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Coronavirus et nucléaire

Coronavirus : quel impact pour les personnes travaillant dans les installations nucléaires ?

Article publié le 18 mars 2020



Officiellement, EDF a tout prévu pour continuer la production d’électricité dans les centrales nucléaires malgré l’épidémie de coronavirus. Si à court terme la conduite des réacteurs ne semble pas menacée, les travailleurs sous-traitants dénoncent une prise en compte insuffisante des risques pour leur santé.



À ce stade (9 avril 2020), on recense plusieurs cas de contamination avérées parmi le personnel d’EDF et les prestataires travaillant en centrale nucléaire à Belleville-sur-Loire (Cher) à Flamanville (Manche) à Cattenom (Moselle) à Bugey (Ain) et à Fessenheim (Haut-Rhin, l’un des départements les plus touchés).

La contamination d’une quarantaine d’agents a été avérée à la centrale nucléaire de Flamanville ou le plan pandémie a été déclenché. La centrale de Gravelines (la plus grande de France) fonctionne pour le moment avec moins d’un tiers de ses effectifs.

À Orano La Hague, le retraitement du combustible usé a été arrêté le mardi 17 mars.

Pour EDF, les centrales peuvent continuer à fonctionner…

Depuis 2000, EDF s’est dotée d’un « plan pandémie », qui a été actualisé en 2003 puis en 2011, à l’occasion des crises du H1N1 et du SRAS. Selon ce programme, en organisant différemment les changements d’équipes, la conduite des réacteurs en fonctionnement peut être assurée jusqu’à 12 semaines avec 25% des effectifs absents, et même pendant deux à trois semaines avec 40% d’absents.

Si ces prédictions apparaissent rassurantes, il n’en demeure pas moins que la conduite de réacteur est une tâche complexe et exigeante. De plus, même si les procédures sont extrêmement cadrées, les individus ne sont pas strictement interchangeables. Un effondrement des effectifs risquerait d’apporter une désorganisation notable, surtout si le coronavirus affecte particulièrement les personnes les moins jeunes, et donc les plus expérimentées. De tels facteurs humains sont déjà susceptible d’affecter la sûreté en temps normal et là ne doivent pas être sous-estimés. Ainsi, en octobre 2019, une inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire effectuée à la centrale nucléaire de Golfech(Tarn-et-Garonne) avait relevé que certaines équipes de conduite étaient « en grande difficulté » du fait d’une réorganisation interne. Elle avait également pointé une « défaillance dans la maîtrise des fondamentaux » liés à cette activité, résultant notamment d’un tuilage insuffisant entre agents expérimentés et nouveaux arrivants (en 5 ans, la moitié des effectifs avaient été renouvelés suite à des départs en retraite).

Par ailleurs, les opérations de mise à l’arrêt des réacteurs pour maintenance risquent d’être affectées

Des prestataires insuffisamment protégés

Toutefois, les centrales nucléaires ne fonctionnent pas uniquement grâce au personnel d’EDF. Rappelons que la quasi-totalité des activités de maintenance des installations est effectuée par des prestataires, qui ne bénéficient pas des mêmes conditions que les agents statutaires et subissent 80% des doses radioactives. Déjà victimes d’un suivi médical déficient, ils dénoncent maintenant une mise en danger supplémentaire liée à la crise du coronavirus.

Gilles Reynaud, président de l’association « Ma Zone Contrôlée », se montre extrêmement préoccupé par le sort de ses collègues. « Après toute intervention en zone nucléaire, pour permettre de détecter une éventuelle contamination radioactive corporelle, chaque personne doit placer ses pieds et ses mains dans un appareil de contrôle radiologique (portique C2 et/ou Contrôleur Main Pied). Ceux-ci sont équipés de capteurs qui viennent au contact de la peau. Plusieurs centaines de personnes mettent chaque jour leurs mains dans ces appareils et ils ne sont même pas nettoyés après chaque passage ! Les entreprises qui nous emploient ne nous donnent pas les moyens de nous protéger contre le coronavirus. Les risques psychosociaux explosent et l’anxiété qu’occasionne le Coronavirus n’est pas de nature à améliorer le niveau de sécurité et sûreté des installations du fait de conditions de travail très largement dégradées ».

Illustration postée sur la page de "Ma Zone Contrôlée"

Sur les sites où des réacteurs sont arrêtés pour maintenance (Tricastin, Penly, Bugey, Cruas, Chinon, Gravelines, Civaux et Nogent), ainsi que sur le chantier en cour à Orano Tricastin (remplacement des cristalisoires CX2), des personnes travaillant dans la sous-traitance dénoncent les risques pour leur santé.

Sur la page Facebook de Ma Zone Contrôlée, certains témoignent de consignes inexistantes, d’une distanciation insuffisante et de l’absence de mesures pour réduire la coactivité. Ils demandent de reporter les interventions non indispensables, comme c’est déjà le cas sur les chantiers de démantèlement.

