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Sortir du nucléaire n°52



Hiver 2012

Alternatives

"Setsuden", les mesures d’économie d’électricité au Japon

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°52 - Hiver 2012

 Sortie du nucléaire  Maîtrise de l’énergie  Fukushima


Comment le Japon, grande puissance dont la population dépasse les 127 millions d’habitants, qui était jusqu’en mars 2011 le troisième producteur mondial d’électricité d’origine nucléaire1, peut-il aujourd’hui se passer de la quasi-totalité de son parc nucléaire ? Question passionnante et intrigante à laquelle je vais essayer d’apporter des éléments de réponse… Car ne sommes-nous pas les témoins d’une sortie du nucléaire qui ne dit pas son nom mais qui pourtant laisse peu de doutes quant à sa réalité ?



Il y avait récemment encore au Japon 54 réacteurs nucléaires, sans compter le réacteur à neutrons rapides Monju qui sera selon toute vraisemblance bientôt démantelé. Après la destruction de la centrale de Fukushima I en mars 2011, il n’en restait plus que 50, dont la majeure partie était en activité. Au moment où j’écris ces lignes, début décembre 2011, seuls huit réacteurs sont encore en activité dans le pays. Fin décembre, il n’y en aura plus que sept. Pourquoi ? Opérations de maintenance, méfiance de la population et des autorités locales qui s’opposent avec une véhémence accrue à la remise en marche des réacteurs provisoirement arrêtés ; et enfin nombreux accidents qui, au fil des ans, ont immobilisé plusieurs réacteurs. Résultat : au printemps 2012 plus un seul réacteur nucléaire ne devrait fonctionner dans le pays.

Dans le Tôhoku, la région du Nord-est du Japon où s’est produite la catastrophe du 11 mars, deux sociétés privées se partagent le marché de l’électricité : la "petite" Tôhoku Electric et la "grande" TEPCO. La première alimentait en électricité près de 8 millions de clients - particuliers, entreprises et services publics - dans six préfectures (l’équivalent de nos départements) ; la seconde, l’un des plus gros producteurs et fournisseurs d’électricité au monde, alimentait près de 29 millions de clients dans neuf préfectures, dont celle de Tokyo. TEPCO emploie plus de 38 000 personnes et possédait 17 réacteurs nucléaires dans trois centrales2. Aujourd’hui, deux seulement sont encore en service dans l’Ouest du pays. Ils seront arrêtés pour des opérations de maintenance début 2012 et la probabilité qu’ils ne soient plus jamais remis en service est forte, si l’on en juge par la vive opposition du gouverneur de Niigata et de la population locale.

Mais TEPCO, qui a perdu subitement 21 GW de sa capacité le 11 mars, ne misait pas seulement sur le nucléaire : comme les huit autres électriciens privés du pays, la compagnie possède d’autres types de centrales3, mises aujourd’hui à contribution pour tenter de compenser les pertes subies. Ce sont par exemple les centrales thermiques au gaz naturel de Futtsu et d’Anegasaki, aux portes de la capitale. Pour les alimenter, le Japon vient d’augmenter ses importations de gaz de Sakhaline (Russie). Les grandes aciéries du Kanto (région où se trouve Tokyo) ont elles aussi prêté main forte à l’électricien en lui fournissant de l’électricité produite dans leurs centrales thermiques. Une particularité à rappeler pour bien saisir le contexte japonais est que la moitié Nord-Est de l’île de Honshu, où se trouve Tokyo, fonctionne en 50 Hz (standard européen introduit par les Allemands), tandis que la moitié Sud-Ouest (Osaka, Kyoto, Nagoya) fonctionne en 60Hz (standard introduit par les Américains). Les deux convertisseurs situés à Nagano et à Shizuoka n’ayant qu’une puissance de 1 GW, il n’était pas possible aux électriciens du Sud-Ouest d’aider efficacement TEPCO au plus fort de la crise. C’est d’ailleurs un problème auquel le gouvernement a décidé de s’atteler, non sans difficulté, puisque les électriciens régionaux tiennent à leur monopole.

