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Sortir du nucléaire n°62



Août 2014

Alternatives

A Woelfling, la transition est en marche

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°62 - Août 2014



Au début des années 2000, la commune de Woelfling (725 habitants, Lorraine) a commencé à s’intéresser à la question de l’énergie. Comment pouvions-nous, dans une petite commune rurale, contribuer à la production d’énergie propre et accompagner ainsi le mouvement de transition énergétique ? À cette question, s’ajoutait la préoccupation plus prosaïque du coût de l’énergie pour le budget communal. C’est ainsi que la commune en est arrivée à se doter de cinq éoliennes et deux installations photovoltaïques



À Woelfling, les élus ont mis des conditions préalables à la réussite de l’implantation d’éoliennes que j’ai proposée après avoir assisté à un congrès sur les énergies renouvelables. N’avoir qu’un seul interlocuteur du montage du projet à son exploitation, et construire cette ambition en toute transparence et concertation avec la population. Un développeur, lorrain de surcroît, nous a contactés. Nous avons commencé par visiter un projet du même type en Allemagne avec la population, des représentants des associations et des habitants curieux. Près de 120 personnes se sont déplacées, discutant avec la population locale sur les avantages et les inconvénients. Au retour, ces habitants donnaient un avis favorable en émettant des conditions :

  Poursuivre si possible avec des entreprises locales ;

  Obtenir un maximum de retombées pour la commune ;

  Installer les machines sur des terrains communaux.

La première étape fut celle des études, en particulier des mesures de vents, qui confirmèrent le potentiel. La seconde était l’implantation. La commune possède 70 ha de propriété communale et 102 ha de forêt en indivision avec la commune voisine. Sur les six éoliennes du projet initial, cinq sont sur des terrains communaux ou en forêt. Restait à échanger avec un propriétaire privé des parcelles pour la 6ème. Négociation difficile mais réussie au final.

Enfin nous parvenons, après trois ans de discussions, au dépôt du permis de construire et à l’enquête publique. Le permis est sorti positif, mais avec la suppression d’une éolienne en raison de son implantation qui ne suivait pas la cohérence avec les cinq autres. Ce seront donc cinq éoliennes de 2 MW, d’une hauteur de 124 m, pales comprises.

Restait l’enquête publique, qui suscite en général énormément de craintes de la part des élus. À Woelfling, 120 personnes se sont déplacées pour y participer, dont 116 pour signifier dans le registre d’enquête publique qu’elles étaient favorables au projet. Nous avions respecté notre parole. L’entreprise serait la même durant tout le processus, les éoliennes étaient toutes sur des terrains communaux avec les retombées de la location de terrains, et le développeur s’était engagé avec des mesures compensatoires à hauteur de 1% du coût du projet, dont une grosse partie irait à des travaux de voirie et le reste sur des compensations liées à la forêt et à la présence du milan royal (un rapace).

Les contraintes économiques et conjoncturelles

En 2008, les choses se gâtent. Le développeur, touché par la crise, est à la peine. Il vend le permis de construire et nous voyons le projet s’éloigner. À force de pressions, d’interrogations, de relances, nous considérant aussi un peu propriétaires du projet, nous obtenons du nouveau propriétaire du permis qu’il le remette en vente. Nous en connaissons les freins. Des coûts d’investissements lourds, en une période de crise économique, une productivité qui n’est pas extraordinaire, une incertitude sur la productivité des éoliennes installées en forêt, la nécessité de rejoindre sous terre le poste ERDF distant de 10 km. C’est nous qui prenons les contacts, avec des sociétés allemandes en particulier. Finalement, coup de théâtre à l’été 2010, cinq développeurs s’annoncent et une entreprise allemande spécialiste de l’énergie fossile, STEAG, qui veut se lancer dans l’éolien en France emporte la mise. Elle recherche un projet prêt à être construit qui doit lui servir d’image pour se développer en France. Ce n’est pas le seul changement après 2008. La réforme fiscale est passée par là, et notamment d’abord la taxe professionnelle unique, puis la disparition de la taxe professionnelle elle-même. En réunion du conseil municipal, la question s’est donc posée de savoir s’il fallait poursuivre alors que cette réforme supposait une perte de 70000€/an pour le budget communal. Mais notre volonté de contribuer à la production d’énergie propre a été plus forte, et nous avons poursuivi le projet.

