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Nucléaire : quand la relance se passe de démocratie

Publié initialement dans la revue Sortir du nucléaire n°97 le 16 mars 2023, mis en ligne le 18 juillet 2023



Loi cavalière qui accélère et simplifie les procédures administratives aux dépens du code de l’environnement et de l’urbanisme, commandes et fabrications de pièces destinées à des nouveaux réacteurs nucléaires, modifications des Schémas de cohérence Territorial… Alors même que rien n’est décidé, EDF et l’État ont déjà tout mis en place pour construire plus, plus vite et exploiter plus longtemps les réacteurs existants, quitte à protéger moins et à faire fi des avis citoyens. Vous avez dit démocratie ?



En 1974, le lancement hâtif du programme tout-nucléaire en France par Pierre Messmer s’était fait de manière ascendante, sans consultation du public alors même que cette décision allait entraîner une réorientation de l’appareil productif, des besoins en approvisionnement de combustible nucléaire, des impacts sur l’environnement des centrales et des usines nucléaires, ainsi que des risques liés à la radioactivité. 50 ans après, l’histoire se répète. Avant même de se questionner sur les besoins réels en énergie de la France ou sur la faisabilité d’un tel projet, le gouvernement impose son programme de relance accélérée du nucléaire. Les répercussions particulièrement complexes de cette orientation sur les plans politique, économique et écologique devraient pourtant appeler à la plus grande prudence.

© André Paris/Réseau "Sortir du nucléaire"

Projet de loi sur l’accélération du nucléaire : une initiative précipitée

Premier coup d’accélérateur de cette relance précipitée : le projet de loi relatif à l’accélération de la construction de nouvelles installations nucléaires et au fonctionnement des installations existantes, déposé au Sénat en novembre 2022. Ce projet a pour objectif affiché de réduire les délais administratifs pour la création de nouveaux réacteurs et de simplifier les procédures pour la prolongation de la durée de vie de ceux déjà en fonctionnement. Outre le calendrier anti-démocratique du texte (dépôt au Sénat pendant le débat public sur l’opportunité de la relance du nucléaire), son contenu est problématique à plusieurs égards.

À Lire aussi :
Débat public sur le nucléaire : le Réseau "Sortir du nucléaire" et Greenpeace France claquent la porte

Tout d’abord, ce texte est dans l’ensemble inutile car rien n’empêche aujourd’hui la construction de nouvelles centrales sur le plan juridique. Il cherche simplement à diminuer de quelques mois la date de mise en service des réacteurs alors que les retards des précédents chantiers, notamment celui de Flamanville, se chiffrent à plusieurs années et ne sont pas liés à des questions de délais administratifs mais à de multiples incidents et malfaçons. [1]

Ensuite, sous couvert d’"efficacité", le gouvernement tente de faire passer des dispositions qui se révèlent être un florilège de régressions pour la sûreté nucléaire et pour le droit de l’environnement. Pour n’en citer que quelques-unes : la suppression du plafond introduit par la précédente Programmation pluriannuelle de l’énergie pour limiter la part du nucléaire à 50% dans la production d’électricité d’ici 2035, les dérogations à la loi littoral, la centralisation des pouvoirs au détriment des élus locaux, ou l’intégration forcée de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire à l’Autorité de sûreté nucléaire (proposée sans qu’aucune évaluation des conséquences de celle-ci sur la sûreté des installations n’ait été réalisée)… Le gouvernement ne sait toujours pas si une relance du nucléaire civil est techniquement possible, qu’il avance déjà ses pions en ce sens.

© SDN Bugey

Fabrication de pièces et composants EPR2 pas autorisés mais déjà commandés

D’ailleurs, l’affaire semble tellement pliée d’avance, que, bien que la construction d’EPR2 ne soit pas encore officiellement actée, EDF passe déjà des marchés et commande des pièces. Et pas n’importe lesquelles ! Les gros composants qui sont au cœur des réacteurs, les équipements sous pression nucléaires (ESPN) [2], comme la cuve, le circuit primaire ou les générateurs de vapeurs. Et ces commandes ne datent pas d’hier mais d’au moins 2 ans [3]...

