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Sortir du nucléaire n°59



Novembre 2013

Insécurité nucléaire

Parc nucléaire français : l’insécurité augmente

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°59 - Novembre 2013

 Risque nucléaire


Incendies, dégagements de fumée, fuites, contaminations… Les centrales françaises cumulent les incidents. Médiatisés ou passés sous silence, ils témoignent d’une dégradation inquiétante de la sûreté. À quoi ces problèmes sont-ils dus, et faut-il s’attendre à une aggravation dans les années qui viennent ?



 

Petite analyse des incidents

Incendie sur un alternateur au Bugey (Ain), fuite d’acide chlorhydrique à Cattenom (Moselle), contamination de six travailleurs à Civaux (Vienne)… ces derniers mois, les incidents spectaculaires se succèdent sur l’ensemble du parc nucléaire [1] .

Des phénomènes deviennent récurrents : équipements électriques qui chauffent et s’enflamment [2], indisponibilité de dispositifs entraînant des complications diverses, fuites radioactives ou de substances polluantes, problèmes sur les pompes et vannes des circuits de refroidissement… "Les incendies et les fuites sont particulièrement préoccupants", note Monique Sené, experte indépendante et fondatrice du Groupe des Scientifiques pour l’Information sur l’Énergie Nucléaire ; "mais les autres incidents ne sont pas anodins pour autant. Ils constituent les symptômes de dysfonctionnements inquiétants".

"Sans conséquences", ces incidents, comme le répète rituellement EDF ? Pourtant, ils aboutissent souvent à fragiliser les installations, sans compter les impacts sanitaires sur les travailleurs. Par ailleurs, combinés avec d’autres dysfonctionnements, ils peuvent conduire à de sérieuses complications. Une fuite radioactive au moment où le détecteur ne marche pas, une panne électrique qui survient alors que l’alimentation de secours fait défaut… Pas besoin de séisme ou de tsunami pour déclencher un problème sérieux ! Depuis quelques années, le nombre des incidents s’accroît. Pour quelles raisons ?

 

DR

Premier accusé : vieillissement et obsolescence

Une vingtaine de réacteurs ont dépassé trente ans de fonctionnement et atteignent leurs limites physiques : fissures sur les cuves de réacteurs, composants électroniques et câbles qui s’usent... Autant d’équipements à vérifier, entretenir, remplacer… quand cela est faisable !

En effet, il n’est pas toujours possible de tout passer en revue (comment inspecter des kilomètres de câbles, surtout quand certains sont enterrés ou peu accessibles ?), ni de tout remplacer (impossible pour une cuve de réacteur). Et plus un équipement est ancien et irradié, plus la maintenance sera complexe. Autre problème : certaines pièces conçues dans les années 1970 ne sont plus disponibles et aucun fournisseur ne peut les refaire à l’identique. Il arrive qu’une pièce de remplacement s’avère inadaptée ou de piètre qualité. C’est ainsi que plusieurs "départs de feu" sont dus à la surchauffe anormale de composants de remplacement, notamment sur les transformateurs. Problème : ces anomalies ne sont pas toujours immédiatement détectées. Que dire alors des problèmes qui pourraient survenir si, comme le souhaite EDF, les réacteurs étaient prolongés jusqu’à 40, voire 60 ans ?

 

© snowbeard

Facteur humain

Mais l’obsolescence des installations n’est pas la seule responsable. "Les problèmes organisationnels et systémiques sont récurrents", souligne Monique Sené, "parfois, les travailleurs sont conduits à l’erreur par des procédures inadaptées". Par ailleurs, il ne suffit pas de détecter un incident : il faut aussi pouvoir faire circuler et remonter l’information, l’analyser et qu’un "retour d’expérience" soit effectué. Or cette circulation n’a pas toujours lieu, d’autant qu’une logique culpabilisante dissuade les travailleurs de signaler des dysfonctionnements. Ce problème de transmission pourrait encore s’accroître : "Jusqu’ici, il y a encore des équipes bien formées qui connaissent bien les centrales. Mais que va-t-il advenir quand ces travailleurs qualifiés ne seront plus là ?" s’interroge Monique Sené. D’ici 2017, la moitié des effectifs nucléaires d’EDF partiront en retraite et la transmission des connaissances et compétences se fait mal. Une fois partis les vieux opérateurs, qui disposent d’une connaissance fine des installations, qui pourra encadrer les travailleurs plus jeunes ?