Les discussions furent âpres avec ce nouvel interlocuteur beaucoup plus puissant, mais il a très vite compris qu’il n’aurait notre adhésion et notre soutien qu’à condition de s’inscrire dans une démarche partenariale. Il était question notamment des mesures compensatoires, qui ne sont que contractuelles, et sur lesquelles l’entreprise souhaitait revenir. De plus, nous avions convenu de travaux de voirie financés par ces mesures compensatoires, mais vu les délais, les travaux avaient déjà été réalisés. Se posait la question de l’utilisation de ces mesures compensatoires. Lors d’un nouveau débat en conseil municipal, nous avons convenu de réinvestir dans la production d’énergie sous le même principe. Nous avons donc passé un contrat avec ERDF pour installer des panneaux photovoltaïques sur l’école primaire et sur le foyer socio-éducatif pour produire proprement 19 kW de plus.

Une magnifique expérience collective

Les péripéties liées aux travaux furent nombreuses, les délais le plus souvent dépassés. Mais aujourd’hui, en toute modestie, nous nous sentons un peu modèle avec cinq éoliennes, et des panneaux photovoltaïques sans coût net pour la commune mais au contraire avec des recettes nouvelles dynamiques car indexées sur différents indices (coût de la construction, énergie…). La population s’est appropriée ces deux projets, elle en a accepté les quelques impacts, mais sait maintenant que chacun peut à sa mesure contribuer à la transition énergétique. La commune perçoit aujourd’hui près de 30000 € de recettes nouvelles et compte sur une négociation avec la communauté d’agglomération pour percevoir une part de l’Imposition Forfaitaire sur les Entreprises de Réseaux (IFER).

Pour rester cohérents, nous nous engageons maintenant dans une démarche d’économies d’énergie dans nos bâtiments communaux, car c’est là que réside la seule marge de manœuvre financière d’un budget communal où baissent les dotations. Notre ambition énergétique ne s’arrête pas au basculement massif vers les énergies renouvelables ; elle passe aussi par une réduction de notre consommation d’énergie. Ces économies seront demain créatrices de nouveaux emplois grâce à la rénovation du bâti ancien notamment et redonneront du pouvoir d’achat à nos concitoyens.

Reste la question attendue des impacts. Les opposants à l’éolien utilisent des arguments totalement farfelus. Certes, il faut reconnaitre que les éoliennes se font entendre dans le village environ une dizaine de jours par an, mais de façon tout à fait modérée et selon l’orientation du vent. Par ailleurs, nous avons découvert au pied du mât d’une éolienne deux milans royaux happés par une pale. Mais parallèlement, la commune a co-financé avec le développeur une étude sur la présence du milan royal sur un espace d’une trentaine de communes avec un suivi annuel. Par ce biais, nous savons que les deux oiseaux en question étaient en migration et avec la Ligue de Protection des Oiseaux, partenaire de ce suivi, nous sommes aujourd’hui en mesure de proposer aux développeurs de futurs projets des préconisations pour une implantation des éoliennes qui tienne compte des couloirs de migration, en particulier de ne pas les implanter perpendiculairement à ces couloirs.

Ces dix années passées à construire ce projet furent intenses en rencontres, en ambitions, en inquiétudes, et le résultat dépasse nos espérances. Nous en sortons avec des convictions plus fortes encore et une énorme fierté que je vous propose de partager en visitant le magnifique album photo [1] mis en ligne par l’un de nos habitants sur le lien suivant : www.calameo.com/books/001855240bdef5e1e8c6f ou en tapant "construction parc éolien Woelfling" dans votre moteur de recherche.

