Selon lopinion courante, larme nucléaire aurait permis à lhumanité déchapper à la guerre tandis que lénergie nucléaire promettait un avenir radieux dans un monde sans pollution. La propagande est bien huilée, orchestrée par un lobby industriel et militaire solidement installé au cur de nos sociétés modernes. En 2005, soixante ans après les explosions des bombres nucléaires à Hiroshima et à Nagasaki, la paix du monde reste une utopie. Plus, cette éneragie nucléaire, source de bien-être, devient même lenjeu de conflits et de guerres. Si nous avons échappé à la conflagration nucléaire qui aurait pulvérisé la planète, nous assistons aujourdhui au début des guerres du nucléaire civil.
La formidable découverte de latome a mobilisé les scientifiques qui entrevoyaient enfin leur « nouvelle pierre philosophale ». Elle a enthousiasmé les industriels au vu des immenses profits quils nont pas manqué den tirer. Elle a attisé les ambitions des militaires qui allaient enfin gagner les guerres sans faire la guerre. Elle a conféré un pouvoir exorbitant à quelques grandes puissances, maîtres du destin de toute la planète.
En 1968, une fois le complexe industriel, politique, militaire bien établi, les grandes puissances ont partagé la planète en deux catégories : les États qui ont le droit de posséder larme nucléaire et ceux pour lesquels cest interdit. Raison officielle : la non-prolifération nucléaire pour la paix du monde. En contrepartie, lénergie nucléaire civile fut promise à tous. Hypocrisie ! En effet, chacun savait, à lépoque, que le passage du civil à larme nucléaire nest affaire seulement que de technique et de moyens financiers. Aujourdhui, le Traité de non-prolifération (TNP) est devenu une coquille vide de sens puisquil nest respecté ni par les puissances nucléaires qui se refusent au désarmement nucléaire comme promis dans larticle 6 du traité, ni par un certain nombre dÉtats dits « non dotés darmes nucléaires » qui, au prétexte de développements civils, tentent de se constituer secrètement un arsenal nucléaire.
Les grandes puissances commencent aujourdhui à admettre publiquement ces liens congénitaux entre les nucléaires civil et militaire quils étaient loin dignorer. Au prétexte quon ne pourra pas « désinventer latome », ils proposent contrôle, coercition, renforcement du secret, bref, la « militarisation » du complexe. Le discours habituel sur la non-prolifération se proclame « responsable » au regard de la sécurité internationale, mais il entend, par cet artifice, maintenir les immenses intérêts économiques, industriels, financiers et politiques qui sont à la base du complexe nucléaire. Ce discours sert de paravent à la poursuite de programmes darmes nucléaires dites de « nouvelle génération » et au développement de nouveaux types de réacteurs « baptisés », selon le goût du jour de « non proliférants ».
Nombreux sont aujourdhui les citoyens et organisations qui prônent la « sortie du nucléaire » tout en proposant des alternatives crédibles soutenues par une communauté scientifique de plus en plus consciente de ses responsabilités vis-à-vis de lavenir de la planète.
Le mouvement citoyen nest cependant pas unanime. En grande majorité, on condamne larmement nucléaire. Pourtant, nombreux sont ceux qui estiment quavec la fin de la guerre froide, larme nucléaire reste un « vestige » du passé qui deviendra bientôt désuet comme si, naïvement, on croyait que ce qui assure le cur de la puissance des Grands de ce monde allait se dissiper comme par enchantement !
Dautres, impressionnés par lampleur économique du complexe, se refusent à abandonner la proie pour lombre tout en feignant dignorer les liens étroits entre le nucléaire civil et militaire.
La propagande du complexe, les caricatures de débats publics et les divergences militantes, en France notamment, ont empêché les citoyens davoir une opinion.
Un regard lucide sur les deux faces du Janus nucléaire permettrait sans doute déclaircir le débat et de constituer un solide mouvement dopinion pour la « sortie du nucléaire ». Aujourdhui où lindividualisme prime sur les projets collectifs, les questions de santé interpellent chaque citoyen. Les relations entre le nucléaire (civil et militaire) et lavenir biologique de lhumanité ont commencé à frapper sérieusement lopinion avec laccident de Tchernobyl. En quarante ans, on avait déjà oublié Hiroshima, exterminant dun seul coup plus de
100 000 victimes, puis sa cohorte de milliers de morts et de malades étalée jusquà nos jours. En quarante ans, on sest refusé à admettre les effets ignominieux des essais nucléaires sur de lointaines populations ignorantes du danger. Il aura fallu cet accident, dans notre voisinage, pour ouvrir les yeux sur la réalité nucléaire.
