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Sortir du nucléaire n°66



Août 2015

Nucléaire vs Climat

Sécheresse et canicule : le nucléaire fait souffrir les cours d’eau

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°66 - Août 2015

 Risques et accidents  Nucléaire et climat  Le nucléaire et l’eau  Etat du parc nucléaire français


La canicule est présente depuis juillet et la sécheresse menace dans certains départements. Ces épisodes climatiques extrêmes, susceptibles de se multiplier dans les années à venir, rendent les centrales nucléaires plus polluantes encore pour les cours d’eau. Mais pour EDF, les intérêts financiers priment sur la santé des écosystèmes aquatiques !



Des centrales nucléaires gourmandes en eau

Une centrale nucléaire a besoin d’eau en permanence pour évacuer la chaleur produite par la réaction nucléaire, et ce même même à l’arrêt. En bord de mer ou sur les cours d’eau à fort débit, les centrales fonctionnent en circuit "ouvert" : chaque réacteur prélève près de 50 m3 par seconde pour ses besoins en refroidissement. L’eau est ensuite rejetée à une température plus élevée. C’est le cas, par exemple, à Fessenheim. Sur les cours d’eau où le débit est plus faible, elles fonctionnent en circuit dit "fermé" : pour chaque réacteur, près de 2 à 3 m3 sont pompés par seconde dans les cours d’eau, dont une partie est ensuite évaporée dans les tours de refroidissement, formant un panache blanc caractéristique ; le reste est ensuite rejeté. D’une manière générale, dans toute centrale nucléaire, les deux tiers de l’énergie produite sont perdus sous forme de chaleur, qui sera elle-même évacuée sous forme de vapeur d’eau (qui est un gaz à effet de serre) et/ou viendra réchauffer les cours d’eau : pour exemple, un réacteur d’une puissance électrique de 800 MW (comme ceux de Fessenheim) doit évacuer en permanence 2400 à 2500 MW thermiques.

Des dérogations sur mesure pour les étés chauds

Le fonctionnement des centrales en été exige donc un débit suffisant — sans compter que si l’eau des fleuves et rivières est déjà chaude, il faudra en pomper une quantité plus importante encore pour refroidir suffisamment les réacteurs. D’où certains arrangements pour conserver suffisamment d’eau dans les fleuves... En cas de sécheresse, on préfèrera vider le lac de Vassivière (Limousin) pour que la Vienne continue à refroidir la centrale de Civaux. Cette question peut même prendre une dimension internationale : en avril dernier, François Hollande a entrepris des démarches auprès de la Suisse pour qu’en cas de sécheresse, les débits d’eau à la sortie du Lac Léman restent suffisants pour faire fonctionner les 14 réacteurs français implantés au bord du Rhône [1] !

Surtout, les rejets d’eau chaude ne sont pas sans impacts sur les milieux aquatiques. On estime que la température du Rhin a augmenté de près de 3°C à cause de la centrale de Fessenheim. Or ces rejets thermiques agissent comme une barrière qui réduit considérablement les chances de survie des poissons grands migrateurs, comme les saumons et truites des mers. En période de fortes chaleurs, avec des fleuves au débit réduit et à la température en hausse, ces impacts sont d’autant plus importants.

Or pour continuer à produire coûte que coûte, EDF n’a jamais cessé d’intervenir pour modifier la législation ou obtenir des dérogations : il faut bien faire tourner les climatiseurs... et surtout, tout arrêt de réacteur représente un manque à gagner d’un million d’euros par jour pour l’électricien ! Pendant la canicule de 2003, un grand nombre de centrales ont bénéficié de dérogations... puis à nouveau d’un assouplissement de ces mesures. Dans les années qui ont suivi, les centrales françaises ont progressivement bénéficié de mesures encore plus permissives : on ne prendra plus comme limite une température absolue à ne pas dépasser en aval de la centrale, mais une température moyenne sur 24h et un écart de température entre amont et aval à ne pas dépasser. Et si, en cas de "canicule extrême et nécessité publique", les limitations habituelles ne peuvent être respectées, un décret de 2007 autorise à modifier encore les conditions de rejets thermiques ! Les poissons apprécieront...