Michael Weber
Maire de Woelfling lès Sarreguemines


Notes

[1NDLR : réalisé par Émile Neu, il s’agit à notre connaissance de la mise en images la plus détaillée d’un chantier éolien, accessible librement et en français sur le web. À voir !

À Woelfling, les élus ont mis des conditions préalables à la réussite de l’implantation d’éoliennes que j’ai proposée après avoir assisté à un congrès sur les énergies renouvelables. N’avoir qu’un seul interlocuteur du montage du projet à son exploitation, et construire cette ambition en toute transparence et concertation avec la population. Un développeur, lorrain de surcroît, nous a contactés. Nous avons commencé par visiter un projet du même type en Allemagne avec la population, des représentants des associations et des habitants curieux. Près de 120 personnes se sont déplacées, discutant avec la population locale sur les avantages et les inconvénients. Au retour, ces habitants donnaient un avis favorable en émettant des conditions :

  Poursuivre si possible avec des entreprises locales ;

  Obtenir un maximum de retombées pour la commune ;

  Installer les machines sur des terrains communaux.

La première étape fut celle des études, en particulier des mesures de vents, qui confirmèrent le potentiel. La seconde était l’implantation. La commune possède 70 ha de propriété communale et 102 ha de forêt en indivision avec la commune voisine. Sur les six éoliennes du projet initial, cinq sont sur des terrains communaux ou en forêt. Restait à échanger avec un propriétaire privé des parcelles pour la 6ème. Négociation difficile mais réussie au final.

Enfin nous parvenons, après trois ans de discussions, au dépôt du permis de construire et à l’enquête publique. Le permis est sorti positif, mais avec la suppression d’une éolienne en raison de son implantation qui ne suivait pas la cohérence avec les cinq autres. Ce seront donc cinq éoliennes de 2 MW, d’une hauteur de 124 m, pales comprises.

Restait l’enquête publique, qui suscite en général énormément de craintes de la part des élus. À Woelfling, 120 personnes se sont déplacées pour y participer, dont 116 pour signifier dans le registre d’enquête publique qu’elles étaient favorables au projet. Nous avions respecté notre parole. L’entreprise serait la même durant tout le processus, les éoliennes étaient toutes sur des terrains communaux avec les retombées de la location de terrains, et le développeur s’était engagé avec des mesures compensatoires à hauteur de 1% du coût du projet, dont une grosse partie irait à des travaux de voirie et le reste sur des compensations liées à la forêt et à la présence du milan royal (un rapace).

Les contraintes économiques et conjoncturelles

En 2008, les choses se gâtent. Le développeur, touché par la crise, est à la peine. Il vend le permis de construire et nous voyons le projet s’éloigner. À force de pressions, d’interrogations, de relances, nous considérant aussi un peu propriétaires du projet, nous obtenons du nouveau propriétaire du permis qu’il le remette en vente. Nous en connaissons les freins. Des coûts d’investissements lourds, en une période de crise économique, une productivité qui n’est pas extraordinaire, une incertitude sur la productivité des éoliennes installées en forêt, la nécessité de rejoindre sous terre le poste ERDF distant de 10 km. C’est nous qui prenons les contacts, avec des sociétés allemandes en particulier. Finalement, coup de théâtre à l’été 2010, cinq développeurs s’annoncent et une entreprise allemande spécialiste de l’énergie fossile, STEAG, qui veut se lancer dans l’éolien en France emporte la mise. Elle recherche un projet prêt à être construit qui doit lui servir d’image pour se développer en France. Ce n’est pas le seul changement après 2008. La réforme fiscale est passée par là, et notamment d’abord la taxe professionnelle unique, puis la disparition de la taxe professionnelle elle-même. En réunion du conseil municipal, la question s’est donc posée de savoir s’il fallait poursuivre alors que cette réforme supposait une perte de 70000€/an pour le budget communal. Mais notre volonté de contribuer à la production d’énergie propre a été plus forte, et nous avons poursuivi le projet.

