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Sortir du nucléaire n°65



Mai 2015

Vite des infos !

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°65 - Mai 2015

 Tchernobyl et Fukushima


L’association "Enfants de Tchernobyl Belarus" a besoin de vous !

Fondé en 1990 par le physicien nucléaire Vassili Nesterenko, l’Institut Belrad est la seule organisation bélarusse à aider dans la longue durée les populations qui vivent dans les zones contaminées du Bélarus, pays de loin le plus affecté par les retombées de Tchernobyl. Depuis près de 25 ans, Belrad a directement aidé des centaines de milliers de personnes. Cet institut à l’action exceptionnelle dépend pour l’essentiel de ses financements des dons collectés et reversés par l’association française "Enfants de Tchernobyl Bélarus" (ETB).

Afin que Belrad conserve une capacité d’intervention correcte dans les zones contaminées par Tchernobyl, l’association ETB fait appel à la solidarité de chacun-e ! L’état de délabrement de la maison de l’Institut Belrad est conséquent, de nombreux travaux sont nécessaires (façade, plomberie, chauffage...). Les réparations plombent de plus en plus le faible budget de l’Institut Belrad. De plus, les trois mini- vans de Belrad, qui permettent aux spécialistes de l’Institut d’aller sur le terrain auprès des personnes contaminées, sont en mauvais état et il faudrait investir dans de nouveaux véhicules.

Le directeur de Belrad, Alexey Nesterenko, présente l’action de l’institut.

Comment les aider ?

  • Vous pouvez faire un don pour aider directement les enfants de Tchernobyl : https://enfants-tchernobyl-belarus.org/ doku.php ?id=adhesion_don
  • Commandez le livre-DVD "Tchernobyl Forever", dont tous les bénéfices sont reversés au profit de Belrad : https://enfants-tchernobyl-bela- rus.org/doku.php ?id=boutique-etb

Ce livre-DVD est articulé autour des photos du grand reporter Alain-Gilles Bastide et des docu- mentaires de Wladimir Tchertkoff. Prises dans la zone interdite autour de la centrale de Tchernobyl, les images de Bastide réussissent à nous faire "voir" et sentir l’invisible et l’impalpable, le terrible legs de la contamination radioactive. D’avance, merci à toutes et tous pour votre soutien. Plus d’information : enfants-tchernobyl-belarus.org

Les populations d’oiseaux durement touchées à Fukushima

Depuis trois ans, les chercheurs Timothy Mousseau et Anders Møller ont entrepris l’analyse des impacts de la radioactivité sur 57 espèces d’oiseaux dans les zones contaminées de Fukushima. Ils mènent un travail similaire dans les zones contaminées par Tchernobyl depuis une vingtaine d’années.

Cette hirondelle rustique de Tchernobyl souffre d’une tumeur de la face.

Ils viennent de démontrer que de nombreuses espèces souffrent d’une diminution importante de leur population, qui atteint un niveau dramatique pour plusieurs d’entre elles. Ainsi, l’hirondelle rustique est pour ainsi dire en voie de disparition dans les zones contaminées, et la réduction de population est proportionnelle au niveau de radiation mesuré par les chercheurs. Mousseau témoigne : "Nous savons qu’il y avait des centaines d’hirondelles dans une aire donnée avant le désastre, et à peine deux ans plus tard nous n’avons réussi à en trouver que quelques douzaines qui restaient. Les baisses de population ont réellement été extraordinaires." Pire, alors même que le niveau de fond des radia- tions baisse régulièrement à mesure que les radio- nucléides se désintègrent, les chercheurs ont constaté à l’inverse que les effets sur les oiseaux ne cessent de croître. Mousseau enfonce le clou : "Ce sont à la fois la biodiversité et l’abondance de chaque espèce qui subissent des effets dramatiques dans les zones présentant des hauts niveaux de radiation, même lorsque ces niveaux baissent." Source : phys.org

Cette hirondelle rustique de Tchernobyl présente une malformation du bec.

Démantèlement de Fukushima : "La technologie n’existe pas"

Selon Akira Ono, actuel directeur de la centrale de Fukushima, la technologie nécessaire pour démanteler les réacteurs accidentés n’existe pas, et il n’a aucune idée de la manière de la développer : "Il y a tant d’incertitudes. Nous devons développer beau- coup, beaucoup de technologies. Le démantèle- ment pourrait prendre 200 ans, mais je dirais que notre objectif est de 30 à 40 ans". Il concède que l’objectif d’avoir achevé le démantèlement en 2051 pourrait s’avérer impossible sans un énorme saut technologique.

