L’Ukraine, le Bélarus mais aussi une grande partie de l’Europe ont été marqués par une catastrophe nucléaire en cours depuis 31 ans. Scandales sanitaires, mensonges et dénis, milieu naturel atteint, réacteur toujours menaçant : à l’occasion de ce triste anniversaire de l’accident, retrouvez ci-dessous quelques rappels sur l’étendue du désastre.
26 avril 1986 : le début de la catastrophe
Le 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) explose en projetant dans l’atmosphère des quantités considérables de radioéléments. La première vague d’évacuation ne commencera que le lendemain ; une zone d’exclusion de 30 km de rayon sera ensuite définie. Pendant des mois, pompiers puis « liquidateurs » - de 600 000 à 900 000 personnes, essentiellement des jeunes appelés recrutés sur tous le territoire de l’URSS - se relaient dans des conditions sanitaires catastrophiques pour éteindre l’incendie, puis pour tenter à tout prix d’étouffer la fusion du cœur du réacteur. Comme celui-ci menace de s’enfoncer dans le sol, un tunnel de 167 mètres de long est creusé sous le réacteur pour y construire une dalle de béton. Une deuxième explosion catastrophique aura été évitée, mais au prix de l’irradiation de centaines de milliers de personnes.
Les radionucléides mortifères projetés par l’explosion ont touché principalement le Bélarus, l’Ukraine et l’Ouest de la Russie, mais se sont également dispersés, pour 53%, sur une grande partie de l’Europe. Des concentrations élevées se déposent notamment en Allemagne, en Autriche, en Suède et en Finlande [1]. La France n’est pas épargnée : les Alpes, la Corse et l’Alsace seront les régions les plus touchées.
31 ans de désinformation
Très vite, l’appareil de désinformation officiel se met en place en Ukraine, mais aussi en Europe. En France, le Professeur Pellerin, directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI), intervient à de nombreuses reprises pour minimiser la menace sanitaire. Aucune distribution de pastilles d’iode n’aura lieu, et – contrairement à ce qui s’est passé chez nos voisins européens - aucune consigne concernant les aliments contaminés ne sera donnée. Le même Pierre Pellerin fera partie du petit cénacle d’experts internationaux qui s’accorderont sur le nombre de morts de Tchernobyl à communiquer officiellement [2]. Attaqué par l’Association Française des Malades de la Thyroïde, il bénéficiera d’un non-lieu en septembre 2011 et décèdera en 2013, blanchi par la justice.
Pourtant, il existe de lourdes preuves du passage du nuage de Tchernobyl en France et du fait que les autorités en étaient averties. Avant d’être brusquement dessaisie du dossier en mars 2011, la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy a rassemblé de nombreux éléments accablants lors de perquisitions, notamment dans plusieurs ministères.
De nombreuses études ont tenté de mettre à jour les impacts réels de la catastrophe de Tchernobyl. Mais toutes, ou presque, ont finalement été enterrées par les autorités. En juillet 2013, pourtant, est sortie une étude épidémiologique indépendante menée par l’équipe du Pr Cremonesi, mettant en évidence la forte augmentation des maladies thyroïdiennes en Corse suite à l’accident.
Plus d’informations : https://www.sortirdunucleaire.org/Tchernobyl-retombees-France
La vie durablement contaminée
Dans les zones les plus contaminées, la catastrophe sanitaire n’a pas fini de sévir. Parmi les 600 000 à 900 000 liquidateurs, un grand nombre sont décédés ou tombés rapidement malades des suites de leur irradiation. Plus de 3,5 millions de personnes vivent toujours dans des zones contaminées [3] en Ukraine, 2 millions au Bélarus et 2,7 en Russie. Certains radioéléments projetés en masse lors de l’explosion, toujours présents dans les sols, sont entrés dans la chaîne alimentaire, comme le césium-137 et le strontium-90, dont les effets nocifs ne prendront fin que d’ici trois siècles. L’accumulation du césium-137 dans l’organisme va de pair avec une augmentation spectaculaire du taux de cancers et de pathologies cardiovasculaires, en particulier chez les enfants, mais atteint aussi l’ensemble des systèmes des organes vitaux. Elle provoque également des malformations congénitales, cancers et leucémies, maladies neuropsychiques, endocriniennes, ophtalmologiques, infectieuses ou auto-immunes, augmentation de la mortalité périnatale.
