Faire un don

Débat sur le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR)

Déchets radioactifs : 40 ans d’une lutte victorieuse

Article publié le 2 mai 2019



La production des déchets radioactifs pose la question du monde que nous laisserons à nos enfants et aux générations futures qui devront gérer cet héritage empoisonné pour des milliers d’années. La durée de vie de ceux qui seraient enfouis à Cigéo est telle que l’échelle de temps nous dépasse. Le sujet est éminemment politique et mérite un réel débat de société, qui nous a jusque là toujours été confisqué. Et depuis plus de 40 ans partout en France, la population s’est soulevée pour refuser l’enfouissement que l’État tente d’imposer par tous les moyens. Retour sur une lutte victorieuse mais méconnue, dont nous avons voulu mettre l’histoire en perspective.

1987 à Bourg Dire


Comme nous le disait Bernard Laponche en septembre : "Lors de la découverte de la possibilité d’utiliser l’énergie nucléaire pour la production d’électricité, l’opinion dominante était qu’avant que le problème de l’accumulation des déchets devienne crucial, les scientifiques auraient trouvé la solution. On mesure aujourd’hui l’erreur."

1987 à Montcornet

À l’époque, certains ont été stockés n’importe comment par exemple, au centre de stockage de la Manche. Pire, s’inspirant de ce qui se pratique à l’époque pour les déchets industriels ou pour les déchets militaires (dont du plutonium), ils sont déversés dans les mers et océans. Un récent article de Libération en faisait un inventaire : “Entre 1946 et 1993, 14 pays [1] ont procédé à des immersions de déchets radioactifs dans plus de 80 sites situés dans les océans Pacifique, Atlantique et Arctique“, rappelle l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). En 1993 [2], un accord international est trouvé pour interdire cette pratique. Parmi ces déchets immergés, on trouve des liquides radioactifs en fûts ou non, des déchets solides en fûts mais aussi “des cuves de réacteurs nucléaires, contenant éventuellement du combustible, provenant des États-Unis ou de l’ex-URSS“.

Les actions pacifistes et médiatiques menées à partir de 1978 par Greenpeace, ont eu un fort impact, et ont poussé les États à signer un accord international pour mettre fin à ces dépôts sauvages dans les fonds marins. Et ce malgré les efforts notamment financiers de l’industrie pour continuer.

1990 à Angers

Enfouir à tout prix

Au début des années 1980, l’industrie nucléaire française s’est mise en tête de trouver un endroit pour enfouir tous ses déchets sous terre. L’État a sillonné le pays, cherchant un lieu pour implanter une poubelle nucléaire. En 1987 quatre zones [3] sont identifiées et chaque fois c’est le même scénario… Les territoires apprennent sans préalable qu’ils sont retenus et aucune concertation n’est menée.

Chaque fois, l’opposition est unanime, massive et sans concession. Peu à peu une lutte nationale, avec une coordination des opposants, se développe.

Les élus refusent, des manifestations ont lieu, allant jusqu’à des affrontements avec les forces de l’ordre. Dans un article de la Nouvelle République datée du 9 octobre 2017, Jean Collon, un opposant au projet des Deux-Sèvres, témoigne : “On avait mis en place des moyens de prévention. Dès qu’on observait un mouvement, de matériel de forage ou des forces de l’ordre, le téléphone fonctionnait rapidement. Il y avait aussi une caravane sur le site pour assurer une veille permanente“.

Suite à ces mobilisations, l’État abandonne ses recherches et contourne l’opposition. Après un moratoire pour l’arrêt des travaux et l’évacuation du matériel, la loi Bataille de 1991 prévoit des compensations financières pour les territoires et invente le concept de laboratoire. En 1992, deux nouveaux sites seront identifiés mais abandonnés pour les mêmes raisons : l’opposition est trop forte.

L’État change donc de méthode : il lance un appel à candidatures pour un “laboratoire“, qui officiellement ne devrait recevoir aucun déchet. Sur les 30 candidatures reçues il n’en retiendra que trois, Bagnols-sur-Cèze (Gard) et Bure (Meuse/Haute-Marne) pour leur formation argileuse et La Chapelle Bâton (Vienne) pour le granite.

Chacun des sites reçoit 5 millions de francs par an pour faciliter l’implantation. Cette somme augmentera régulièrement pour atteindre 60 millions d’euros dès 2010 pour le seul site de Bure. En effet, c’est en 1999 que ce site est retenu définitivement pour l’implantation d’un laboratoire de recherche sur l’enfouissement. Les autres sites sont abandonnés. Le granite de la Vienne est jugé trop fragile et les vignerons du Gard ont commandé une étude d’impact sans équivoque. Ce sera donc Bure, commune de 90 âmes aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne, avec la complicité d’élus achetés par les subventions qui feront fi des oppositions.

