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Sortir du nucléaire n°26



Février 2005

Solidarité

Bandajevsky, le relégué de Tchernobyl

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°26 - Février 2005

 Tchernobyl
Article publié le : 1er février 2005


Rencontre avec le savant biélorusse, condamné pour ses travaux dérangeants sur les effets sanitaires de la catastrophe de 1986.

Pour la première fois depuis sa condamnation à huit ans de prison, le scientifique biélorusse Youri Bandajevsky s’exprime dans la presse internationale. Le Figaro l’a rencontré à Minsk. Accusé de corruption, il a été en réalité réduit au silence parce que ses prises de position et ses travaux iconoclastes sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl dans son pays dérangeaient le pouvoir.



Clin d’œil au sort, c’est place de la Liberté, à Minsk, que se déroule la rencontre avec le prisonnier biélorusse le plus connu à l’étranger.

Condamné à huit ans de prison en 2001 pour corruption, Youri Bandajevsky a bénéficié au printemps dernier, après trois années de détention (plus six mois de préventive en 1999), d’une mise en relégation. Il vit dans un kolkhoze, à l’ouest du pays, près de la frontière polonaise. Dans sa résidence surveillée près de Grodno, il a reçu quelques visites, dont celles d’une dizaine de diplomates occidentaux en juin.

Le Figaro avait reçu l’autorisation officielle de le rencontrer dans sa « colonie de relégation ». Quatre jours avant le rendez-vous, le Pr. Bandajevsky reçoit l’ordre de prendre un congé, pour aller se faire soigner. C’est pourquoi le rendez-vous a finalement lieu dans la capitale, cadre jugé sans doute plus présentable par les autorités pour des interviews . Le séjour à Minsk du condamné se prolonge depuis plus de deux semaines.

En cette journée ensoleillée d’automne, Youri Bandajevsky est ravi et ému de cette première rencontre avec un journaliste étranger depuis sa condamnation. L’ancien directeur de l’Institut médical de Gomel, 47 ans, affiche une bonne mine. Galina, son épouse, indéfectible soutien pendant les moments difficiles de la détention, paraît beaucoup plus soucieuse. De temps à autre, le regard du chercheur balaie la salle : « L’australopithèque assis au fond du café est un policier en train de nous surveiller. » Fausse alerte, semble-t-il, mais l’ambiance est donnée.

Sur ses trois années de cellule, Youri Bandajevsky ne souhaite pas s’étendre. « Il y avait tous les agréments de la prison... Les gardiens pour rien au monde, n’auraient voulu se trouver à ma place. Le plus dur, ça a été l’isolement. Et pourtant, pendant deux ans, j’étais en cellule dans le bloc médical avec un autre prisonnier, j’avais la télé, je pouvais écrire. » Une amélioration qu’il doit sans doute à la visite, au bout d’un an, de députés européens. Pour autant, la santé et le moral du prisonnier ont vacillé. « Il y a un an, j’ai été opéré d’une péritonite. Les gardiens m’ont dit après qu’ils pensaient que j’allais mourir. »

En 1999, Youri Bandajevsky, médecin chercheur installé à Gomel, dans ce quart oriental de la Biélorussie contaminé par les retombées de la catastrophe de Tchernobyl, est arrêté. Motif : il aurait perçu des pots-de-vin d’étudiants en échange de leur réussite aux examens. Non seulement l’accusation ne colle pas à sa réputation de savant intègre, mais lors de son procès, en 2001, aucune preuve ne sera présentée. Le principal témoin se récuse tandis que l’OSCE (l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) relève plusieurs illégalités dans la procédure. « C’est un prisonnier politique », déclare sans ambages l’ambassadeur de France à Minsk, Stéphane Chmelewsky, qui n’a pas ménagé son soutien au chercheur, comme ses prédécesseurs. « Nous considérons qu’il a été victime d’une machination, car les travaux qu’il réalisait sur Tchernobyl étaient inquiétants pour le gouvernement. » Outre ses recherches iconoclastes sur la contamination des populations (lire pages suivantes), ses prises de position sur la mauvaise utilisation des fonds publics consacrés à la gestion de la catastrophe de Tchernobyl sont assurément la cause de ses ennuis.

La transformation de la peine de prison en relégation, une disposition prévue par le Code pénal biélorusse, a été accueillie comme un immense soulagement par Youri, sa femme et leurs deux filles, Olga et Natalia âgées de 25 et 16 ans. « A ma sortie de prison, j’étais plein d’énergie, je me sentais fort. » « Son teint a changé », confirme Galina. Cependant, « depuis un mois, j’ai des douleurs aux jambes, des vertiges ». Le chef de la colonie lui a dit d’aller se soigner à Minsk. Mais, exemple de ces situations kafkaïennes que le régime du président Loukachenko s’ingénie à créer, trois médecins ont refusé de prendre en charge Bandajevksy, privé de passeport. L’un d’eux ne lui a pas caché qu’il craignait pour sa carrière.