© Yushi Saito

 

La course à la rentabilité, aux détriments de la sûreté

Ces problèmes organisationnels sont renforcés par la logique de rentabilité à tout prix adoptée par l’industrie nucléaire. Pour dépenser moins, les exploitants économisent sur les équipements [3] et sur le personnel : moins de travailleurs pour superviser les opérations, cession de certaines activités et surtout recours massif à la sous-traitance. "Le volume de maintenance sous-traité passe en 5 ans de 20 % à 80 %", note la sociologue Annie Thébaud-Mony. Si certains prestataires disposent d’une grande expérience, EDF se tourne de plus en plus vers le moins-disant et des travailleurs peu qualifiés, notamment pour les tâches les plus pénibles et les plus dangereuses.

La logique de sous-traitance implique également une sectorisation accrue des tâches, qui fait disparaître la vision d’ensemble et génère de nouveaux problèmes de transmission et de circulation des informations. Des problèmes aggravés, depuis quelques années, par le recours à des prestataires étrangers pour la maintenance ou la construction (comme sur le chantier de l’EPR, où se côtoient plus de 25 nationalités). Comment s’assurer que les consignes sont bien traduites et comprises par tous ?

EDF, si prompt à mettre en avant les emplois de la filière nucléaire, se montre peu soucieux du sort des travailleurs les plus précaires. Un jour d’arrêt de réacteur coûtant près d’un million d’euros, l’exploitant rogne de toute part pour gagner du temps. Alors qu’un arrêt pour maintenance durait autrefois deux mois, les mêmes opérations doivent être réalisées en un mois, voire moins. Des étapes et réunions préparatoires passent à la trappe. Cadences infernales, nomadisme, flexibilité imposée (un prestataire ne peut plus poser que deux week-ends non travaillés par an !), disparition du caractère obligatoire de la visite médicale avant intervention… les conditions de travail des sous-traitants deviennent de plus en plus inhumaines. Comment garantir la sûreté des installations – et des prestataires eux-mêmes - si les opérations sont effectuées par des travailleurs en état de stress permanent ?

DR

 

De nouvelles normes de sûreté… sans moyens supplémentaires

Ces problèmes n’empêchent pas EDF de multiplier les déclarations sur la sûreté… sans pour autant dégager les moyens correspondants. Les nouvelles normes post-Fukushima illustrent bien cette schizophrénie. Une bonne partie des mesures prescrites ne pourra être mise en œuvre - comme les nouvelles normes sismiques qui nécessiteraient de reconstruire presque toutes les piscines de combustible. D’autres sont introduites sans prévoir plus de temps ou de personnel pour vérifier leur mise en application. Des tracts syndicaux dénoncent la juxtaposition absurde de nouvelles mesures, accompagnée d’injonctions à faire toujours plus et d’un discours culpabilisant qui rejette les responsabilités sur les prestataires.

Cette situation pourrait empirer avec le "grand carénage", programme de travaux prévus sur toutes les centrales d’ici 2022 afin d’étendre leur durée d’exploitation à 60 ans. Ces travaux nécessiteront plus de personnel - qui le formera et l’encadrera ? - , des opérations périlleuses dans des zones fortement irradiées, le tout dans un laps de temps réduit. Dans ces conditions, on peut légitimement craindre un recours accru au dumping social et des conséquences sévères à la fois pour la sûreté des installations et celles des personnes. Certains travailleurs parlent déjà de "grand carnage"…

Un rafistolage humainement coûteux ne permettra jamais de garantir la sûreté. Une seule solution : programmer l’arrêt rapide des réacteurs !

