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Sortir du nucléaire n°22



Juillet 2003

Témoignage

Indépendance énergétique : l’alibi pour lancer le nucléaire

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°22 - Juillet 2003

 Nucléaire et démocratie  Lobby nucléaire
Article publié le : 1er juillet 2003


En tant qu’ancien ingénieur au département théorie et service neutronique d’EDF dans lequel j’ai été embauché en 1967, je souhaite vous livrer mon témoignage concernant le lancement du nucléaire en France et le pseudo argument d’indépendance énergétique.



En 1967, le cœur du réacteur nucléaire graphite-gaz est en cours de conception pour réalisation à Bugey dans l’Ain. Des expériences de neutronique sont en cours sur les installations de Cadarache (pile César) dans les Boûches-du-Rhône. Une commission EDF-CEA (Commissariat à l’énergie atomique) est chargée de faire le point régulièrement sur l’avancée des études et sur la politique nucléaire civile en cours. Parce que le CEA ne veut pas donner à EDF la théorie permettant l’interprétation des expériences en vue de définir les caractéristiques neutroniques du cœur réalisées sur la pile César, il m’est demandé de retrouver cette théorie (trois mois de calculs). Je suis ensuite détaché au Service des Piles atomiques à Cadarache pour suivre les expériences en vue de définir les caractéristiques neutroniques du cœur graphite-gaz prévu pour Bugey.


Options politiques du développement de l’énergie nucléaire

Plusieurs raisons, non liées, vont orienter le développement des choix de la filière nucléaire.

Du fait des relations « à couteaux tirés » entre EDF et le CEA, EDF cherche à changer de filière pour se débarrasser de la tutelle pesante du CEA. Mais elle n’a pas a priori de choix de filière arrêté, et le choix reste ouvert. L’industrie française pense qu’il y a des profits à faire avec le développement du nucléaire, dont on pense qu’il va se développer massivement dans le monde. Il faut donc construire une centrale qui serait une vitrine exemplaire de l’énergie nucléaire. Ici interviennent deux personnalités majeures à l’époque, à savoir Georges Pompidou, Premier ministre et Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’Économie et des Finances. Ces deux hommes sont respectivement les chefs de file de deux groupes financiers et industriels : Pompidou avec le groupe Compagnie Générale d’Electricité (CGE) et Giscard avec le groupe Creusot-Loire, en association avec Jeumont-Schneider, et une banque dont le frère de Giscard est le Directeur (voir encadré). Le groupe lié à Pompidou crée, pour lancer le développement nucléaire, la filiale SOGERCA, avec l’achat de la licence General Electric (réacteur à eau bouillante). Le groupe lié à Giscard crée, lui, le groupe Framatome, avec l’achat de la licence américaine Westinghouse (réacteur à eau pressurisée).

Le choix de la filière nucléaire

EDF, qui cherche à se débarrasser du CEA, s’oriente dans un premier temps vers la filière anglaise des réacteurs à haute température, qui peuvent être considérés comme une technologie prolongeant la filière graphite-gaz. Mais le CEA réussit à s’infiltrer dans cette voie, qui est rapidement abandonnée. Pour EDF, la seule voie possible pour se défaire du CEA est d’une part de changer de filière, et d’autre part, d’aller se faire la main sur une nouvelle filière à l’étranger. Dès 1970, il est prévu qu’un réacteur prototype de la filière à eau pressurisée sera construit à Feissenheim, en Alsace, et qu’un réacteur à eau bouillante sera construit à Bugey dans l’Ain. Les groupes Pompidou et Giscard se neutralisent.

EDF n’a aucune expérience des réacteurs à eau pressurisée et à eau bouillante et n’a aucun code de calcul de cœur relatif à ces technologies. Il se trouve que le groupe américain Westinghouse installe à la fin des années 60 une tête de pont à Bruxelles pour envahir l’Europe avec ses propres réacteurs nucléaires. Pour se débarrasser du CEA, EDF va avec Electrabel, l’électricien belge, monter une filiale franco-belge qui va construire le premier prototype à eau pressurisé en Belgique sur le site de Tihange.

En 1970, il m’est demandé d’établir la théorie de calcul de réacteur à eau. Puis, je suis détaché après ce travail, en 1971, au service de physique mathématique du CEA à Saclay, en région parisienne, pour mettre au point avec une équipe du CEA, le code de calcul d’un cœur à eau pressurisée. Fin 1971, ce travail est terminé et je vais être muté à la région d’équipement basée à Lyon.