Une pollution chimique et radioactive accrue en cas de sécheresse

En temps normal, les installations nucléaires sont autorisées à rejeter dans l’environnement, et en particulier dans l’eau d’importantes quantités de substances radioactives (tritium) et surtout chimiques : bore, hydrazine, phosphate, détergents, chlore, ammonium, nitrates, sulfates, sodium, métaux (zinc, cuivre...) [2]. La chaleur favorisant la prolifération des amibes, EDF a tendance à utiliser encore plus de produits chimiques en été, notamment pour lutter contre le risque que les tours de refroidissement se transforment en foyers de légionellose. Or en cas de sécheresse, la réduction du débit des cours d’eau fait proportionnellement augmenter la concentration de ces substances polluantes : une pression dont les milieux aquatiques se passeraient bien... En 2012, des militants ont mis en évidence cette faible dispersion en versant dans la Garonne en étiage bas un colorant (sans effet sur l’environnement) qui, faute d’un courant suffisant, se diluait à peine.

De plus, l’impact de ces rejets augmente lorsque plusieurs centrales sont implantées le long d’un même cours d’eau. Le Rhône et la Loire refroidissent ainsi respectivement 14 et 12 réacteurs. Selon des études menées par EDF, si plusieurs sites procédaient simultanément à des rejets chimiques en période d’étiage sévère de la Loire, l’impact cumulé de ces rejets serait désastreux pour l’environnement. Et bien que la législation impose que les installations situées sur le même bassin versant se concertent entre elles, ce n’est que rarement le cas : en 2014, les agents de la centrale nucléaire de Belleville (Cher) étaient incapables de dire si et comment EDF mettait en œuvre cette concertation au niveau local et national !

Certes, en-dessous d’un débit particulièrement bas, il est interdit d’effectuer des rejets chimiques dans les cours d’eau. EDF stocke alors ces effluents dans de grands réservoirs ("bâches") en attendant que des conditions plus propices permettent de les rejeter. Mais ces stockages, qui permettent de tenir quelques semaines, sont précaires et EDF ne peut étendre leur volume indéfiniment. Bien que la situation ne se soit encore jamais présentée jusqu’ici, EDF pourrait être contrainte d’arrêter les centrales si une sécheresse perdure alors que ces réservoirs sont pleins. Dans tous les cas, les effluents provisoirement retenus font ensuite l’objet d’un relargage massif dans les rivières ou les fleuves plus tard dans l’année. Or un grand nombre de communes prélèvent leur eau potable dans les cours d’eau, à l’instar de la ville d’Agen (Lot-et- Garonne), à seulement 20 km en aval de la centrale nucléaire de Golfech, et bien des agriculteurs utilisent cette eau polluée pour arroser leurs cultures.

Des nuisances croissantes avec le réchauffement du climat

Le changement climatique en cours, qui promet la multiplication des épisodes extrêmes (notamment sécheresses et canicules), risque d’aggraver la pression sur les cours d’eau. Plutôt que d’accumuler dérogation sur dérogation au mépris des écosystèmes aquatiques, EDF ferait mieux de se rendre à l’évidence : à terme, bon nombre de centrales ne pourront plus produire d’électricité. Des études prédisent une baisse de débit d’étiage des fleuves de 20 à 40 % d’ici à 2050 [3], mais il ne sera sans doute pas nécessaire d’attendre cette date ; dès 1995, les commissaires-enquêteurs en charge de l’enquête publique pour la centrale de Civaux avaient émis un avis défavorable, estimant que les rejets prévus n’étaient pas compatibles avec le débit de la Vienne.

À supposer qu’EDF pourrait à l’avenir construire de nouveaux réacteurs, les implanter en bord de mer ne résoudrait ce problème d’étiage en baisse que pour buter sur un autre : certaines centrales côtières risquent d’être menacées par l’inévitable montée des eaux liée au changement climatique déjà en cours, comme Gravelines (construite sur un polder) ou le Blayais (déjà inondée lors de la tempête de 1999).

Loin de constituer un atout dans la lutte contre le changement climatique, dans un monde qui se réchauffe, le nucléaire constitue un risque supplémentaire dont il est urgent de se débarrasser !

Charlotte Mijeon

Quand il fait chaud, on arrose Fessenheim !

Fin juillet 2003, pendant la canicule, on frôle les 49°C à l’intérieur de la centrale de Fessenheim. Or, pour des raisons de sécurité, la température ne doit pas dépasser 50°C dans le bâtiment abritant le réacteur, pour ne pas fragiliser certains équipements. Plutôt que d’arrêter la centrale, EDF décide “à titre expérimental” de brumiser le toit pendant 4 jours, prélevant plus de 200 000 litres d’eau dans la nappe phréatique en pleine période de restriction de la consommation d’eau !


