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Des accidents nucléaires partout

France : Bugey : Surveillance inadaptée de la puissance du réacteur 5

EDF change ses équipements mais oublie de les régler correctement




22 mars 2022


À l’occasion de sa 4ème visite décennale (VD) entamée en juillet 2021, les systèmes qui surveillent la réaction nucléaire du réacteur 5 du Bugey (Ain) ont été changés. Mais EDF a sauté l’étape qui consistait à implémenter les bonnes valeurs après avoir fini les essais. Il a laissé le réacteur nucléaire, dont le cœur venait d’être rechargé, plus d’un mois avec les dispositifs qui mesurent sa puissance à l’arrêt et déclenchent les arrêts d’urgence mal réglés.


Les visites décennales, ces grands programmes de maintenance et de tests qui durent plusieurs mois, sont l’occasion pour EDF de vérifier la conformité de ses installations et de réaliser des modifications sur leurs équipements dans l’idée de réduire les risques d’accidents. C’est à cette occasion que les systèmes de mesure de la puissance nucléaire du réacteur 5 de la centrale du Bugey ont été changées. Début février 2022, EDF a remplacé les 2 ensembles qui permettent la surveillance du réacteur lorsqu’il est à l’arrêt : les chaînes de niveau intermédiaire (CNI), utilisées lors du démarrage et de la mise à l’arrêt du réacteur et les chaînes de niveau source (CNS), capables de mesurer de très faibles flux neutroniques lorsque le réacteur est à l’arrêt.
Ces chaînes de mesures sont la base de la surveillance de l’activité du réacteur. Elles surveillent de manière constante les flux de neutrons pour mesurer la puissance de la réaction nucléaire et ainsi pouvoir définir les actions nécessaires à son contrôle. Elles participent aussi aux systèmes de protection, qui consistent à déclencher des arrêts automatiquement, en urgence, lorsqu’un problème est détecté.

Pour effectuer le remplacement des chaînes de mesure CNI et CNS, EDF a augmenté le seuil de déclenchement des arrêts d’urgence, c’est à dire que l’arrêt automatique du réacteur n’aurait pas été déclenché en atteignant le niveau de puissance habituellement définit, mais à un niveau de puissance plus élevé. Mais après avoir terminé le remplacement des chaînes de mesures et vérifié leur bon fonctionnement, EDF n’a pas changé les réglages de seuil. Ils sont restés réglés à un seuil supérieur au seuil requis. Durant 5 semaines. Pendant ce laps de temps, le réacteur 5, rechargé, est passé à 3 reprises dans un état qui nécessitait une surveillance des flux neutroniques dans sa cuve. En cas de problème avec la puissance, un déséquilibre de la répartition des flux neutroniques par exemple, l’arrêt en urgence n’aurait pas été déclenché aussi rapidement que nécessaire, mais plus tard.

Les faits sont sans impact réel précise EDF. Heureusement en effet qu’il n’y a pas eu de déséquilibre du flux neutronique lors de ces phases où le réacteur était chargé de combustible. Heureusement qu’il n’y a pas eu de problème de fonctionnement avec le nouveau cœur récemment installé, ce qui aurait pu être le cas si une erreur de positionnement des assemblages de combustible ou des grappes de commande avait été commise par exemple. Pas de conséquences sur les personnes ou sur l’environnement dira pour sa part l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Mais c’est bien la capacité à maîtriser le réacteur et à en surveiller la puissance qui a été mise en jeu par le manque de rigueur de l’industriel.

Cet incident, significatif [1] pour la sûreté [2] du réacteur 5 du Bugey, est le second déclaré par EDF en quelques semaines. Début mars, EDF a annoncé une erreur commise lors d’une intervention sur un circuit qui permet de réguler la réaction nucléaire. Une erreur qu’EDF n’a détectée qu’une fois le redémarrage lancé. Là encore l’incident a été déclaré significatif pour la sûreté, puisqu’il a mis en jeu la capacité d’EDF à maîtriser son réacteur nucléaire et a altéré les parades mises en place pour limiter le risque d’accident.
Les systèmes peuvent être modernisés et les équipements changés, si les erreurs se cumulent à force d’interventions et de vérifications qui manquent de qualité, EDF pourra faire autant de visites décennales qu’il voudra, il n’arrivera qu’à augmenter la dangerosité inhérente de ses activités nucléaires.

Ce que dit EDF :

Détection tardive du non-respect de réglage de la chaîne d’arrêt automatique réacteur

Publié le 22/03/2022

L’unité de production n°5 est en visite décennale. Dans le cadre de cet arrêt pour maintenance, le 10 février 2022, le réacteur est en arrêt normal sur générateur de vapeur (AN/GV). Il s’agit d’un des jalons de la phase de redémarrage du réacteur. Après le rechargement de combustible, la requalification du nouveau cœur est réalisée au cours des essais physiques à puissance nulle.