Des mesures qui engagent la responsabilité de chacun

À la suite de la triple catastrophe - séisme, tsunami, débâcle nucléaire -, tout le Nord-Est du Japon (qui représente 8 % de l’économie du pays) et 4,4 millions de foyers se sont trouvés privés d’électricité. Le 13 mars, devant une centaine de journalistes, TEPCO annonçait qu’elle mettait en place un délestage électrique (coupures de courant par roulement) qui permettrait à l’économie de continuer à fonctionner a minima dans la zone la plus atteinte. Tokyo était concernée mais les arrondissements du centre ont finalement été épargnés. Il s’est alors produit l’inimaginable : 20 % des trains et des métros en moins ; des lignes de train complètement stoppées ; d’autres arrêtées plusieurs heures par jour, pendant des semaines, et la capitale devenue sombre. Le terme "setsuden", "économie d’électricité", est apparu. Des affichettes savamment illustrées ont rapidement été distribuées et collées un peu partout pour expliquer les mesures et éduquer le public, relayées par la télévision. L’éclairage public a été immédiatement modifié : 2/3 environ des néons et ampoules ont été supprimés dans les rues, les gares, les stations, les magasins, tous les lieux publics. Les distributeurs de boissons, gros mangeurs d’énergie, ont perdu leur éclairage et leurs voix de synthèse qui disaient "bonjour" et "merci". Ils ne les ont toujours pas retrouvés. Une partie des distributeurs de tickets dans les gares ont cessé de fonctionner, de même que les omniprésents escaliers mécaniques. De nombreuses recommandations ont été faites à la population : cuisiner vite, sans appareils ménagers ; se coucher tôt ; débrancher le siège chauffant des toilettes sophistiquées qui ont la faveur des Japonais (jusqu’à 6 % de la consommation électrique d’un ménage !) ; partir en vacances ; sortir le week-end ; regarder la télévision en famille dans la même pièce ; débrancher tous les appareils ; éviter de se chauffer à l’électricité, et puis éteindre encore et encore… La perspective de l’été avec ses chaleurs tropicales affolait.

Les conseils aux particuliers n’étaient pas coercitifs, les gens s’efforçaient de faire au mieux avec bonne volonté. Mais dans le cas des entreprises, le gouvernement s’est montré ferme : l’article 27 de la Loi sur l’Électricité commerciale (Business Electricity Act) de 1964 stipule que le ministre de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie peut imposer de limiter la consommation d’électricité si l’économie, le niveau de vie ou l’intérêt public l’exigent. Dans l’article 119, alinéa vii, il est précisé que toute personne qui refuserait d’obtempérer à l’ordre de limiter sa consommation d’électricité est passible d’une amende pouvant s’élever à un million de yens. En prévision de l’été, difficilement supportable sans climatisation dans un pays où les bâtiments sont très mal isolés, les entreprises et établissements publics ont été divisés en deux groupes : ceux dont la consommation dépasse 500 kW étaient tenus, dans un premier temps, d’économiser 25 % de leur énergie entre 9 heures et 20 heures les jours de semaine, du 1er juillet au 22 septembre. Ce chiffre a rapidement été revu à la baisse, pour passer à 15 %, TEPCO ayant réussi à produire de l’électricité en plus, grâce à la technique du pompage-turbinage. 14 800 entreprises alimentées par TEPCO et 3800 par Tôhoku Electric tombaient sous le coup de cette mesure. Une trentaine de catégories y échappaient : établissements hospitaliers, maisons de retraite, centres de données, institutions financières, chemins de fer (sauf entre midi et 15h), stations d’épuration d’eau et usines de traitement des eaux usées...

