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Communication et éléments de langage : dans la novlangue de l’atome

Article publié le 24 janvier 2017



L’industrie nucléaire communique avec discrétion. Quand elle s’adresse au plus grand nombre, c’est au prix d’un travail de mise en forme soigné. Pourtant, Areva ne vend rien directement aux particuliers et EDF est quasiment en situation de monopole dans son rôle de fournisseur d’électricité. C’est que le rôle de la publicité qu’ils déploient est ailleurs : il vise à améliorer l’image de la filière. Décryptage des méthodes, des éléments de langage et des biais, qui permettent au lobby de l’atome de rendre son électricité, ses centrales et ses déchets plus présentables.



Clips joyeux, brochures à l’attention des enfants, visites virtuelles interactives, vidéos Youtube ludiques...avec des dizaines de millions d’euros investis chaque année en marketing, l’industrie nucléaire réinvente constamment ses formats pour communiquer. Abandonnant progressivement la publicité axée sur le storytelling, critiquée pour son manque d’honnêteté, des entreprises comme Areva ou EDF jouent désormais la carte de la transparence.

Mais ce renouvellement des formats s’accompagne d’une constance dans l’élaboration d’éléments de langage méticuleusement choisis. Par la délimitation d’un panel de mots autorisés, les acteurs de la filière nucléaire disposent de puissants leviers pour masquer les dangers et les coûts liés à l’exploitation des matières fissiles. Décryptage de la novlangue nucléaire où autopromotion et pédagogie font bon ménage.

Cadrages et éléments de langage

Un cadrage est une interprétation spécifique élaborée pour traiter un sujet. En proposant une grille de lecture orientée, l’émetteur d’un message peut jouer sur la perception du récepteur. Ce travail de formulation passe par l’instauration de liens de causalité spécifiques. Le lundi 14 mars 2011, pendant l’accident à la centrale de Fukushima gérée par Tepco, Anne Lauvergeon, alors présidente du directoire d’Areva, déclarait sur France 2 : « On est en face d’une catastrophe naturelle très importante au Japon  ». Et de poursuivre : « Ce n’est pas une catastrophe nucléaire ». En déportant le curseur de l’explication sur le terrain du climat, Anne Lauvergeon exonérait alors l’industrie nucléaire de toute responsabilité.

La stratégie de communication d’Areva passe également par un effort linguistique qui sélectionne une série de mots et d’expressions. Par la production d’éléments de langage qui fonctionnent comme autant d’outils capables de masquer les points négatifs de l’énergie atomique, l’utilisation ou au contraire l’évacuation de certains mots participe déjà en-soi au travail de publicité. Sur le site internet d’Areva, on peut recenser un panel de mots-clés :

  • indépendance énergétique (la totalité des minerais exploités par Areva pour confectionner ses combustibles nucléaires provient de pays étrangers).
  • énergie compétitive, énergie économique, énergie bon marché (avec une dette qui dépasse désormais les 7 milliards d’euros, la gestion d’Areva a été qualifiée de « fuite en avant » par la Cour des Comptes. Officiellement chiffrée à 37,5 milliards d’euros par le truchement d’opérations comptables, la dette d’EDF atteindrait dans la réalité le double, soit près de 74 milliards d’euros. De plus, les bilans annuels ne comptent pas les coûts de fonctionnement liés au stockage des déchets sur le long terme : si pour chaque m3 de déchets radioactifs stocké, les comptes intégraient sa gestion sur plusieurs dizaines de milliers d’années, la facture serait plus salée qu’elle ne l’est déjà).

De la même manière, dans la communication d’EDF, certaines formulations permettent de minorer l’ampleur d’événements extraordinaires. En février 2015, par le simple choix des mots, EDF est parvenue a maquiller une puissante fuite d’eau de plusieurs centaines de m3 en « défaut d’étanchéité ».

