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Des accidents nucléaires partout

France : La Hague : Importante fuite d’acide nitrique, le personnel évacué

Mauvais état des équipements et risques multipliés mais communication minimale




10 juillet 2024, mis à jour le 26 juillet 2024


Une importante fuite d’acide nitrique est survenue sur le site Orano de La Hague (Normandie) le 8 juillet 2024. La vanne d’une cuve a lâché et plus de 40 m3 de cette substance hautement dangereuse se sont déversés dans un bâtiment. Orano ne précise pas si cet acide est radioactif, ni le type d’activités réalisées dans le local concerné. Le personnel a été évacué, l’usine arrêtée.


Crédit photo : Réseau "Sortir du nucléaire"

L’acide nitrique est un acide fort, corrosif ou irritant selon sa concentration. Outre son odeur suffocante (son inhalation peut être mortelle), il provoque de graves brûlures de la peau et de graves lésions des yeux.
Et il n’y a pas que pour le vivant que la substance est dangereuse. L’acide nitrique est un comburant, il permet la combustion des matériaux inflammables. Il peut être à l’origine de réactions violentes, voire explosives, en présence de nombreux composés organiques ou minéraux. Des substances inflammables voire explosives peuvent se former (par exemple en présence de certains métaux), générant ainsi un risque d’incendie ou d’explosion [1].

Le communiqué d’Orano, largement repris tel quel dans les médias, ne précise pas quels usages sont fait de cet acide, ni quelles activités se déroulent dans le bâtiment STU où la fuite s’est produite. Une inspection sur place de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) nous en apprendra un peu plus : c’est un atelier de stockage d’uranium. Si les 40 et quelques m3 se sont déversés dans des bacs prévus à cet effet, la dangerosité du produit a imposé l’évacuation des salariés et l’arrêt de l’usine. Mais aucune information n’est communiquée par l’exploitant nucléaire quant à l’impact de cette fuite sur les équipements et les risques générés.

Orano ne le dit pas non plus, mais pour "traiter" le combustible usé des centrales nucléaires (opération qui consiste à séparer l’uranium appauvri, le plutonium et les produits de fission qui sont les déchets de la combustion nucléaire), de l’acide est utilisé. Cet acide nitrique, recyclé (précision d’Orano), peut donc avoir déjà servi à dissoudre des éléments de combustible irradié. Et donc être possiblement radioactif. Ce que confirmera également le rapport d’inspection de l’ASN : le très puissant acide nitrique, utilisé pour dissoudre le combustible usé, est stocké dans ces cuves pour être ré-utilisé. À la dangerosité intrinsèque du produit s’ajoute le risque de contamination (des locaux, des équipements, des personnes). De quoi rendre le nettoyage encore un peu plus compliqué. D’ailleurs, la reprise de l’acide déversé au court de l’incident a été compliqué par plusieurs lacunes matérielles qui ont amoindri l’efficacité des équipes d’intervention. Et le devenir de des effluents collecté reste en suspend.

Quant à la raison de la fuite, Orano n’en dit rien. Actu Normandie, média local, précise toutefois que le problème serait venu d’une vanne. Manifestement, un manque d’entretien des équipements et de contrôles de leur état sont donc à l’origine de cette importante fuite de produit chimique.
Et en effet, le rapport de l’ASN pose clairement que la vanne était fortement corrodée, phénomène qui est survenu très rapidement, en quelques semaines. En réalité, cette vanne n’était pas adaptée à l’acide nitrique, et n’y a pas résisté. Elle est pourtant classé "équipement important", est doit de ce fait répondre à plusieurs critères strictes, qui doivent être vérifiés et validés. Puisque la vanne installée sur la cuve d’acide n’était pas qualifiée, l’ASN demandera à Orano de contrôler tous les autres équipements importants de ses cuves de réactifs.