Le travail a été repensé et de nombreux aménagements ont été faits : décalage des horaires de travail - commencer plus tôt, finir plus tôt ; réduction de la durée du travail ; réduction des heures supplémentaires ; allongement des congés d’été ; incitation à partir en vacances ; report d’activités à l’automne ; modification des jours de repos, travail le samedi et le dimanche à la place ; semaine de 4 jours… Les lampes de bureau individuelles dotées d’ampoules basse consommation ou LED ont remplacé les plafonniers des bureaux, gourmands en électricité. Les ordinateurs sont éteints pour la nuit et les appareils ne sont plus laissés en veilleuse. L’habillement au travail a été revu et adapté aux circonstances (manches courtes, pas de cravate, T-shirts acceptés pour les femmes, sandales nu-pieds…). Les abus restent très marginaux ; ainsi de cette entreprise qui a imposé à son personnel masculin et féminin une coupe de cheveux ne nécessitant pas l’usage d’un sèche-cheveux. Des mairies ont fermé certains après-midi en semaine. La reprise des cours dans les universités a été retardée de 3 à 4 semaines et/ou la date des vacances avancée. Le gouvernement a largement laissé l’initiative aux collectivités pour qu’elles trouvent les formules leur convenant au mieux. Certaines villes ont adopté l’heure d’été. Pour faire écran au soleil et à la chaleur humide de l’été japonais, des plantes grimpantes à croissance rapide ont été semées sous les fenêtres un peu partout : bureaux, écoles, mairies… Les économies d’électricité ont permis à certains établissements de consacrer un budget à l’achat de boissons fraîches (eau minérale, thé vert) et de les distribuer gracieusement à leur personnel ou aux élèves. D’autres ont distribué des éventails en carton. La consigne gouvernementale était de bloquer les climatiseurs sur 28°C. Ce chiffre est passé à 27°C quand il s’est avéré que les économies d’électricité portaient largement leurs fruits. Contre les resquilleurs, un boîtier inamovible était souvent vissé sur les commandes murales des appareils. Pour les métiers pénibles, la température était fixée à 26°C. Des groupes de contrôle formés par des volontaires surveillaient parfois la bonne marche des efforts : éteindre les lumières, arrêter les climatiseurs, fermer les portes extérieures, etc.

Les conséquences sur les personnes et sur l’économie

Il serait imprudent de dire que les entreprises s’en sont vraiment bien sorties. Certaines ont commencé à pratiquer l’externalisation vers d’autres régions du Japon ou d’autres pays d’Asie. Les petites entreprises, les sous-traitants et les petits commerces ont souffert le plus et beaucoup ont cessé leur activité. Il est indéniable pourtant que des grandes entreprises comme TOSHIBA, MITSUBISHI, DOCOMO, etc. sont déjà sur la brèche pour créer la prochaine génération de produits adaptés à la nouvelle situation : appareils ménagers basse consommation, développement de moyens de communication plus fiables, panneaux photovoltaïques, nouvelles technologies. Il se pourrait que le Japon devienne très vite le leader dans ces domaines de pointe où il excellait déjà puisque 55% des brevets mondiaux liés aux énergies renouvelables sont le fait d’inventeurs japonais (seulement 7% en Europe). Sur le plan humain, un phénomène fascinant est en train de se dérouler sous nos yeux. Selon une étude de la compagnie d’assurances AXA qui a interrogé en juin 10000 hommes et femmes de 20 à 59 ans habitant Tokyo et la banlieue, les attentes et les priorités des personnes ont profondément changé : dans le choix d’un partenaire, la communauté d’idées et d’intérêts, la confiance aussi priment désormais sur les revenus et l’apparence physique. Les familles se sont ressoudées, les couples rapprochés, les amitiés renforcées. Se pourrait-il que nous assistions à la naissance d’un Japon transformé, plus mûr, plus humain et… antinucléaire ?

Janick Magne
en direct de Tokyo
Candidate d’EELV aux législatives 2012 dans la 11ème circonscription des Français hors de France.

Notes :

1 : Les chiffres de 2009 montrent que le Japon produit (produisait) son électricité à partir de sources variées : charbon 27 %, gaz 27 %, nucléaire 27%, pétrole 9 %, et hydraulique 7 %.

2 : Il s’agit, sur la côte Nord-Est, des centrales de Fukushima I avec six réacteurs, dont quatre annihilés par la catastrophe, Fukushima II avec quatre réacteurs et, sur la côte Nord-Ouest, de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa – préfecture de Niigata -, avec sept réacteurs.