Greenwashing : Areva, une entreprise qui vous veut du bien

Ce champ sémantique autorisé participe à l’élaboration d’une stratégie marketing très largement axée sur le greenwashing. Cet « écoblanchiment » vise à donner à Areva l’image d’une entreprise à l’activité écologiquement soutenable et éthiquement responsable. Ainsi, Areva n’hésite pas à comparer le coût environnemental de son activité à celui du pétrole ou du charbon. L’argument préféré des partisans de l’atome revient comme un mantra : le nucléaire est une énergie propre car il ne rejette pas de CO2 dans l’atmosphère. Aussi discutable soit-il, cet argument est déployé par Areva en une déclinaison de termes-clés qui reviennent systématiquement et qui sont très connotés écologiquement [1] :

  • tri sélectif
  • recyclage
  • énergie recyclable
  • cycle
  • retraitement
  • énergie propre
  • gestion responsable
  • faiblement émettrice de CO2
  • respect de l’environnement
  • contrôle de l’environnement
  • gestion maîtrisée
  • développement durable
  • réduction de l’empreinte écologique
  • engagement zéro impact
  • zéro rejet

Sur son site internet [2], Areva n’hésite pas à utiliser le pictogramme du recyclage alors que les opérations regroupées sous cette étiquette se résument à trier et traiter les combustibles. Dans le sens commun, recycler, c’est supprimer les déchets.

À l’inverse, on ne trouve jamais sur le site le terme « enfouissement » ou « enterré ». On préfèrera des expressions euphémisantes comme « conditionner les déchets sous une forme convenable » ou « stockage géologique ». Pour qualifier les déchets, on parlera de « combustibles usés », « entreposés en colis ».

Pour rappel, le parc nucléaire mondial de réacteurs à eau légère génère plus de 6 500 tonnes de combustibles usés chaque année et leur volume total culmine à 200 000 tonnes de déchets radioactifs. Les rejets d’effluents gazeux et liquides sont aussi le lot du fonctionnement normal de l’industrie nucléaire. De l’extraction des minerais à la gestion des déchets en passant par le traitement des combustibles, l’ensemble des étapes de la filière nucléaire contamine durablement et de manière irréversible l’environnement, et tout le greenwashing du monde n’y pourra rien changer.

Car à trop vouloir confisquer les mots chargés négativement, on risque de rester sans voix. C’est ce qui s’est passé en 2009 quand, interrogé par une journaliste sur l’impact des rejets radioactifs autour de l’usine de retraitement de la Hague (Manche), le responsable prélèvements/environnement chez Areva refuse d’employer le terme de « contamination ». Privé du terme adéquat de « contamination », l’homme peine alors à qualifier les concentrations de krypton 85 et de tritium mesurées autour du site : « Je ne parlerais pas de contamination. Moi je parle d’absence d’impact... Enfin il y a...euh... » [3] Il reste démuni et ne terminera jamais sa phrase. On voit là les limites de cette stratégie de distorsion de la réalité par les mots choisis pour la décrire : elle peut déboucher sur des dissonances cognitives qui la rende insoutenable.

Communication : de la publicité à la pédagogie

Attentive aux critiques et particulièrement sensible aux poursuites engagées contre elle, l’industrie nucléaire a repensé complètement sa manière de communiquer. Motivés par plusieurs plaintes pour publicité mensongère, les deux principaux constructeurs et exploitants d’EPR (EDF et Areva) ont progressivement abandonné les vieilles formules essentiellement axées sur le storytelling pour mettre en forme une communication davantage emprunte de pédagogie et de transparence, du moins dans la forme. L’invalidation de sa signature « L’énergie propre » en 2009 par l’ARPP [4] a contraint Areva à user de stratagèmes plus habiles pour faire sa promotion. Idem pour EDF : déjà épinglée trois fois en 2015 pour greenwashing, l’entreprise récidive en 2016. Mais la plainte déposée par le Réseau "Sortir du nucléaire" débouche sur le retrait du prospectus au slogan explicite.

Le tract publicitaire édité par EDF. À son propos, le Jury de Déontologie Publicitaire déclarera : « L’assimilation directe d’un élément de centrale nucléaire, présentant un impact négatif de long terme sur l’environnement, à un élément naturel, peut induire en erreur en ce qui concerne les propriétés environnementales du produit ».

Pressés par le travail juridique du Réseau et d’autres collectifs vigilants, les communicants du nucléaire sont obligés de faire un constat amer : on ne vend plus un EPR comme on vend un yaourt.

À côté des affiches léchées aux slogans bien calibrés, des encarts sur papier glacé de la presse écrite et des spots publicitaires en pixel art décrivant un monde idéal, les communicants combinent désormais les campagnes traditionnelles avec une nouvelle forme de communication en apparence plus neutre et "scientifique". Kits pédagogiques à l’attention des enfants, visites virtuelles interactives, spots vidéos ludiques : le maître-mot est désormais l’explication et la transparence.

