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Des accidents nucléaires partout

France : Cadarache : Du combustible nucléaire découvert dans un atelier arrêté depuis 21 ans

L’Autorité de sûreté pointe du doigt les erreurs du CEA




7 juin 2024


Fin mai 2024, du combustible nucléaire a été retrouvé dans un atelier du site de Cadarache (Bouche-du-Rhône). Le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) y fabriquait du MOX, un mélange de plutonium et d’uranium. Arrêté en 2003 et en démantèlement depuis 2009, l’atelier était censé être vide. L’Autorité de sûreté nucléaire est venue inspecter le site et a découvert que non seulement les contrôles des locaux, effectués en 2008 par Areva et en 2016 par le CEA, n’ont pas été correctement menés, mais également que le CEA a très mal géré l’évacuation du combustible découvert fin mai 2024.


Crédit photo : André Paris

Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre du combustible nucléaire abandonné. Enveloppé dans du vinyle transparent, il était pourtant bien visible. Et il contenait bien des matières fissiles, c’est-à-dire qu’il était composé de substances pouvant déclencher une réaction nucléaire en chaîne par fission des atomes [1]. C’est dans l’Atelier de Technologie du Plutonium (ATPU) que cette découverte a été faite le 24 mai 2024. Un atelier du CEA, qui a été définitivement arrêté en 2003 et qui est en démantèlement depuis 15 ans  [2].

Évidemment, la présence de matières fissiles dans cet atelier était interdite. Pas question de laisser sans surveillance - et sans en avoir connaissance - des produits qui peuvent produire une réaction nucléaire. Car c’est une des propriétés de ces matières fissiles : dès qu’une certaine masse est assemblée au même endroit, une réaction nucléaire en chaîne peut démarrer toute seule, c’est le risque de criticité  [3] . Qui plus est, les opérations de démantèlement étaient engagées, la zone était censée être vide et sécurisée.

Des contrôles de vacuité avaient bien été effectués, d’abord en 2008 par une double vérification d’Areva et d’un organisme extérieur, puis en 2016, par le CEA. Des contrôles qui avaient déclaré l’atelier vide, malgré la présence de ce crayon de combustible fait de plutonium et d’uranium enveloppé de plastique transparent. C’est dire si ces contrôles ont été rigoureux et efficaces...

Le CEA est bien connu pour ses difficultés et les importants retards accumulés dans le démantèlement de ses anciennes usines. Mais aussi pour sa très mauvaise gestion des opérations. Et c’est bien ce qu’a de nouveau mis en évidence l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) lors de son inspection du 30 mai 2024.
Non seulement le démantèlement de l’atelier a été lancé alors qu’il contenait encore du combustible nucléaire, mais qui plus est, le CEA a déplacé ce combustible sans prendre les précautions nécessaires. Il l’a transféré dans un autre local sans vérifier au préalable la masse de matière fissile qu’il contenait. Il ne pouvait donc pas s’assurer que la limite de masse fissile définie pour cette pièce serait respectée.
À défaut d’avoir analysé le contenu du combustible, le CEA a affirmé avoir vérifié que le local où il serait entreposé était vide. Étant donné la qualité des contrôles de vacuité effectués auparavant, il y a de quoi douter de l’efficacité de ce contrôle que le CEA dit avoir mené. L’ASN n’a d’ailleurs trouvé aucun document attestant que la vérification avait bien été effectuée. Pas non plus de preuve écrite qu’une analyse de sûreté avait bien été réalisée afin de s’assurer de la maîtrise du risque de criticité (le risque de démarrage spontané d’une réaction de fission). Ces contrôles, et leur traçabilité, sont pourtant obligatoires. Il s’avéra que les services internes du CEA ont communiqué cette analyse de sûreté 3 jours après la réalisation du transfert. L’opération a donc été autorisée avant que les éléments nécessaires pour s’assurer de l’absence de risques n’aient été collectés et analysés.