En 2014, Tepco a signé un accord avec Sellafield pour bénéficier de l’expérience acquise dans le démantèlement (à peine entamé...) de ce vaste complexe nucléaire bri- tannique. Quand on connaît l’état calamiteux du site, les difficultés majeures et le coût prévisionnel du démantèlement, ça promet !

Naohiro Masuda, président de la filiale créée par Tepco pour s’occuper spécifiquement du démantèlement, affirme : "Nous n’avons aucune information à propos des débris. Nous ne connaissons ni leur forme ni leur résistance. Nous devons les retirer par moyens télécommandés à 30 mètres en contrebas, mais nous ne disposons pas de la technologie nécessaire, elle n’existe simplement pas." Pour que les débris puissent être retirés sans disperser les radiations, ils devront être manipulés tout en étant en permanence immergés. Or Masuda admet : "Nous ne savons toujours pas s’il est possible de remplir les réacteurs avec de l’eau. Nous avons découvert des fissures et des trous dans les trois cuves endommagées, mais nous ignorons si nous les avons tous trouvés." Interrogé sur la possibilité de commencer le démantèlement d’ici 2020, Masuda estime que "c’est un très grand défi" et précise : "Honnêtement, je ne peux pas dire que c’est possible, mais je ne souhaite pas non plus dire que c’est impossible." En avril, Tepco a envoyé deux robots dans le réacteur accidenté n°1. Le premier est tombé en panne au bout de quelques heures, en ayant parcouru 10 mètres, soit les 2/3 de sa mission prévue. L’autre a tenu plus longtemps, et a dû également être abandonné à l’intérieur, une caméra essentielle endommagée. Les deux ont récolté des images de débris radioactifs.

Sources : Times of London, NHK World, Tepco, etc.

Les réfugiés nucléaires, quatre ans après

Entre réfugiés victimes du tsunami et réfugiés nucléaires suite à la triple catastrophe du Tohôku de mars 2011 (séisme, tsunami, série d’accidents nucléaires), le nombre de personnes ayant perdu leur logement s’élevait à 360 000 au moins, dont environ 160 000 évacués nucléaires. Les évacués volontaires, c’est-à-dire les personnes qui ont choisi de quitter les villes où l’ordre d’évacuer n’avait pas été donné en dépit de la contamination nucléaire et de taux de radioactivité dépassant la norme, ne sont pas prises en compte dans ce calcul. Le nombre d’évacués volontaires est difficile à évaluer, d’autant que les familles ont souvent explosé, des mères de famille inquiètes pour la santé de leurs enfants faisant le choix de divorcer ou de s’éloigner de leurs maris moins préoccupés par la situation ou obligés de rester pour le travail, pour aller vivre plus en sécurité (mais aussi dans la précarité) avec leur progéniture dans d’autres régions du Japon.

Quatre ans après la catastrophe, les chiffres officiels indiquent que 61 % des personnes déplacées sont toujours considérées comme des réfugiés : elles sont encore en attente d’un lieu de vie et d’un logement définitifs. Leur hébergement actuel se fait soit dans la famille, soit chez des amis, soit dans des appartements mis à disposition provisoirement par certaines municipalités, soit enfin dans des cités d’urgence préfabriquées construites à la hâte, les Kasetsu jûtaku, "habitations provisoires".

Sur les 160 000 évacués nucléaires, près de 119 000 se trouvent encore dans cette situation d’attente, dont 73 000 environ à l’intérieur du département de Fukushima et près de 46 000 dans d’autres régions. Divers types de compensations financières ont été mis en place. Grâce notamment aux dédommagements perçus pour la perte de leurs biens immobiliers, certains réfugiés ont réussi à refaire leur vie ailleurs, mais d’autres attendent encore ces versements. Monter un dossier de demande de dédommagements était fort complexe et beaucoup de réfugiés l’ont fait avec retard, un petit nombre y a d’ailleurs renoncé.

Porte-fenêtre d’entrée dans un des logements : les familles disposent de deux petites pièces, une minuscule cuisine, des toilettes et une petite salle de bains.