À gauche, une publicité d’Areva. À droite, celle d’EDF. Ciel bleu, slogans qui claquent, herbe verte et respect de l’environnement
Captures d’écran de deux clips animés ayant suscité un véritable tollé ainsi que des plaintes déposées au jury de déontologie publicitaire.

Ce changement de cap part du postulat que les opposants à l’énergie nucléaire le seraient au motif d’un manque de pédagogie. En 2010, Areva mettait en ligne sur son site internet un sondage réalisé par TNS-Sofres qui concluait que « le devenir du combustible nucléaire usé cristallise partout des inquiétudes » mais que « les publics avertis, mieux informés, se montrent plus favorables au recyclage ».

Ainsi, si on part du principe que le public hostile au nucléaire l’est par un déficit d’information, le meilleur moyen de faire tomber ses défenses et de lui proposer un dispositif qui joue sur la transparence et l’explication. Mais le périmètre de ce travail est préalablement délimité par un cadre de thèmes autorisés sur lesquels l’industrie communique volontiers alors qu’elle invisibilise des pans entiers de son activité, plus gênants (enfouissement de déchets hautement radioactifs, parc nucléaire vieillissant, bilan financier du secteur...).

Areva a créée sa propre chaine Youtube. À l’instar des youtubeurs les plus branchés, la chaine propose depuis peu des vidéos de style podcast. Look jeune et décalé, miniatures colorées et divertissantes...le format choisi est celui de la décontraction et de l’accessibilité. Ludique et pédagogique, les pastilles proposent des explications sur un thème particulier et mis en scène par des objets et des personnages amusants. Dans la première livraison très infantilisante de cette série, on tente de nous expliquer l’emballage des combustibles (les « châteaux »), avec des jouets et des peluches. Mais cette mise en forme peine à convaincre : la chaine Youtube d’Areva comptabilise moins de 2000 abonnés...

La persistance d’éléments de langage tenaces qui gomment les points négatifs de la filière, l’existence de cadrages discutables, l’auto-promotion sous couvert de pédagogie... Autant de biais et de tabous qui ruinent toute tentative de transparence de la part d’Areva et d’EDF. Dans son ouvrage 1984, George Orwell fait de la novlangue le dispositif central de la propagande : en supprimant les moyens d’exprimer la critique, de la dire et de la formuler, le pouvoir s’assure de maintenir le statu quo. De la même manière, en sélectionnant des terminologies labellisées ou au contraire en confisquant certains mots, l’industrie nucléaire entend faire taire les têtes dures.

Julien Baldassarra


Notes

[1L’ensemble des mots cités apparait sur le site internet d’Areva, dans les onglets dédiés à l’énergie atomique.

[3Déchets, le cauchemar du nucléaire, Éric Guéret, Laure Noualhat, 2009

[4ARPP : Autorité de régulation professionnelle de la publicité

Clips joyeux, brochures à l’attention des enfants, visites virtuelles interactives, vidéos Youtube ludiques...avec des dizaines de millions d’euros investis chaque année en marketing, l’industrie nucléaire réinvente constamment ses formats pour communiquer. Abandonnant progressivement la publicité axée sur le storytelling, critiquée pour son manque d’honnêteté, des entreprises comme Areva ou EDF jouent désormais la carte de la transparence.

Mais ce renouvellement des formats s’accompagne d’une constance dans l’élaboration d’éléments de langage méticuleusement choisis. Par la délimitation d’un panel de mots autorisés, les acteurs de la filière nucléaire disposent de puissants leviers pour masquer les dangers et les coûts liés à l’exploitation des matières fissiles. Décryptage de la novlangue nucléaire où autopromotion et pédagogie font bon ménage.

Cadrages et éléments de langage

Un cadrage est une interprétation spécifique élaborée pour traiter un sujet. En proposant une grille de lecture orientée, l’émetteur d’un message peut jouer sur la perception du récepteur. Ce travail de formulation passe par l’instauration de liens de causalité spécifiques. Le lundi 14 mars 2011, pendant l’accident à la centrale de Fukushima gérée par Tepco, Anne Lauvergeon, alors présidente du directoire d’Areva, déclarait sur France 2 : « On est en face d’une catastrophe naturelle très importante au Japon  ». Et de poursuivre : « Ce n’est pas une catastrophe nucléaire ». En déportant le curseur de l’explication sur le terrain du climat, Anne Lauvergeon exonérait alors l’industrie nucléaire de toute responsabilité.