3 : TEPCO gère un parc de 190 installations : 160 hydrauliques, 25 thermiques, 3 nucléaires, 2 de nouvelles énergies (éoliennes). Production totale en 2010 : 64,5 GW dont 17,3 GW d’origine nucléaire.

Il y avait récemment encore au Japon 54 réacteurs nucléaires, sans compter le réacteur à neutrons rapides Monju qui sera selon toute vraisemblance bientôt démantelé. Après la destruction de la centrale de Fukushima I en mars 2011, il n’en restait plus que 50, dont la majeure partie était en activité. Au moment où j’écris ces lignes, début décembre 2011, seuls huit réacteurs sont encore en activité dans le pays. Fin décembre, il n’y en aura plus que sept. Pourquoi ? Opérations de maintenance, méfiance de la population et des autorités locales qui s’opposent avec une véhémence accrue à la remise en marche des réacteurs provisoirement arrêtés ; et enfin nombreux accidents qui, au fil des ans, ont immobilisé plusieurs réacteurs. Résultat : au printemps 2012 plus un seul réacteur nucléaire ne devrait fonctionner dans le pays.

Dans le Tôhoku, la région du Nord-est du Japon où s’est produite la catastrophe du 11 mars, deux sociétés privées se partagent le marché de l’électricité : la "petite" Tôhoku Electric et la "grande" TEPCO. La première alimentait en électricité près de 8 millions de clients - particuliers, entreprises et services publics - dans six préfectures (l’équivalent de nos départements) ; la seconde, l’un des plus gros producteurs et fournisseurs d’électricité au monde, alimentait près de 29 millions de clients dans neuf préfectures, dont celle de Tokyo. TEPCO emploie plus de 38 000 personnes et possédait 17 réacteurs nucléaires dans trois centrales2. Aujourd’hui, deux seulement sont encore en service dans l’Ouest du pays. Ils seront arrêtés pour des opérations de maintenance début 2012 et la probabilité qu’ils ne soient plus jamais remis en service est forte, si l’on en juge par la vive opposition du gouverneur de Niigata et de la population locale.

Mais TEPCO, qui a perdu subitement 21 GW de sa capacité le 11 mars, ne misait pas seulement sur le nucléaire : comme les huit autres électriciens privés du pays, la compagnie possède d’autres types de centrales3, mises aujourd’hui à contribution pour tenter de compenser les pertes subies. Ce sont par exemple les centrales thermiques au gaz naturel de Futtsu et d’Anegasaki, aux portes de la capitale. Pour les alimenter, le Japon vient d’augmenter ses importations de gaz de Sakhaline (Russie). Les grandes aciéries du Kanto (région où se trouve Tokyo) ont elles aussi prêté main forte à l’électricien en lui fournissant de l’électricité produite dans leurs centrales thermiques. Une particularité à rappeler pour bien saisir le contexte japonais est que la moitié Nord-Est de l’île de Honshu, où se trouve Tokyo, fonctionne en 50 Hz (standard européen introduit par les Allemands), tandis que la moitié Sud-Ouest (Osaka, Kyoto, Nagoya) fonctionne en 60Hz (standard introduit par les Américains). Les deux convertisseurs situés à Nagano et à Shizuoka n’ayant qu’une puissance de 1 GW, il n’était pas possible aux électriciens du Sud-Ouest d’aider efficacement TEPCO au plus fort de la crise. C’est d’ailleurs un problème auquel le gouvernement a décidé de s’atteler, non sans difficulté, puisque les électriciens régionaux tiennent à leur monopole.

