Faire un don

Les scénarios de sortie du nucléaire

Danemark - Vers un scénario 100 % renouvelable en 2050 (Thierry de Larochelambert - Institut FEMTO-ST)

Publié le 4 novembre 2013



Danemark - Vers un scénario 100 % renouvelable en 2050

(Thierry de Larochelambert - Institut FEMTO-ST)

 Téléchargez l’étude au format pdf :

Vers un scénario 100% renouvelable en 2050

Le Danemark est aujourd’hui le premier pays au monde à avoir adopté une politique énergétique officielle planifiée globale de réduction drastique de sa consommation énergétique. Il est également le premier producteur mondial d’éoliennes, le premier pays à construire des éoliennes en mer et à injecter la plus grande part d’énergie renouvelable intermittente dans son réseau électrique. Il est enfin le seul pays dont l’ensemble des ingénieurs s’est fixé comme mission de donner à leur pays les moyens scientifiques et technologiques pour parvenir à couvrir 50% de ses besoins énergétiques en 2030 et 100% en 2050.

Dans un contexte international dominé par les incertitudes géopolitiques, le renchérissement et la raréfaction inéluctables des ressources fossiles, les changements climatiques ;

dans un contexte politique français défavorable à l’émergence d’une politique à long terme des énergies renouvelables, de l’efficacité et de la sobriété énergétiques et minérales adaptée aux urgences énergétiques et climatiques du XXIème siècle et capable de sortir du dogme nucléaire ;

il n’est pas inutile de connaître les développements en cours au Danemark, les décisions que le gouvernement et le parlement danois ont prises et mises en œuvre, et l’étendue des recherches scientifiques dans ce pays nordique pour atteindre une autonomie énergétique entièrement renouvelable, sans énergies fossiles ni nucléaires à l’horizon 2050.

Ces travaux ne sont pas sans rappeler ceux que le Projet Alter français avait menés en 1978 [1] à l’échelle de la France, et que j’avais détaillés et coordonnés pour le Projet Alter Alsace et publiés en 1983 [2] pour élaborer un scénario énergétique 100% renouvelable à une échelle régionale avec les technologies de l’époque.

1. Un pays fortement dépendant des énergies fossiles

En 1972, le Danemark était un des pays de l’OCDE les plus dépendants du pétrole (92% de sa consommation énergétique totale).

En 1996, après trois plans énergétiques (1976, 1981, 1990), sa dépendance pétrolière était réduite de 50%, sa consommation d’énergie primaire ramenée à celle de 1970 tandis que son PIB augmentait de 60% (baisse de 37% de son intensité énergétique), mais ses émissions de gaz à effet de serre restaient élevées par suite du remplacement du pétrole par le charbon et le gaz naturel.

Le grand succès de cette première période réside dans la politique volontariste d’économie de chauffage domestique de 30% ; du développement fulgurant de la cogénération dans les villes et villages (49% du chauffage et 48% de l’électricité) ; et de la production d’énergies renouvelables grâce au développement de l’industrie éolienne (4% de la production électrique en 1996) et à l’utilisation de la biomasse (bois, paille, biogaz, incinération des déchets) dans la cogénération et dans les réseaux de chauffage urbain en extension rapide [3].

La réussite de la mise en place de cette première phase expérimentale tient essentiellement à la démarche démocratique, consultative, décentralisée et participative adoptée dès l’origine : interaction constante entre le gouvernement, le parlement et le public ; participation active des chercheurs universitaires à toutes les étapes ; débats publics réels sur la politique énergétique qui amènent en particulier le parlement à exclure tout recours à l’énergie nucléaire en 1985 et à développer les alternatives énergétiques sur les bases des schémas proposés par les chercheurs [4] [5] [6], même si cette démarche n’a pas été sans conflits entre les acteurs politiques (autorisation de nouvelles centrales à charbon en 1992, investissements éoliens au plus bas en 1993).

2. Le virage environnementaliste et libéral

La directive européenne de libéralisation du marché de l’électricité et le changement de gouvernement danois en 1995 conduisent à la création du Ministère de l’environnement et de l’énergie et à la mise en œuvre d’un quatrième plan, Energy 21 [7] de type libéral, visant à conjuguer deux logiques contradictoires, celle des profits des marchés et celle des contraintes environnementales et de l’intérêt général [8].

Les objectifs du plan de 1990 de réduction des émissions de CO2 de 20% en 2005 par rapport à 1988 doivent atteindre une réduction de 30% en 2030 en améliorant l’intensité énergétique de 50% et en couvrant la consommation d’énergie primaire par 35% d’énergies renouvelables (12 à 14% en 2005), en particulier par substitution des énergies fossiles par la biomasse dans les centrales de cogénération.

Simultanément, l’île danoise de Samsø, qui dépendait entièrement du pétrole en 1997, doit devenir entièrement autosuffisante en énergie en dix ans et servir de plateforme technologique pour l’industrie des énergies renouvelables danoises, ce qu’elle est effectivement devenue en 2007 [9].

3. Bilan énergétique actuel du Danemark

En octobre 2006, le Premier Ministre danois annonce au parlement l’objectif à long terme du Danemark d’atteindre 100% d’indépendance des énergies fossiles et nucléaires. En février 2008, le gouvernement danois conclut un accord avec le Parlement (Energy Agreement) définissant la politique du pays de 2008 à 2011 en vue de dépasser les objectifs de la Commission Européenne en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de production énergétique renouvelable [10].

En 2008, les émissions de gaz à effet de serre du Danemark représentaient 9,9 tonnes de CO2éq par habitant, alors qu’elles s’élevaient encore à 12 tCO2éq/hab en 1995, ce qui représente une baisse de 25% des émissions de GES [11]. Les prévisions pour l’année 2011 montrent que le Danemark respecte et dépasse même les objectifs du Protocole de Kyoto (–0,6 MtCO2éq/an par rapport aux objectifs).

La consommation d’énergie primaire est passée de 159 GJ/hab en 1995 à 148 GJ/hab en 2009, tandis que la consommation électrique nette baissait de 7100 kWh/hab à 6063 kWh/hab.

En 2009, 55% de la puissance électrique danoise est couverte par des centrales de cogénération et 26% par les parcs éoliens. Avec le nouveau parc éolien offshore Horns Rev 2 de 210 MW récemment inauguré, les Danois se hissent au premier rang mondial de puissance éolienne installée par habitant (686,6 W en 2010), loin devant l’Allemagne (332,7 W) et la France (87,5 W). La cogénération couvre 77% du chauffage urbain.