La stratégie de communication d’Areva passe également par un effort linguistique qui sélectionne une série de mots et d’expressions. Par la production d’éléments de langage qui fonctionnent comme autant d’outils capables de masquer les points négatifs de l’énergie atomique, l’utilisation ou au contraire l’évacuation de certains mots participe déjà en-soi au travail de publicité. Sur le site internet d’Areva, on peut recenser un panel de mots-clés :

  • indépendance énergétique (la totalité des minerais exploités par Areva pour confectionner ses combustibles nucléaires provient de pays étrangers).
  • énergie compétitive, énergie économique, énergie bon marché (avec une dette qui dépasse désormais les 7 milliards d’euros, la gestion d’Areva a été qualifiée de « fuite en avant » par la Cour des Comptes. Officiellement chiffrée à 37,5 milliards d’euros par le truchement d’opérations comptables, la dette d’EDF atteindrait dans la réalité le double, soit près de 74 milliards d’euros. De plus, les bilans annuels ne comptent pas les coûts de fonctionnement liés au stockage des déchets sur le long terme : si pour chaque m3 de déchets radioactifs stocké, les comptes intégraient sa gestion sur plusieurs dizaines de milliers d’années, la facture serait plus salée qu’elle ne l’est déjà).

De la même manière, dans la communication d’EDF, certaines formulations permettent de minorer l’ampleur d’événements extraordinaires. En février 2015, par le simple choix des mots, EDF est parvenue a maquiller une puissante fuite d’eau de plusieurs centaines de m3 en « défaut d’étanchéité ».

Greenwashing : Areva, une entreprise qui vous veut du bien

Ce champ sémantique autorisé participe à l’élaboration d’une stratégie marketing très largement axée sur le greenwashing. Cet « écoblanchiment » vise à donner à Areva l’image d’une entreprise à l’activité écologiquement soutenable et éthiquement responsable. Ainsi, Areva n’hésite pas à comparer le coût environnemental de son activité à celui du pétrole ou du charbon. L’argument préféré des partisans de l’atome revient comme un mantra : le nucléaire est une énergie propre car il ne rejette pas de CO2 dans l’atmosphère. Aussi discutable soit-il, cet argument est déployé par Areva en une déclinaison de termes-clés qui reviennent systématiquement et qui sont très connotés écologiquement [1] :

  • tri sélectif
  • recyclage
  • énergie recyclable
  • cycle
  • retraitement
  • énergie propre
  • gestion responsable
  • faiblement émettrice de CO2
  • respect de l’environnement
  • contrôle de l’environnement
  • gestion maîtrisée
  • développement durable
  • réduction de l’empreinte écologique
  • engagement zéro impact
  • zéro rejet

Sur son site internet [2], Areva n’hésite pas à utiliser le pictogramme du recyclage alors que les opérations regroupées sous cette étiquette se résument à trier et traiter les combustibles. Dans le sens commun, recycler, c’est supprimer les déchets.

À l’inverse, on ne trouve jamais sur le site le terme « enfouissement » ou « enterré ». On préfèrera des expressions euphémisantes comme « conditionner les déchets sous une forme convenable » ou « stockage géologique ». Pour qualifier les déchets, on parlera de « combustibles usés », « entreposés en colis ».

Pour rappel, le parc nucléaire mondial de réacteurs à eau légère génère plus de 6 500 tonnes de combustibles usés chaque année et leur volume total culmine à 200 000 tonnes de déchets radioactifs. Les rejets d’effluents gazeux et liquides sont aussi le lot du fonctionnement normal de l’industrie nucléaire. De l’extraction des minerais à la gestion des déchets en passant par le traitement des combustibles, l’ensemble des étapes de la filière nucléaire contamine durablement et de manière irréversible l’environnement, et tout le greenwashing du monde n’y pourra rien changer.

Car à trop vouloir confisquer les mots chargés négativement, on risque de rester sans voix. C’est ce qui s’est passé en 2009 quand, interrogé par une journaliste sur l’impact des rejets radioactifs autour de l’usine de retraitement de la Hague (Manche), le responsable prélèvements/environnement chez Areva refuse d’employer le terme de « contamination ». Privé du terme adéquat de « contamination », l’homme peine alors à qualifier les concentrations de krypton 85 et de tritium mesurées autour du site : « Je ne parlerais pas de contamination. Moi je parle d’absence d’impact... Enfin il y a...euh... » [3] Il reste démuni et ne terminera jamais sa phrase. On voit là les limites de cette stratégie de distorsion de la réalité par les mots choisis pour la décrire : elle peut déboucher sur des dissonances cognitives qui la rende insoutenable.

