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Sortir du nucléaire n°97



Printemps 2023
Crédit photo : Opérations de nettoyage suite à l'accident de Three Mile Island (NRC - Flickr - CC BY NC ND 2.0)

Dossier : Accidents nucléaires : ni oubli, ni pardon

Quelques accidents nucléaires oubliés de l’histoire

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°97 - Printemps 2023

 Risques et accidents  Incidents / Accidents
Article publié le : 5 avril 2023


Vous avez sans aucun doute déjà entendu parler de Fukushima et Tchernobyl. Mais les noms de Windscale, Three Mile Island ou Saint-Laurent-des-Eaux vous évoquent-ils quelque chose ? Focus sur ces accidents nucléaires qui, malgré leurs conséquences sur la population et l’environnement, demeurent quasiment inconnus du grand public.



1957 : Windscale

En octobre 1957, un "défaut technique majeur" dans la construction de la centrale nucléaire de Windscale (Grande-Bretagne) et une "carence d’organisation" [1] entraînent un incendie dans le réacteur Pile 1 de l’installation. Les travailleurs ne parviendront à éteindre le brasier qu’au bout de 3 jours. En tout, quelques 740 mille milliards de becquerels d’iode 131 auront été rejetés dans l’air [2] par le système de refroidissement du réacteur, contaminant le personnel et la population. La vente de lait est d’ailleurs interdite pendant un temps dans les villages alentours. Le 2 janvier 1988, Le Monde rapporte que si “l’accident [n’a] fait aucune victime directe, de nombreux mouvements écologistes et associations antinucléaires britanniques estiment que certains décès par cancer et des cas de leucémie, constatés ultérieurement chez des enfants de la région, sont dus aux fuites de matières radioactives enregistrées lors de l’incendie.”

S’il aura fallu plus de 30 ans avant que l’accident ne fasse réagir dans les médias, c’est que l’affaire a vite été glissée sous le tapis à l’époque. Toujours selon l’article du Monde, l’ancien premier ministre britannique, Harold Macmillan, avait ordonné d’étouffer un rapport détaillé sur les causes de l’incendie. Et pour finir d’effacer le brûlant souvenir de l’accident, le site a été rebaptisé Sellafield.

1979 : Three Mile Island

Avant Fukushima et Tchernobyl, il y a aussi eu Three Mile Island (États-Unis). Comme pour Windscale, c’est une accumulation de défauts de conception et d’erreurs humaines qui a failli mener au pire. Le 28 mars 1979, “les habitants ont été réveillés par le bruit d’une explosion et ont vu un jet de vapeur au-dessus de la centrale”. [3] En cause, la panne d’une pompe à eau entraînant un problème de refroidissement dans le réacteur 2 de la centrale. De l’eau s’échappe par une soupape permettant de libérer la pression, restée en position ouverte mais indiquée fermée en salle de commandes. Ce pilotage “à l’aveugle” conduit les ingénieurs à multiplier les mauvaises décisions, aggravant l’accident. Des substances radioactives se répandent dans l’enceinte du réacteur, et une fusion partielle du cœur a lieu. Puis une bulle d’hydrogène se forme dans le bâtiment du réacteur, faisant redouter l’explosion. La confusion et la peur règnent, alimentées par le flou et les contradictions des discours de l’autorité de sûreté états-unienne et du gouvernement.

Équipe de nettoyage après l’accident nucléaire de Three Mile Island.
TMI_cleanup - John G. Kemeny et al - CC0

Même après que la situation ait été rétablie, le 9 avril, la méfiance persiste. Si les représentants du gouvernement affirment que l’accident n’a eu aucun effet sur la santé de la population locale, les données publiées en 2004 par l’ONG “Radiation and Public Health Project” suggèrent le contraire : “la mortalité infantile dans la région a augmenté de 47 % dans les deux ans qui ont suivi l’accident. [...] 25 ans plus tard, les décès liés au cancer chez les enfants de moins de 10 ans sont 30 % plus élevés que la moyenne nationale.” [4] Autre révélation, des années après l’accident : “les dégâts subis par les éléments combustibles sont très supérieurs à ceux imaginés pour l’accident le plus grave étudié dans le cadre du dimensionnement de l’installation. On ne le constatera qu’en 1985, soit 6 ans plus tard, mais 45 % du combustible a fondu.” [5]