Les éoliennes danoises produisent aujourd’hui 20% de l’énergie électrique consommée au Danemark sans aucun problème d’injection dans le réseau, et l’opérateur danois des réseaux électriques TSO planifie actuellement jusqu’à 50% d’injection d’énergie éolienne dans ces réseaux [12]. Cet nouvel essor éolien fait suite à la période ultralibérale 2003-2007 qui avait vu baisser la puissance éolienne du pays après l’alignement des prix d’achat de l’électricité éolienne sur le marché concurrentiel général. Cette politique s’appuie sur les accords de 2008 qui met en place une planification démocratique à l’échelon local, régional et national à long terme pour l’installation de nouveaux parcs éoliens et la modernisation des anciens parcs (repowering), accompagnée d’aides financières fortement incitatives, du doublement des subventions de l’électricité éolienne (3,72 c€ par kWh) et de prix d’appel de l’électricité éolienne fluctuant avec le prix du marché, le total prix subventionné + prix d’appel étant déplafonné. Des subventions particulières sont attribuées aux éoliennes d’usines électriques et aux éoliennes domestiques (8,05 c€ par kWh).

Il est à noter que le Danemark est également producteur de pétrole et de gaz depuis 1972. Cependant les réserves de pétrole brut, après un pic de production de 22,6 Mm3 en 2004, sont en voie d’épuisement (15,2 Mm3 en 2009) ; il en est de même pour le gaz naturel (pic à 11500 Mm3 en 2005 ; 8600 Mm3 en 2009) [13].

Ce tableau encourageant est le résultat d’une politique nationale concertée et pensée, fondée sur une modification en profondeur des structures de production, de distribution et de consommation des différents acteurs énergétiques (population, municipalités, opérateurs, administrations, industries, agriculteurs, universités) :

 mise en place généralisée des réseaux de chaleur locaux (jusqu’à 100 maisons) et urbains
 généralisation de la cogénération et de la micro-cogénération
 production massive d’électricité éolienne
 production massive d’électricité par centrales de cogénération à biomasse et déchets urbains
 participation active de la population, des universités, des entreprises, du parlement et du gouvernement dans l’élaboration des plans énergétiques nationaux
 forte décentralisation de la planification énergétique (schémas d’implantation des parcs éoliens, des réseaux de chaleur, des centrales de cogénération) [14] [15].

Il ne faut cependant pas cacher que, si le chemin vers un comportement énergétique vertueux est bien engagé au Danemark, la consommation d’énergie fossile reste importante – particulièrement dans les transports – et la part de l’électricité reste encore faible dans la structure énergétique du pays :

 55,1% de l’énergie primaire produite par le Danemark est obtenue par le pétrole brut ; 31,3% par le gaz naturel ; 12,1% par les énergies renouvelables
 39% de l’énergie primaire consommée est encore couverte par le pétrole brut ; 21,2% par le charbon ; 20,5% par le gaz naturel ; et 17,5% par les énergies renouvelables ;
 dans la consommation d’énergie finale, la part de l’électricité est de 18%, celle des réseaux de chaleur 16,6% et celle des énergies renouvelables directes 8,6% (en plus de l’électricité renouvelable et des combustibles renouvelables dans les réseaux de chaleur)

Pour rappel [16], la part des énergies renouvelables dans l’énergie primaire produite en France est de l’ordre de 13% (en comptabilisant la chaleur perdue par les centrales nucléaires, ce qui est contestable) ou 30% (sans comptabilisation de la cette chaleur), grâce à l’énergie hydraulique et au bois. Elle est de l’ordre de 10% de l’énergie finale consommée en France dont 70% sont encore couverts par le pétrole et le gaz : le Danemark fait d’ores et déjà beaucoup mieux que notre pays.

Pour achever ce rapide survol, on peut encore noter que la structure de la production renouvelable au Danemark est naturellement marquée par la répartition très inégale de ses ressources du fait de sa position géographique septentrionale : 19,9% provient de l’énergie éolienne (puissance installée 3800 MW en 2010) ; 67,8% de la biomasse (33,6% du bois ; 14,2% de la paille ; 18,7% des déchets ménagers organiques) ; 3,4% du biogaz ; 2,7% des pompes à chaleur et seulement 0,5% du solaire (thermique et photovoltaïque).

En dehors des développements continus de la recherche universitaire danoise dans les technologies éoliennes, la cogénération et les systèmes d’intégration automatique des sources intermittentes dans les réseaux électriques décentralisés (le Danemark est le 2ème pays européen en publications scientifiques sur les énergies renouvelables par habitant) [17], des recherches importantes sont également menées dans les secteurs prometteurs des énergies marines (centrales houlomotrices et marémotrices, hydroliennes) et dans les stockages thermique et électrique [18] [19] [20] [21] [22].

4. Les engagements énergétiques du Danemark pour 2020

Dans la logique de ses engagements de 2008, le gouvernement danois prévoit et planifie les investissements, les dispositions réglementaires et les orientations structurelles du pays pour parvenir en 2020 à couvrir plus de 30% de sa consommation d’énergie finale (dont 10% dans les transports) par les énergies renouvelables, et diminuer sa consommation d’énergie primaire de 4% par rapport à 2006.

Cependant, les projections pour 2020 de type BAU (business-as-usual, ou continuité sans changement incluant les décisions de 2008) calculées par l’Agence Danoise de l’Énergie (DEA) montrent que la consommation d’énergie risque de dépasser de 2% les limites prévues par ces objectifs, particulièrement pour les transports (+0,8%/an) et la consommation électrique (+3% en 2020 par rapport à 2008). La consommation d’énergie dans le transport ne serait couverte qu’à 6% par les énergies renouvelables.

L’incitation législative et financière à la création de Coopératives Éoliennes [23] [24] permet de prévoir que 28,6% de la consommation électrique seront couverts en 2020 par les éoliennes (puissance installée 1850 MW à l’Est et 3860 MW à l’Ouest) et 18,4% par les autres énergies renouvelables, soit un total de 47% ; de même, 47% des réseaux de chauffage urbain seront alimentés par les énergies renouvelables.

Les Coopératives éoliennes sont soutenues par un Fonds de Garantie financé par une Obligation de Service Public appliquée aux opérateurs et compagnies de transport électriques ; elles doivent comporter au moins 10 personnes habitant à moins de 4,5 km des sites d’implantation planifiés et peuvent percevoir jusqu’à 66000 € pour les études préliminaires (dont l’étude d’impact environnemental obligatoire). De plus, une Ordonnance Verte de 0,54 c€/kWh, collectée par l’opérateur de réseau de transport danois TSO, est reversée aux municipalités qui installent de nouvelles turbines. Un Schéma de Compensation financière par les installateurs éoliens doit également être négocié avec des délais imposés courts pour prévenir l’éventuelle perte de valeur des propriétés, à l’issue de réunions publiques obligatoires, avec dépôts de réclamation gratuits par les propriétaires s’ils résident à moins de 6 fois la hauteur des turbines.

Les projections d’émissions des gaz à effet de serre en 2020 (hors secteurs d’allocation de certificats d’émissions européen), également basées sur le scénario BAU de la DEA, montrent un dépassement de 4,5 MtCO2éq des engagements européens du Danemark, malgré une baisse de 9% par rapport à celles de 2005 [25].