La désinformation est toujours à l’œuvre concernant les impacts sanitaires réels de Tchernobyl. Devant l’élévation du taux de malformations congénitales (passé entre 2000 et 2009 de 3,5 pour 1000 à 5,5 pour 1000), la réponse du ministère de la Santé du Bélarus fut de fermer l’unique Institut de recherche sur les maladies héréditaires et congénitales [4], ainsi que l’Institut de radio-pathologie de Gomel.
En 2005, le « Forum Tchernobyl », réuni à Vienne sous l’égide de l’AIEA, avait affirmé qu’à long terme, le nombre de décès attribuables à Tchernobyl atteindrait un maximum de 4000 victimes. L’augmentation des pathologies et la dégradation de l’état de santé des populations y sont mises sur le compte du stress, de l’alcoolisme, de la "radiophobie" et de la détérioration des conditions économiques et sociales dans les régions concernées.
Pourtant, les recherches menées par des scientifiques indépendants mettent au jour des chiffres autrement plus élevés. Selon une étude de trois éminents scientifiques russe et biélorusses, publiée dans les annales de l’Académie des Sciences de New-York en 2011, la catastrophe et ses suites seraient responsables de 985 000 morts prématurées entre 1986 et 2004 [5].
Par ailleurs, depuis plusieurs années, d’étranges « ONG » comme le CEPN [6] mettent en place des programmes destinés à prouver que l’on peut vivre en zone contaminée. Ainsi, le programme « ETHOS », en vigueur à Tchernobyl, est maintenant exporté… à Fukushima, pour appuyer le retour de populations dans des régions où la radioactivité ambiante devrait pourtant interdire tout séjour prolongé !
Les milieux naturels aussi sont touchés
En 2010, le reportage « Tchernobyl, une histoire naturelle » a contribué à populariser la thèse d’une nature intacte qui reprendrait ses droits. Pourtant, cette théorie va à l’encontre des observations scientifiques réalisées dans la zone contaminée (Lire l’analyse détaillée du professeur Michel Fernex : https://www.sortirdunucleaire.org/Tchernobyl-Fernex).
Après avoir mis en évidence l’existence de malformations importantes chez les hirondelles de Tchernobyl [7], Timothy Mousseau, chercheur à l’Université de Caroline du Sud a récemment découvert que la croissance des arbres pouvait aussi être affectée par les radiations [8]. Selon ce même chercheur, il apparaît également que les radiations nuisent aux micro-organismes, empêchant la décomposition des végétaux [9]. Cette accumulation de bois mort pose un nouveau risque : les incendies se déclenchent plus facilement, relâchant dans l’atmosphère une fumée chargée de radioéléments. En février 2015, une étude du Norvegian Institute for Air Research a ainsi confirmé que les feux de forêts plus fréquents contribuaient à répandre à nouveau la radioactivité [10].
Le 28 avril 2015, quasi 29 ans après l’explosion du réacteur n°4 de Tchernobyl, un important feu de forêt s’est déclenché autour de la centrale sur une surface de 10 000 hectares d’après les images satellites.
Selon les travaux d’une équipe de chercheur du Norwegian Institute for Air Research , l’effet cumulé des trois feux de forêt précédents a déjà relâché de 2 % à 8 % du seul césium 137 présent dans les sols et des particules radioactives ont été détectées jusqu’à Kiev.
La construction du nouveau sarcophage
Le réacteur éventré, qui contiendrait encore 97 % des éléments radioactifs, constitue toujours une menace : le sarcophage de béton construit à la va-vite au-dessus de ses ruines se fissurant de toutes parts, la crainte de dispersions radioactives sur l’Europe s’est réveillée .
En 2013, une partie du toit s’est déjà effondré [11].
La construction d’une arche métallique géante de 92 mètres de haut et 245 mètres de long destinée à recouvrir le réacteur, a donc commencé en 2010. Ce chantier pharaonique, mené par un consortium formé de Vinci et Bouygues, aura couté plus de 2 milliards d’euros. L’Ukraine ne pouvant y contribuer qu’à hauteur de 8 %, le reste a du être financé par la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement et le reste de la communauté internationale. En raison de manque de fonds, les travaux ont été retardés d’un an. Cette couverture supplémentaire montée sur rail a été officiellement inaugurée en novembre 2016.
Ce cache-misère n’est en rien une solution pérenne pour la mise en route du démantèlement de la centrale et il a seulement pour but de confiner les projections d’éléments radioactifs lors d’un chantier qui devrait s’étaler sur plusieurs décennies.
Prévu pour résister 100 ans il ne fait que décaler l’échéance pour la gestion des tonnes de radio-éléments encore présents dans l’enceinte du bâtiment. Comparé à la durée de vie de ces éléments, 100 ans ne représentent qu’un instant face aux centaines de milliers d’années pendant lesquels ces matériaux pourraient à nouveau se retrouver dans l’environnement.