Après la catastrophe, la société TEPCO a indemnisé les 160 000 évacués nucléaires à raison de 100 000 yens (760 euros au cours actuel) par personne, enfants compris, payés en une fois pour 5 ans, soit 6 millions de yens (près de 46 000 euros). Les réfugiés du tsunami, eux, ont reçu très peu d’aides financières et ce traitement différent passe très mal au sein des populations touchées. Il convient de ne pas oublier que l’État a avancé des sommes considérables à la société TEPCO pour couvrir la majorité des frais.

Je suis allée à Iwaki, à 60 km de la centrale de Fukushima-1, en mars 2015 pour interviewer des réfugiés et visiter des cités d’urgence. Il y a encore 24000 réfugiés dans la ville. Mes informateurs étaient des réfugiés originaires de la petite ville d’Ôkuma, qui a le triste privilège d’héberger quatre réacteurs de la centrale accidentée et accueille depuis peu une partie des millions de tonnes de déblais radioactifs dont le département est envahi. À Iwaki, touchée par le tsunami, le prix des terrains en ville a quadruplé avec l’arrivée des réfugiés nucléaires. Mes informateurs m’ont raconté comment la jalousie et le malaise dus à la différence de traitement entre réfugiés peuvent se manifester : à l’école, leurs enfants ont été surnommés "les six millions", par allusion à la compensation financière dont ils ont bénéficié.

Ces deux femmes sont des réfugiées nucléaires d’Ôkuma, elles se connaissent depuis long- temps et habitent dans des baraquements voisins. Elles nous reçoivent dans la première pièce, tout petit espace à vivre. Au fond, on voit la deuxième pièce, qui sert de chambre à coucher. Il y a une cloison amovible entre les deux pièces. Les réfugiés qui restent sont essentiellement des personnes âgées. Les autres ont maintenant refait leur vie ailleurs. Il y a encore 24 000 réfugiés à Iwaki.

Les logements provisoires sont soit des baraquements de bois avec toits de tôle ondulée, soit des blocs métalliques évoquant des conteneurs. Les habitants sont là depuis un peu plus de trois ans, l’occupation des locaux, qui ne devait pas excéder deux ans, a été prolongée jusqu’en 2017 : la construction des logements définitifs traîne, faute de main d’œuvre, et le problème ne va pas s’arranger avec la préparation des Jeux Olympiques de 2020. Dans les baraquements - deux pièces minuscules, une petite cuisine de fortune et des sanitaires aux dimensions restreintes -, les réfugiés sont regroupés par ville ou quartier d’origine. Ils ne paient pas de loyer mais s’acquittent des charges.

Aujourd’hui, ce sont surtout les plus âgés qui occupent encore les baraquements, les familles avec enfants ayant rapidement tenté une nouvelle vie ailleurs. Ceux avec qui j’ai pu parler se contentent de rêves de réfugiés : espérer un logement définitif, peut-être un champ où pratiquer un peu de maraîchage et de riziculture "comme avant", survivre jusque là, accepter de ne plus revoir leurs maisons, leurs belles propriétés entre océan et forêts, vaincre l’insomnie et la dépression.

Ville d’Iwaki, un autre type de cité d’urgence : les logements de style "conteneurs". Chaque cité d’urgence, construite par des sociétés de BTP différentes, a son propre style.

Souvent, les mesures de la radioactivité que j’ai prises à proximité des logements provisoires dans diverses villes indiquent un taux trop élevé, mais plus personne ne semble s’en soucier et le gouvernement pousse les gens à revenir dans l’ex-"zone interdite", rebaptisée et découpée aujourd’hui en zone de "préparation à l’annulation de la directive d’évacuation", zone de "restriction de résidence" et zone de "retour difficile" [1]. La décontamination en cours, extrêmement lente et globalement inefficace, est un leurre mais les indemnisations cessent dès qu’un quartier est réputé "décontaminé" et la population appelée à retourner y vivre et à gérer elle-même son taux d’exposition à la radioactivité. Environ 15 % des habitants envisagent de revenir.

Tout est fait pour convaincre les réfugiés de rentrer et tirer un trait sur la tragédie. Développement du tourisme, personnalités et artistes invités, visites scolaires, idéalisation de la culture culinaire locale et de la beauté du lieu : aucun argument n’est épargné pour mettre en œuvre le "retour au pays" alors que les compteurs Geiger continuent de biper dangereusement et que sur le site de la centrale accidentée les problèmes succèdent aux problèmes et les facteurs de risques continuent de s’accumuler.