Des mesures qui engagent la responsabilité de chacun

À la suite de la triple catastrophe - séisme, tsunami, débâcle nucléaire -, tout le Nord-Est du Japon (qui représente 8 % de l’économie du pays) et 4,4 millions de foyers se sont trouvés privés d’électricité. Le 13 mars, devant une centaine de journalistes, TEPCO annonçait qu’elle mettait en place un délestage électrique (coupures de courant par roulement) qui permettrait à l’économie de continuer à fonctionner a minima dans la zone la plus atteinte. Tokyo était concernée mais les arrondissements du centre ont finalement été épargnés. Il s’est alors produit l’inimaginable : 20 % des trains et des métros en moins ; des lignes de train complètement stoppées ; d’autres arrêtées plusieurs heures par jour, pendant des semaines, et la capitale devenue sombre. Le terme "setsuden", "économie d’électricité", est apparu. Des affichettes savamment illustrées ont rapidement été distribuées et collées un peu partout pour expliquer les mesures et éduquer le public, relayées par la télévision. L’éclairage public a été immédiatement modifié : 2/3 environ des néons et ampoules ont été supprimés dans les rues, les gares, les stations, les magasins, tous les lieux publics. Les distributeurs de boissons, gros mangeurs d’énergie, ont perdu leur éclairage et leurs voix de synthèse qui disaient "bonjour" et "merci". Ils ne les ont toujours pas retrouvés. Une partie des distributeurs de tickets dans les gares ont cessé de fonctionner, de même que les omniprésents escaliers mécaniques. De nombreuses recommandations ont été faites à la population : cuisiner vite, sans appareils ménagers ; se coucher tôt ; débrancher le siège chauffant des toilettes sophistiquées qui ont la faveur des Japonais (jusqu’à 6 % de la consommation électrique d’un ménage !) ; partir en vacances ; sortir le week-end ; regarder la télévision en famille dans la même pièce ; débrancher tous les appareils ; éviter de se chauffer à l’électricité, et puis éteindre encore et encore… La perspective de l’été avec ses chaleurs tropicales affolait.

Les conseils aux particuliers n’étaient pas coercitifs, les gens s’efforçaient de faire au mieux avec bonne volonté. Mais dans le cas des entreprises, le gouvernement s’est montré ferme : l’article 27 de la Loi sur l’Électricité commerciale (Business Electricity Act) de 1964 stipule que le ministre de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie peut imposer de limiter la consommation d’électricité si l’économie, le niveau de vie ou l’intérêt public l’exigent. Dans l’article 119, alinéa vii, il est précisé que toute personne qui refuserait d’obtempérer à l’ordre de limiter sa consommation d’électricité est passible d’une amende pouvant s’élever à un million de yens. En prévision de l’été, difficilement supportable sans climatisation dans un pays où les bâtiments sont très mal isolés, les entreprises et établissements publics ont été divisés en deux groupes : ceux dont la consommation dépasse 500 kW étaient tenus, dans un premier temps, d’économiser 25 % de leur énergie entre 9 heures et 20 heures les jours de semaine, du 1er juillet au 22 septembre. Ce chiffre a rapidement été revu à la baisse, pour passer à 15 %, TEPCO ayant réussi à produire de l’électricité en plus, grâce à la technique du pompage-turbinage. 14 800 entreprises alimentées par TEPCO et 3800 par Tôhoku Electric tombaient sous le coup de cette mesure. Une trentaine de catégories y échappaient : établissements hospitaliers, maisons de retraite, centres de données, institutions financières, chemins de fer (sauf entre midi et 15h), stations d’épuration d’eau et usines de traitement des eaux usées...