Suite au remplacement d’un tandem de chaînes de mesure neutroniques (CNS) [3], il est nécessaire de modifier le seuil d’arrêt automatique réacteur des chaines lors de ces essais physiques juste avant le redémarrage du réacteur. Cette modification est portée par la pose d’un dispositif particulier durant les essais. A l’issue de ces essais, la dépose de ce dispositif temporaire est planifiée dans l’état réacteur en production.

La poursuite des opérations de maintenance engendre le changement d’état, (baisse de pression et température) de l’unité de production qui passe en arrêt normal sur RRA (Réacteur Réfrigération à l’Arrêt AN RRA) à plusieurs reprises les 14, 18 et 27 février 2022. Or, pendant ce changement d’état, les spécifications techniques d’exploitation [4] exigeaient que le dispositif particulier soit déposé.

Le 15 mars, il est constaté que cela n’a pas été le cas et que la conduite à tenir n’a pas été respectée dans la période prescrite.

Cet événement est sans impact réel sur la sûreté de l’installation. Cependant, en raison de sa détection tardive, la centrale nucléaire du Bugey a déclaré ce non-respect des spécifications techniques d’exploitation le 18 mars 2022 à l’Autorité de sûreté nucléaire comme un événement significatif de sûreté de niveau 1 (anomalie) sur l’échelle INES, qui en compte 7.

L’unité de production n°2 est en arrêt simple rechargement depuis le 19 février 2022.

Les unités de production n°3 et 4 sont en fonctionnement et alimentent le réseau d’électricité.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-bugey/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-bugey/detection-tardive-du-non-respect-de-reglage-de-la-chaine-darret-automatique-reacteur


Ce que dit l’ASN :

Défaut de calage du seuil de la surveillance du flux de neutrons en phase d’arrêt

Publié le 23/03/2022

Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 18 mars 2022, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté concernant le non-respect du seuil de réglage des chaînes de surveillance du flux de neutrons du réacteur 5 de la centrale nucléaire du Bugey.

Le système de mesure de la puissance nucléaire permet d’assurer la surveillance permanente de la puissance du réacteur. Cette surveillance, qui consiste à mesurer le flux de neutrons, est effectuée par l’intermédiaire de chaînes de mesures disposées à l’extérieur de la cuve :

- les chaînes de puissance (CNP), utilisées en fonctionnement normal ; - les chaînes de niveau intermédiaire (CNI), utilisées lors du démarrage ou de la mise à l’arrêt du réacteur ; - les chaînes de niveau source (CNS), capables de mesurer de très faibles flux lorsque le réacteur est à l’arrêt.

Ces chaînes déclenchent des alarmes et des actions automatiques de protection du réacteur en cas d’élévation anormale du flux neutronique.

Le 10 février 2022, alors que le réacteur 5 était en arrêt, les CNS et les CNI ont été remplacées. Pour réaliser les essais de requalification à l’issue de ce remplacement, les règles générales d’exploitation autorisaient à relever le réglage du seuil déclenchant l’arrêt automatique du réacteur.

Le 15 mars 2022, EDF a constaté que le retour au réglage habituel du seuil déclenchant l’arrêt automatique du réacteur n’avait pas été réalisé à l’issue des essais susmentionnés. Or, entre le 14 février et le 6 mars 2022, le réacteur 5 est passé à trois reprises dans l’état d’arrêt normal, refroidi par le circuit de refroidissement du réacteur à l’arrêt. Dans cet état du réacteur, la hausse temporaire du réglage du seuil déclenchant l’arrêt automatique du réacteur n’est pas autorisée par les règles générales d’exploitation.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement. Toutefois, compte tenu du non-respect des règles générales d’exploitation, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/defaut-de-calage-du-seuil-de-la-surveillance-du-flux-de-neutrons-en-phase-d-arret


[1Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif

[2La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[3Les chaînes de mesure neutronique niveau source (CNS) sont constituées de détecteurs qui permettent de mesurer les faibles flux neutroniques, elles sont donc principalement utilisées pendant les phases d’arrêt, de rechargement et de redémarrage du réacteur. Elles fournissent un taux de comptage en coups par seconde (c/s) issu du traitement du signal impulsionnel généré dans le détecteur neutronique.

[4Le pilotage d’un réacteur s’inscrit dans un cadre de prescriptions, parmi lesquelles les spécifications techniques d’exploitation (STE), qui recueillent l’ensemble des règles à respecter pour la conduite des installations


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Installation(s) concernée(s)

Bugey

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