1969 : Saint-Laurent-des-Eaux

“Il n’y a jamais eu d’accident nucléaire en France” affirment les défenseurs de l’atome. Les deux accidents de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) prouvent pourtant le contraire. En 1969, une erreur de rechargement du cœur du réacteur A1 conduit à “l’obturation partielle d’un des canaux dans lesquels sont empilés les éléments combustibles” [6], obturation qui entraîne à son tour la fusion de cinq éléments combustibles. Si “l’accident a conduit au rejet d’une faible quantité d’effluents radioactifs gazeux”, l’IRSN indique néanmoins ne pas disposer “d’élément sur la production d’effluents et les rejets radioactifs associés aux opérations de remise en état du réacteur”. [7]

Bien que l’exploitant ait pris “diverses dispositions visant à éviter qu’un tel événement ne se reproduise”, 11 ans plus tard, cette même centrale connaît le plus grave accident nucléaire civil français, cette fois-ci sur le réacteur A2. Le 13 mars 1980, alors que le réacteur fonctionne à pleine puissance, un morceau de tôle du circuit primaire qui s’est détaché vient obstruer l’entrée de plusieurs canaux, entraînant la fusion de deux éléments de combustible et des rejets gazeux radioactifs. Sans que cela puisse être directement lié aux accidents de 1969 et 1980, en 2015, des analyses de sédiments réalisées par l’IRSN attestent de la présence de plutonium d’origine industrielle dans le bassin versant de la Loire, à l’aval de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux. [8]

Un risque constant

Les accidents de Windscale, Three Mile Island et Saint-Laurent-des-Eaux ne sont que quelques exemples parmi les trop nombreux qui ont eu lieu depuis le début de l’exploitation de l’énergie nucléaire, militaire comme civile. En dehors de catastrophes telles que celles de Tchernobyl et de Fukushima, les médias ne relaient pas ou peu les incidents et accidents qui surviennent régulièrement au sein des installations nucléaires dans le monde. En France, rien que sur l’année 2022, le Réseau “Sortir du nucléaire” a dénombré plus de 150 incidents. Et s’il n’y a pas eu sur le territoire d’accident à l’incidence plus grande que 4 sur l’échelle INES depuis Saint-Laurent-des-Eaux, la répétition des dysfonctionnements souligne que le risque est aussi réel que présent.

Louiselle Debiez


Notes

[1Le " Tchernobyl " de Harold Macmillan Comment la vérité sur un grave accident nucléaire fut censurée pendant trente ans en Grande-Bretagne, Le Monde, 2 janvier 1988

[2Les catastrophes nucléaires, Le Monde, 26 avril 2006

[3Accident dans le système de refroidissement d’une centrale nucléaire aux États-Unis, Le Monde, 30 mars 1979

[4US nuclear industry powers back into life, The Guardian, 13 avril 2004

[8Ibid.

1957 : Windscale

En octobre 1957, un "défaut technique majeur" dans la construction de la centrale nucléaire de Windscale (Grande-Bretagne) et une "carence d’organisation" [1] entraînent un incendie dans le réacteur Pile 1 de l’installation. Les travailleurs ne parviendront à éteindre le brasier qu’au bout de 3 jours. En tout, quelques 740 mille milliards de becquerels d’iode 131 auront été rejetés dans l’air [2] par le système de refroidissement du réacteur, contaminant le personnel et la population. La vente de lait est d’ailleurs interdite pendant un temps dans les villages alentours. Le 2 janvier 1988, Le Monde rapporte que si “l’accident [n’a] fait aucune victime directe, de nombreux mouvements écologistes et associations antinucléaires britanniques estiment que certains décès par cancer et des cas de leucémie, constatés ultérieurement chez des enfants de la région, sont dus aux fuites de matières radioactives enregistrées lors de l’incendie.”

S’il aura fallu plus de 30 ans avant que l’accident ne fasse réagir dans les médias, c’est que l’affaire a vite été glissée sous le tapis à l’époque. Toujours selon l’article du Monde, l’ancien premier ministre britannique, Harold Macmillan, avait ordonné d’étouffer un rapport détaillé sur les causes de l’incendie. Et pour finir d’effacer le brûlant souvenir de l’accident, le site a été rebaptisé Sellafield.