Le travail a été repensé et de nombreux aménagements ont été faits : décalage des horaires de travail - commencer plus tôt, finir plus tôt ; réduction de la durée du travail ; réduction des heures supplémentaires ; allongement des congés d’été ; incitation à partir en vacances ; report d’activités à l’automne ; modification des jours de repos, travail le samedi et le dimanche à la place ; semaine de 4 jours… Les lampes de bureau individuelles dotées d’ampoules basse consommation ou LED ont remplacé les plafonniers des bureaux, gourmands en électricité. Les ordinateurs sont éteints pour la nuit et les appareils ne sont plus laissés en veilleuse. L’habillement au travail a été revu et adapté aux circonstances (manches courtes, pas de cravate, T-shirts acceptés pour les femmes, sandales nu-pieds…). Les abus restent très marginaux ; ainsi de cette entreprise qui a imposé à son personnel masculin et féminin une coupe de cheveux ne nécessitant pas l’usage d’un sèche-cheveux. Des mairies ont fermé certains après-midi en semaine. La reprise des cours dans les universités a été retardée de 3 à 4 semaines et/ou la date des vacances avancée. Le gouvernement a largement laissé l’initiative aux collectivités pour qu’elles trouvent les formules leur convenant au mieux. Certaines villes ont adopté l’heure d’été. Pour faire écran au soleil et à la chaleur humide de l’été japonais, des plantes grimpantes à croissance rapide ont été semées sous les fenêtres un peu partout : bureaux, écoles, mairies… Les économies d’électricité ont permis à certains établissements de consacrer un budget à l’achat de boissons fraîches (eau minérale, thé vert) et de les distribuer gracieusement à leur personnel ou aux élèves. D’autres ont distribué des éventails en carton. La consigne gouvernementale était de bloquer les climatiseurs sur 28°C. Ce chiffre est passé à 27°C quand il s’est avéré que les économies d’électricité portaient largement leurs fruits. Contre les resquilleurs, un boîtier inamovible était souvent vissé sur les commandes murales des appareils. Pour les métiers pénibles, la température était fixée à 26°C. Des groupes de contrôle formés par des volontaires surveillaient parfois la bonne marche des efforts : éteindre les lumières, arrêter les climatiseurs, fermer les portes extérieures, etc.

Les conséquences sur les personnes et sur l’économie

Il serait imprudent de dire que les entreprises s’en sont vraiment bien sorties. Certaines ont commencé à pratiquer l’externalisation vers d’autres régions du Japon ou d’autres pays d’Asie. Les petites entreprises, les sous-traitants et les petits commerces ont souffert le plus et beaucoup ont cessé leur activité. Il est indéniable pourtant que des grandes entreprises comme TOSHIBA, MITSUBISHI, DOCOMO, etc. sont déjà sur la brèche pour créer la prochaine génération de produits adaptés à la nouvelle situation : appareils ménagers basse consommation, développement de moyens de communication plus fiables, panneaux photovoltaïques, nouvelles technologies. Il se pourrait que le Japon devienne très vite le leader dans ces domaines de pointe où il excellait déjà puisque 55% des brevets mondiaux liés aux énergies renouvelables sont le fait d’inventeurs japonais (seulement 7% en Europe). Sur le plan humain, un phénomène fascinant est en train de se dérouler sous nos yeux. Selon une étude de la compagnie d’assurances AXA qui a interrogé en juin 10000 hommes et femmes de 20 à 59 ans habitant Tokyo et la banlieue, les attentes et les priorités des personnes ont profondément changé : dans le choix d’un partenaire, la communauté d’idées et d’intérêts, la confiance aussi priment désormais sur les revenus et l’apparence physique. Les familles se sont ressoudées, les couples rapprochés, les amitiés renforcées. Se pourrait-il que nous assistions à la naissance d’un Japon transformé, plus mûr, plus humain et… antinucléaire ?

Janick Magne
en direct de Tokyo
Candidate d’EELV aux législatives 2012 dans la 11ème circonscription des Français hors de France.

Notes :

1 : Les chiffres de 2009 montrent que le Japon produit (produisait) son électricité à partir de sources variées : charbon 27 %, gaz 27 %, nucléaire 27%, pétrole 9 %, et hydraulique 7 %.

2 : Il s’agit, sur la côte Nord-Est, des centrales de Fukushima I avec six réacteurs, dont quatre annihilés par la catastrophe, Fukushima II avec quatre réacteurs et, sur la côte Nord-Ouest, de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa – préfecture de Niigata -, avec sept réacteurs.

3 : TEPCO gère un parc de 190 installations : 160 hydrauliques, 25 thermiques, 3 nucléaires, 2 de nouvelles énergies (éoliennes). Production totale en 2010 : 64,5 GW dont 17,3 GW d’origine nucléaire.



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