On le voit, malgré une politique déjà ambitieuse d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables (en 2008, la consommation totale d’énergie primaire était de 3,46 tep/hab au Danemark et de 4,16 tep/hab en France [26]), le Danemark risque d’ici dix ans d’être confronté à une dépendance croissante des importations d’énergie sous forme de combustibles fossiles et d’électricité. L’objectif de limitation de l’élévation de la température moyenne du globe en dessous de +2°C d’ici la fin du siècle, nécessitant une division par 4 des émissions de gaz à effet de serre des pays développés, est et reste donc un défi majeur pour nos économies : c’est à cette aune qu’il convient de jauger la capacité de nos pays à répondre à ce défi.

5. Le plan climat 2050 - 100% renouvelable de l’IDA

C’est en 2001 que l’Université danoise d’Aalborg effectue la première simulation du scénario 2020 de la DEA ci-dessus en créant EnergyPLAN, un outil informatique d’analyse et de simulation des systèmes énergétiques [27].

Dès 2006, l’IDA (Association Danoise des Ingénieurs) propose un Plan Énergie 2030 à l’issue d’une série de plus de 40 séminaires « Energy Year 2006 » au cours desquels 1600 ingénieurs et universitaires discutent et élaborent un modèle détaillé de la future structure énergétique du Danemark assurant une indépendance totale du pays vis-à-vis des énergies fossiles et nucléaire [28]. Il s’appuie sur le potentiel énergétique renouvelable du Danemark évalué par la DEA et sur les projections développées par l’Université d’Aalborg [29].

Enfin, la 5ème Conférence sur le Développement Soutenable des Systèmes d’Énergie, d’Eau et d’Environnement en 2009 à Dubrovnik consacre deux séances spéciales sur les solutions 100% renouvelables, l’une dédiée à la conception et au modèle des systèmes, l’autre au stockage énergétique [30]. Le scénario danois 100% renouvelable pour 2050 élaboré par l’IDA y est décliné en termes de réduction de 90% des gaz à effet de serre (GES), de coûts socio-économiques, de créations d’emplois et d’économies sur les coûts de santé publique [31].

5.1. Méthodologie

Dans une première phase (processus d’innovation créative), toutes les propositions techniques de mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique et la gestion de la demande d’énergie dans l’industrie, l’habitat, les transports et le secteur tertiaire ; à accroître l’efficacité de conversion énergétique et de production des énergies renouvelables sont intégrées dans les données énergétiques d’entrée du logiciel EnergyPLAN en visant la réduction des émissions de GES, la sécurité d’approvisionnement et la création d’emplois.

Une seconde étape (méthodologie d’analyse) analyse toutes les propositions précédentes en les intégrant dans une simulation complète du système énergétique danois à l’échelle locale et nationale basé sur le scénario BAU de la DEA projeté à l’horizon 2030. Il en résulte une première ébauche d’un scénario brut alternatif amélioré, plus efficace, plus renouvelable, mais dans lequel les consommations et les productions énergétiques ne sont pas équilibrées dans chaque secteur économique et dans chaque type de besoin final (chauffage, force motrice, électricité), et la faisabilité économique n’est pas assurée.

La troisième étape (modèle d’analyse du système énergétique) effectue une simulation heure par heure de la structure énergétique danoise à l’aide du modèle EnergyPLAN, conduisant à une conception souple des systèmes de production – stockage – consommation capable d’équilibrer à tout instant l’approvisionnement et la consommation d’électricité et de chauffage, en intégrant les fluctuations des énergies éoliennes et solaires, les échanges internationaux, les prix des marchés, les quotas d’émissions de CO2, etc. Cette étape intègre des allers-retours et des rétroactions à tous les échelons de manière à optimiser le système global pour répondre au mieux aux objectifs fixés pour 2030 (50% d’énergies renouvelables).

Une phase ultime est alors menée à bien, toujours basée sur la simulation EnergyPLAN, pour construire la structure énergétique 100% renouvelable en 2050 en prolongeant les développements techniques et les tendances structurelles de la période 2010-2030, et en incluant les futurs développements technologiques de stockage et de production renouvelable.

5.2. Propositions pour l’horizon 50% renouvelable en 2030

Les propositions de l’IDA étant très nombreuses, on en retiendra les principales dispositions suivantes :

 diminution de 50% des besoins de chauffage des bâtiments (isolation) ;
 réduction de 50% de la demande électrique dans l’habitat et de 30% dans l’industrie ;
 réduction de 40% de la consommation de combustibles dans l’industrie ;
 couverture solaire de 15% des besoins de chauffage individuel et collectif ;
 accroissement de 20% de la production électrique par cogénération industrielle ;
 diminution de l’accroissement de la demande en transport par réforme de taxation ;
 report de 20% du transport routier vers le rail et la navigation fluviale et maritime ;
 remplacement de 20% des carburants routiers par les biocarburants et l’électricité ;
 remplacement de 10% du chauffage individuel par les réseaux de chaleur à cogénération ;
 remplacement de 10% des chauffe-eau à gaz par des micro-cogénérateurs à pile à combustibles ;
 35 à 40% de centrales électriques par cogénération à pile à combustibles SOFC (solid oxyde fuel cell) ;
 doublement des ressources en biomasse ;
 doublement des capacités éoliennes de 3 à 6 GW ;
 production électrique de 500 MW à partir des vagues et de 700 MW par photopiles ;
 introduction de 450 MWe de grandes pompes à chaleur combinées aux centrales de cogénération pour optimiser l’intégration des sources éoliennes fluctuantes.

Ce dernier point est plus précisément étudié dans [32].

5.3. Propositions pour l’horizon 100% renouvelable en 2050

On peut imaginer que le passage de 50% à 100% d’indépendance énergétique du Danemark en 20 ans est un défi technique, scientifique et économique extraordinaire. Il nécessite un recours à toutes les ressources de la prospective scientifique et de la simulation informatique les plus fines et les plus élaborées. Les principales mesures additionnelles à mettre en œuvre entre 2030 et 2050 proposées par l’IDA [33] peuvent se résumer ainsi :

 diminution de 20% des besoins de chauffage des bâtiments et des réseaux de chauffage ;
 réduction de 20% de la consommation de combustibles dans l’industrie ;
 réduction de 10% de la demande électrique ;
 stabilisation des besoins en transport ;
 extension de 10% des réseaux de chauffage ;
 conversion à l’hydrogène des micro-cogénérateur à méthane ;
 remplacement des chauffe-eau au fioul et gaz naturel par des chauffe-eau à biomasse et pompes à chaleur ;
 report de 50% des transports routiers de marchandise vers le rail ;
 achèvement du remplacement des carburants fossiles à parts égales entre les biocarburants, l’hydrogène et l’électricité ;
 production de 3 TWh de chaleur industrielle par pompes à chaleur ;
 remplacement de tous les cogénérateurs et de toutes les centrales électriques à énergie fossile restantes par des piles à combustibles biogaz et gazéification de biomasse ;
 couverture de 40% du chauffage des maisons individuelles par énergie solaire ;
 extension de la production électrique houlomotrice de 500 à 1000 MW ;
 accroissement de la production photovoltaïque de 700 à 1500 MW ;
 accroissement des ressources éoliennes et de biomasse pour assurer les réserves ajustables d’énergie.