La santé nest cependant nullement un prétexte ou un argument « émotionnel » pour faire valoir la sortie du nucléaire. La question a été volontairement occultée ou camouflée sous lappellation faussement positive de « radioprotection » pour éviter un sursaut négatif des peuples. La vie sur terre, depuis des millions dannées, au fil des temps géologiques, sest confrontée et adaptée à la radioactivité naturelle de la terre comme au bombardement nocif des rayons cosmiques. Comment imaginer que les cinquante et quelques années de développements nucléaires tant militaires (plus de deux mille essais nucléaires) que civils naient pas contribué au bouleversement biologique de notre planète dont nous nentrevoyons aujourdhui que les prémisses ? Comment ne pas réagir devant des évidences si énormes qui devraient réveiller les consciences ? Pourquoi ces liens inéluctables entre la radioactivité et la santé sont-ils passés sous silence ? Les premiers « découvreurs » de latome Marie Curie et tant dautres nont-ils pas payé de leur vie leur fréquentation de la radioactivité ?
Il ne sagit pas délaborer une « stratégie de la peur » ou de céder au catastrophisme mais plutôt dêtre lucide sur la réalité du nucléaire : la menace de
« destruction massive » nest pas dans la seule éventualité dune guerre nucléaire ou dun accident nucléaire, elle sexerce au voisinage dune installation nucléaire, dune centrale, dun site dentreposage de déchets. Et de plus, elle se transmet aux générations successives
Le monde bipolaire de la guerre froide a échappé à la conflagration nucléaire. Cependant, à lavenir, rien nest assuré avec le nombre croissant dacteurs possédant larme atomique. De plus, la (mauvaise) gestion du « désarmement » nucléaire comporte le risque de laisser entre des mains indésirables dacteurs non étatiques ou de groupes « terroristes » des armes mal comptabilisées ou mal surveillées, des matières nucléaires issues du démantèlement des armes mal gérées ou mal entreposées. Aujourdhui, de nouveaux pays accèdent (heureusement) à un haut niveau économique et scientifique. Les dispositions du traité de non-prolifération avaient autorisé leur accès au nucléaire civil. On comprend donc que ces États, jusquà présent dépendants de quelques pays industrialisés pour leurs fournitures de centrales nucléaires, aient la volonté politique de maîtriser lensemble du cycle du combustible nucléaire, y compris de hautes technologies comme lenrichissement de luranium. Irak, Corée du Nord, Iran et bientôt dautres États sont devenus sources de tensions internationales et de conflits ouverts. Les militaires qui ont, jusquà présent, renoncé au déclenchement dune conflagration nucléaire, nous introduisent depuis deux décennies aux préludes des guerres du nucléaire civil.
De leurs épées, ils forgeront des charrues !
Au début des années 1950, les premières expériences nucléaires souterraines excitèrent limagination des ingénieurs du génie civil. Conseillés par les concepteurs de la bombe, ils considérèrent lénergie nucléaire comme un explosif plus puissant que le trinitrotoluène habituellement employé. On parlait même à lépoque de révolution pacifique qui « conduirait à un remaniement profond des données de léconomie mondiale en matière de ressources énergétiques ou minières et de percement de canaux, disthmes et de ports 1 ». Enfin, la bombe pourrait être utile à lhumanité, se rachetant ainsi de son « péché originel » des 6 et 9 août 1945 sur Hiroshima et Nagasaki.
Les États-Unis programmèrent donc lopération « Plowshare » (soc de charrue) dont le nom fait référence au texte du prophète Isaïe : « De leurs épées, ils forgeront des socs de charrues. » Sous de telles auspices « religieuses », une quarantaine dexplosions « civiles » ont eu lieu aux États-Unis à partir de 1957. Ainsi, un tir souterrain effectué à Gasbuggy le 10 décembre 1967 a permis de montrer quil était possible de « stimuler » lextraction de gaz naturel. Cette opération a été payée pour un tiers par une société privée El Paso Natural Gaz. Cette dernière compagnie sest associée au groupe Nobel français pour former la société « Geonuclear Nobel Paso » qui se propose dorganiser des essais nucléaires à des fins industrielles hors des États-Unis 2.
De son côté, la Russie aurait effectué 108 essais nucléaires souterrains « pacifiques » sur plus de vingt ans entre 1965 et 1987. Selon les relevés de tirs souterrains, 77 de ces explosions nucléaires « pacifiques » ont été effectuées en dehors des sites dessais sur lensemble du territoire de lUnion soviétique. Lobjectif de ces tirs était le percement de canaux, la création de réserves souterraines de gaz, loptimisation de lexploitation pétrolière
Les ingénieurs français ne furent pas en peine de projets. Au cours des années 1960, le projet « Lambrec » du nom dun ingénieur civil, prévoyait le creusement du canal des deux mers (Méditerranée-Atlantique) par des moyens nucléaires. Ce « nouveau canal de Panama » serait creusé à grand renfort dexplosions atomiques souterraines (260 bombes suffiraient !) au prix dun devis moitié moindre que celui qui aurait utilisé des explosifs conventionnels 3. Fort heureusement, le projet Lambrec est resté dans ses cartons.
B. B.
1) Jacques Gaussens, « Paisibles explosions nucléaires à vendre », Bulletin Dam, 1968.
2) Idem, p. 9.
3) Idem, p. 9.
Bruno Barrillot
« Derrière des murailles de mystères,
on perfectionne avec une hâte fébrile les moyens de destruction collective. »
Albert Einstein
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