Fin 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire est passée à plusieurs reprises dans les locaux des services centraux d’EDF [4]. Elle est venue vérifier les achats touchant à la conception, la construction et l’exploitation des EPR2, EDF ayant déjà confié la fabrication d’ESPN du circuit primaire à différentes sociétés. Et pas à n’importe qui ! À Framatome, qui a déjà forgé la cuve de l’EPR de Flamanville, avec les défauts de fabrication bien connus [5]. À Japan Steel Works (JSW) aussi, fabricant japonais, qui a annoncé en 2022 avoir découvert plusieurs falsifications dans ses dossiers de fabrication (modifications des résultats d’analyses chimiques, d’essais mécaniques, de contrôles et de mesures de contraintes) [6].

Modifications du ScoT et du PLU : le nucléaire s’installe

Au niveau local, c’est la même histoire : bien que rien ne soit encore acté, le plan de relance tente déjà de s’imposer, comme au Bugey, site en « concurrence » avec celui du Tricastin pour accueillir l’une des trois paires d’EPR2 souhaitées par le gouvernement. Le 6 février 2023, les élu·es de 82 communes du sud du département de l’Ain ont validé la modification du Schéma de cohérence Territorial visant à rendre 150 hectares de terrains à proximité de la centrale aptes à l’accueil de deux réacteurs EPR2. Un seul élu a voté contre cette modification, le maire de Pérouges, Paul Vernay (EELV), fervent opposant à l’arrivée des nouveaux réacteurs.

Dans la même optique, les deux communes sur lesquelles se trouve le site nucléaire ont déjà engagé la modification de leur Plan Local d’Urbanisme.

En parallèle, une consultation a eu lieu de février à mars 2023 afin de valider la prolongation au-delà de 40 ans des réacteurs n° 2, 4 et 5 de la centrale nucléaire du Bugey, pourtant doyenne des centrales françaises. Un ensemble de décisions qui illustrent les grands projets de l’industrie nucléaire pour la vallée du Rhône.

Mais face aux subterfuges et aux folies des commanditaires de l’atome, et à la menace de plus en plus tangible d’une relance du nucléaire, les militant·es antinucléaires répondent présent·es, rien n’est joué ! Il est crucial de continuer à se mobiliser. Des groupes et militant·es agissent partout en France, rejoignez-les !

Lisa Pagani, Laure Barthélemy, Marie Liger


Notes

[2Les ESPN sont soumis à de fortes radiations et d’importantes variations de températures et de pression. Leur fabrication est réglementée.

[3En décembre 2021, EDF avait déjà élaboré la documentation de fabrication des GV des EPR2 – cf. inspection du 23/11/2022

[4Inspection du 08/11/2022 et du 23/11/2022

[5Certaines zones contiennent trop de carbone, ce qui rend la cuve plus sujette aux fissures et à la rupture. Voir IRSN - Connaissances

[6Voir ASN Actualité 25/01/2023

En 1974, le lancement hâtif du programme tout-nucléaire en France par Pierre Messmer s’était fait de manière ascendante, sans consultation du public alors même que cette décision allait entraîner une réorientation de l’appareil productif, des besoins en approvisionnement de combustible nucléaire, des impacts sur l’environnement des centrales et des usines nucléaires, ainsi que des risques liés à la radioactivité. 50 ans après, l’histoire se répète. Avant même de se questionner sur les besoins réels en énergie de la France ou sur la faisabilité d’un tel projet, le gouvernement impose son programme de relance accélérée du nucléaire. Les répercussions particulièrement complexes de cette orientation sur les plans politique, économique et écologique devraient pourtant appeler à la plus grande prudence.

© André Paris/Réseau "Sortir du nucléaire"

Projet de loi sur l’accélération du nucléaire : une initiative précipitée

Premier coup d’accélérateur de cette relance précipitée : le projet de loi relatif à l’accélération de la construction de nouvelles installations nucléaires et au fonctionnement des installations existantes, déposé au Sénat en novembre 2022. Ce projet a pour objectif affiché de réduire les délais administratifs pour la création de nouveaux réacteurs et de simplifier les procédures pour la prolongation de la durée de vie de ceux déjà en fonctionnement. Outre le calendrier anti-démocratique du texte (dépôt au Sénat pendant le débat public sur l’opportunité de la relance du nucléaire), son contenu est problématique à plusieurs égards.

