeux de sûreté ou les nuisances pour l’environnement les plus importants.
Les deux autorités constatent plusieurs fragilités dans la stratégie du CEA, du fait notamment de la mutualisation entre centres envisagée par exemple pour la gestion des effluents radioactifs aqueux ou des déchets radioactifs solides, conduisant à ne disposer, pour certaines opérations, que d’une seule installation. Cette stratégie induit, d’une part, une forte augmentation du nombre de transports et, d’autre part, de fortes incertitudes relatives à la disponibilité des installations de traitement, de conditionnement et d’entreposage des matières et déchets radioactifs, ainsi que des emballages de transport.
En savoir plus : Consulter la note d’information sur la prise de position conjointe de l’ASN et l’ASND sur la stratégie de démantèlement et de gestion des matières et déchets du CEA
Source : https://www.asn.fr/Informer/Dossiers-pedagogiques/Le-demantelement-des-installations-nucleaires/Les-strategies-de-demantelement-en-France/La-strategie-du-CEA


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