5.4. Résultats et perspectives

Le graphe ci-dessous (consommation d’énergie primaire en TWh) permet de comparer facilement l’évolution du système énergétique danois prévue par le scénario BAU de référence de la DEA (REF 2015, 2030, 2050) à celle que l’IDA propose de planifier pour atteindre un approvisionnement 100% renouvelable en 2050. Les calculs détaillés par secteurs, par flux et par énergies, années par années, sont disponibles en [34].

Cliquer sur la vignette

La répartition de la production d’énergie électrique entre les différentes sources renouvelables est détaillée dans le tableau ci-dessous (1 TWh = 1 milliard de kWh).

Le diagramme de Sankey (synoptique) ci-dessous illustre les flux d’énergie produites, converties et consommées par secteurs dans la structure énergétique proposée par le Plan Climat IDA à l’horizon 2050. Il n’est pas sans rappeler ceux que le Projet Alter Français et le Projet Alter Alsace avaient élaborés dans les années 1980 pour un scénario 100% renouvelable à long terme… qui était précisément l’horizon 2050 [35] [36].

6. Conclusions

Alors que le mythe d’une énergie nucléaire sûre et économique, pourtant dénoncé et déconstruit depuis des décennies, s’effondre enfin depuis l’accident de Fukushima (2011), après la catastrophe de Tchernobyl (1986) et l’accident de Three Miles Island (1979), les sociétés modernes sont aujourd’hui dans l’obligation de mettre en place rapidement une réponse adaptée aux défis climatiques et énergétiques du XXIème siècle posés par la consommation croissante des ressources fossiles, la surconsommation d’énergie et la production massive de gaz à effet de serre et de déchets chimiques et nucléaires.

La démarche à la fois pragmatique, rigoureuse, scientifique et démocratique adoptée par le Danemark pour assurer un approvisionnement énergétique entièrement basé sur les énergies renouvelables à l’horizon 2050, ainsi que les décisions et les engagements pris par la société danoise toute entière (population, parlement, gouvernement, élites scientifiques) pour suivre cette voie viennent confirmer la faisabilité des changements de structure énergétique que les pays développés et émergents vont devoir adopter pour faire face à l’urgence énergétique et climatique : nous avons probablement une vingtaine d’années au plus pour engager nos pays vers un monde soutenable.

La France, longtemps engluée dans ses dogmes nucléaires et productivistes, est certainement avec le Japon et les USA un des pays où les remises en causes et les changements structurels fondamentaux des décisions, des modes de production et de consommation seront les plus importants et donc les plus difficiles, alors qu’elle dispose d’un des plus grands potentiels renouvelables d’Europe.

Il est nécessaire et urgent qu’une organisation scientifique indépendante, constituée de chercheurs, d’ingénieurs, de professeurs, d’architectes, d’économistes, de penseurs, de représentants associatifs et syndicaux se constitue. Elle devra s’emparer des outils d’analyse prospective énergétique forgés au Danemark et dans d’autres pays pour élaborer rapidement un Plan Énergie Climat sans nucléaire ni énergies fossiles techniquement réaliste, économiquement viable, qui puisse être débattu, amélioré et adopté par un processus démocratique concerté et ouvert, capable de contrer l’inertie, la propagande, le conservatisme et les blocages institutionnels des groupes de pression liés aux industries du nucléaire, du pétrole, du gaz et du charbon.

Pour qu’un tel travail soit efficace, il doit être mené à toutes les échelles de la société française : communale, régionale et nationale.

Des bases existent déjà dans certaines Universités, certaines Écoles d’ingénieurs, certaines associations scientifiques, environnementalistes et professionnelles ; elles devraient pouvoir rapidement se concerter et se fédérer en ce sens. Nous en avons l’ardente obligation.

Thierry de Larochelambert
Chaire Supérieure de Physique-Chimie
Docteur en Énergétique Chercheur à l’Institut FEMTO-ST
CNRS-UMR6174 – Dpt ENISYS
thierry.de-larochelambert@femto-st.fr


Notes

[1Esquisse d’un régime à long terme tout solaire, PROJET ALTER, Syros (1978) 66 p.

[2Les énergies de l’Alsace, PROJET ALTER (T. de LAROCHELAMBERT, M. PIERRE, C. MUNSCH, F. WALGENWITZ), Syros (1983) 214 p.

[3Choice awareness : the development of technological and institutional choice in the public debate of Danish Energy Planning, H. LUND, Journal of Environmental Policy & Planning 2 (2000) 249-259

[4Draft for an Alternative Energy Plan for Denmark, S. BLEGAA et al. (1976)

[5Energy for the future. Alternative energy plan 83, F. HVELPLÜND et al., Borgen (1983)

[6Energy action plan 1990, F. HVELPLÜND et al., Aalborg University Press (1989)

[7Energy 21, Ministry of Environment and Energy, Copenhagen (1996)

[8Wind power in the Danish liberalised power market – Policy measures, price impact and investor incentives, J. MUNKSGAARD et al., Energy Policy 36 (2008) 3940-3947

[10Danish energy outlook, Danish Energy Agency (octobre 2010), téléchargeable sur https://www.ens.dk/da-DK/Info/TalOgKort/Fremskrivninger/beredningsforudsatninger/Documents/danish_energy_outlook.pdf

[12Evaluation of wind power planning in Denmark – Toward an integrated perspective, K. SPERLING et al., Energy 35 (2010) 5443-5454

[13https://www/ens.dk/en-us/OilAndGas/Data/ProductionReports/Sider/Forside.aspx

[14Evaluation of wind power planning in Denmark – Toward an integrated perspective, K. SPERLING et al., Energy 35 (2010) 5443-5454

[15A renewable energy scenario for Aalborg Municipality based on low-tempreature geothermal heat, wind power and biomass, P.A. ØSTRERGAARD et al., Energy 35 (2010) 4892-4901

[16L’urgence énergétique, T. DE LAROCHELAMBERT, Respublica (2008) https://www.gaucherepublicaine.org

[17Analysis of Europe’s scientific production on renewable energies, L.M. ROMO-FERNANDEZ et al., Renewable Energy (2011) article in press

[18Reviewing optimisation criteria for energy systems analyses of renewable energy integration, P.A. ØSTERGAARD, Energy 34 (2009) 1236-1245

[19Battery energy storage technology for power systems – an overview, K.C. DIVYA et al., Electric. Power Sys. Res. 79 (2009) 511-520

[20Prospects for large scale electricity storage in Denmark, C. EKMAN et al., Energy Conversion & Management 51 (2010) 1140-1147

[21On the synergy between large electric vehicle fleet and high wind penetration – An analysis of the Danish case, C.K. EKMAN, Renewable Energy 36 (2011) 546-553

[22The wave energy challenge – the Wave Dragon case, L. CHRISTENSEN et al., PowerGen 2005 Europe conference (2005) 20 p.