 

Charlotte Mijeon

© Laurent Vanhelle

Notes

[1Le Réseau "Sortir du nucléaire" effectue un suivi régulier des incidents survenus dans les installations nucléaires françaises : https://www.sortirdunucleaire.org/Nucleaire-des-accidents-partout

[2L’Autorité de Sûreté Nucléaire liste une centaine de départs de feu dans les centrales en 2011.

[3EDF a ainsi acheté de l’acier à bas prix en Russie pour construire certaines pièces du réacteur EPR : https://www.sortirdunucleaire.org/EPR-chantier-calamiteux

 

Petite analyse des incidents

Incendie sur un alternateur au Bugey (Ain), fuite d’acide chlorhydrique à Cattenom (Moselle), contamination de six travailleurs à Civaux (Vienne)… ces derniers mois, les incidents spectaculaires se succèdent sur l’ensemble du parc nucléaire [1] .

Des phénomènes deviennent récurrents : équipements électriques qui chauffent et s’enflamment [2], indisponibilité de dispositifs entraînant des complications diverses, fuites radioactives ou de substances polluantes, problèmes sur les pompes et vannes des circuits de refroidissement… "Les incendies et les fuites sont particulièrement préoccupants", note Monique Sené, experte indépendante et fondatrice du Groupe des Scientifiques pour l’Information sur l’Énergie Nucléaire ; "mais les autres incidents ne sont pas anodins pour autant. Ils constituent les symptômes de dysfonctionnements inquiétants".

"Sans conséquences", ces incidents, comme le répète rituellement EDF ? Pourtant, ils aboutissent souvent à fragiliser les installations, sans compter les impacts sanitaires sur les travailleurs. Par ailleurs, combinés avec d’autres dysfonctionnements, ils peuvent conduire à de sérieuses complications. Une fuite radioactive au moment où le détecteur ne marche pas, une panne électrique qui survient alors que l’alimentation de secours fait défaut… Pas besoin de séisme ou de tsunami pour déclencher un problème sérieux ! Depuis quelques années, le nombre des incidents s’accroît. Pour quelles raisons ?

 

DR

Premier accusé : vieillissement et obsolescence

Une vingtaine de réacteurs ont dépassé trente ans de fonctionnement et atteignent leurs limites physiques : fissures sur les cuves de réacteurs, composants électroniques et câbles qui s’usent... Autant d’équipements à vérifier, entretenir, remplacer… quand cela est faisable !

En effet, il n’est pas toujours possible de tout passer en revue (comment inspecter des kilomètres de câbles, surtout quand certains sont enterrés ou peu accessibles ?), ni de tout remplacer (impossible pour une cuve de réacteur). Et plus un équipement est ancien et irradié, plus la maintenance sera complexe. Autre problème : certaines pièces conçues dans les années 1970 ne sont plus disponibles et aucun fournisseur ne peut les refaire à l’identique. Il arrive qu’une pièce de remplacement s’avère inadaptée ou de piètre qualité. C’est ainsi que plusieurs "départs de feu" sont dus à la surchauffe anormale de composants de remplacement, notamment sur les transformateurs. Problème : ces anomalies ne sont pas toujours immédiatement détectées. Que dire alors des problèmes qui pourraient survenir si, comme le souhaite EDF, les réacteurs étaient prolongés jusqu’à 40, voire 60 ans ?

 

© snowbeard

Facteur humain

Mais l’obsolescence des installations n’est pas la seule responsable. "Les problèmes organisationnels et systémiques sont récurrents", souligne Monique Sené, "parfois, les travailleurs sont conduits à l’erreur par des procédures inadaptées". Par ailleurs, il ne suffit pas de détecter un incident : il faut aussi pouvoir faire circuler et remonter l’information, l’analyser et qu’un "retour d’expérience" soit effectué. Or cette circulation n’a pas toujours lieu, d’autant qu’une logique culpabilisante dissuade les travailleurs de signaler des dysfonctionnements. Ce problème de transmission pourrait encore s’accroître : "Jusqu’ici, il y a encore des équipes bien formées qui connaissent bien les centrales. Mais que va-t-il advenir quand ces travailleurs qualifiés ne seront plus là ?" s’interroge Monique Sené. D’ici 2017, la moitié des effectifs nucléaires d’EDF partiront en retraite et la transmission des connaissances et compétences se fait mal. Une fois partis les vieux opérateurs, qui disposent d’une connaissance fine des installations, qui pourra encadrer les travailleurs plus jeunes ?