À Lire aussi :
Débat public sur le nucléaire : le Réseau "Sortir du nucléaire" et Greenpeace France claquent la porte

Tout d’abord, ce texte est dans l’ensemble inutile car rien n’empêche aujourd’hui la construction de nouvelles centrales sur le plan juridique. Il cherche simplement à diminuer de quelques mois la date de mise en service des réacteurs alors que les retards des précédents chantiers, notamment celui de Flamanville, se chiffrent à plusieurs années et ne sont pas liés à des questions de délais administratifs mais à de multiples incidents et malfaçons. [1]

Ensuite, sous couvert d’"efficacité", le gouvernement tente de faire passer des dispositions qui se révèlent être un florilège de régressions pour la sûreté nucléaire et pour le droit de l’environnement. Pour n’en citer que quelques-unes : la suppression du plafond introduit par la précédente Programmation pluriannuelle de l’énergie pour limiter la part du nucléaire à 50% dans la production d’électricité d’ici 2035, les dérogations à la loi littoral, la centralisation des pouvoirs au détriment des élus locaux, ou l’intégration forcée de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire à l’Autorité de sûreté nucléaire (proposée sans qu’aucune évaluation des conséquences de celle-ci sur la sûreté des installations n’ait été réalisée)… Le gouvernement ne sait toujours pas si une relance du nucléaire civil est techniquement possible, qu’il avance déjà ses pions en ce sens.

© SDN Bugey

Fabrication de pièces et composants EPR2 pas autorisés mais déjà commandés

D’ailleurs, l’affaire semble tellement pliée d’avance, que, bien que la construction d’EPR2 ne soit pas encore officiellement actée, EDF passe déjà des marchés et commande des pièces. Et pas n’importe lesquelles ! Les gros composants qui sont au cœur des réacteurs, les équipements sous pression nucléaires (ESPN) [2], comme la cuve, le circuit primaire ou les générateurs de vapeurs. Et ces commandes ne datent pas d’hier mais d’au moins 2 ans [3]...

Fin 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire est passée à plusieurs reprises dans les locaux des services centraux d’EDF [4]. Elle est venue vérifier les achats touchant à la conception, la construction et l’exploitation des EPR2, EDF ayant déjà confié la fabrication d’ESPN du circuit primaire à différentes sociétés. Et pas à n’importe qui ! À Framatome, qui a déjà forgé la cuve de l’EPR de Flamanville, avec les défauts de fabrication bien connus [5]. À Japan Steel Works (JSW) aussi, fabricant japonais, qui a annoncé en 2022 avoir découvert plusieurs falsifications dans ses dossiers de fabrication (modifications des résultats d’analyses chimiques, d’essais mécaniques, de contrôles et de mesures de contraintes) [6].

Modifications du ScoT et du PLU : le nucléaire s’installe

Au niveau local, c’est la même histoire : bien que rien ne soit encore acté, le plan de relance tente déjà de s’imposer, comme au Bugey, site en « concurrence » avec celui du Tricastin pour accueillir l’une des trois paires d’EPR2 souhaitées par le gouvernement. Le 6 février 2023, les élu·es de 82 communes du sud du département de l’Ain ont validé la modification du Schéma de cohérence Territorial visant à rendre 150 hectares de terrains à proximité de la centrale aptes à l’accueil de deux réacteurs EPR2. Un seul élu a voté contre cette modification, le maire de Pérouges, Paul Vernay (EELV), fervent opposant à l’arrivée des nouveaux réacteurs.

Dans la même optique, les deux communes sur lesquelles se trouve le site nucléaire ont déjà engagé la modification de leur Plan Local d’Urbanisme.

En parallèle, une consultation a eu lieu de février à mars 2023 afin de valider la prolongation au-delà de 40 ans des réacteurs n° 2, 4 et 5 de la centrale nucléaire du Bugey, pourtant doyenne des centrales françaises. Un ensemble de décisions qui illustrent les grands projets de l’industrie nucléaire pour la vallée du Rhône.

Mais face aux subterfuges et aux folies des commanditaires de l’atome, et à la menace de plus en plus tangible d’une relance du nucléaire, les militant·es antinucléaires répondent présent·es, rien n’est joué ! Il est crucial de continuer à se mobiliser. Des groupes et militant·es agissent partout en France, rejoignez-les !

Lisa Pagani, Laure Barthélemy, Marie Liger



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Thèmes
 Nucléaire et démocratie