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Des accidents nucléaires partout

France : Cruas : Prises de risques avec les rejets radioactifs et manque de rigueur récurrent

La détection de radioactivité dans ventilation du bâtiment réacteur hors service depuis 4 mois




23 mars 2022


À l’origine de l’incident déclaré fin mars 2022 par la direction de la centrale nucléaire de Cruas (Ardèche), une erreur commise lors du remplacement d’un équipement en novembre 2021. En jeu : détecter la radioactivité dans le bâtiment du réacteur 4 et éviter des rejets radioactifs dans l’environnement. "Détection tardive" titrera l’Autorité de sûreté, "Indisponibilité d’un matériel constituant un non-respect des spécifications techniques d’exploitation" annoncera EDF.
C’est pourtant la protection des travailleurs et de l’environnement contre une contamination radioactive qui a été mise à mal par l’incident. Un incident causé par EDF qui fait preuve, de manière récurrente, d’un profond manque de rigueur dans l’exploitation de son réacteur nucléaire.


Le 4 novembre 2021, alors que le réacteur 4 de la centrale de Cruas fonctionne, une intervention est réalisée sur le système qui assure la ventilation du bâtiment réacteur. Cette ventilation est nécessaire à la protection du personnel, elle permet le renouvellement de l’air dans le bâtiment lorsque les équipes doivent y intervenir (durant les arrêts du réacteurs) en y maintenant une atmosphère viable. La ventilation est pourvue d’un système de détection de la radioactivité, qui permet de fermer automatiquement ce circuit en cas de montée de radioactivité pour éviter que l’air contaminé ne soit rejeté à l’extérieur, dans l’environnement.

Malgré l’importance de ce système de ventilation pour la protection des personnes et de l’environnement, EDF a mis plusieurs mois à se rendre compte que le système de détection de la radioactivité n’était pas branché. Il n’a pas été remis en service après l’intervention faite dessus en novembre 2021. Ce n’est que fin mars que l’industriel a réalisé le problème. Sauf qu’entre-temps, le réacteur a été arrêté et son cœur a été entièrement déchargé. Du combustible nucléaire a donc été sorti de la cuve et manipulé plusieurs jours durant, des opérations délicates pouvant générer une montée de radioactivité, et du personnel était présent dans le bâtiment, mais EDF n’a pas vérifié avant que tous les systèmes requis fonctionnaient correctement.

Certes, si l’air du bâtiment avait été contaminé, une alarme se serait déclenchée en salle de commande. Les équipes auraient alors pu avoir l’information et fermer manuellement le circuit de ventilation. Mais le temps de réaction aurait été beaucoup plus lent que si le système de détection automatique avait été branché. Il en va donc de l’ampleur des conséquences d’un accident pour l’environnement.

Une erreur commise après une intervention de maintenance qui n’est pas détectée, ni sur le coup ni après, des opérations risquées lancées sans que toutes les vérifications ne soient effectuées... L’incident déclaré comme significatif pour la sûreté par la direction de la centrale nucléaire démontre un profond manque de rigueur dans la gestion des opérations. Et plus largement dans l’exploitation de ce réacteur.

Ce manque de rigueur à la centrale de Cruas paraît installé car il est récurrent. Seulement quelques jours avant, EDF déclarait un autre incident, lui aussi ayant entaché les moyens mis en œuvre pour réduire les risques et les conséquences d’un accident dans l’usine nucléaire. Lui aussi causé par une erreur lors d’une intervention sur un matériel et lui aussi détecté bien longtemps après. Un dispositif empêchant la propagation d’un incendie (donc aussi la propagation de fumées et de chaleur) dans la salle de commande via la ventilation était hors-service depuis 5 ans. Il avait été contrôlé entre temps mais la vérification effectuée n’a pas permis de détecter ni l’absence d’un composant, ni le mauvais calibre d’un autre. Là encore, la ventilation aurait pu être coupée, mais avec retard. Et sans garantie d’efficacité.

La centrale nucléaire de Cruas vient de donner à deux reprises l’illustration que les interventions sur les matériels, les contrôles de ces interventions, la surveillance et les tests des équipements sont à l’origine d’incidents lorsqu’ils ne sont pas effectués correctement et pas suffisamment fréquents. Avec à la clé, des risques accrus pour les personnes et l’environnement. Pourtant, à lire le communiqué d’EDF, les faits se résument à une "indisponibilité d’un matériel" ayant eu pour unique conséquence le non respect de "spécifications techniques". Un langage bien édulcoré qui ne montre pas le fond du problème : le manque de compétence et de qualité d’EDF dans ses activités nucléaires, et les risques accrus qui vont avec.