Préparation du démantèlement bâclée, abandon de matières fissiles dans les installations, transfert à la va-vite sans analyse des risques... Le temps qui passe ne semble pas avoir d’effet sur les profondes et persistantes lacunes de CEA. L’ASN dit attendre des précisions.

L.B.

Ce que dit l’ASN :

Découverte d’un élément combustible non irradié dans l’INB 32, dénommée ATPu

Publié le 07/06/2024

Atelier de technologie du plutonium (ATPu) Fabrication ou transformation de substances radioactives - CEA

Le 28 mai 2024, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a été informée par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de la découverte d’un crayon combustible au sein de l’atelier de technologie du plutonium (ATPu) de Cadarache.

L’installation est en cours de démantèlement. Dans le cadre de ces opérations, l’exploitant procède au retrait d’anciens équipements d’entreposage de crayons combustibles fabriqués au sein de l’installation. Ces équipements étaient notamment destinés au contrôle qualité des crayons. Préalablement au début des opérations de démantèlement, cet entreposage a été vidé. En 2016, lorsque la gestion opérationnelle de l’installation est revenue au CEA, après avoir été assurée par un intervenant extérieur entre 1991 et 2016, des vérifications des équipements d’entreposage ont été réalisées et leur vacuité avait été vérifiée.

Le 24 mai 2024, lors d’une opération de démontage de ces équipements, un opérateur a découvert un crayon protégé par une enveloppe vinyle transparente. Bien qu’aucune contamination surfacique de l’enveloppe n’ait été détectée, le débit de dose mesuré par le service de protection contre les rayonnements (SPR) a révélé la présence de radioisotopes fissile dans le crayon.

La présence de matière fissile dans ce conditionnement à cet endroit de l’installation constitue un écart aux règles générales d’exploitation. Le crayon a été déplacé dans un autre local pour une caractérisation physique afin d’identifier son origine et sa filière d’évacuation.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Cependant, il a conduit à un non-respect du domaine de fonctionnement de l’installation et a mis en évidence un défaut de contrôle ou de traçabilité de la matière fissile. L’ASN classe cet événement au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

Le 30 mai 2024, l’ASN a mené une inspection au sein de l’installation sur le thème des travaux de démantèlement. Les inspecteurs ont notamment examiné les décisions prises pour assurer le traitement de cet événement par l’exploitant. L’ASN a ainsi mis en évidence des lacunes dans la maîtrise et la formalisation des transferts de matière fissile au sein de l’installation, ce qui a entrainé un écart dont l’analyse est en cours. L’exploitant devra apporter des précisions sur les analyses réalisées en appui des décisions de transfert du crayon pour assurer la maîtrise du risque de criticité.

En savoir plus :

Inspection du 30/05/2024 : Travaux de démantèlement (INSSN-MRS-2024-0638.pdf)
Atelier de technologie du plutonium (ATPu) Fabrication ou transformation de substances radioactives - CEA
Laboratoire de purification chimique (LPC) Transformation de substances radioactives - CEA

Extraits :

(...) l’ASN considère que la traçabilité des justifications nécessaires pour permettre le transfert de matière dans le cadre de l’événement [déclaré par courrier du 28 mai 2024] n’est pas suffisante. Des compléments d’information sont également attendus sur les rôles et responsabilités des différents acteurs dans la gestion de ce type d’événement.

L’exploitant a indiqué avoir transféré le vendredi 24 mai le crayon combustible vers l’unité de criticité (UC) 131B pour une caractérisation physique. (...) le mouvement a été réalisé alors que la masse fissile présente dans le crayon était inconnue. Celle-ci était potentiellement supérieure à la limite prévue pour cette UC.

Si la fiche de mouvement indique qu’une vérification de vacuité de l’UC 131B a été réalisée, l’installation n’a pas été en mesure de fournir lors de l’inspection un document de contrôle de vacuité de l’UC établi par les opérateurs en charge du contrôle ni la preuve écrite de la démonstration de sûreté-criticité réalisée avant le transfert.