Cette région a pour mission de terminer la construction et la mise en route du réacteur graphite-gaz, le dernier de la filière française, et de concevoir et construire le réacteur à eau bouillante prévu pour le site de Bugey. Le constructeur de la partie nucléaire est SOGERCA, du groupe Pompidou. Cette mission va être brutalement arrêtée au bout de quelques mois. L’ordre m’est donné à 8 heures du matin par la Direction d’EDF d’arrêter toute discussion avec SOGERCA, que nous devions rencontrer à 9 heures dans nos bureaux : on ne reparlera plus jamais des réacteurs à eau bouillante.

Il y a tout lieu de penser que la découverte du cancer de Pompidou a ruiné les espoirs du groupe industriel qui lui était lié à la CGE. Le groupe lié à Giscard va donc rester seul en lice et sans concurrent. La filière à eau pressurisée va pouvoir se développer à bride abattue pour le plus grand profit possible.

Le nucléaire et l’indépendance énergétique

Ce qui précède montre qu’à aucun moment ce ne sont des considérations de politique énergétique qui auront orienté les choix de filière nucléaire mais des considérations de politique industrielle (chaudronnerie, tuyauteries, pompes, génie civil). En principe, au début des années 70, c’était la commission Péon, nommée par le gouvernement, qui devait décider du programme électronucléaire mais cette commission par sa composition était largement influencée par les industriels qui y siègaient. Le choix du nombre de réacteurs à construire n’a rien à voir avec les impératifs de fourniture d’énergie électrique. La crise pétrolière va simplement être un bon alibi pour justifier des choix industriels déjà décidés.
Valéry Giscard d’Estaing : quel réseau d’influence ?

- Valéry Giscard d’Estaing a épousé en 1952, Anne-Aymone Schneider, la petite-fille du baron Charles Schneider, et se trouve ainsi lié à l’un des plus gros groupes industriels européens de l’époque : le groupe Empain-Schneider. C’est ce groupe à travers sa filiale Framatome-Creusot-Loire, qui en France détient le brevet des réacteurs PWR (brevet américain Westinghouse), la seule filière technologique qui sera développée pour le parc de centrales nucléaires d’EDF quand VGE sera président de la république.

- Jacques Giscard d’Estaing, cousin de Valéry Giscard d’Estaing. a été directeur, en 1975, de la SOMAIR (la société des mines d’uranium de l’Aïr) au Niger. Il est aussi au Conseil d’administration de la COMUF (compagnie des mines d’uranium de Franceville) au Gabon, et développe des relations avec le Centre-Afrique de Bokassa. En 1976, quand Westinghouse sort de Framatome, c’est Jacques Giscard d’Estaing qui est chargé de lier les activités du Commissariat à l’énergie atomique et de Framatome.

- Philippe Giscard d’Estaing, frère de Jacques : il est administrateur de Thomson-CSF qui travaille pour le nucléaire.

- Enfin, François Giscard d’Estaing, frère de Jacques et Philippe : il est PDG de la Banque française du commerce extérieur (BFCE). Dans ces années là, la France est l’un des pays les plus proliférant et vend du nucléaire partout. Valéry est alors le représentant de commerce du nucléaire et toute les ventes passent par la BFCE.

Source : Nucléaire : la démocratie bafouée – La Hague au cœur du débat » de Didier Anger - Livre de 280 pages disponible au prix de 24,50 euros (port compris) auprès du Réseau « Sortir du nucléaire » 9, rue Dumenge 69317 Lyon Cedex 04.

Finlande : une nouvelle centrale nucléaire n’est pas rentable

Il devait entrer en activité dans 6 ans, ce 5ème réacteur nucléaire de Finlande - jusqu’à présent le seul nouveau projet de construction d’un réacteur nucléaire prévu en Europe pour ce millénaire. Le parlement finlandais avait voté à faible majorité pour cette construction il y a tout juste un an.

Les contrats de construction devaient être accordés à l’automne 2003, les offres de plusieurs consortiums sont en cours d’examen. Pourtant, les compagnies énergétiques ont fait leurs calculs et sont apparemment arrivées à la conclusion que même en profitant des prix d’électricité extraordinairement bas en vigueur dans le nord de l’Europe, la construction d’un nouveau réacteur n’était pas rentable.

Au cours d’une visite en Suède la semaine dernière, le directeur de la multinationale énergétique suédo-allemande Vattenfall, Lars G. Josefsson, n’a laissé aucune chance à ce projet : dans les années à venir, "les investissements nécessaires pour une centrale de cette taille ne correspondent à aucun besoin réel dans cette partie de l’Europe". Encore moins lorsqu’il s’agit d’un réacteur nucléaire coûteux.

Pour le moment, il semble plutôt que même si elle n’est pas complètement abandonnée, la voie solitaire de la Finlande nucléaire, "cette grande exception en europe occidentale", comme l’a appelée David Kyd de la International Atomic Energy Agency (IAEA), soit maintenant partie remise.