Janick Magne


Notes

[1Critères de définition des zones :

 Zone de préparation à l’annulation de la directive d’évacuation : moins de 20 millisieverts/an (20 fois la norme), séjour et travail autorisés le jour uniquement
 Zone de restriction de résidence : séjour autorisé le jour uniquement, 20 à 50 mSv/an
 Zone de retour difficile : zone fermée pour une durée indéterminée, plus de 50 mSv/an.

L’association "Enfants de Tchernobyl Belarus" a besoin de vous !

Fondé en 1990 par le physicien nucléaire Vassili Nesterenko, l’Institut Belrad est la seule organisation bélarusse à aider dans la longue durée les populations qui vivent dans les zones contaminées du Bélarus, pays de loin le plus affecté par les retombées de Tchernobyl. Depuis près de 25 ans, Belrad a directement aidé des centaines de milliers de personnes. Cet institut à l’action exceptionnelle dépend pour l’essentiel de ses financements des dons collectés et reversés par l’association française "Enfants de Tchernobyl Bélarus" (ETB).

Afin que Belrad conserve une capacité d’intervention correcte dans les zones contaminées par Tchernobyl, l’association ETB fait appel à la solidarité de chacun-e ! L’état de délabrement de la maison de l’Institut Belrad est conséquent, de nombreux travaux sont nécessaires (façade, plomberie, chauffage...). Les réparations plombent de plus en plus le faible budget de l’Institut Belrad. De plus, les trois mini- vans de Belrad, qui permettent aux spécialistes de l’Institut d’aller sur le terrain auprès des personnes contaminées, sont en mauvais état et il faudrait investir dans de nouveaux véhicules.

Le directeur de Belrad, Alexey Nesterenko, présente l’action de l’institut.

Comment les aider ?

  • Vous pouvez faire un don pour aider directement les enfants de Tchernobyl : https://enfants-tchernobyl-belarus.org/ doku.php ?id=adhesion_don
  • Commandez le livre-DVD "Tchernobyl Forever", dont tous les bénéfices sont reversés au profit de Belrad : https://enfants-tchernobyl-bela- rus.org/doku.php ?id=boutique-etb

Ce livre-DVD est articulé autour des photos du grand reporter Alain-Gilles Bastide et des docu- mentaires de Wladimir Tchertkoff. Prises dans la zone interdite autour de la centrale de Tchernobyl, les images de Bastide réussissent à nous faire "voir" et sentir l’invisible et l’impalpable, le terrible legs de la contamination radioactive. D’avance, merci à toutes et tous pour votre soutien. Plus d’information : enfants-tchernobyl-belarus.org

Les populations d’oiseaux durement touchées à Fukushima

Depuis trois ans, les chercheurs Timothy Mousseau et Anders Møller ont entrepris l’analyse des impacts de la radioactivité sur 57 espèces d’oiseaux dans les zones contaminées de Fukushima. Ils mènent un travail similaire dans les zones contaminées par Tchernobyl depuis une vingtaine d’années.

Cette hirondelle rustique de Tchernobyl souffre d’une tumeur de la face.

Ils viennent de démontrer que de nombreuses espèces souffrent d’une diminution importante de leur population, qui atteint un niveau dramatique pour plusieurs d’entre elles. Ainsi, l’hirondelle rustique est pour ainsi dire en voie de disparition dans les zones contaminées, et la réduction de population est proportionnelle au niveau de radiation mesuré par les chercheurs. Mousseau témoigne : "Nous savons qu’il y avait des centaines d’hirondelles dans une aire donnée avant le désastre, et à peine deux ans plus tard nous n’avons réussi à en trouver que quelques douzaines qui restaient. Les baisses de population ont réellement été extraordinaires." Pire, alors même que le niveau de fond des radia- tions baisse régulièrement à mesure que les radio- nucléides se désintègrent, les chercheurs ont constaté à l’inverse que les effets sur les oiseaux ne cessent de croître. Mousseau enfonce le clou : "Ce sont à la fois la biodiversité et l’abondance de chaque espèce qui subissent des effets dramatiques dans les zones présentant des hauts niveaux de radiation, même lorsque ces niveaux baissent." Source : phys.org

Cette hirondelle rustique de Tchernobyl présente une malformation du bec.

Démantèlement de Fukushima : "La technologie n’existe pas"

Selon Akira Ono, actuel directeur de la centrale de Fukushima, la technologie nécessaire pour démanteler les réacteurs accidentés n’existe pas, et il n’a aucune idée de la manière de la développer : "Il y a tant d’incertitudes. Nous devons développer beau- coup, beaucoup de technologies. Le démantèle- ment pourrait prendre 200 ans, mais je dirais que notre objectif est de 30 à 40 ans". Il concède que l’objectif d’avoir achevé le démantèlement en 2051 pourrait s’avérer impossible sans un énorme saut technologique.