Communication : de la publicité à la pédagogie

Attentive aux critiques et particulièrement sensible aux poursuites engagées contre elle, l’industrie nucléaire a repensé complètement sa manière de communiquer. Motivés par plusieurs plaintes pour publicité mensongère, les deux principaux constructeurs et exploitants d’EPR (EDF et Areva) ont progressivement abandonné les vieilles formules essentiellement axées sur le storytelling pour mettre en forme une communication davantage emprunte de pédagogie et de transparence, du moins dans la forme. L’invalidation de sa signature « L’énergie propre » en 2009 par l’ARPP [4] a contraint Areva à user de stratagèmes plus habiles pour faire sa promotion. Idem pour EDF : déjà épinglée trois fois en 2015 pour greenwashing, l’entreprise récidive en 2016. Mais la plainte déposée par le Réseau "Sortir du nucléaire" débouche sur le retrait du prospectus au slogan explicite.

Le tract publicitaire édité par EDF. À son propos, le Jury de Déontologie Publicitaire déclarera : « L’assimilation directe d’un élément de centrale nucléaire, présentant un impact négatif de long terme sur l’environnement, à un élément naturel, peut induire en erreur en ce qui concerne les propriétés environnementales du produit ».

Pressés par le travail juridique du Réseau et d’autres collectifs vigilants, les communicants du nucléaire sont obligés de faire un constat amer : on ne vend plus un EPR comme on vend un yaourt.

À côté des affiches léchées aux slogans bien calibrés, des encarts sur papier glacé de la presse écrite et des spots publicitaires en pixel art décrivant un monde idéal, les communicants combinent désormais les campagnes traditionnelles avec une nouvelle forme de communication en apparence plus neutre et "scientifique". Kits pédagogiques à l’attention des enfants, visites virtuelles interactives, spots vidéos ludiques : le maître-mot est désormais l’explication et la transparence.

À gauche, une publicité d’Areva. À droite, celle d’EDF. Ciel bleu, slogans qui claquent, herbe verte et respect de l’environnement
Captures d’écran de deux clips animés ayant suscité un véritable tollé ainsi que des plaintes déposées au jury de déontologie publicitaire.

Ce changement de cap part du postulat que les opposants à l’énergie nucléaire le seraient au motif d’un manque de pédagogie. En 2010, Areva mettait en ligne sur son site internet un sondage réalisé par TNS-Sofres qui concluait que « le devenir du combustible nucléaire usé cristallise partout des inquiétudes » mais que « les publics avertis, mieux informés, se montrent plus favorables au recyclage ».

Ainsi, si on part du principe que le public hostile au nucléaire l’est par un déficit d’information, le meilleur moyen de faire tomber ses défenses et de lui proposer un dispositif qui joue sur la transparence et l’explication. Mais le périmètre de ce travail est préalablement délimité par un cadre de thèmes autorisés sur lesquels l’industrie communique volontiers alors qu’elle invisibilise des pans entiers de son activité, plus gênants (enfouissement de déchets hautement radioactifs, parc nucléaire vieillissant, bilan financier du secteur...).

Areva a créée sa propre chaine Youtube. À l’instar des youtubeurs les plus branchés, la chaine propose depuis peu des vidéos de style podcast. Look jeune et décalé, miniatures colorées et divertissantes...le format choisi est celui de la décontraction et de l’accessibilité. Ludique et pédagogique, les pastilles proposent des explications sur un thème particulier et mis en scène par des objets et des personnages amusants. Dans la première livraison très infantilisante de cette série, on tente de nous expliquer l’emballage des combustibles (les « châteaux »), avec des jouets et des peluches. Mais cette mise en forme peine à convaincre : la chaine Youtube d’Areva comptabilise moins de 2000 abonnés...

La persistance d’éléments de langage tenaces qui gomment les points négatifs de la filière, l’existence de cadrages discutables, l’auto-promotion sous couvert de pédagogie... Autant de biais et de tabous qui ruinent toute tentative de transparence de la part d’Areva et d’EDF. Dans son ouvrage 1984, George Orwell fait de la novlangue le dispositif central de la propagande : en supprimant les moyens d’exprimer la critique, de la dire et de la formuler, le pouvoir s’assure de maintenir le statu quo. De la même manière, en sélectionnant des terminologies labellisées ou au contraire en confisquant certains mots, l’industrie nucléaire entend faire taire les têtes dures.

Julien Baldassarra



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