L’homme aura-t-il trouvé un moyen de maitriser le démantèlement du site d’ici 100 ans ? Rien n’est moins sûr...
Les soins aux malades, victimes collatérales de la crise politique.
La crise politique et le spectre d’opérations militaires ont également de lourdes conséquences humanitaires. Selon l’ONG autrichienne Global 2000, l’État ukrainien n’est plus à même de financer un système de santé déjà faible et certaines thérapies contre le cancer destinées aux enfants ne sont plus disponibles dans le nord du pays [12].
Fondé en 1990 par le Professeur Vassily Nesterenko, l’institut Belrad est considéré comme le seul organisme qui assure une radioprotection effective des populations vivant sur les territoires contaminés. Il permet notamment aux enfants de bénéficier de soins et de mesures de la radioactivité présente dans leur corps. Confronté à des difficultés chroniques de financement, il est maintenant entièrement tributaire des fonds récoltés par des fondations et associations, en particulier l’association Enfants de Tchernobyl Belarus (Pour soutenir financièrement Belrad : https://enfants-tchernobyl-belarus.org/doku.php?id=adhesion_don). Voir une présentation de ces deux organismes en bas de l’article.
La crise politique accroît le risque nucléaire en Ukraine
Enfin, la menace d’une escalade de la violence fait réapparaître le spectre d’un nouveau désastre nucléaire en Ukraine. Le pays compte encore de nombreuses centrales en activité, dont celle de Zaporizhzhya, qui compte six réacteurs. En cas d’opération militaire, comment assurer la sécurité de ces sites ? Même s’ils sont arrêtés, comment garantir qu’ils restent approvisionnés en électricité pour que le refroidissement puisse se poursuivre [13] ?
En novembre 2015, la crainte de la survenue de ce type d’événements se confirme lors de la destruction de pylônes à haute tension par un groupuscule nationaliste ukrainien en Crimée. Cet attentat provoque alors un black-out pour près de 2,5 millions de personnes mais aussi une rupture d’alimentation pour 2 centrales nucléaires dont la centrale de Zaporizhia qui sera alors arrêtée d’urgence.
31 ans après l’explosion du réacteur, la catastrophe est toujours là, et pour longtemps. Au nom de toutes les victimes passées, présentes et à venir, nous devons absolument rappeler sa terrible actualité. Et tout faire pour empêcher un nouvel accident.
Nous avons ici beaucoup développé la situation en Ukraine, mais le Bélarus est le pays qui a été le plus largement touché. Pour en savoir plus et apporter une aide aux victimes, plus d’informations ici : https://enfants-tchernobyl-belarus.org/doku.php
Voir aussi le site de la CRIIRAD pour plus d’informations techniques : https://www.criirad.org/actualites/tchernobylfrancbelarus/conclusionsonu_aieasept05/sommaireconclusiononu.html
[1] Plus d’un quart de siècle après, on retrouve encore des sangliers à la chair anormalement chargée en césium en Autriche et en Allemagne : https://www.maxisciences.com/tchernobyl/tchernobyl-les-sangliers-d-039-autriche-sont-toujours-contamines-par-les-rejets-radiocatifs_art13863.html
[2] Wladimir Tchertkoff, Le crime de Tchernobyl. Le goulag nucléaire, Actes Sud, avril 2006
[3] Il s’agit ici des zones où la contamination est supérieure à 40 000 Becquerels/m2
[4] Bandajevski Y, Dubovaya N.F., Les conséquences de Tchernobyl sur la natalité. Césium radioactif et processus de reproduction, Éditions Yves Michel, 2012.
[5] Alexey V. Yablokov, Vassily B. Nesterenko et Alexey V. Nesterenko, Chernobyl. Consequences of the catastrophe for people and the environnement, Annales de l’Académie des Sciences de New York, Volume 1181. La traduction en français de cet ouvrage est désormais téléchargeable sur le site du collectif IndependentWHO.
[6] Le « Centre d’étude sur l’Évaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire » est une association qui regroupe… EDF, Areva, le CEA et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire !
[7] https://cricket.biol.sc.edu/chernobyl/Chernobyl_Research_Initiative/Chernobyl_Abnormalities.html
[8] https://www.natureworldnews.com/articles/3427/20130809/trio-new-studies-suggest-lingering-environmental-effects-chernobyl-incident.htm
[10] https://www.newscientist.com/article/dn26933-rise-in-wildfires-may-resurrect-chernobyls-radiation.html#.VTU-x2bhVz0