En relégation, Youri Bandajevsky occupe une isba dans un kolkhoze (la collectivisation des terres est encore d’actualité en Biélorussie) où il est le seul condamné. La colonie proprement dite est à plusieurs kilomètres, sur une ancienne base de missiles soviétiques. Il reçoit du courrier, de façon irrégulière. « En trois ans de prison, j’ai reçu 50 000 lettres, raconte Youri, dont 15 000 des États-Unis. En les lisant, souvent, je pleurais. Aujourd’hui, on m’envoie des travaux scientifiques. Mais le courrier est filtré. Ce n’est pas par hasard. Ils savent qu’à mes yeux, les livres et les informations ont plus de valeur que la nourriture. »

Il n’empêche que le condamné doit tout de même penser aux nourritures terrestres. Or le relégué travaille gratuitement (on lui a attribué un poste de gardien de nuit pas trop contraignant), mais il doit payer nourriture et logement. Il n’a pas d’eau. Il doit aller s’approvisionner au puits. Et les toilettes sont à cinquante mètres de la maison. Les conditions spartiates sont encore acceptables en ce début octobre 2004. « Sur les rives du Niemen, l’endroit est magnifique, concède le condamné, je suis né dans cette région ». Mais l’hiver continental approche. Galina lui a acheté des bouteilles de gaz et un réchaud.

Les visites de la famille ne sont pas limitées. Mais Galina doit travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Elle a été embauchée par l’Institut Belrad, le seul laboratoire indépendant consacré aux retombées de Tchernobyl.

Le Pr. Bandajevsky n’a qu’une envie : reprendre ses travaux. Il a toujours vécu pour la science, depuis ses années de thèse où, jeune marié au début des années 1980, il élevait dans l’appartement familial un millier de rats pour des travaux de toxicologie. En prison, s’amuse-t-il, « j’ai inventé un test pour distinguer différentes variétés de thé. J’ai observé la croissance et la reproduction des vers de terre qui vivaient dans des pots de fleur, que je nourrissais avec du thé. Des collègues académiciens m’ont dit que je devrais publier. Disons que ça a de la valeur pour montrer qu’on peut faire de la recherche en condition d’isolement. Ça m’a aidé à survivre. » Le Dr Bandajevsky a aussi rédigé un manuel de survie à destination de ses codétenus, où il mêle conseils nutritionnels et notions de méditation apprises dans des livres lus en prison.

Si Youri Bandajevsky était libéré, aujourd’hui, il quitterait vraisemblablement la Biélorussie. « Ce pays est une cage. Je ne m’intéresse pas à la politique, mais je ne peux pas travailler ici ni exprimer mes pensées scientifiques. Et puis toute ma famille a souffert. » Le regard mêlé de force et d’amertume, il lâche : « On m’a exclu du monde civilisé. »

Le Figaro du 12 octobre 2004

Clin d’œil au sort, c’est place de la Liberté, à Minsk, que se déroule la rencontre avec le prisonnier biélorusse le plus connu à l’étranger.

Condamné à huit ans de prison en 2001 pour corruption, Youri Bandajevsky a bénéficié au printemps dernier, après trois années de détention (plus six mois de préventive en 1999), d’une mise en relégation. Il vit dans un kolkhoze, à l’ouest du pays, près de la frontière polonaise. Dans sa résidence surveillée près de Grodno, il a reçu quelques visites, dont celles d’une dizaine de diplomates occidentaux en juin.

Le Figaro avait reçu l’autorisation officielle de le rencontrer dans sa « colonie de relégation ». Quatre jours avant le rendez-vous, le Pr. Bandajevsky reçoit l’ordre de prendre un congé, pour aller se faire soigner. C’est pourquoi le rendez-vous a finalement lieu dans la capitale, cadre jugé sans doute plus présentable par les autorités pour des interviews . Le séjour à Minsk du condamné se prolonge depuis plus de deux semaines.

En cette journée ensoleillée d’automne, Youri Bandajevsky est ravi et ému de cette première rencontre avec un journaliste étranger depuis sa condamnation. L’ancien directeur de l’Institut médical de Gomel, 47 ans, affiche une bonne mine. Galina, son épouse, indéfectible soutien pendant les moments difficiles de la détention, paraît beaucoup plus soucieuse. De temps à autre, le regard du chercheur balaie la salle : « L’australopithèque assis au fond du café est un policier en train de nous surveiller. » Fausse alerte, semble-t-il, mais l’ambiance est donnée.