Le 22 mars, l’association Ma Zone Contrôlée a interpellé l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans un courrier :

Suite à cette interpellation, jeudi 26 mars,l’ASN a alerté EDF sur la situation des travailleurs prestataires, lui demandant de "définir clairement quelles sont les activités de maintenance ou de logistique pour lesquelles une continuité est indispensable afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté pour ces entreprises et leurs salariés". EDF doit également "veiller à ce que les conditions de santé et sécurité soient communiquées et mises correctement en place sur les sites pour tous les salariés". Toutefois, l’ASN ayant suspendu ses visites dans les centrales, elle ne pourra pas vérifier en direct la bonne application de ces mesures.

Des travaux de maintenance suspendus

Face à la contamination d’un travailleur, le plan pandémie vient déjà d’être activé à la centrale de Flamanville, qui est à l’arrêt depuis plusieurs mois. Les travaux de maintenance sont suspendus et seules les activités essentielles au maintien de la sûreté seront maintenues. Cependant, tout ne peut pas être ajourné sur un réacteur en maintenance. « Reporter d’un mois le changement d’un matériel sur un réacteur arrêté, c’est jouable, mais pour autant qu’il existe un système redondant. Par ailleurs, certaines étapes, une fois commencées, doivent impérativement être menées à terme », explique Gilles Reynaud. Pas possible, par exemple, d’interrompre en cours de route un déchargement de combustible, qui nécessite environ 56h d’intervention...

En outre, la moindre disponibilité des prestataires "nomades", repartis chez eux, risque aussi de compliquer certaines interventions de mise à l’arrêt des réacteurs. C’est déjà le cas à la centrale nucléaire de Civaux (Vienne), où une partie du planning est gelé.

Si le report de certains travaux est nécessaire pour éviter de nouvelles contaminations, on peut s’interroger sur les conséquences à long terme sur la sûreté. Hors période de crise sanitaire, dans un contexte où EDF, en pleine course à la rentabilité, cherche à réduire au maximum la durée des arrêts pour maintenance, certains travaux de maintenance préventive ne sont déjà plus effectués. Il en résulte déjà une dégradation de l’état de certains équipements . Si les arrêts devaient s’étendre, doit-on craindre que certaines opérations ne soient pas simplement ajournées, mais passent à la trappe jusqu’à nouvel ordre ? Sachant que l’Autorité de sûreté nucléaire a elle-même suspendu sa présence physique sur les centrales, certains problèmes de sûreté risquent de passer au travers des mailles du filet.

Certes, il n’y a pas lieu, pour l’instant, de tenir un discours alarmiste sur un risque imminent pour les centrales. Mais cette crise ajoute une raison de plus de tourner le dos à une technologie dangereuse et complexe, pour aller vers un système énergétique moins vulnérable et plus résilient reposant sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables. Et dans tous les cas, elle met une nouvelle fois en lumière la situation dégradée et le manque de considération que subissent l’ensemble des prestataires du nucléaire.

À ce stade (9 avril 2020), on recense plusieurs cas de contamination avérées parmi le personnel d’EDF et les prestataires travaillant en centrale nucléaire à Belleville-sur-Loire (Cher) à Flamanville (Manche) à Cattenom (Moselle) à Bugey (Ain) et à Fessenheim (Haut-Rhin, l’un des départements les plus touchés).

La contamination d’une quarantaine d’agents a été avérée à la centrale nucléaire de Flamanville ou le plan pandémie a été déclenché. La centrale de Gravelines (la plus grande de France) fonctionne pour le moment avec moins d’un tiers de ses effectifs.

À Orano La Hague, le retraitement du combustible usé a été arrêté le mardi 17 mars.

Pour EDF, les centrales peuvent continuer à fonctionner…

Depuis 2000, EDF s’est dotée d’un « plan pandémie », qui a été actualisé en 2003 puis en 2011, à l’occasion des crises du H1N1 et du SRAS. Selon ce programme, en organisant différemment les changements d’équipes, la conduite des réacteurs en fonctionnement peut être assurée jusqu’à 12 semaines avec 25% des effectifs absents, et même pendant deux à trois semaines avec 40% d’absents.

Si ces prédictions apparaissent rassurantes, il n’en demeure pas moins que la conduite de réacteur est une tâche complexe et exigeante. De plus, même si les procédures sont extrêmement cadrées, les individus ne sont pas strictement interchangeables. Un effondrement des effectifs risquerait d’apporter une désorganisation notable, surtout si le coronavirus affecte particulièrement les personnes les moins jeunes, et donc les plus expérimentées. De tels facteurs humains sont déjà susceptible d’affecter la sûreté en temps normal et là ne doivent pas être sous-estimés. Ainsi, en octobre 2019, une inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire effectuée à la centrale nucléaire de Golfech(Tarn-et-Garonne) avait relevé que certaines équipes de conduite étaient « en grande difficulté » du fait d’une réorganisation interne. Elle avait également pointé une « défaillance dans la maîtrise des fondamentaux » liés à cette activité, résultant notamment d’un tuilage insuffisant entre agents expérimentés et nouveaux arrivants (en 5 ans, la moitié des effectifs avaient été renouvelés suite à des départs en retraite).

