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Santé et sous-traitance

Dossier : Bienvenue en zone (non) contrôlée

Quand le nucléaire détruit la santé

Publié initialement dans la revue Sortir du nucléaire n°89 le 15 mars 2021, mis en ligne le 30 avril 2024



Mathieu a 39 ans presque 40. Marié et père de trois enfants, il était maçon avant de travailler dans le nucléaire. Une industrie qui a détruit sa santé, tant physique que mentale.



Mathieu est entré pour un CDD de 6 mois chez Amalys, filiale d’Areva en 2014. Embauché sur la Station de traitement des déchets (STD) de Tricastin, il a ensuite obtenu un CDI début 2015 et, avec lui, un poste sur le chantier de la Socatri. Il travaille alors dans ce qui est appelé des “pockets“. Il y découpe de gros cylindres en ferraille appelés 48Y. Ces cylindres contiennent de l’UF6 ou du "HF" dans le jargon : de l’hexafluorure d’uranium, un produit hautement radioactif et toxique. Il travaille en heaume ventilé, utilise une torche au plasma pour la découpe et porte des lunettes d’intensité 3 pour ne pas se brûler la rétine… Des conditions difficiles, mais en mars 2015 après 3 mois sur ce site, Mathieu commence à plutôt bien maîtriser les gestes et les contraintes.

“Lorsque je travaillais sur la STD, je comptais la valeur en irradiation et contamination des déchets. On comptait surtout des vêtements mais aussi des fûts décanteurs. Ce sont des seaux rouges avec des filtres qui aspirent les poussières sur les chantiers. Ils sont emballés dans des sacs et des caisses mais comme ils ne sont pas gardés à l’abri ils étaient souvent remplis d’eau. L’eau fait écran, on ne peut pas mesurer la radioactivité. On m’a donc demandé d’enlever les filtres et de les découper avec un cutter à l’air libre pour enlever l’eau et de la vider en pleine nature… Quand j’étais en CDD, j’ai dit que je ne voulais pas faire cela mais ils ont menacé de ne pas me reconduire. Une fois en CDI j’ai pu dire non mais ils ont trouvé un jeune pour le faire… “

La veille de son accident tout fonctionne correctement. L’après-midi, lors de sa prise de poste, il constate que suite à un problème survenu le matin, le chargé d’affaire a décidé, au lieu d’appeler la maintenance, de feinter la télécommande qui règle la vitesse à laquelle tourne le 48Y. Hors des clous des règles de sécurité et juste pour ne pas perdre un ou deux jours… Son heaume ventilé se perce. Il ne s’en rendra compte qu’en sentant ses lèvres et sa bouche le brûler. La personne qui est en surveillance le fait sortir et le conduit au service médical. Là, il reçoit des soins après de nombreux examens. Un urologue lui annonce qu’il est brulé jusqu’à l’œsophage. Pourtant, son entreprise fait le choix de ne pas déclarer son accident du travail. Mathieu continue les soins sur place et reste chez lui, payé comme s’il travaillait. Il reprend le chemin du travail quelques temps après.

Deux ans après cet incident, en mars 2017, alors qu’il travaille au traitement des déchets, Mathieu est pris de convulsions. Les pompiers l’emmènent à l’hôpital de Montélimar où le diagnostic tombe : tumeur au cerveau. Transféré à Nîmes, il est opéré le 29 mars 2017, puis enchaîne radiothérapie et chimiothérapie. La tumeur est cancéreuse. Son neurochirurgien pense qu’elle est récente, 2 ans environ. Il lui demande de voir avec son employeur le type d’alliage des 48Y et les produits chimiques qu’ils transportent car il ne peut pas rechercher tous les produits et métaux pour établir la cause de son cancer. Pour cela Mathieu fait appel à Gilles Reynaud qui est membre du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail de l’entreprise. Ils n’obtiennent aucune réponse… Dans le dossier qu’il finit par récupérer directement auprès de la médecine du travail, il découvre que les examens réalisés après l’accident montrent que ses globules blancs ont augmenté en flèche. On ne lui a rien dit, il n’y a pas eu d’examen complémentaire.

Mathieu en est certain son cancer vient de son accident. Il veut le faire reconnaître comme une maladie professionnelle. Lorsqu’il contacte des avocats pour l’accompagner devant la justice, la seule réponse qu’il obtient tient en un mot : "prescription". Mais pour le travailleur du nucléaire, c’est surtout le nom d’Areva qui semble leur faire peur. Après sa convalescence Mathieu a été déclaré en invalidité de niveau 2. Il pourrait travailler mais sur des missions spécifiques, et son entreprise n’a pas souhaité le reclasser. Il finit par être licencié, juste après qu’Areva soit devenue Orano. Malgré le gros dossier qu’il a péniblement réussi à constituer il ne trouve d’écoute et de soutien nulle part…

En rémission, il doit réaliser une IRM de contrôle tous les 6 mois. Le 22 février 2020, il s’est fait opérer d’une tumeur au testicule et d’une hernie. Lors d’un scanner de contrôle on lui découvre également des antigènes carcino-embryonnaires dans les poumons…

Au-delà de ses maladies, Mathieu a également subi le mépris des personnes à qui il a raconté son histoire : il a été pris de haut, traité de menteur, on lui a dit qu’il était responsable de l’accident, qu’il était mauvais. Il a même été menacé de poursuite en diffamation s’il ébruitait son cas. Aujourd’hui, il se sent assez fort pour lutter, pour témoigner de sa situation mais aussi de celles qu’il a pu observer lorsqu’il travaillait au Tricastin, entre équipements vétustes, management de la peur et du profit et une image à ne surtout pas écorner. Des écarts de sûreté et un étau hiérarchique qui ont conduit à “des accidents, des explosions, des personnes qui se sont pratiquement fait arracher la main sans que rien ne sorte. Ils cachent tout. Il n’a rien d’humain dans la manière dont ils gèrent l’humain. C’est marche ou crève“.