En 2014, Tepco a signé un accord avec Sellafield pour bénéficier de l’expérience acquise dans le démantèlement (à peine entamé...) de ce vaste complexe nucléaire bri- tannique. Quand on connaît l’état calamiteux du site, les difficultés majeures et le coût prévisionnel du démantèlement, ça promet !

Naohiro Masuda, président de la filiale créée par Tepco pour s’occuper spécifiquement du démantèlement, affirme : "Nous n’avons aucune information à propos des débris. Nous ne connaissons ni leur forme ni leur résistance. Nous devons les retirer par moyens télécommandés à 30 mètres en contrebas, mais nous ne disposons pas de la technologie nécessaire, elle n’existe simplement pas." Pour que les débris puissent être retirés sans disperser les radiations, ils devront être manipulés tout en étant en permanence immergés. Or Masuda admet : "Nous ne savons toujours pas s’il est possible de remplir les réacteurs avec de l’eau. Nous avons découvert des fissures et des trous dans les trois cuves endommagées, mais nous ignorons si nous les avons tous trouvés." Interrogé sur la possibilité de commencer le démantèlement d’ici 2020, Masuda estime que "c’est un très grand défi" et précise : "Honnêtement, je ne peux pas dire que c’est possible, mais je ne souhaite pas non plus dire que c’est impossible." En avril, Tepco a envoyé deux robots dans le réacteur accidenté n°1. Le premier est tombé en panne au bout de quelques heures, en ayant parcouru 10 mètres, soit les 2/3 de sa mission prévue. L’autre a tenu plus longtemps, et a dû également être abandonné à l’intérieur, une caméra essentielle endommagée. Les deux ont récolté des images de débris radioactifs.

Sources : Times of London, NHK World, Tepco, etc.

Les réfugiés nucléaires, quatre ans après

Entre réfugiés victimes du tsunami et réfugiés nucléaires suite à la triple catastrophe du Tohôku de mars 2011 (séisme, tsunami, série d’accidents nucléaires), le nombre de personnes ayant perdu leur logement s’élevait à 360 000 au moins, dont environ 160 000 évacués nucléaires. Les évacués volontaires, c’est-à-dire les personnes qui ont choisi de quitter les villes où l’ordre d’évacuer n’avait pas été donné en dépit de la contamination nucléaire et de taux de radioactivité dépassant la norme, ne sont pas prises en compte dans ce calcul. Le nombre d’évacués volontaires est difficile à évaluer, d’autant que les familles ont souvent explosé, des mères de famille inquiètes pour la santé de leurs enfants faisant le choix de divorcer ou de s’éloigner de leurs maris moins préoccupés par la situation ou obligés de rester pour le travail, pour aller vivre plus en sécurité (mais aussi dans la précarité) avec leur progéniture dans d’autres régions du Japon.

Quatre ans après la catastrophe, les chiffres officiels indiquent que 61 % des personnes déplacées sont toujours considérées comme des réfugiés : elles sont encore en attente d’un lieu de vie et d’un logement définitifs. Leur hébergement actuel se fait soit dans la famille, soit chez des amis, soit dans des appartements mis à disposition provisoirement par certaines municipalités, soit enfin dans des cités d’urgence préfabriquées construites à la hâte, les Kasetsu jûtaku, "habitations provisoires".

Sur les 160 000 évacués nucléaires, près de 119 000 se trouvent encore dans cette situation d’attente, dont 73 000 environ à l’intérieur du département de Fukushima et près de 46 000 dans d’autres régions. Divers types de compensations financières ont été mis en place. Grâce notamment aux dédommagements perçus pour la perte de leurs biens immobiliers, certains réfugiés ont réussi à refaire leur vie ailleurs, mais d’autres attendent encore ces versements. Monter un dossier de demande de dédommagements était fort complexe et beaucoup de réfugiés l’ont fait avec retard, un petit nombre y a d’ailleurs renoncé.

Porte-fenêtre d’entrée dans un des logements : les familles disposent de deux petites pièces, une minuscule cuisine, des toilettes et une petite salle de bains.