Les discussions furent âpres avec ce nouvel interlocuteur beaucoup plus puissant, mais il a très vite compris qu’il n’aurait notre adhésion et notre soutien qu’à condition de s’inscrire dans une démarche partenariale. Il était question notamment des mesures compensatoires, qui ne sont que contractuelles, et sur lesquelles l’entreprise souhaitait revenir. De plus, nous avions convenu de travaux de voirie financés par ces mesures compensatoires, mais vu les délais, les travaux avaient déjà été réalisés. Se posait la question de l’utilisation de ces mesures compensatoires. Lors d’un nouveau débat en conseil municipal, nous avons convenu de réinvestir dans la production d’énergie sous le même principe. Nous avons donc passé un contrat avec ERDF pour installer des panneaux photovoltaïques sur l’école primaire et sur le foyer socio-éducatif pour produire proprement 19 kW de plus.

Une magnifique expérience collective

Les péripéties liées aux travaux furent nombreuses, les délais le plus souvent dépassés. Mais aujourd’hui, en toute modestie, nous nous sentons un peu modèle avec cinq éoliennes, et des panneaux photovoltaïques sans coût net pour la commune mais au contraire avec des recettes nouvelles dynamiques car indexées sur différents indices (coût de la construction, énergie…). La population s’est appropriée ces deux projets, elle en a accepté les quelques impacts, mais sait maintenant que chacun peut à sa mesure contribuer à la transition énergétique. La commune perçoit aujourd’hui près de 30000 € de recettes nouvelles et compte sur une négociation avec la communauté d’agglomération pour percevoir une part de l’Imposition Forfaitaire sur les Entreprises de Réseaux (IFER).

Pour rester cohérents, nous nous engageons maintenant dans une démarche d’économies d’énergie dans nos bâtiments communaux, car c’est là que réside la seule marge de manœuvre financière d’un budget communal où baissent les dotations. Notre ambition énergétique ne s’arrête pas au basculement massif vers les énergies renouvelables ; elle passe aussi par une réduction de notre consommation d’énergie. Ces économies seront demain créatrices de nouveaux emplois grâce à la rénovation du bâti ancien notamment et redonneront du pouvoir d’achat à nos concitoyens.

Reste la question attendue des impacts. Les opposants à l’éolien utilisent des arguments totalement farfelus. Certes, il faut reconnaitre que les éoliennes se font entendre dans le village environ une dizaine de jours par an, mais de façon tout à fait modérée et selon l’orientation du vent. Par ailleurs, nous avons découvert au pied du mât d’une éolienne deux milans royaux happés par une pale. Mais parallèlement, la commune a co-financé avec le développeur une étude sur la présence du milan royal sur un espace d’une trentaine de communes avec un suivi annuel. Par ce biais, nous savons que les deux oiseaux en question étaient en migration et avec la Ligue de Protection des Oiseaux, partenaire de ce suivi, nous sommes aujourd’hui en mesure de proposer aux développeurs de futurs projets des préconisations pour une implantation des éoliennes qui tienne compte des couloirs de migration, en particulier de ne pas les implanter perpendiculairement à ces couloirs.

Ces dix années passées à construire ce projet furent intenses en rencontres, en ambitions, en inquiétudes, et le résultat dépasse nos espérances. Nous en sortons avec des convictions plus fortes encore et une énorme fierté que je vous propose de partager en visitant le magnifique album photo [1] mis en ligne par l’un de nos habitants sur le lien suivant : www.calameo.com/books/001855240bdef5e1e8c6f ou en tapant "construction parc éolien Woelfling" dans votre moteur de recherche.

Michael Weber
Maire de Woelfling lès Sarreguemines



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