12 mai 2021
"Substitution fortuite" de fûts de déchets nucléaires dans l’installation nucléaire de base secrète de Marcoule (Gard) gérée par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Ni les contrôles lors de la fabrication du colis, ni ceux lors de son expédition vers une autre installation du CEA à Cadarache (Bouches-du-Rhône), ni ceux faits à réception du colis n’ont détecté le problème : trop de matières fissiles étaient rassemblées dans ce colis de déchets nucléaires. Le risque est alors qu’une réaction nucléaire en chaîne puisse démarrer toute seule, de manière spontanée. Méprise des règles élémentaires de sûreté, prise de risque de criticité et démonstration de l’inefficacité des contrôles du CEA sur ses déchets qui transitent de sites en sites.
Dans l’immédiat, une zone d’exclusion a été faite autour du colis de 870 litres trop chargé de matières nucléaires qui est entreposé au Cedra, installation du site nucléaire de Cadarache. Les contrôles radiologiques n’ont pas montré de contamination en surface ni de débit de dose trop élevé. Mais il faudra du temps à l’exploitant pour étudier les conséquences possibles de cette surdose de matières fissiles [1].
L’inversion des fûts primaires (un colis contient 4 fûts de déchets nucléaires compactés puis mis dans du mortier) a été détectée par l’installation d’entreposage et de conditionnement de déchets alpha (IECDA) qui a produit ce colis sur le site de Marcoule et qui l’a expédié au Cedra, une installation de Conditionnement et d’entreposage de déchets radioactifs du CEA. Si l’expédition date du 2 mars 2021, ce n’est que 2 mois plus tard, le 3 mai, que l’erreur a été découverte. Deux mois pendant lesquels le colis de déchets irradiants contenant plus de matières fissiles que le maximum autorisé a été entreposé avec d’autres colis, sans que personne ne sache les risques que cet entreposage représentait.
En effet, la masse de matière fissile rassemblée au même endroit doit être surveillée de très près pour éviter tout risque de criticité [2]. Elle est donc strictement réglementée et, normalement, strictement contrôlée. En l’occurrence, le colis en question contenait 224,1 grammes de matières fissiles, alors que le maximum à ne pas dépasser est de 200. Un écart de 24 grammes qui peut paraître minime pour toute autre matière, mais qui ne l’est pas lorsqu’il s’agit de nucléaire. Qui plus est à aucun moment cet écart n’a été détecté, ni lors de la fabrication du colis, ni lors de son expédition sur un autre site, ni à sa réception. C’est tout un ensemble de dysfonctionnements en cascade qui a abouti à cette situation.
L’incident a d’ailleurs donné lieu à plusieurs déclarations du CEA comme le précise l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) (voir notre article concernant le transport dans un emballage non autorisé). Mais ces déclarations d’incidents n’étant communiquées par le CEA qu’à un cercle restreint (l’ASN et les membres de Commission locale d’information), les communiqués de l’exploitant nucléaire ne sont pas directement accessibles au grand public. Encore moins lorsqu’ils concernent des incidents survenus sur des installation nucléaire secrètes (dites INBS [3]), en lien avec le nucléaire militaire et qui relèvent directement du ministère de la Défense (et non de celui de l’écologie).
L’évènement, significatif pour la sûreté, n’est malheureusement pas isolé. Sur les sites du CEA, des prises de risques avec la criticité sont récurrents (voir à droite de cet article pour une revue des derniers incidents sur l’installation de Cadarache). Questionnant tout aussi régulièrement le sérieux de l’exploitant nucléaire et la suffisance des précautions prises pour s’assurer que les règles élémentaires à connaître et respecter lorsqu’on touche au nucléaire sont effectivement appliquées.
L.B.
Dépassement de la masse de matière fissile autorisée dans un colis entreposé dans l’INB 164, dénommée Cedra
Publié le 12/05/2021
Conditionnement et d’entreposage de déchets radioactifs (Cedra) - Conditionnement et entreposage de substances radioactives - CEA
Le 5 mai 2021, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un dépassement de la masse de matière fissile autorisée dans un des colis dits « faiblement irradiants » de 870 litres entreposé dans l’installation Cedra (INB 164) du centre de Cadarache.
L’installation Cedra entrepose des colis de déchets solides produits dans différentes installations nucléaires.
Le 2 mars 2021, un transport de deux colis de déchets a été réceptionné à Cedra en provenance de l’installation d’entreposage et de conditionnement de déchets alpha (IECDA), située dans l’INBS du centre de Marcoule. Les documents constitutifs du transport des deux colis indiquaient une masse de matière fissile inférieure à la limite de masse de matière fissile autorisée de 200 g par colis dans Cedra. Les deux colis ont donc été acceptés dans l’installation Cedra.
Ces colis de 870 litres sont constitués chacun de quatre fûts primaires de déchets nucléaires, qui ont été compactés et bloqués dans un mortier au sein de l’installation IECDA. Lors de la constitution d’un de ces colis, une substitution fortuite d’un des fûts primaires par un autre fût contenant plus de matière fissile que prévu a entrainé la sous-estimation de la masse totale de matière fissile de ce colis. Cet écart n’a été détecté ni lors des contrôles réalisés à l’issue de la fabrication du colis ni lors des contrôles préalables à la réalisation du transport et à la réception du colis à Cedra.
Cette inversion de fût primaire a été détectée par l’installation IECDA, qui en a informé le chef d’installation de Cedra le 3 mai 2021. La masse totale de matière fissile d’un des deux colis expédiés le 2 mars 2021 est en réalité de 224,1 grammes, dépassant ainsi le seuil autorisé par colis au sein de Cedra.
Les contrôles radiologiques réalisés sur le colis à la suite de l’événement ne montrent pas de contamination surfacique ni d’augmentation du débit de dose ambiant. Une zone d’exclusion a été mise en place au-dessus et autour du colis, le temps pour l’exploitant d’étudier toutes les conséquences de cet écart, notamment du point de vue de la maîtrise des réactions nucléaires en chaine au sein de l’entreposage.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, compte-tenu du dépassement d’une limite de masse autorisée de matière fissile, l’incident a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
L’ASN veillera au caractère suffisant des contrôles et de la surveillance réalisés par le CEA sur la qualité des colis reçus au sein de l’installation CEDRA.
Cet événement a donné lieu à deux autres déclarations de la part du CEA :
[1] Fissile : Un nucléide est dit fissile si son noyau est susceptible de subir une fission sous l’effet de neutrons de toutes énergies. Exemple : l’uranium 235. En toute rigueur, ce n’est pas le noyau appelé fissile qui subit la fission mais le noyau composé formé suite à la capture d’un neutron. https://www.asn.fr/Lexique/F/Fissile
[2] Le risque de criticité est défini comme le risque de démarrage d’une réaction nucléaire en chaîne lorsqu’une masse de matière fissile trop importante est rassemblée au même endroit. Un milieu contenant un matériau nucléaire fissile devient critique lorsque le taux de production de neutrons (par les fissions de ce matériau) est exactement égal au taux de disparitions des neutrons (absorptions et fuites à l’extérieur). https://www.asn.fr/Lexique/C/Criticite
[3] INBS : Installation Nucléaire de Base Secrète (dépend du ministère de la Défense) https://www.asn.fr/Lexique/I/INBS