[23Evaluation of wind power planning in Denmark – Toward an integrated perspective, K. SPERLING et al., Energy 35 (2010) 5443-5454

[24Spatial analysis of emerging and fading wind energy landscapes in Denmark, B. MÖLLER, Land Use Policy 27 (2010) 233-241

[25Danish energy outlook, Danish Energy Agency (octobre 2010), téléchargeable sur https://www.ens.dk/da-DK/Info/TalOgKort/Fremskrivninger/beredningsforudsatninger/Documents/danish_energy_outlook.pdf

[26Key World Energy Statistics, IEA (International Energy Agency) (2010) 82 p https://www.iea.org

[27EnergyPLAN advanced energy system analysis model, H. LUND, Aalborg University Denmark (2007) – https://energy.plan.aau.dk

[28Energy system analysis of 100% renewable energy systems – The case of Denmark in years 2030 and 2050, H. LUND, B.V. MATHIESEN, Energy 34 (2009) 524-531

[29Renewable energy strategies for sustainable development, H. LUND, Energy 32 (2007) 912-919

[30Towards 100% renewable energy systems, H. LUND et al., Applied Energy 88 (2011) 419-421

[31100% renewable energy systems, climate mitigation and economic growth, B.V. MATHIESEN et al., Applied Energy 88 (2011) 486-501

[32Reviewing optimisation criteria for energy systems analyses of renewable energy integration, P.A. ØSTERGAARD, Energy 34 (2009) 1236-1245

[33The IDA Climate Plan 2050, Danish Engineers Association (2009) 153 p. https://ida.dk/sites/climate/Documents/Klima Hovedrapport UK - WEB.pdf

[34The IDA Climate Plan 2050, Danish Engineers Association (2009) 153 p https://ida.dk/sites/climate/Documents/Klima Hovedrapport UK - WEB.pdf

[35Esquisse d’un régime à long terme tout solaire, PROJET ALTER, Syros (1978) 66 p.

[36Les énergies de l’Alsace, PROJET ALTER (T. de LAROCHELAMBERT, M. PIERRE, C. MUNSCH, F. WALGENWITZ), Syros (1983) 214 p.

Danemark - Vers un scénario 100 % renouvelable en 2050

(Thierry de Larochelambert - Institut FEMTO-ST)

 Téléchargez l’étude au format pdf :

Vers un scénario 100% renouvelable en 2050

Le Danemark est aujourd’hui le premier pays au monde à avoir adopté une politique énergétique officielle planifiée globale de réduction drastique de sa consommation énergétique. Il est également le premier producteur mondial d’éoliennes, le premier pays à construire des éoliennes en mer et à injecter la plus grande part d’énergie renouvelable intermittente dans son réseau électrique. Il est enfin le seul pays dont l’ensemble des ingénieurs s’est fixé comme mission de donner à leur pays les moyens scientifiques et technologiques pour parvenir à couvrir 50% de ses besoins énergétiques en 2030 et 100% en 2050.

Dans un contexte international dominé par les incertitudes géopolitiques, le renchérissement et la raréfaction inéluctables des ressources fossiles, les changements climatiques ;

dans un contexte politique français défavorable à l’émergence d’une politique à long terme des énergies renouvelables, de l’efficacité et de la sobriété énergétiques et minérales adaptée aux urgences énergétiques et climatiques du XXIème siècle et capable de sortir du dogme nucléaire ;

il n’est pas inutile de connaître les développements en cours au Danemark, les décisions que le gouvernement et le parlement danois ont prises et mises en œuvre, et l’étendue des recherches scientifiques dans ce pays nordique pour atteindre une autonomie énergétique entièrement renouvelable, sans énergies fossiles ni nucléaires à l’horizon 2050.

Ces travaux ne sont pas sans rappeler ceux que le Projet Alter français avait menés en 1978 [1] à l’échelle de la France, et que j’avais détaillés et coordonnés pour le Projet Alter Alsace et publiés en 1983 [2] pour élaborer un scénario énergétique 100% renouvelable à une échelle régionale avec les technologies de l’époque.

1. Un pays fortement dépendant des énergies fossiles

En 1972, le Danemark était un des pays de l’OCDE les plus dépendants du pétrole (92% de sa consommation énergétique totale).

En 1996, après trois plans énergétiques (1976, 1981, 1990), sa dépendance pétrolière était réduite de 50%, sa consommation d’énergie primaire ramenée à celle de 1970 tandis que son PIB augmentait de 60% (baisse de 37% de son intensité énergétique), mais ses émissions de gaz à effet de serre restaient élevées par suite du remplacement du pétrole par le charbon et le gaz naturel.

Le grand succès de cette première période réside dans la politique volontariste d’économie de chauffage domestique de 30% ; du développement fulgurant de la cogénération dans les villes et villages (49% du chauffage et 48% de l’électricité) ; et de la production d’énergies renouvelables grâce au développement de l’industrie éolienne (4% de la production électrique en 1996) et à l’utilisation de la biomasse (bois, paille, biogaz, incinération des déchets) dans la cogénération et dans les réseaux de chauffage urbain en extension rapide [3].

La réussite de la mise en place de cette première phase expérimentale tient essentiellement à la démarche démocratique, consultative, décentralisée et participative adoptée dès l’origine : interaction constante entre le gouvernement, le parlement et le public ; participation active des chercheurs universitaires à toutes les étapes ; débats publics réels sur la politique énergétique qui amènent en particulier le parlement à exclure tout recours à l’énergie nucléaire en 1985 et à développer les alternatives énergétiques sur les bases des schémas proposés par les chercheurs [4] [5] [6], même si cette démarche n’a pas été sans conflits entre les acteurs politiques (autorisation de nouvelles centrales à charbon en 1992, investissements éoliens au plus bas en 1993).

2. Le virage environnementaliste et libéral

La directive européenne de libéralisation du marché de l’électricité et le changement de gouvernement danois en 1995 conduisent à la création du Ministère de l’environnement et de l’énergie et à la mise en œuvre d’un quatrième plan, Energy 21 [7] de type libéral, visant à conjuguer deux logiques contradictoires, celle des profits des marchés et celle des contraintes environnementales et de l’intérêt général [8].

Les objectifs du plan de 1990 de réduction des émissions de CO2 de 20% en 2005 par rapport à 1988 doivent atteindre une réduction de 30% en 2030 en améliorant l’intensité énergétique de 50% et en couvrant la consommation d’énergie primaire par 35% d’énergies renouvelables (12 à 14% en 2005), en particulier par substitution des énergies fossiles par la biomasse dans les centrales de cogénération.

Simultanément, l’île danoise de Samsø, qui dépendait entièrement du pétrole en 1997, doit devenir entièrement autosuffisante en énergie en dix ans et servir de plateforme technologique pour l’industrie des énergies renouvelables danoises, ce qu’elle est effectivement devenue en 2007 [9].