Mathieu est entré pour un CDD de 6 mois chez Amalys, filiale d’Areva en 2014. Embauché sur la Station de traitement des déchets (STD) de Tricastin, il a ensuite obtenu un CDI début 2015 et, avec lui, un poste sur le chantier de la Socatri. Il travaille alors dans ce qui est appelé des “pockets“. Il y découpe de gros cylindres en ferraille appelés 48Y. Ces cylindres contiennent de l’UF6 ou du "HF" dans le jargon : de l’hexafluorure d’uranium, un produit hautement radioactif et toxique. Il travaille en heaume ventilé, utilise une torche au plasma pour la découpe et porte des lunettes d’intensité 3 pour ne pas se brûler la rétine… Des conditions difficiles, mais en mars 2015 après 3 mois sur ce site, Mathieu commence à plutôt bien maîtriser les gestes et les contraintes.

“Lorsque je travaillais sur la STD, je comptais la valeur en irradiation et contamination des déchets. On comptait surtout des vêtements mais aussi des fûts décanteurs. Ce sont des seaux rouges avec des filtres qui aspirent les poussières sur les chantiers. Ils sont emballés dans des sacs et des caisses mais comme ils ne sont pas gardés à l’abri ils étaient souvent remplis d’eau. L’eau fait écran, on ne peut pas mesurer la radioactivité. On m’a donc demandé d’enlever les filtres et de les découper avec un cutter à l’air libre pour enlever l’eau et de la vider en pleine nature… Quand j’étais en CDD, j’ai dit que je ne voulais pas faire cela mais ils ont menacé de ne pas me reconduire. Une fois en CDI j’ai pu dire non mais ils ont trouvé un jeune pour le faire… “

La veille de son accident tout fonctionne correctement. L’après-midi, lors de sa prise de poste, il constate que suite à un problème survenu le matin, le chargé d’affaire a décidé, au lieu d’appeler la maintenance, de feinter la télécommande qui règle la vitesse à laquelle tourne le 48Y. Hors des clous des règles de sécurité et juste pour ne pas perdre un ou deux jours… Son heaume ventilé se perce. Il ne s’en rendra compte qu’en sentant ses lèvres et sa bouche le brûler. La personne qui est en surveillance le fait sortir et le conduit au service médical. Là, il reçoit des soins après de nombreux examens. Un urologue lui annonce qu’il est brulé jusqu’à l’œsophage. Pourtant, son entreprise fait le choix de ne pas déclarer son accident du travail. Mathieu continue les soins sur place et reste chez lui, payé comme s’il travaillait. Il reprend le chemin du travail quelques temps après.

Deux ans après cet incident, en mars 2017, alors qu’il travaille au traitement des déchets, Mathieu est pris de convulsions. Les pompiers l’emmènent à l’hôpital de Montélimar où le diagnostic tombe : tumeur au cerveau. Transféré à Nîmes, il est opéré le 29 mars 2017, puis enchaîne radiothérapie et chimiothérapie. La tumeur est cancéreuse. Son neurochirurgien pense qu’elle est récente, 2 ans environ. Il lui demande de voir avec son employeur le type d’alliage des 48Y et les produits chimiques qu’ils transportent car il ne peut pas rechercher tous les produits et métaux pour établir la cause de son cancer. Pour cela Mathieu fait appel à Gilles Reynaud qui est membre du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail de l’entreprise. Ils n’obtiennent aucune réponse… Dans le dossier qu’il finit par récupérer directement auprès de la médecine du travail, il découvre que les examens réalisés après l’accident montrent que ses globules blancs ont augmenté en flèche. On ne lui a rien dit, il n’y a pas eu d’examen complémentaire.

Mathieu en est certain son cancer vient de son accident. Il veut le faire reconnaître comme une maladie professionnelle. Lorsqu’il contacte des avocats pour l’accompagner devant la justice, la seule réponse qu’il obtient tient en un mot : "prescription". Mais pour le travailleur du nucléaire, c’est surtout le nom d’Areva qui semble leur faire peur. Après sa convalescence Mathieu a été déclaré en invalidité de niveau 2. Il pourrait travailler mais sur des missions spécifiques, et son entreprise n’a pas souhaité le reclasser. Il finit par être licencié, juste après qu’Areva soit devenue Orano. Malgré le gros dossier qu’il a péniblement réussi à constituer il ne trouve d’écoute et de soutien nulle part…

En rémission, il doit réaliser une IRM de contrôle tous les 6 mois. Le 22 février 2020, il s’est fait opérer d’une tumeur au testicule et d’une hernie. Lors d’un scanner de contrôle on lui découvre également des antigènes carcino-embryonnaires dans les poumons…

Au-delà de ses maladies, Mathieu a également subi le mépris des personnes à qui il a raconté son histoire : il a été pris de haut, traité de menteur, on lui a dit qu’il était responsable de l’accident, qu’il était mauvais. Il a même été menacé de poursuite en diffamation s’il ébruitait son cas. Aujourd’hui, il se sent assez fort pour lutter, pour témoigner de sa situation mais aussi de celles qu’il a pu observer lorsqu’il travaillait au Tricastin, entre équipements vétustes, management de la peur et du profit et une image à ne surtout pas écorner. Des écarts de sûreté et un étau hiérarchique qui ont conduit à “des accidents, des explosions, des personnes qui se sont pratiquement fait arracher la main sans que rien ne sorte. Ils cachent tout. Il n’a rien d’humain dans la manière dont ils gèrent l’humain. C’est marche ou crève“.



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