Des problèmes similaires ont déjà été signalés dans cet atelier STU. Par exemple en 2020, il a été repéré après-coup qu’un contrôle obligatoire, censé vérifier le bon état et le bon fonctionnement des équipements de cet entreposage d’acide, n’avait pas été réalisé correctement. Les matériels avaient été déclarés conformes, alors que les vérifications faites ne permettaient pas d’en juger  [2]. L’ASN pointe également dans son rapport d’inspection la défaillance récurrente de plusieurs barrières de sécurité sur le site d’Orano, et ses remarques répétées. Si les contrôles ne sont pas faits correctement, impossible en effet de détecter les dégradations des équipements. Et donc d’éviter les accidents. Mais manifestement, l’industriel n’a pas tenu compte des demandes du gendarme du nucléaire.

Acide puissant et possiblement contaminé, risque d’incendie et de dégradations matérielles importantes, risque sanitaire pour les employés et d’atteinte de l’environnement, erreurs sur les qualifications d’équipements importants, manque d’entretien et de contrôles de leur état, non respect des dispositions prévues pour prévenir les dangers et action réduite des équipes d’interventions faute d’avoir le matériel nécessaire... Pas étonnant que la communication d’Orano sur cet accident s’en tienne au minimum.
Et bien qu’il ait annoncé qu’il communiquerait des informations complémentaires en fonction de l’évolution de la situation, deux jours plus tard, rien n’est publié sur la page Actualités de son site internet et le public en est toujours au même point. À savoir qu’il ne sait pas bien de ce qu’il se passe dans l’usine de déchets et de plutonium [3]. Orano n’a d’ailleurs déclaré l’incident, considéré comme significatif pour l’environnement [4], qu’après la visite de l’Autorité de sûreté, et 8 jours après les faits. Mais au 26 juillet, il n’y a toujours aucune déclaration officielle sur le site internet de l’industriel.

L.B.

Ce que dit Orano :

Intervention en cours sur le site Orano la Hague

08/07/2024

Ce jour, vers 04h00 une fuite d’acide nitrique d’environ 40 m3 a été détectée dans un atelier d’entreposage d’acide recyclé (atelier STU) du site Orano la Hague. Ce liquide a été automatiquement récupéré dans un bac de rétention prévu à cet effet. Il n’y a eu aucun rejet dans l’environnement.

Des investigations sont en cours pour analyser les causes de l’événement et les traiter dans les meilleurs délais.

Par mesure de précaution, un périmètre de sécurité a été établi. Le personnel non indispensable à la gestion de l’événement a été invité à retourner à son domicile et l’ensemble des installations du site a été mis à l’arrêt.

Cet événement ne présente pas de caractère radiologique et n’a pas d’impact pour l’environnement.

L’Autorité de Sûreté Nucléaire, la préfecture de la Manche et la mairie de La Hague ont été informées.

Des informations complémentaires seront communiquées en fonction de l’évolution de la situation.

https://www.orano.group/fr/actus/nos-actualites-locales/actualites-la-hague/2024/intervention-en-cours-sur-le-site-orano-la-hague


Ce que dit l’ASN :

Inspection du 12/07/2024 (publiée le 22/07/2024)
Usine de traitement des combustibles irradiés (UP2-400) Transformation de substances radioactives - Orano Cycle
Prévention des pollutions et de la maîtrise des nuisances
INSSN-CAE-2024-0939.pdf (PDF - 136.49 Ko )

SYNTHESE DE L’INSPECTION

Le 8 juillet 2024 matin, l’équipe d’astreinte de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a été informée par l’établissement de La Hague d’une fuite d’acide nitrique d’environ 43 m3 au niveau d’une cuve du parc extérieur d’entreposage de l’atelier de stockage d’uranium (STU). La fonction principale actuelle de cet atelier est d’assurer la réception et l’entreposage d’acide nitrique recyclé afin d’être réutilisé pour les besoins de fonctionnement de l’usine.