© Yushi Saito

 

La course à la rentabilité, aux détriments de la sûreté

Ces problèmes organisationnels sont renforcés par la logique de rentabilité à tout prix adoptée par l’industrie nucléaire. Pour dépenser moins, les exploitants économisent sur les équipements [3] et sur le personnel : moins de travailleurs pour superviser les opérations, cession de certaines activités et surtout recours massif à la sous-traitance. "Le volume de maintenance sous-traité passe en 5 ans de 20 % à 80 %", note la sociologue Annie Thébaud-Mony. Si certains prestataires disposent d’une grande expérience, EDF se tourne de plus en plus vers le moins-disant et des travailleurs peu qualifiés, notamment pour les tâches les plus pénibles et les plus dangereuses.

La logique de sous-traitance implique également une sectorisation accrue des tâches, qui fait disparaître la vision d’ensemble et génère de nouveaux problèmes de transmission et de circulation des informations. Des problèmes aggravés, depuis quelques années, par le recours à des prestataires étrangers pour la maintenance ou la construction (comme sur le chantier de l’EPR, où se côtoient plus de 25 nationalités). Comment s’assurer que les consignes sont bien traduites et comprises par tous ?

EDF, si prompt à mettre en avant les emplois de la filière nucléaire, se montre peu soucieux du sort des travailleurs les plus précaires. Un jour d’arrêt de réacteur coûtant près d’un million d’euros, l’exploitant rogne de toute part pour gagner du temps. Alors qu’un arrêt pour maintenance durait autrefois deux mois, les mêmes opérations doivent être réalisées en un mois, voire moins. Des étapes et réunions préparatoires passent à la trappe. Cadences infernales, nomadisme, flexibilité imposée (un prestataire ne peut plus poser que deux week-ends non travaillés par an !), disparition du caractère obligatoire de la visite médicale avant intervention… les conditions de travail des sous-traitants deviennent de plus en plus inhumaines. Comment garantir la sûreté des installations – et des prestataires eux-mêmes - si les opérations sont effectuées par des travailleurs en état de stress permanent ?

DR

 

De nouvelles normes de sûreté… sans moyens supplémentaires

Ces problèmes n’empêchent pas EDF de multiplier les déclarations sur la sûreté… sans pour autant dégager les moyens correspondants. Les nouvelles normes post-Fukushima illustrent bien cette schizophrénie. Une bonne partie des mesures prescrites ne pourra être mise en œuvre - comme les nouvelles normes sismiques qui nécessiteraient de reconstruire presque toutes les piscines de combustible. D’autres sont introduites sans prévoir plus de temps ou de personnel pour vérifier leur mise en application. Des tracts syndicaux dénoncent la juxtaposition absurde de nouvelles mesures, accompagnée d’injonctions à faire toujours plus et d’un discours culpabilisant qui rejette les responsabilités sur les prestataires.

Cette situation pourrait empirer avec le "grand carénage", programme de travaux prévus sur toutes les centrales d’ici 2022 afin d’étendre leur durée d’exploitation à 60 ans. Ces travaux nécessiteront plus de personnel - qui le formera et l’encadrera ? - , des opérations périlleuses dans des zones fortement irradiées, le tout dans un laps de temps réduit. Dans ces conditions, on peut légitimement craindre un recours accru au dumping social et des conséquences sévères à la fois pour la sûreté des installations et celles des personnes. Certains travailleurs parlent déjà de "grand carnage"…

Un rafistolage humainement coûteux ne permettra jamais de garantir la sûreté. Une seule solution : programmer l’arrêt rapide des réacteurs !

 

Charlotte Mijeon

© Laurent Vanhelle


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