Après la catastrophe, la société TEPCO a indemnisé les 160 000 évacués nucléaires à raison de 100 000 yens (760 euros au cours actuel) par personne, enfants compris, payés en une fois pour 5 ans, soit 6 millions de yens (près de 46 000 euros). Les réfugiés du tsunami, eux, ont reçu très peu d’aides financières et ce traitement différent passe très mal au sein des populations touchées. Il convient de ne pas oublier que l’État a avancé des sommes considérables à la société TEPCO pour couvrir la majorité des frais.

Je suis allée à Iwaki, à 60 km de la centrale de Fukushima-1, en mars 2015 pour interviewer des réfugiés et visiter des cités d’urgence. Il y a encore 24000 réfugiés dans la ville. Mes informateurs étaient des réfugiés originaires de la petite ville d’Ôkuma, qui a le triste privilège d’héberger quatre réacteurs de la centrale accidentée et accueille depuis peu une partie des millions de tonnes de déblais radioactifs dont le département est envahi. À Iwaki, touchée par le tsunami, le prix des terrains en ville a quadruplé avec l’arrivée des réfugiés nucléaires. Mes informateurs m’ont raconté comment la jalousie et le malaise dus à la différence de traitement entre réfugiés peuvent se manifester : à l’école, leurs enfants ont été surnommés "les six millions", par allusion à la compensation financière dont ils ont bénéficié.

Ces deux femmes sont des réfugiées nucléaires d’Ôkuma, elles se connaissent depuis long- temps et habitent dans des baraquements voisins. Elles nous reçoivent dans la première pièce, tout petit espace à vivre. Au fond, on voit la deuxième pièce, qui sert de chambre à coucher. Il y a une cloison amovible entre les deux pièces. Les réfugiés qui restent sont essentiellement des personnes âgées. Les autres ont maintenant refait leur vie ailleurs. Il y a encore 24 000 réfugiés à Iwaki.

Les logements provisoires sont soit des baraquements de bois avec toits de tôle ondulée, soit des blocs métalliques évoquant des conteneurs. Les habitants sont là depuis un peu plus de trois ans, l’occupation des locaux, qui ne devait pas excéder deux ans, a été prolongée jusqu’en 2017 : la construction des logements définitifs traîne, faute de main d’œuvre, et le problème ne va pas s’arranger avec la préparation des Jeux Olympiques de 2020. Dans les baraquements - deux pièces minuscules, une petite cuisine de fortune et des sanitaires aux dimensions restreintes -, les réfugiés sont regroupés par ville ou quartier d’origine. Ils ne paient pas de loyer mais s’acquittent des charges.

Aujourd’hui, ce sont surtout les plus âgés qui occupent encore les baraquements, les familles avec enfants ayant rapidement tenté une nouvelle vie ailleurs. Ceux avec qui j’ai pu parler se contentent de rêves de réfugiés : espérer un logement définitif, peut-être un champ où pratiquer un peu de maraîchage et de riziculture "comme avant", survivre jusque là, accepter de ne plus revoir leurs maisons, leurs belles propriétés entre océan et forêts, vaincre l’insomnie et la dépression.

Ville d’Iwaki, un autre type de cité d’urgence : les logements de style "conteneurs". Chaque cité d’urgence, construite par des sociétés de BTP différentes, a son propre style.

Souvent, les mesures de la radioactivité que j’ai prises à proximité des logements provisoires dans diverses villes indiquent un taux trop élevé, mais plus personne ne semble s’en soucier et le gouvernement pousse les gens à revenir dans l’ex-"zone interdite", rebaptisée et découpée aujourd’hui en zone de "préparation à l’annulation de la directive d’évacuation", zone de "restriction de résidence" et zone de "retour difficile" [1]. La décontamination en cours, extrêmement lente et globalement inefficace, est un leurre mais les indemnisations cessent dès qu’un quartier est réputé "décontaminé" et la population appelée à retourner y vivre et à gérer elle-même son taux d’exposition à la radioactivité. Environ 15 % des habitants envisagent de revenir.

Tout est fait pour convaincre les réfugiés de rentrer et tirer un trait sur la tragédie. Développement du tourisme, personnalités et artistes invités, visites scolaires, idéalisation de la culture culinaire locale et de la beauté du lieu : aucun argument n’est épargné pour mettre en œuvre le "retour au pays" alors que les compteurs Geiger continuent de biper dangereusement et que sur le site de la centrale accidentée les problèmes succèdent aux problèmes et les facteurs de risques continuent de s’accumuler.

Janick Magne



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