L’évènement survenu constitue un scenario identifié dans le cadre de l’étude de danger (étude des risques chimiques). A la suite de l’inspection, il a fait l’objet de la déclaration d’évènement significatif pour l’environnement (Déclaration d’évènement ELH-2024-048035 du 16/07/2024).

(…)

  • la perte de confinement de la cuve concernée serait liée à la corrosion avancée d’une vanne, mettant vraisemblablement en cause la classe du matériau installé. La confirmation de cette analyse impliquera de mener prioritairement une vérification de l’ensemble des parcs à réactifs de l’établissement ;
  • il est identifié des manquements aux barrières de sécurité valorisées dans l’étude de danger, en ce qui concerne le scenario de perte de confinement d’une cuve d’acide nitrique au parc STU. Ceci s’inscrit dans la continuité d’observations récurrentes formulées par l’ASN ;
  • le déroulement des opérations d’intervention montre différentes lacunes matérielles qui ont pénalisé l’efficacité de l’action des équipes d’intervention, notamment dans sa capacité à reprendre au plus tôt les effluents collectés.

Il conviendra également d’intégrer l’ensemble des observations formulées ci-après, en particulier réinterroger les principes d’alarme de niveau des cuves contenant des substances dangereuses, de gestion des rétentions associées et évaluer au titre du retour d’expérience les composantes d’organisation de crise mises en œuvre. Le programme d’actions devra intégrer l’état des lieux de l’ensemble des parcs à réactifs de l’établissement. Enfin, il conviendra de justifier les perspectives de gestion des effluents collectés, en incluant une analyse des incidences environnementales.

DEMANDE À TRAITER PRIORITAIREMENT :

(...)
Les inspecteurs relèvent que les premiers éléments recueillis identifient à l’origine de l’évènement la corrosion avancée d’une vanne de la cuve 240 du parc STU, laquelle constitue un EIP au sens de l’arrêté du 7 février 2012 modifié fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base. La dégradation de la vanne selon une cinétique extrêmement rapide (quelques semaines) montre un défaut de qualification de l’équipement, laquelle n’était a priori pas adaptée à l’acide nitrique entreposé. Les inspecteurs observent qu’il convient au titre préventif de vérifier les données de qualification des cuves de stockage de substances dangereuses et équipements participant à leur confinement sur l’ensemble des parcs à réactifs de l’établissement.

Demande I.1 : Examiner sans délai la situation des cuves de stockage de substances dangereuses et équipements participant à leur confinement sur l’ensemble des parcs à réactifs de l’établissement. Transmettre au plus tôt le résultat de ces investigations

(....)

Télécharger le rapport d’inspection complet :


[1Source : INRS,fiche toxicologique n°9, acide nitrique

[2Le 1er juillet 2020, lors d’un contrôle interne réalisé au sein de l’usine UP2-400 du site Orano la Hague, il a été constaté qu’un contrôle périodique de seuil de niveau sur un équipement de l’installation d’entreposage d’acide nitrique recyclé (STU), n’avait pas été réalisé comme attendu. Les contrôles réalisés depuis ont permis de démontrer que l’équipement concerné est conforme et fonctionnel. En l’absence de conséquence pour le personnel, l’environnement et les installations concernées, mais considérant le non-respect d’exigences d’exploitation, il a été proposé à l’Autorité de sûreté nucléaire de classer cet événement au niveau 0 sur l’échelle INES. Source : rapport d’information du site Orano La Hague 2020, page 46.

[3L’atelier STU appartient à l’usine UP2-400, UP pour Usine-Plutonium. C’est là que sont traités les combustibles pour en extraire du plutonium. L’usine comprend de nombreux anciens déchets nucléaires, souvent mal connus et qui ne sont pas conditionnés de manière à pouvoir être évacués. L’exploitant accumule les retards et les difficultés dans la reprise et le conditionnement de ces déchets. Source : ASN, Usine de traitement des combustibles irradiés (UP2-400)

[4Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements


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Installation(s) concernée(s)

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La Hague

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