1995 à Verdun

Un second laboratoire serait en projet et l’Andra cherche un site granitique. En janvier 2000 le Réseau “Sortir du nucléaire“ dévoile une liste des quinze sites favorables. La Coordination nationale des collectifs contacte tous les sites, envoie de l’information et des opposants sur place. Tous les projets seront abandonnés.

1996 à Paris
1996 à Paris

La lutte se concentre alors entièrement à Bure et se relocalise. En 2004, la Maison de la résistance est achetée et en 2005 a lieu le premier débat public sur les déchets radioactifs. Les conclusions sont claires : l’enfouissement ne doit pas se faire et d’autres options doivent être examinées. Pourtant en 2006 la loi retient l’enfouissement comme unique option et invente la “réversibilité“ pour contourner l’opposition. Ce concept tend à faire croire à la population que l’on pourra retirer l’ensemble des déchets du site lorsqu’une hypothétique meilleure option technique sera trouvée pour les traiter ou les stocker.

La lutte continue localement jusqu’au deuxième débat public de 2013 Ce dernier est boycotté par 50 associations. Pour elles le projet est acté et ce débat ne sert qu’à faire croire que la population a son mot à dire. Ce boycott marque un nouvel essor de la lutte qui se nationalise à nouveau.

En 2016 les militants obtiendront de nouveau gain de cause en faisant stopper juridiquement des travaux entrepris par l’Andra sans autorisation et en détruisant le chantier. Malgré les risques démesurés et l’opposition massive au projet, l’État s’entête et est prêt à tout pour imposer le projet (voir à ce sujet la Tribune sur la répression du mouvement en pages 7 et 8). L’industrie nucléaire a besoin de faire croire à une solution pour pouvoir continuer et relancer ses activités. Depuis 2017, la répression contre les militants s’intensifie d’ailleurs fortement.

Force est de constater que depuis les années 60 et le début du programme nucléaire français l’État est allé d’échec en échec. Et aujourd’hui, en l’absence de solutions, on entrepose à La Hague, à Marcoule ou Cadarache, ainsi que sur les sites de production. Et c’est sans parler de tous les autres déchets “moins radioactifs“. En tout, l’Andra recense plus de mille sites où sont conservés, de manière plus ou moins légale, avec ou sans conditionnement, des déchets radioactifs en France.

Laura Hameaux & Anne-Lise Devaux

2000 à Ize

Notes

[1Royaume-Uni, Suisse, États-Unis, Belgique, France, Pays Bas, Japon, Suède, Allemagne, Italie, Corée et Urss.

[2La convention de Londres, placée sous le contrôle de l’Organisation maritime internationale, interdit définitivement l’immersion et l’incinération en mer des déchets industriels et des déchets radioactifs.

[3Dans l’Ain (dans du sel), dans l’Aisne (dans de l’argile), dans le Maine-et-Loire (dans du schiste) et dans les Deux-Sèvres (dans du granit).

Comme nous le disait Bernard Laponche en septembre : "Lors de la découverte de la possibilité d’utiliser l’énergie nucléaire pour la production d’électricité, l’opinion dominante était qu’avant que le problème de l’accumulation des déchets devienne crucial, les scientifiques auraient trouvé la solution. On mesure aujourd’hui l’erreur."

1987 à Montcornet

À l’époque, certains ont été stockés n’importe comment par exemple, au centre de stockage de la Manche. Pire, s’inspirant de ce qui se pratique à l’époque pour les déchets industriels ou pour les déchets militaires (dont du plutonium), ils sont déversés dans les mers et océans. Un récent article de Libération en faisait un inventaire : “Entre 1946 et 1993, 14 pays [1] ont procédé à des immersions de déchets radioactifs dans plus de 80 sites situés dans les océans Pacifique, Atlantique et Arctique“, rappelle l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). En 1993 [2], un accord international est trouvé pour interdire cette pratique. Parmi ces déchets immergés, on trouve des liquides radioactifs en fûts ou non, des déchets solides en fûts mais aussi “des cuves de réacteurs nucléaires, contenant éventuellement du combustible, provenant des États-Unis ou de l’ex-URSS“.

Les actions pacifistes et médiatiques menées à partir de 1978 par Greenpeace, ont eu un fort impact, et ont poussé les États à signer un accord international pour mettre fin à ces dépôts sauvages dans les fonds marins. Et ce malgré les efforts notamment financiers de l’industrie pour continuer.

1990 à Angers

Enfouir à tout prix

Au début des années 1980, l’industrie nucléaire française s’est mise en tête de trouver un endroit pour enfouir tous ses déchets sous terre. L’État a sillonné le pays, cherchant un lieu pour implanter une poubelle nucléaire. En 1987 quatre zones [3] sont identifiées et chaque fois c’est le même scénario… Les territoires apprennent sans préalable qu’ils sont retenus et aucune concertation n’est menée.

Chaque fois, l’opposition est unanime, massive et sans concession. Peu à peu une lutte nationale, avec une coordination des opposants, se développe.