3. Bilan énergétique actuel du Danemark

En octobre 2006, le Premier Ministre danois annonce au parlement l’objectif à long terme du Danemark d’atteindre 100% d’indépendance des énergies fossiles et nucléaires. En février 2008, le gouvernement danois conclut un accord avec le Parlement (Energy Agreement) définissant la politique du pays de 2008 à 2011 en vue de dépasser les objectifs de la Commission Européenne en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de production énergétique renouvelable [10].

En 2008, les émissions de gaz à effet de serre du Danemark représentaient 9,9 tonnes de CO2éq par habitant, alors qu’elles s’élevaient encore à 12 tCO2éq/hab en 1995, ce qui représente une baisse de 25% des émissions de GES [11]. Les prévisions pour l’année 2011 montrent que le Danemark respecte et dépasse même les objectifs du Protocole de Kyoto (–0,6 MtCO2éq/an par rapport aux objectifs).

La consommation d’énergie primaire est passée de 159 GJ/hab en 1995 à 148 GJ/hab en 2009, tandis que la consommation électrique nette baissait de 7100 kWh/hab à 6063 kWh/hab.

En 2009, 55% de la puissance électrique danoise est couverte par des centrales de cogénération et 26% par les parcs éoliens. Avec le nouveau parc éolien offshore Horns Rev 2 de 210 MW récemment inauguré, les Danois se hissent au premier rang mondial de puissance éolienne installée par habitant (686,6 W en 2010), loin devant l’Allemagne (332,7 W) et la France (87,5 W). La cogénération couvre 77% du chauffage urbain.

Les éoliennes danoises produisent aujourd’hui 20% de l’énergie électrique consommée au Danemark sans aucun problème d’injection dans le réseau, et l’opérateur danois des réseaux électriques TSO planifie actuellement jusqu’à 50% d’injection d’énergie éolienne dans ces réseaux [12]. Cet nouvel essor éolien fait suite à la période ultralibérale 2003-2007 qui avait vu baisser la puissance éolienne du pays après l’alignement des prix d’achat de l’électricité éolienne sur le marché concurrentiel général. Cette politique s’appuie sur les accords de 2008 qui met en place une planification démocratique à l’échelon local, régional et national à long terme pour l’installation de nouveaux parcs éoliens et la modernisation des anciens parcs (repowering), accompagnée d’aides financières fortement incitatives, du doublement des subventions de l’électricité éolienne (3,72 c€ par kWh) et de prix d’appel de l’électricité éolienne fluctuant avec le prix du marché, le total prix subventionné + prix d’appel étant déplafonné. Des subventions particulières sont attribuées aux éoliennes d’usines électriques et aux éoliennes domestiques (8,05 c€ par kWh).

Il est à noter que le Danemark est également producteur de pétrole et de gaz depuis 1972. Cependant les réserves de pétrole brut, après un pic de production de 22,6 Mm3 en 2004, sont en voie d’épuisement (15,2 Mm3 en 2009) ; il en est de même pour le gaz naturel (pic à 11500 Mm3 en 2005 ; 8600 Mm3 en 2009) [13].

Ce tableau encourageant est le résultat d’une politique nationale concertée et pensée, fondée sur une modification en profondeur des structures de production, de distribution et de consommation des différents acteurs énergétiques (population, municipalités, opérateurs, administrations, industries, agriculteurs, universités) :

 mise en place généralisée des réseaux de chaleur locaux (jusqu’à 100 maisons) et urbains
 généralisation de la cogénération et de la micro-cogénération
 production massive d’électricité éolienne
 production massive d’électricité par centrales de cogénération à biomasse et déchets urbains
 participation active de la population, des universités, des entreprises, du parlement et du gouvernement dans l’élaboration des plans énergétiques nationaux
 forte décentralisation de la planification énergétique (schémas d’implantation des parcs éoliens, des réseaux de chaleur, des centrales de cogénération) [14] [15].

Il ne faut cependant pas cacher que, si le chemin vers un comportement énergétique vertueux est bien engagé au Danemark, la consommation d’énergie fossile reste importante – particulièrement dans les transports – et la part de l’électricité reste encore faible dans la structure énergétique du pays :

 55,1% de l’énergie primaire produite par le Danemark est obtenue par le pétrole brut ; 31,3% par le gaz naturel ; 12,1% par les énergies renouvelables
 39% de l’énergie primaire consommée est encore couverte par le pétrole brut ; 21,2% par le charbon ; 20,5% par le gaz naturel ; et 17,5% par les énergies renouvelables ;
 dans la consommation d’énergie finale, la part de l’électricité est de 18%, celle des réseaux de chaleur 16,6% et celle des énergies renouvelables directes 8,6% (en plus de l’électricité renouvelable et des combustibles renouvelables dans les réseaux de chaleur)

Pour rappel [16], la part des énergies renouvelables dans l’énergie primaire produite en France est de l’ordre de 13% (en comptabilisant la chaleur perdue par les centrales nucléaires, ce qui est contestable) ou 30% (sans comptabilisation de la cette chaleur), grâce à l’énergie hydraulique et au bois. Elle est de l’ordre de 10% de l’énergie finale consommée en France dont 70% sont encore couverts par le pétrole et le gaz : le Danemark fait d’ores et déjà beaucoup mieux que notre pays.

Pour achever ce rapide survol, on peut encore noter que la structure de la production renouvelable au Danemark est naturellement marquée par la répartition très inégale de ses ressources du fait de sa position géographique septentrionale : 19,9% provient de l’énergie éolienne (puissance installée 3800 MW en 2010) ; 67,8% de la biomasse (33,6% du bois ; 14,2% de la paille ; 18,7% des déchets ménagers organiques) ; 3,4% du biogaz ; 2,7% des pompes à chaleur et seulement 0,5% du solaire (thermique et photovoltaïque).

En dehors des développements continus de la recherche universitaire danoise dans les technologies éoliennes, la cogénération et les systèmes d’intégration automatique des sources intermittentes dans les réseaux électriques décentralisés (le Danemark est le 2ème pays européen en publications scientifiques sur les énergies renouvelables par habitant) [17], des recherches importantes sont également menées dans les secteurs prometteurs des énergies marines (centrales houlomotrices et marémotrices, hydroliennes) et dans les stockages thermique et électrique [18] [19] [20] [21] [22].

4. Les engagements énergétiques du Danemark pour 2020

Dans la logique de ses engagements de 2008, le gouvernement danois prévoit et planifie les investissements, les dispositions réglementaires et les orientations structurelles du pays pour parvenir en 2020 à couvrir plus de 30% de sa consommation d’énergie finale (dont 10% dans les transports) par les énergies renouvelables, et diminuer sa consommation d’énergie primaire de 4% par rapport à 2006.