Sur ses trois années de cellule, Youri Bandajevsky ne souhaite pas s’étendre. « Il y avait tous les agréments de la prison... Les gardiens pour rien au monde, n’auraient voulu se trouver à ma place. Le plus dur, ça a été l’isolement. Et pourtant, pendant deux ans, j’étais en cellule dans le bloc médical avec un autre prisonnier, j’avais la télé, je pouvais écrire. » Une amélioration qu’il doit sans doute à la visite, au bout d’un an, de députés européens. Pour autant, la santé et le moral du prisonnier ont vacillé. « Il y a un an, j’ai été opéré d’une péritonite. Les gardiens m’ont dit après qu’ils pensaient que j’allais mourir. »

En 1999, Youri Bandajevsky, médecin chercheur installé à Gomel, dans ce quart oriental de la Biélorussie contaminé par les retombées de la catastrophe de Tchernobyl, est arrêté. Motif : il aurait perçu des pots-de-vin d’étudiants en échange de leur réussite aux examens. Non seulement l’accusation ne colle pas à sa réputation de savant intègre, mais lors de son procès, en 2001, aucune preuve ne sera présentée. Le principal témoin se récuse tandis que l’OSCE (l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) relève plusieurs illégalités dans la procédure. « C’est un prisonnier politique », déclare sans ambages l’ambassadeur de France à Minsk, Stéphane Chmelewsky, qui n’a pas ménagé son soutien au chercheur, comme ses prédécesseurs. « Nous considérons qu’il a été victime d’une machination, car les travaux qu’il réalisait sur Tchernobyl étaient inquiétants pour le gouvernement. » Outre ses recherches iconoclastes sur la contamination des populations (lire pages suivantes), ses prises de position sur la mauvaise utilisation des fonds publics consacrés à la gestion de la catastrophe de Tchernobyl sont assurément la cause de ses ennuis.

La transformation de la peine de prison en relégation, une disposition prévue par le Code pénal biélorusse, a été accueillie comme un immense soulagement par Youri, sa femme et leurs deux filles, Olga et Natalia âgées de 25 et 16 ans. « A ma sortie de prison, j’étais plein d’énergie, je me sentais fort. » « Son teint a changé », confirme Galina. Cependant, « depuis un mois, j’ai des douleurs aux jambes, des vertiges ». Le chef de la colonie lui a dit d’aller se soigner à Minsk. Mais, exemple de ces situations kafkaïennes que le régime du président Loukachenko s’ingénie à créer, trois médecins ont refusé de prendre en charge Bandajevksy, privé de passeport. L’un d’eux ne lui a pas caché qu’il craignait pour sa carrière.

En relégation, Youri Bandajevsky occupe une isba dans un kolkhoze (la collectivisation des terres est encore d’actualité en Biélorussie) où il est le seul condamné. La colonie proprement dite est à plusieurs kilomètres, sur une ancienne base de missiles soviétiques. Il reçoit du courrier, de façon irrégulière. « En trois ans de prison, j’ai reçu 50 000 lettres, raconte Youri, dont 15 000 des États-Unis. En les lisant, souvent, je pleurais. Aujourd’hui, on m’envoie des travaux scientifiques. Mais le courrier est filtré. Ce n’est pas par hasard. Ils savent qu’à mes yeux, les livres et les informations ont plus de valeur que la nourriture. »

Il n’empêche que le condamné doit tout de même penser aux nourritures terrestres. Or le relégué travaille gratuitement (on lui a attribué un poste de gardien de nuit pas trop contraignant), mais il doit payer nourriture et logement. Il n’a pas d’eau. Il doit aller s’approvisionner au puits. Et les toilettes sont à cinquante mètres de la maison. Les conditions spartiates sont encore acceptables en ce début octobre 2004. « Sur les rives du Niemen, l’endroit est magnifique, concède le condamné, je suis né dans cette région ». Mais l’hiver continental approche. Galina lui a acheté des bouteilles de gaz et un réchaud.

Les visites de la famille ne sont pas limitées. Mais Galina doit travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Elle a été embauchée par l’Institut Belrad, le seul laboratoire indépendant consacré aux retombées de Tchernobyl.

Le Pr. Bandajevsky n’a qu’une envie : reprendre ses travaux. Il a toujours vécu pour la science, depuis ses années de thèse où, jeune marié au début des années 1980, il élevait dans l’appartement familial un millier de rats pour des travaux de toxicologie. En prison, s’amuse-t-il, « j’ai inventé un test pour distinguer différentes variétés de thé. J’ai observé la croissance et la reproduction des vers de terre qui vivaient dans des pots de fleur, que je nourrissais avec du thé. Des collègues académiciens m’ont dit que je devrais publier. Disons que ça a de la valeur pour montrer qu’on peut faire de la recherche en condition d’isolement. Ça m’a aidé à survivre. » Le Dr Bandajevsky a aussi rédigé un manuel de survie à destination de ses codétenus, où il mêle conseils nutritionnels et notions de méditation apprises dans des livres lus en prison.

Si Youri Bandajevsky était libéré, aujourd’hui, il quitterait vraisemblablement la Biélorussie. « Ce pays est une cage. Je ne m’intéresse pas à la politique, mais je ne peux pas travailler ici ni exprimer mes pensées scientifiques. Et puis toute ma famille a souffert. » Le regard mêlé de force et d’amertume, il lâche : « On m’a exclu du monde civilisé. »

Le Figaro du 12 octobre 2004



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