Par ailleurs, les opérations de mise à l’arrêt des réacteurs pour maintenance risquent d’être affectées

Des prestataires insuffisamment protégés

Toutefois, les centrales nucléaires ne fonctionnent pas uniquement grâce au personnel d’EDF. Rappelons que la quasi-totalité des activités de maintenance des installations est effectuée par des prestataires, qui ne bénéficient pas des mêmes conditions que les agents statutaires et subissent 80% des doses radioactives. Déjà victimes d’un suivi médical déficient, ils dénoncent maintenant une mise en danger supplémentaire liée à la crise du coronavirus.

Gilles Reynaud, président de l’association « Ma Zone Contrôlée », se montre extrêmement préoccupé par le sort de ses collègues. « Après toute intervention en zone nucléaire, pour permettre de détecter une éventuelle contamination radioactive corporelle, chaque personne doit placer ses pieds et ses mains dans un appareil de contrôle radiologique (portique C2 et/ou Contrôleur Main Pied). Ceux-ci sont équipés de capteurs qui viennent au contact de la peau. Plusieurs centaines de personnes mettent chaque jour leurs mains dans ces appareils et ils ne sont même pas nettoyés après chaque passage ! Les entreprises qui nous emploient ne nous donnent pas les moyens de nous protéger contre le coronavirus. Les risques psychosociaux explosent et l’anxiété qu’occasionne le Coronavirus n’est pas de nature à améliorer le niveau de sécurité et sûreté des installations du fait de conditions de travail très largement dégradées ».

Illustration postée sur la page de "Ma Zone Contrôlée"

Sur les sites où des réacteurs sont arrêtés pour maintenance (Tricastin, Penly, Bugey, Cruas, Chinon, Gravelines, Civaux et Nogent), ainsi que sur le chantier en cour à Orano Tricastin (remplacement des cristalisoires CX2), des personnes travaillant dans la sous-traitance dénoncent les risques pour leur santé.

Sur la page Facebook de Ma Zone Contrôlée, certains témoignent de consignes inexistantes, d’une distanciation insuffisante et de l’absence de mesures pour réduire la coactivité. Ils demandent de reporter les interventions non indispensables, comme c’est déjà le cas sur les chantiers de démantèlement.

Le 22 mars, l’association Ma Zone Contrôlée a interpellé l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans un courrier :

Suite à cette interpellation, jeudi 26 mars,l’ASN a alerté EDF sur la situation des travailleurs prestataires, lui demandant de "définir clairement quelles sont les activités de maintenance ou de logistique pour lesquelles une continuité est indispensable afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté pour ces entreprises et leurs salariés". EDF doit également "veiller à ce que les conditions de santé et sécurité soient communiquées et mises correctement en place sur les sites pour tous les salariés". Toutefois, l’ASN ayant suspendu ses visites dans les centrales, elle ne pourra pas vérifier en direct la bonne application de ces mesures.

Des travaux de maintenance suspendus

Face à la contamination d’un travailleur, le plan pandémie vient déjà d’être activé à la centrale de Flamanville, qui est à l’arrêt depuis plusieurs mois. Les travaux de maintenance sont suspendus et seules les activités essentielles au maintien de la sûreté seront maintenues. Cependant, tout ne peut pas être ajourné sur un réacteur en maintenance. « Reporter d’un mois le changement d’un matériel sur un réacteur arrêté, c’est jouable, mais pour autant qu’il existe un système redondant. Par ailleurs, certaines étapes, une fois commencées, doivent impérativement être menées à terme », explique Gilles Reynaud. Pas possible, par exemple, d’interrompre en cours de route un déchargement de combustible, qui nécessite environ 56h d’intervention...

En outre, la moindre disponibilité des prestataires "nomades", repartis chez eux, risque aussi de compliquer certaines interventions de mise à l’arrêt des réacteurs. C’est déjà le cas à la centrale nucléaire de Civaux (Vienne), où une partie du planning est gelé.

Si le report de certains travaux est nécessaire pour éviter de nouvelles contaminations, on peut s’interroger sur les conséquences à long terme sur la sûreté. Hors période de crise sanitaire, dans un contexte où EDF, en pleine course à la rentabilité, cherche à réduire au maximum la durée des arrêts pour maintenance, certains travaux de maintenance préventive ne sont déjà plus effectués. Il en résulte déjà une dégradation de l’état de certains équipements . Si les arrêts devaient s’étendre, doit-on craindre que certaines opérations ne soient pas simplement ajournées, mais passent à la trappe jusqu’à nouvel ordre ? Sachant que l’Autorité de sûreté nucléaire a elle-même suspendu sa présence physique sur les centrales, certains problèmes de sûreté risquent de passer au travers des mailles du filet.

Certes, il n’y a pas lieu, pour l’instant, de tenir un discours alarmiste sur un risque imminent pour les centrales. Mais cette crise ajoute une raison de plus de tourner le dos à une technologie dangereuse et complexe, pour aller vers un système énergétique moins vulnérable et plus résilient reposant sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables. Et dans tous les cas, elle met une nouvelle fois en lumière la situation dégradée et le manque de considération que subissent l’ensemble des prestataires du nucléaire.



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