Cependant, les projections pour 2020 de type BAU (business-as-usual, ou continuité sans changement incluant les décisions de 2008) calculées par l’Agence Danoise de l’Énergie (DEA) montrent que la consommation d’énergie risque de dépasser de 2% les limites prévues par ces objectifs, particulièrement pour les transports (+0,8%/an) et la consommation électrique (+3% en 2020 par rapport à 2008). La consommation d’énergie dans le transport ne serait couverte qu’à 6% par les énergies renouvelables.

L’incitation législative et financière à la création de Coopératives Éoliennes [23] [24] permet de prévoir que 28,6% de la consommation électrique seront couverts en 2020 par les éoliennes (puissance installée 1850 MW à l’Est et 3860 MW à l’Ouest) et 18,4% par les autres énergies renouvelables, soit un total de 47% ; de même, 47% des réseaux de chauffage urbain seront alimentés par les énergies renouvelables.

Les Coopératives éoliennes sont soutenues par un Fonds de Garantie financé par une Obligation de Service Public appliquée aux opérateurs et compagnies de transport électriques ; elles doivent comporter au moins 10 personnes habitant à moins de 4,5 km des sites d’implantation planifiés et peuvent percevoir jusqu’à 66000 € pour les études préliminaires (dont l’étude d’impact environnemental obligatoire). De plus, une Ordonnance Verte de 0,54 c€/kWh, collectée par l’opérateur de réseau de transport danois TSO, est reversée aux municipalités qui installent de nouvelles turbines. Un Schéma de Compensation financière par les installateurs éoliens doit également être négocié avec des délais imposés courts pour prévenir l’éventuelle perte de valeur des propriétés, à l’issue de réunions publiques obligatoires, avec dépôts de réclamation gratuits par les propriétaires s’ils résident à moins de 6 fois la hauteur des turbines.

Les projections d’émissions des gaz à effet de serre en 2020 (hors secteurs d’allocation de certificats d’émissions européen), également basées sur le scénario BAU de la DEA, montrent un dépassement de 4,5 MtCO2éq des engagements européens du Danemark, malgré une baisse de 9% par rapport à celles de 2005 [25].

On le voit, malgré une politique déjà ambitieuse d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables (en 2008, la consommation totale d’énergie primaire était de 3,46 tep/hab au Danemark et de 4,16 tep/hab en France [26]), le Danemark risque d’ici dix ans d’être confronté à une dépendance croissante des importations d’énergie sous forme de combustibles fossiles et d’électricité. L’objectif de limitation de l’élévation de la température moyenne du globe en dessous de +2°C d’ici la fin du siècle, nécessitant une division par 4 des émissions de gaz à effet de serre des pays développés, est et reste donc un défi majeur pour nos économies : c’est à cette aune qu’il convient de jauger la capacité de nos pays à répondre à ce défi.

5. Le plan climat 2050 - 100% renouvelable de l’IDA

C’est en 2001 que l’Université danoise d’Aalborg effectue la première simulation du scénario 2020 de la DEA ci-dessus en créant EnergyPLAN, un outil informatique d’analyse et de simulation des systèmes énergétiques [27].

Dès 2006, l’IDA (Association Danoise des Ingénieurs) propose un Plan Énergie 2030 à l’issue d’une série de plus de 40 séminaires « Energy Year 2006 » au cours desquels 1600 ingénieurs et universitaires discutent et élaborent un modèle détaillé de la future structure énergétique du Danemark assurant une indépendance totale du pays vis-à-vis des énergies fossiles et nucléaire [28]. Il s’appuie sur le potentiel énergétique renouvelable du Danemark évalué par la DEA et sur les projections développées par l’Université d’Aalborg [29].

Enfin, la 5ème Conférence sur le Développement Soutenable des Systèmes d’Énergie, d’Eau et d’Environnement en 2009 à Dubrovnik consacre deux séances spéciales sur les solutions 100% renouvelables, l’une dédiée à la conception et au modèle des systèmes, l’autre au stockage énergétique [30]. Le scénario danois 100% renouvelable pour 2050 élaboré par l’IDA y est décliné en termes de réduction de 90% des gaz à effet de serre (GES), de coûts socio-économiques, de créations d’emplois et d’économies sur les coûts de santé publique [31].

5.1. Méthodologie

Dans une première phase (processus d’innovation créative), toutes les propositions techniques de mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique et la gestion de la demande d’énergie dans l’industrie, l’habitat, les transports et le secteur tertiaire ; à accroître l’efficacité de conversion énergétique et de production des énergies renouvelables sont intégrées dans les données énergétiques d’entrée du logiciel EnergyPLAN en visant la réduction des émissions de GES, la sécurité d’approvisionnement et la création d’emplois.

Une seconde étape (méthodologie d’analyse) analyse toutes les propositions précédentes en les intégrant dans une simulation complète du système énergétique danois à l’échelle locale et nationale basé sur le scénario BAU de la DEA projeté à l’horizon 2030. Il en résulte une première ébauche d’un scénario brut alternatif amélioré, plus efficace, plus renouvelable, mais dans lequel les consommations et les productions énergétiques ne sont pas équilibrées dans chaque secteur économique et dans chaque type de besoin final (chauffage, force motrice, électricité), et la faisabilité économique n’est pas assurée.

La troisième étape (modèle d’analyse du système énergétique) effectue une simulation heure par heure de la structure énergétique danoise à l’aide du modèle EnergyPLAN, conduisant à une conception souple des systèmes de production – stockage – consommation capable d’équilibrer à tout instant l’approvisionnement et la consommation d’électricité et de chauffage, en intégrant les fluctuations des énergies éoliennes et solaires, les échanges internationaux, les prix des marchés, les quotas d’émissions de CO2, etc. Cette étape intègre des allers-retours et des rétroactions à tous les échelons de manière à optimiser le système global pour répondre au mieux aux objectifs fixés pour 2030 (50% d’énergies renouvelables).

Une phase ultime est alors menée à bien, toujours basée sur la simulation EnergyPLAN, pour construire la structure énergétique 100% renouvelable en 2050 en prolongeant les développements techniques et les tendances structurelles de la période 2010-2030, et en incluant les futurs développements technologiques de stockage et de production renouvelable.

5.2. Propositions pour l’horizon 50% renouvelable en 2030

Les propositions de l’IDA étant très nombreuses, on en retiendra les principales dispositions suivantes :

 diminution de 50% des besoins de chauffage des bâtiments (isolation) ;
 réduction de 50% de la demande électrique dans l’habitat et de 30% dans l’industrie ;
 réduction de 40% de la consommation de combustibles dans l’industrie ;
 couverture solaire de 15% des besoins de chauffage individuel et collectif ;
 accroissement de 20% de la production électrique par cogénération industrielle ;
 diminution de l’accroissement de la demande en transport par réforme de taxation ;
 report de 20% du transport routier vers le rail et la navigation fluviale et maritime ;
 remplacement de 20% des carburants routiers par les biocarburants et l’électricité ;
 remplacement de 10% du chauffage individuel par les réseaux de chaleur à cogénération ;
 remplacement de 10% des chauffe-eau à gaz par des micro-cogénérateurs à pile à combustibles ;
 35 à 40% de centrales électriques par cogénération à pile à combustibles SOFC (solid oxyde fuel cell) ;
 doublement des ressources en biomasse ;
 doublement des capacités éoliennes de 3 à 6 GW ;
 production électrique de 500 MW à partir des vagues et de 700 MW par photopiles ;
 introduction de 450 MWe de grandes pompes à chaleur combinées aux centrales de cogénération pour optimiser l’intégration des sources éoliennes fluctuantes.