Notes

[3Lire l’article de Sciences et Avenir de juillet 2015, "Fleuves à sec, centrales assoiffées".

Des centrales nucléaires gourmandes en eau

Une centrale nucléaire a besoin d’eau en permanence pour évacuer la chaleur produite par la réaction nucléaire, et ce même même à l’arrêt. En bord de mer ou sur les cours d’eau à fort débit, les centrales fonctionnent en circuit "ouvert" : chaque réacteur prélève près de 50 m3 par seconde pour ses besoins en refroidissement. L’eau est ensuite rejetée à une température plus élevée. C’est le cas, par exemple, à Fessenheim. Sur les cours d’eau où le débit est plus faible, elles fonctionnent en circuit dit "fermé" : pour chaque réacteur, près de 2 à 3 m3 sont pompés par seconde dans les cours d’eau, dont une partie est ensuite évaporée dans les tours de refroidissement, formant un panache blanc caractéristique ; le reste est ensuite rejeté. D’une manière générale, dans toute centrale nucléaire, les deux tiers de l’énergie produite sont perdus sous forme de chaleur, qui sera elle-même évacuée sous forme de vapeur d’eau (qui est un gaz à effet de serre) et/ou viendra réchauffer les cours d’eau : pour exemple, un réacteur d’une puissance électrique de 800 MW (comme ceux de Fessenheim) doit évacuer en permanence 2400 à 2500 MW thermiques.

Des dérogations sur mesure pour les étés chauds

Le fonctionnement des centrales en été exige donc un débit suffisant — sans compter que si l’eau des fleuves et rivières est déjà chaude, il faudra en pomper une quantité plus importante encore pour refroidir suffisamment les réacteurs. D’où certains arrangements pour conserver suffisamment d’eau dans les fleuves... En cas de sécheresse, on préfèrera vider le lac de Vassivière (Limousin) pour que la Vienne continue à refroidir la centrale de Civaux. Cette question peut même prendre une dimension internationale : en avril dernier, François Hollande a entrepris des démarches auprès de la Suisse pour qu’en cas de sécheresse, les débits d’eau à la sortie du Lac Léman restent suffisants pour faire fonctionner les 14 réacteurs français implantés au bord du Rhône [1] !

Surtout, les rejets d’eau chaude ne sont pas sans impacts sur les milieux aquatiques. On estime que la température du Rhin a augmenté de près de 3°C à cause de la centrale de Fessenheim. Or ces rejets thermiques agissent comme une barrière qui réduit considérablement les chances de survie des poissons grands migrateurs, comme les saumons et truites des mers. En période de fortes chaleurs, avec des fleuves au débit réduit et à la température en hausse, ces impacts sont d’autant plus importants.

Or pour continuer à produire coûte que coûte, EDF n’a jamais cessé d’intervenir pour modifier la législation ou obtenir des dérogations : il faut bien faire tourner les climatiseurs... et surtout, tout arrêt de réacteur représente un manque à gagner d’un million d’euros par jour pour l’électricien ! Pendant la canicule de 2003, un grand nombre de centrales ont bénéficié de dérogations... puis à nouveau d’un assouplissement de ces mesures. Dans les années qui ont suivi, les centrales françaises ont progressivement bénéficié de mesures encore plus permissives : on ne prendra plus comme limite une température absolue à ne pas dépasser en aval de la centrale, mais une température moyenne sur 24h et un écart de température entre amont et aval à ne pas dépasser. Et si, en cas de "canicule extrême et nécessité publique", les limitations habituelles ne peuvent être respectées, un décret de 2007 autorise à modifier encore les conditions de rejets thermiques ! Les poissons apprécieront...