1979 : Three Mile Island

Avant Fukushima et Tchernobyl, il y a aussi eu Three Mile Island (États-Unis). Comme pour Windscale, c’est une accumulation de défauts de conception et d’erreurs humaines qui a failli mener au pire. Le 28 mars 1979, “les habitants ont été réveillés par le bruit d’une explosion et ont vu un jet de vapeur au-dessus de la centrale”. [3] En cause, la panne d’une pompe à eau entraînant un problème de refroidissement dans le réacteur 2 de la centrale. De l’eau s’échappe par une soupape permettant de libérer la pression, restée en position ouverte mais indiquée fermée en salle de commandes. Ce pilotage “à l’aveugle” conduit les ingénieurs à multiplier les mauvaises décisions, aggravant l’accident. Des substances radioactives se répandent dans l’enceinte du réacteur, et une fusion partielle du cœur a lieu. Puis une bulle d’hydrogène se forme dans le bâtiment du réacteur, faisant redouter l’explosion. La confusion et la peur règnent, alimentées par le flou et les contradictions des discours de l’autorité de sûreté états-unienne et du gouvernement.

Équipe de nettoyage après l’accident nucléaire de Three Mile Island.
TMI_cleanup - John G. Kemeny et al - CC0

Même après que la situation ait été rétablie, le 9 avril, la méfiance persiste. Si les représentants du gouvernement affirment que l’accident n’a eu aucun effet sur la santé de la population locale, les données publiées en 2004 par l’ONG “Radiation and Public Health Project” suggèrent le contraire : “la mortalité infantile dans la région a augmenté de 47 % dans les deux ans qui ont suivi l’accident. [...] 25 ans plus tard, les décès liés au cancer chez les enfants de moins de 10 ans sont 30 % plus élevés que la moyenne nationale.” [4] Autre révélation, des années après l’accident : “les dégâts subis par les éléments combustibles sont très supérieurs à ceux imaginés pour l’accident le plus grave étudié dans le cadre du dimensionnement de l’installation. On ne le constatera qu’en 1985, soit 6 ans plus tard, mais 45 % du combustible a fondu.” [5]

1969 : Saint-Laurent-des-Eaux

“Il n’y a jamais eu d’accident nucléaire en France” affirment les défenseurs de l’atome. Les deux accidents de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) prouvent pourtant le contraire. En 1969, une erreur de rechargement du cœur du réacteur A1 conduit à “l’obturation partielle d’un des canaux dans lesquels sont empilés les éléments combustibles” [6], obturation qui entraîne à son tour la fusion de cinq éléments combustibles. Si “l’accident a conduit au rejet d’une faible quantité d’effluents radioactifs gazeux”, l’IRSN indique néanmoins ne pas disposer “d’élément sur la production d’effluents et les rejets radioactifs associés aux opérations de remise en état du réacteur”. [7]

Bien que l’exploitant ait pris “diverses dispositions visant à éviter qu’un tel événement ne se reproduise”, 11 ans plus tard, cette même centrale connaît le plus grave accident nucléaire civil français, cette fois-ci sur le réacteur A2. Le 13 mars 1980, alors que le réacteur fonctionne à pleine puissance, un morceau de tôle du circuit primaire qui s’est détaché vient obstruer l’entrée de plusieurs canaux, entraînant la fusion de deux éléments de combustible et des rejets gazeux radioactifs. Sans que cela puisse être directement lié aux accidents de 1969 et 1980, en 2015, des analyses de sédiments réalisées par l’IRSN attestent de la présence de plutonium d’origine industrielle dans le bassin versant de la Loire, à l’aval de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux. [8]

Un risque constant

Les accidents de Windscale, Three Mile Island et Saint-Laurent-des-Eaux ne sont que quelques exemples parmi les trop nombreux qui ont eu lieu depuis le début de l’exploitation de l’énergie nucléaire, militaire comme civile. En dehors de catastrophes telles que celles de Tchernobyl et de Fukushima, les médias ne relaient pas ou peu les incidents et accidents qui surviennent régulièrement au sein des installations nucléaires dans le monde. En France, rien que sur l’année 2022, le Réseau “Sortir du nucléaire” a dénombré plus de 150 incidents. Et s’il n’y a pas eu sur le territoire d’accident à l’incidence plus grande que 4 sur l’échelle INES depuis Saint-Laurent-des-Eaux, la répétition des dysfonctionnements souligne que le risque est aussi réel que présent.

Louiselle Debiez



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