L.B.

Ce que dit EDF :

Indisponibilité d’un matériel constituant un non-respect des spécifications techniques d’exploitation

Le 23/03/2022

Les règles générales d’exploitation sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles prescrivent notamment les délais maximums de réparation et les conduites à tenir en cas d’indisponibilité des systèmes requis pour assurer la sûreté des réacteurs.

Les centrales nucléaires sont équipées d’un système de surveillance de la radioactivité (« chaînes de mesure ») dans le bâtiment réacteur, permettant aussi de détecter d’éventuels rejets radioactifs à l’extérieur des installations. Le 16 mars 2022, le réacteur de l’unité de production n°4 est à l’arrêt pour maintenance programmée. Lors de contrôles réalisés sur ce système de surveillance, son indisponibilité est constatée. Des investigations sont réalisées, elles conduisent à identifier que la chaîne de mesure n’avait pas la configuration adaptée sur la période du 7 au 22 février 2022. La fonction de mesure et de surveillance de la radioactivité a cependant été assurée par une balise mobile installée lors de cette période de mise à l’arrêt et de déchargement du réacteur. Toutefois, la non-disponibilité du système de mesure et de surveillance durant la période de mise à l’arrêt du réacteur constitue un non-respect des règles générales d’exploitation.

Cet événement n’a pas eu de conséquences réelles sur la sûreté de l’installation. Cependant, du fait de sa détection tardive, la direction de la centrale de Cruas-Meysse l’a déclaré, le 21 mars 2022, à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en tant qu’évènement significatif sûreté au niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/indisponibilite-dun-materiel-constituant-un-non-respect-des-specifications-techniques-dexploitation


Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité du système de ventilation du bâtiment réacteur

Publié le 23/03/2022

Centrale nucléaire de Cruas-Meysse Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 21 mars 2022, EDF a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif à la découverte, lors de la réalisation d’un contrôle périodique, d’un défaut affectant un appareil de mesure de la radioactivité du système de ventilation de balayage du bâtiment réacteur (EBA) du réacteur 4.

Le circuit de ventilation EBA permet, lors des arrêts de réacteur, de renouveler l’air du bâtiment réacteur afin de protéger les intervenants présents. En cas de présence de radioactivité dans l’air du bâtiment réacteur, le circuit EBA est automatiquement fermé afin d’éviter tout rejet gazeux dans l’environnement. Le bon fonctionnement de la chaîne de mesure de la radioactivité du circuit EBA est donc requis par les règles générales d’exploitation (RGE) du réacteur.

Le 4 novembre 2021, alors que le réacteur 4 était en fonctionnement, la chaîne de mesure de la radioactivité du circuit EBA a été remplacée. Pour réaliser les essais de requalification à l’issue de ce remplacement, la chaîne de mesure a été déconnecté du circuit.

Le 16 mars 2022, les opérations de maintenance du réacteur 4 étaient en cours et le réacteur était alors complètement déchargé de son combustible. Lors d’un contrôle périodique, EDF a détecté que la chaîne de mesure de la radioactivité du circuit EBA n’était pas configurée sur ce circuit, depuis la requalification réalisée le 4 novembre 2021.

La chaîne de mesure de radioactivité concernée a été remise en conformité.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur le personnel ni sur l’environnement. Toutefois, en cas d’élévation de radioactivité dans l’air du bâtiment réacteur, durant les opérations de mise à l’arrêt et de déchargement du réacteur 4, réalisées en février 2022, cette anomalie aurait entrainé un retard dans la fermeture du circuit EBA et un risque de transfert de la radioactivité vers l’extérieur du bâtiment réacteur. Toutefois, la détection d’une activité élevée dans le bâtiment réacteur aurait provoqué l’apparition d’une alarme en salle de commande. Un opérateur aurait pu ainsi actionner manuellement le dispositif d’isolement d’EBA et stopper le rejet de substances radioactives.

En raison de la détection tardive de l’indisponibilité d’un équipement de mesure de la radioactivité requis par les RGE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/detection-tardive-de-l-indisponibilite-du-systeme-de-ventilation-du-batiment-reacteur


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Installation(s) concernée(s)

Cruas

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144