Une pollution chimique et radioactive accrue en cas de sécheresse

En temps normal, les installations nucléaires sont autorisées à rejeter dans l’environnement, et en particulier dans l’eau d’importantes quantités de substances radioactives (tritium) et surtout chimiques : bore, hydrazine, phosphate, détergents, chlore, ammonium, nitrates, sulfates, sodium, métaux (zinc, cuivre...) [2]. La chaleur favorisant la prolifération des amibes, EDF a tendance à utiliser encore plus de produits chimiques en été, notamment pour lutter contre le risque que les tours de refroidissement se transforment en foyers de légionellose. Or en cas de sécheresse, la réduction du débit des cours d’eau fait proportionnellement augmenter la concentration de ces substances polluantes : une pression dont les milieux aquatiques se passeraient bien... En 2012, des militants ont mis en évidence cette faible dispersion en versant dans la Garonne en étiage bas un colorant (sans effet sur l’environnement) qui, faute d’un courant suffisant, se diluait à peine.

De plus, l’impact de ces rejets augmente lorsque plusieurs centrales sont implantées le long d’un même cours d’eau. Le Rhône et la Loire refroidissent ainsi respectivement 14 et 12 réacteurs. Selon des études menées par EDF, si plusieurs sites procédaient simultanément à des rejets chimiques en période d’étiage sévère de la Loire, l’impact cumulé de ces rejets serait désastreux pour l’environnement. Et bien que la législation impose que les installations situées sur le même bassin versant se concertent entre elles, ce n’est que rarement le cas : en 2014, les agents de la centrale nucléaire de Belleville (Cher) étaient incapables de dire si et comment EDF mettait en œuvre cette concertation au niveau local et national !

Certes, en-dessous d’un débit particulièrement bas, il est interdit d’effectuer des rejets chimiques dans les cours d’eau. EDF stocke alors ces effluents dans de grands réservoirs ("bâches") en attendant que des conditions plus propices permettent de les rejeter. Mais ces stockages, qui permettent de tenir quelques semaines, sont précaires et EDF ne peut étendre leur volume indéfiniment. Bien que la situation ne se soit encore jamais présentée jusqu’ici, EDF pourrait être contrainte d’arrêter les centrales si une sécheresse perdure alors que ces réservoirs sont pleins. Dans tous les cas, les effluents provisoirement retenus font ensuite l’objet d’un relargage massif dans les rivières ou les fleuves plus tard dans l’année. Or un grand nombre de communes prélèvent leur eau potable dans les cours d’eau, à l’instar de la ville d’Agen (Lot-et- Garonne), à seulement 20 km en aval de la centrale nucléaire de Golfech, et bien des agriculteurs utilisent cette eau polluée pour arroser leurs cultures.

Des nuisances croissantes avec le réchauffement du climat

Le changement climatique en cours, qui promet la multiplication des épisodes extrêmes (notamment sécheresses et canicules), risque d’aggraver la pression sur les cours d’eau. Plutôt que d’accumuler dérogation sur dérogation au mépris des écosystèmes aquatiques, EDF ferait mieux de se rendre à l’évidence : à terme, bon nombre de centrales ne pourront plus produire d’électricité. Des études prédisent une baisse de débit d’étiage des fleuves de 20 à 40 % d’ici à 2050 [3], mais il ne sera sans doute pas nécessaire d’attendre cette date ; dès 1995, les commissaires-enquêteurs en charge de l’enquête publique pour la centrale de Civaux avaient émis un avis défavorable, estimant que les rejets prévus n’étaient pas compatibles avec le débit de la Vienne.

À supposer qu’EDF pourrait à l’avenir construire de nouveaux réacteurs, les implanter en bord de mer ne résoudrait ce problème d’étiage en baisse que pour buter sur un autre : certaines centrales côtières risquent d’être menacées par l’inévitable montée des eaux liée au changement climatique déjà en cours, comme Gravelines (construite sur un polder) ou le Blayais (déjà inondée lors de la tempête de 1999).

Loin de constituer un atout dans la lutte contre le changement climatique, dans un monde qui se réchauffe, le nucléaire constitue un risque supplémentaire dont il est urgent de se débarrasser !

Charlotte Mijeon

Quand il fait chaud, on arrose Fessenheim !

Fin juillet 2003, pendant la canicule, on frôle les 49°C à l’intérieur de la centrale de Fessenheim. Or, pour des raisons de sécurité, la température ne doit pas dépasser 50°C dans le bâtiment abritant le réacteur, pour ne pas fragiliser certains équipements. Plutôt que d’arrêter la centrale, EDF décide “à titre expérimental” de brumiser le toit pendant 4 jours, prélevant plus de 200 000 litres d’eau dans la nappe phréatique en pleine période de restriction de la consommation d’eau !



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