Reinhard Wolff

Extrait du journal Taz - économie (Helsinki) du 23 avril 2003
Jacques Rey

45, avenue du Minervois

11700 LA REDORTE

En 1967, le cœur du réacteur nucléaire graphite-gaz est en cours de conception pour réalisation à Bugey dans l’Ain. Des expériences de neutronique sont en cours sur les installations de Cadarache (pile César) dans les Boûches-du-Rhône. Une commission EDF-CEA (Commissariat à l’énergie atomique) est chargée de faire le point régulièrement sur l’avancée des études et sur la politique nucléaire civile en cours. Parce que le CEA ne veut pas donner à EDF la théorie permettant l’interprétation des expériences en vue de définir les caractéristiques neutroniques du cœur réalisées sur la pile César, il m’est demandé de retrouver cette théorie (trois mois de calculs). Je suis ensuite détaché au Service des Piles atomiques à Cadarache pour suivre les expériences en vue de définir les caractéristiques neutroniques du cœur graphite-gaz prévu pour Bugey.


Options politiques du développement de l’énergie nucléaire

Plusieurs raisons, non liées, vont orienter le développement des choix de la filière nucléaire.

Du fait des relations « à couteaux tirés » entre EDF et le CEA, EDF cherche à changer de filière pour se débarrasser de la tutelle pesante du CEA. Mais elle n’a pas a priori de choix de filière arrêté, et le choix reste ouvert. L’industrie française pense qu’il y a des profits à faire avec le développement du nucléaire, dont on pense qu’il va se développer massivement dans le monde. Il faut donc construire une centrale qui serait une vitrine exemplaire de l’énergie nucléaire. Ici interviennent deux personnalités majeures à l’époque, à savoir Georges Pompidou, Premier ministre et Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’Économie et des Finances. Ces deux hommes sont respectivement les chefs de file de deux groupes financiers et industriels : Pompidou avec le groupe Compagnie Générale d’Electricité (CGE) et Giscard avec le groupe Creusot-Loire, en association avec Jeumont-Schneider, et une banque dont le frère de Giscard est le Directeur (voir encadré). Le groupe lié à Pompidou crée, pour lancer le développement nucléaire, la filiale SOGERCA, avec l’achat de la licence General Electric (réacteur à eau bouillante). Le groupe lié à Giscard crée, lui, le groupe Framatome, avec l’achat de la licence américaine Westinghouse (réacteur à eau pressurisée).

Le choix de la filière nucléaire

EDF, qui cherche à se débarrasser du CEA, s’oriente dans un premier temps vers la filière anglaise des réacteurs à haute température, qui peuvent être considérés comme une technologie prolongeant la filière graphite-gaz. Mais le CEA réussit à s’infiltrer dans cette voie, qui est rapidement abandonnée. Pour EDF, la seule voie possible pour se défaire du CEA est d’une part de changer de filière, et d’autre part, d’aller se faire la main sur une nouvelle filière à l’étranger. Dès 1970, il est prévu qu’un réacteur prototype de la filière à eau pressurisée sera construit à Feissenheim, en Alsace, et qu’un réacteur à eau bouillante sera construit à Bugey dans l’Ain. Les groupes Pompidou et Giscard se neutralisent.

EDF n’a aucune expérience des réacteurs à eau pressurisée et à eau bouillante et n’a aucun code de calcul de cœur relatif à ces technologies. Il se trouve que le groupe américain Westinghouse installe à la fin des années 60 une tête de pont à Bruxelles pour envahir l’Europe avec ses propres réacteurs nucléaires. Pour se débarrasser du CEA, EDF va avec Electrabel, l’électricien belge, monter une filiale franco-belge qui va construire le premier prototype à eau pressurisé en Belgique sur le site de Tihange.

En 1970, il m’est demandé d’établir la théorie de calcul de réacteur à eau. Puis, je suis détaché après ce travail, en 1971, au service de physique mathématique du CEA à Saclay, en région parisienne, pour mettre au point avec une équipe du CEA, le code de calcul d’un cœur à eau pressurisée. Fin 1971, ce travail est terminé et je vais être muté à la région d’équipement basée à Lyon.

Cette région a pour mission de terminer la construction et la mise en route du réacteur graphite-gaz, le dernier de la filière française, et de concevoir et construire le réacteur à eau bouillante prévu pour le site de Bugey. Le constructeur de la partie nucléaire est SOGERCA, du groupe Pompidou. Cette mission va être brutalement arrêtée au bout de quelques mois. L’ordre m’est donné à 8 heures du matin par la Direction d’EDF d’arrêter toute discussion avec SOGERCA, que nous devions rencontrer à 9 heures dans nos bureaux : on ne reparlera plus jamais des réacteurs à eau bouillante.