La fiche de mouvement indique, par ailleurs, que la masse de matière fissile après mouvement est conforme au mode de contrôle de l’UC, ce qui, au vu des éléments disponibles lors du transfert, ne pouvait être assuré.

Je vous rappelle que les contrôles mentionnés à l’article 3.1.5 de la décision [n° 2014-DC-0462 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 7 octobre 2014 relative à la maîtrise du risque de criticité dans les installations nucléaires de base] doivent faire l’objet d’une documentation et d’une traçabilité conformes aux dispositions de l’article 2.5.3 de l’arrêté [du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base], permettant de démontrer a priori et de vérifier a posteriori le respect des exigences vis-à-vis du risque de criticité. Cela s’applique aussi bien en condition de fonctionnement normal que dans le cadre de la gestion d’un écart.

De plus, l’alinéa 6 de l’article 3.1.1 de la décision [n° 2017-DC-0616 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 30 novembre 2017 relative aux modifications notables des installations nucléaires de base], précise que le niveau d’autorisation du transfert de ce crayon vers l’UC 131B, et notamment le non-respect de sa limite de masse aurait dû faire l’objet d’une autorisation. L’importance des écarts générés lors du traitement de l’événement significatif mérite donc d’être analysé finement.

(...) Les échanges de courriels consultés lors de l’inspection ont mis en évidence les éléments suivants :

  • L’installation a communiqué son analyse de sûreté-criticité pour l’entreposage du crayon en C13 et pour la réalisation d’opérations de comptage dans cette cellule à l’ingénieur criticien de centre (ICC) le 27 mai, soit 3 jours après la réalisation du transfert,
  • L’autorisation des opérations de comptage a été donnée par le chef d’installation le 27 mai avant de recevoir l’avis de l’ICC sur ces opérations,
  • L’ICC a indiqué formaliser ultérieurement l’analyse de criticité par courrier.

(...) L’exploitant a indiqué que des opérations de vérification de vacuité de cet entreposage avaient été réalisées en 2008, sous la forme d’un double contrôle réalisé par le principal intervenant extérieur (IEP) de l’époque, AREVA NC et par un organisme extérieur. Un contrôle de vacuité a également été réalisé lors de la reprise de l’exploitation technique par le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) en 2016.

https://www.asn.fr/content/download/199204/download_file/INSSN-MRS-2024-0638.pdf


[1Réaction nucléaire : Processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-nucleaire - Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-en-chaine

[2L’Atelier de technologie du plutonium (ATPu), exploité par le CEA, avait pour activité principale la production de combustible « MOX » (mélange d’oxydes d’uranium appauvri et de plutonium) pour les réacteurs nucléaires. Le laboratoire de purification chimique (LPC) assurait l’analyse des produits de l’ATPu, le traitement de ses rebuts de fabrication et le contrôle des déchets. Compte tenu du risque de séisme inhérent à la région de Cadarache et des faiblesses des installations ATPu et LPC face à ce risque, l’Autorité de sûreté nucléaire en a demandé la fermeture. L’exploitation commerciale de l’ATPu et du LPC a ainsi cessé en 2003 et ces installations sont actuellement en phase active d’assainissement et de démantèlement depuis 2009. https://www.asn.fr/lexique/a/atpu

[3Le risque de criticité est défini comme le risque de démarrage d’une réaction nucléaire en chaîne lorsqu’une masse de matière fissile trop importante est rassemblée au même endroit. Un milieu contenant un matériau nucléaire fissile devient critique lorsque le taux de production de neutrons (par les fissions de ce matériau) est exactement égal au taux de disparitions des neutrons (absorptions et fuites à l’extérieur). https://www.asn.fr/lexique/C/criticite


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Installation(s) concernée(s)

CEA Cadarache

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40