Ce dernier point est plus précisément étudié dans [32].

5.3. Propositions pour l’horizon 100% renouvelable en 2050

On peut imaginer que le passage de 50% à 100% d’indépendance énergétique du Danemark en 20 ans est un défi technique, scientifique et économique extraordinaire. Il nécessite un recours à toutes les ressources de la prospective scientifique et de la simulation informatique les plus fines et les plus élaborées. Les principales mesures additionnelles à mettre en œuvre entre 2030 et 2050 proposées par l’IDA [33] peuvent se résumer ainsi :

 diminution de 20% des besoins de chauffage des bâtiments et des réseaux de chauffage ;
 réduction de 20% de la consommation de combustibles dans l’industrie ;
 réduction de 10% de la demande électrique ;
 stabilisation des besoins en transport ;
 extension de 10% des réseaux de chauffage ;
 conversion à l’hydrogène des micro-cogénérateur à méthane ;
 remplacement des chauffe-eau au fioul et gaz naturel par des chauffe-eau à biomasse et pompes à chaleur ;
 report de 50% des transports routiers de marchandise vers le rail ;
 achèvement du remplacement des carburants fossiles à parts égales entre les biocarburants, l’hydrogène et l’électricité ;
 production de 3 TWh de chaleur industrielle par pompes à chaleur ;
 remplacement de tous les cogénérateurs et de toutes les centrales électriques à énergie fossile restantes par des piles à combustibles biogaz et gazéification de biomasse ;
 couverture de 40% du chauffage des maisons individuelles par énergie solaire ;
 extension de la production électrique houlomotrice de 500 à 1000 MW ;
 accroissement de la production photovoltaïque de 700 à 1500 MW ;
 accroissement des ressources éoliennes et de biomasse pour assurer les réserves ajustables d’énergie.

5.4. Résultats et perspectives

Le graphe ci-dessous (consommation d’énergie primaire en TWh) permet de comparer facilement l’évolution du système énergétique danois prévue par le scénario BAU de référence de la DEA (REF 2015, 2030, 2050) à celle que l’IDA propose de planifier pour atteindre un approvisionnement 100% renouvelable en 2050. Les calculs détaillés par secteurs, par flux et par énergies, années par années, sont disponibles en [34].

Cliquer sur la vignette

La répartition de la production d’énergie électrique entre les différentes sources renouvelables est détaillée dans le tableau ci-dessous (1 TWh = 1 milliard de kWh).

Le diagramme de Sankey (synoptique) ci-dessous illustre les flux d’énergie produites, converties et consommées par secteurs dans la structure énergétique proposée par le Plan Climat IDA à l’horizon 2050. Il n’est pas sans rappeler ceux que le Projet Alter Français et le Projet Alter Alsace avaient élaborés dans les années 1980 pour un scénario 100% renouvelable à long terme… qui était précisément l’horizon 2050 [35] [36].

6. Conclusions

Alors que le mythe d’une énergie nucléaire sûre et économique, pourtant dénoncé et déconstruit depuis des décennies, s’effondre enfin depuis l’accident de Fukushima (2011), après la catastrophe de Tchernobyl (1986) et l’accident de Three Miles Island (1979), les sociétés modernes sont aujourd’hui dans l’obligation de mettre en place rapidement une réponse adaptée aux défis climatiques et énergétiques du XXIème siècle posés par la consommation croissante des ressources fossiles, la surconsommation d’énergie et la production massive de gaz à effet de serre et de déchets chimiques et nucléaires.

La démarche à la fois pragmatique, rigoureuse, scientifique et démocratique adoptée par le Danemark pour assurer un approvisionnement énergétique entièrement basé sur les énergies renouvelables à l’horizon 2050, ainsi que les décisions et les engagements pris par la société danoise toute entière (population, parlement, gouvernement, élites scientifiques) pour suivre cette voie viennent confirmer la faisabilité des changements de structure énergétique que les pays développés et émergents vont devoir adopter pour faire face à l’urgence énergétique et climatique : nous avons probablement une vingtaine d’années au plus pour engager nos pays vers un monde soutenable.

La France, longtemps engluée dans ses dogmes nucléaires et productivistes, est certainement avec le Japon et les USA un des pays où les remises en causes et les changements structurels fondamentaux des décisions, des modes de production et de consommation seront les plus importants et donc les plus difficiles, alors qu’elle dispose d’un des plus grands potentiels renouvelables d’Europe.

Il est nécessaire et urgent qu’une organisation scientifique indépendante, constituée de chercheurs, d’ingénieurs, de professeurs, d’architectes, d’économistes, de penseurs, de représentants associatifs et syndicaux se constitue. Elle devra s’emparer des outils d’analyse prospective énergétique forgés au Danemark et dans d’autres pays pour élaborer rapidement un Plan Énergie Climat sans nucléaire ni énergies fossiles techniquement réaliste, économiquement viable, qui puisse être débattu, amélioré et adopté par un processus démocratique concerté et ouvert, capable de contrer l’inertie, la propagande, le conservatisme et les blocages institutionnels des groupes de pression liés aux industries du nucléaire, du pétrole, du gaz et du charbon.

Pour qu’un tel travail soit efficace, il doit être mené à toutes les échelles de la société française : communale, régionale et nationale.

Des bases existent déjà dans certaines Universités, certaines Écoles d’ingénieurs, certaines associations scientifiques, environnementalistes et professionnelles ; elles devraient pouvoir rapidement se concerter et se fédérer en ce sens. Nous en avons l’ardente obligation.

Thierry de Larochelambert
Chaire Supérieure de Physique-Chimie
Docteur en Énergétique Chercheur à l’Institut FEMTO-ST
CNRS-UMR6174 – Dpt ENISYS
thierry.de-larochelambert@femto-st.fr



Le saviez-vous ?
Le Réseau "Sortir du nucléaire" est un véritable contre-pouvoir citoyen. Totalement indépendants de l’État, nous dépendons exclusivement du soutien de nos donateur⋅ices. C’est grâce à votre soutien financier que nous pouvons nous permettre de tout mettre en œuvre pour offrir aux générations futures l’espoir d’un avenir sans risques nucléaires. Aidez-nous à obtenir cet objectif et à nous permettre de continuer la lutte au quotidien contre cette énergie mortifère et pour promouvoir la sobriété énergétique et les alternatives renouvelables.

Faire un don