Les élus refusent, des manifestations ont lieu, allant jusqu’à des affrontements avec les forces de l’ordre. Dans un article de la Nouvelle République datée du 9 octobre 2017, Jean Collon, un opposant au projet des Deux-Sèvres, témoigne : “On avait mis en place des moyens de prévention. Dès qu’on observait un mouvement, de matériel de forage ou des forces de l’ordre, le téléphone fonctionnait rapidement. Il y avait aussi une caravane sur le site pour assurer une veille permanente“.

Suite à ces mobilisations, l’État abandonne ses recherches et contourne l’opposition. Après un moratoire pour l’arrêt des travaux et l’évacuation du matériel, la loi Bataille de 1991 prévoit des compensations financières pour les territoires et invente le concept de laboratoire. En 1992, deux nouveaux sites seront identifiés mais abandonnés pour les mêmes raisons : l’opposition est trop forte.

L’État change donc de méthode : il lance un appel à candidatures pour un “laboratoire“, qui officiellement ne devrait recevoir aucun déchet. Sur les 30 candidatures reçues il n’en retiendra que trois, Bagnols-sur-Cèze (Gard) et Bure (Meuse/Haute-Marne) pour leur formation argileuse et La Chapelle Bâton (Vienne) pour le granite.

Chacun des sites reçoit 5 millions de francs par an pour faciliter l’implantation. Cette somme augmentera régulièrement pour atteindre 60 millions d’euros dès 2010 pour le seul site de Bure. En effet, c’est en 1999 que ce site est retenu définitivement pour l’implantation d’un laboratoire de recherche sur l’enfouissement. Les autres sites sont abandonnés. Le granite de la Vienne est jugé trop fragile et les vignerons du Gard ont commandé une étude d’impact sans équivoque. Ce sera donc Bure, commune de 90 âmes aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne, avec la complicité d’élus achetés par les subventions qui feront fi des oppositions.

1995 à Verdun

Un second laboratoire serait en projet et l’Andra cherche un site granitique. En janvier 2000 le Réseau “Sortir du nucléaire“ dévoile une liste des quinze sites favorables. La Coordination nationale des collectifs contacte tous les sites, envoie de l’information et des opposants sur place. Tous les projets seront abandonnés.

1996 à Paris
1996 à Paris

La lutte se concentre alors entièrement à Bure et se relocalise. En 2004, la Maison de la résistance est achetée et en 2005 a lieu le premier débat public sur les déchets radioactifs. Les conclusions sont claires : l’enfouissement ne doit pas se faire et d’autres options doivent être examinées. Pourtant en 2006 la loi retient l’enfouissement comme unique option et invente la “réversibilité“ pour contourner l’opposition. Ce concept tend à faire croire à la population que l’on pourra retirer l’ensemble des déchets du site lorsqu’une hypothétique meilleure option technique sera trouvée pour les traiter ou les stocker.

La lutte continue localement jusqu’au deuxième débat public de 2013 Ce dernier est boycotté par 50 associations. Pour elles le projet est acté et ce débat ne sert qu’à faire croire que la population a son mot à dire. Ce boycott marque un nouvel essor de la lutte qui se nationalise à nouveau.

En 2016 les militants obtiendront de nouveau gain de cause en faisant stopper juridiquement des travaux entrepris par l’Andra sans autorisation et en détruisant le chantier. Malgré les risques démesurés et l’opposition massive au projet, l’État s’entête et est prêt à tout pour imposer le projet (voir à ce sujet la Tribune sur la répression du mouvement en pages 7 et 8). L’industrie nucléaire a besoin de faire croire à une solution pour pouvoir continuer et relancer ses activités. Depuis 2017, la répression contre les militants s’intensifie d’ailleurs fortement.

Force est de constater que depuis les années 60 et le début du programme nucléaire français l’État est allé d’échec en échec. Et aujourd’hui, en l’absence de solutions, on entrepose à La Hague, à Marcoule ou Cadarache, ainsi que sur les sites de production. Et c’est sans parler de tous les autres déchets “moins radioactifs“. En tout, l’Andra recense plus de mille sites où sont conservés, de manière plus ou moins légale, avec ou sans conditionnement, des déchets radioactifs en France.

Laura Hameaux & Anne-Lise Devaux

2000 à Ize


Le saviez-vous ?
Le Réseau "Sortir du nucléaire" est un véritable contre-pouvoir citoyen. Totalement indépendants de l’État, nous dépendons exclusivement du soutien de nos donateur⋅ices. C’est grâce à votre soutien financier que nous pouvons nous permettre de tout mettre en œuvre pour offrir aux générations futures l’espoir d’un avenir sans risques nucléaires. Aidez-nous à obtenir cet objectif et à nous permettre de continuer la lutte au quotidien contre cette énergie mortifère et pour promouvoir la sobriété énergétique et les alternatives renouvelables.

Faire un don