Il y a tout lieu de penser que la découverte du cancer de Pompidou a ruiné les espoirs du groupe industriel qui lui était lié à la CGE. Le groupe lié à Giscard va donc rester seul en lice et sans concurrent. La filière à eau pressurisée va pouvoir se développer à bride abattue pour le plus grand profit possible.

Le nucléaire et l’indépendance énergétique

Ce qui précède montre qu’à aucun moment ce ne sont des considérations de politique énergétique qui auront orienté les choix de filière nucléaire mais des considérations de politique industrielle (chaudronnerie, tuyauteries, pompes, génie civil). En principe, au début des années 70, c’était la commission Péon, nommée par le gouvernement, qui devait décider du programme électronucléaire mais cette commission par sa composition était largement influencée par les industriels qui y siègaient. Le choix du nombre de réacteurs à construire n’a rien à voir avec les impératifs de fourniture d’énergie électrique. La crise pétrolière va simplement être un bon alibi pour justifier des choix industriels déjà décidés.
Valéry Giscard d’Estaing : quel réseau d’influence ?

- Valéry Giscard d’Estaing a épousé en 1952, Anne-Aymone Schneider, la petite-fille du baron Charles Schneider, et se trouve ainsi lié à l’un des plus gros groupes industriels européens de l’époque : le groupe Empain-Schneider. C’est ce groupe à travers sa filiale Framatome-Creusot-Loire, qui en France détient le brevet des réacteurs PWR (brevet américain Westinghouse), la seule filière technologique qui sera développée pour le parc de centrales nucléaires d’EDF quand VGE sera président de la république.

- Jacques Giscard d’Estaing, cousin de Valéry Giscard d’Estaing. a été directeur, en 1975, de la SOMAIR (la société des mines d’uranium de l’Aïr) au Niger. Il est aussi au Conseil d’administration de la COMUF (compagnie des mines d’uranium de Franceville) au Gabon, et développe des relations avec le Centre-Afrique de Bokassa. En 1976, quand Westinghouse sort de Framatome, c’est Jacques Giscard d’Estaing qui est chargé de lier les activités du Commissariat à l’énergie atomique et de Framatome.

- Philippe Giscard d’Estaing, frère de Jacques : il est administrateur de Thomson-CSF qui travaille pour le nucléaire.

- Enfin, François Giscard d’Estaing, frère de Jacques et Philippe : il est PDG de la Banque française du commerce extérieur (BFCE). Dans ces années là, la France est l’un des pays les plus proliférant et vend du nucléaire partout. Valéry est alors le représentant de commerce du nucléaire et toute les ventes passent par la BFCE.

Source : Nucléaire : la démocratie bafouée – La Hague au cœur du débat » de Didier Anger - Livre de 280 pages disponible au prix de 24,50 euros (port compris) auprès du Réseau « Sortir du nucléaire » 9, rue Dumenge 69317 Lyon Cedex 04.

Finlande : une nouvelle centrale nucléaire n’est pas rentable

Il devait entrer en activité dans 6 ans, ce 5ème réacteur nucléaire de Finlande - jusqu’à présent le seul nouveau projet de construction d’un réacteur nucléaire prévu en Europe pour ce millénaire. Le parlement finlandais avait voté à faible majorité pour cette construction il y a tout juste un an.

Les contrats de construction devaient être accordés à l’automne 2003, les offres de plusieurs consortiums sont en cours d’examen. Pourtant, les compagnies énergétiques ont fait leurs calculs et sont apparemment arrivées à la conclusion que même en profitant des prix d’électricité extraordinairement bas en vigueur dans le nord de l’Europe, la construction d’un nouveau réacteur n’était pas rentable.

Au cours d’une visite en Suède la semaine dernière, le directeur de la multinationale énergétique suédo-allemande Vattenfall, Lars G. Josefsson, n’a laissé aucune chance à ce projet : dans les années à venir, "les investissements nécessaires pour une centrale de cette taille ne correspondent à aucun besoin réel dans cette partie de l’Europe". Encore moins lorsqu’il s’agit d’un réacteur nucléaire coûteux.

Pour le moment, il semble plutôt que même si elle n’est pas complètement abandonnée, la voie solitaire de la Finlande nucléaire, "cette grande exception en europe occidentale", comme l’a appelée David Kyd de la International Atomic Energy Agency (IAEA), soit maintenant partie remise.

Reinhard Wolff

Extrait du journal Taz - économie (Helsinki) du 23 avril 2003
Jacques Rey

45, avenue du Minervois

11700 LA REDORTE



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